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Régressions séparées

Chapitre 4. Le périmètre de la démocratie en entreprise et

2. Caractéristiques des sociétaires et mouvements de main

d’œuvre.

Une première analyse de statistiques descriptives nous permet de comparer les caractéristiques des salariés de SCOP et celles des sociétaires. Afin d’analyser les effets d’interaction entre l’inclusion au sociétariat et les recrutements et départs de salariés, comme annoncé dans l’introduction, nous nous intéressons ensuite aux effets différenciés des chocs de conjoncture sur les départs des différentes catégories de salariés.

2.1. Caractéristiques comparées des salariés

et des sociétaires

L’objectif de cette partie est d’observer les caractéristiques des sociétaires dans les SCOP et d’établir des premiers liens avec les théories évoquées dans la première partie. Nous établirons simplement des corrélations en nous gardant de toute interprétation en termes de causalité. La base de données utilisée a été mise à disposition par la CGSCOP avec un accord de confidentialité. Les données sont collectées chaque année par la CGSCOP pour l’ensemble des SCOP de France et incluent des informations sur le nombre de salariés et de salariés sociétaires, le secteur d’activité, la localisation ainsi que des variables financières sur la répartition du bénéfice, la masse salariale et le chiffre d’affaire et enfin une ventilation très

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détaillée de la force de travail et du sociétariat salarié par CSP, âge et sexe. Nous disposons de ces données pour les années 2000 à 2012 pour l’ensemble des SCOP, soit un panel de 20 000 observations, au niveau des établissements.

Le tableau 24 montre les taux de sociétariat par catégorie de salariés en fonction de la CSP, de l’âge, du sexe et de l’ancienneté. Les salariés qui ont plus de deux ans d’ancienneté ont plus de chance d’être sociétaires que les autres (72 % contre 61 %), ce qui découle directement des règles statutaires existant dans la plupart des SCOP d’un minimum de 1 à 3 ans d’ancienneté pour postuler au sociétariat. Même en l’absence de cette période, les nouveaux membres doivent attendre l’assemblée générale annuelle pour se présenter. Les hommes sont en moyenne plus souvent sociétaires que les femmes mais l’écart est faible (1 point de pourcentage). Cependant, cet écart cache une grande diversité selon les CSP et l’âge puisque par exemple pour les professions intermédiaires il est de 8 points et pour les 41-55 ans de 8 points également. La CSP crée des différences puisque 89 % des cadres ayant plus de 2 ans d’ancienneté sont sociétaires contre 64 % des ouvriers. Ce chiffre de 64 % signifie tout de même que la grande majorité des ouvriers devient sociétaire après deux ans d’ancienneté. Ce statut est donc loin d’être réservé aux plus qualifiés ou aux postes à responsabilité. L’âge est également déterminant puisqu’on observe des faibles taux de sociétariat pour les moins de 25 ans mais cela pourrait être lié à l’ancienneté.

Tableau 24. Taux de sociétariat parmi les différentes catégories de salariés.

Taux de sociétariat (en pourcentage de la catégorie de salariés concernés) parmi…

L’ensemble des salariés 60,7 %

Les salariés de 2 ans d’ancienneté et plus 71,6 %

Par sexe

Les hommes de 2 ans d’ancienneté et plus 72,3 %

Les femmes de 2 ans d’ancienneté et plus 70,9 %

Par sexe et CSP

Les hommes cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 89,3 %

Les femmes cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 86,4 %

Les cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 89,3 %

Les hommes professions intermédiaires de 2 ans d’ancienneté et plus 81,7 % Les femmes professions intermédiaires de 2 ans d’ancienneté et plus 73,2 %

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Les professions intermédiaires de 2 ans d’ancienneté et plus 80,1 %

Les hommes employés de 2 ans d’ancienneté et plus 68,7 %

Les femmes employées de 2 ans d’ancienneté et plus 66,4 %

Les employés de 2 ans d’ancienneté et plus 67,4 %

Les hommes ouvriers de 2 ans d’ancienneté et plus 64,7 %

Les femmes ouvrières de 2 ans d’ancienneté et plus 57,1 %

Les ouvriers de 2 ans d’ancienneté et plus 64,0 %

Les hommes d’autre CSP de 2 ans d’ancienneté et plus 8,4 % Les femmes d’autre CSP de 2 ans d’ancienneté et plus 15,0 %

Les autres CSP de 2 ans d’ancienneté et plus 8,8 %

Les hommes non cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 66,7 % Les femmes non cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 65,4 %

Les non cadres de 2 ans d’ancienneté et plus 66,1 %

Par âge

Les hommes de moins de 25 ans 22,4 %

Les femmes de moins de 25 ans 20,4 %

Les moins de 25 ans 22,2 %

Les hommes de 26 à 40 ans 63,0 %

Les femmes de 26 à 40 ans 58,8 %

Les 26 à 40 ans 62,6 %

Les hommes de 41 à 55 ans 78,4 %

Les femmes de 41 à 55 ans 69,7 %

Les 41 à 55 ans 76,6 %

Les hommes de plus de 55 ans 78,6 %

Les femmes de plus de 55 ans 67,0 %

Les plus de 55 ans 76,4 %

Nous voulons à présent explorer l’hypothèse de différents taux de sociétariat et de traitement différenciés entre les salariés selon les caractéristiques des SCOP. Nous retenons pour cela trois indicateurs : le taux de sociétariat parmi les salariés ayant au moins deux ans d’ancienneté, l’écart (en points de pourcentage) entre le taux de sociétariat des hommes et celui des femmes puis entre le taux de sociétariat des cadres et celui des non-cadres102. Le

102 Cet indicateur est moins précis que ne le seraient plusieurs mesures prenant en compte chaque CSP et leur écart par rapport à la catégorie des cadres. Cependant, il présente l’avantage de ne pas exclure les SCOP qui

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tableau 25 montre les corrélations existantes entre ces indicateurs et différentes caractéristiques des SCOP. Nous cherchons à savoir s’il existe une corrélation entre la proportion de femmes (respectivement de cadres) dans l’entreprise et leur place au sociétariat, entre le taux de sociétariat moyen et l’égale représentation des sexes et des CSP. Nous nous intéressons également à la taille, à l’ancienneté et au secteur d’activité de l’entreprise. On observe des coefficients de corrélation très faibles : la proportion de femmes dans l’entreprise est peu corrélée avec l’écart entre le taux de sociétariat des femmes et celui des hommes, de même pour les cadres et les non-cadres. En revanche l’écart entre les taux de sociétariat des cadres et des non-cadres diminue lorsque le taux de sociétariat total augmente. La taille et l’ancienneté de l’entreprise sont peu corrélées avec nos trois indicateurs, ce qui s’oppose à la théorie de la dégénérescence lorsque l’entreprise grandit et que les salariés fondateurs quittent l’entreprise (Miyazaki 1984, Ben-Ner 1984) et confirme l’étude empirique de Estrin et Jones (1992) pour la France. Enfin, la dernière partie du tableau 25 montre que dans les SCOP du secteur des services, la démocratie est moins inclusive selon nos indicateurs, par rapport aux secteurs de l’industrie et du bâtiment.

Tableau 25. Corrélation entre le taux de sociétariat (et les écarts hommes/femmes et cadres/ non-cadres) et les caractéristiques des entreprises

Ecart entre taux de sociétariat des hommes et des

femmes

Ecart entre taux de sociétariat des cadres et des

non-cadres

Taux de sociétariat des salariés ayant 2

ans d’ancienneté Proportion de

femmes parmi les salariés

0,10*** 0,06*** 0,006

Proportion de cadres

parmi les salariés 0,07*** 0,07*** 0,16***

Taux de sociétariat 0,04*** -0,47*** 0,88***

Taux de sociétariat des salariés ayant 2

ans d’ancienneté

0,05*** -0,50*** 1

Taille de l’entreprise -0,02** -0,02** -0,03***

Ancienneté de -0,04*** -0,04*** -0,04***

n’aurait pas d’ouvriers ou pas d’employés, etc. Au total, 55 % des SCOP ont à la fois des salariés cadres et des salariés non-cadres.

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Moyennes par secteur d’activité

Total 3,1 26,7 71,6

Industrie 1,1 22,0 74,3

Bâtiment 1,0 25,4 69,5

Services 7,7 28,2 72,3

*** indique un coefficient significativement différent de 0 à 95 %, ** à 90 %.

On peut tirer quelques conclusions de ces statistiques descriptives en lien avec les principes théoriques exposés en première partie. Tout d’abord l’ancienneté semble déterminante, ainsi que l’âge mais sans qu’on puisse être certain que les différences observées notamment pour les moins de 25 ans ne soient également dues à l’ancienneté. Cela peut être interprété de deux manières. A la lumière du principe de « ceux qui sont affectés », il est cohérent d’exclure du démos les salariés temporaires, par exemple en imposant un délai d’ancienneté pour postuler au sociétariat. Nous ne disposons pas de données sur le taux de sociétariat parmi les salariés en CDD et CDI pour confirmer cette hypothèse. Mais ce délai peut être interprété d’une autre manière : dans une situation d’incertitude, il pourrait s’agir du temps nécessaire à l’évaluation des compétences politiques des nouveaux salariés (principe (1) d’efficacité) ou de la conformité de leurs préférences avec celles des sociétaires dans un souci d’homogénéité (toujours selon le principe d’efficacité).

Les différences entre hommes et femmes concernant les taux de sociétariat existent à l’avantage des hommes mais sont faibles en moyenne bien que contrastées selon les catégories de salariés. Il se pourrait qu’elles soient dues à des différences en termes de temps partiel ou de CDD puisque les femmes sont en moyenne plus souvent à temps partiel (selon les chiffres de l’INSEE pour l’année 2015, 30 % des emplois féminins sont à temps partiel contre 8 % des emplois masculins et les femmes représentent 78 % des salariés à temps partiel103) et légèrement plus susceptibles d’être en CDD (Dares 2014). On rejoindrait alors le principe des plus affectés puisque les salariés à temps plein comme les salariés permanents sont plus affectés par les décisions prises dans l’entreprise. Si la différence était à attribuer uniquement au genre, il pourrait alors s’agir de discrimination ou de l’utilisation d’un signal sur les préférences si les sociétaires recherchent l’homogénéité.

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La CSP est la deuxième caractéristique qui semble la plus déterminante après l’ancienneté. On peut l’interpréter en termes de compétences : les cadres seraient plus facilement intégrés au sociétariat car ils auraient de meilleures compétences décisionnelles et politiques. On peut également y voir le résultat d’un investissement plus spécifique dans l’entreprise, qui ferait augmenter les coûts de sortie pour les cadres (principe (4)). Ou encore, et nous verrons que c’est un argument mobilisé par les dirigeants de SCOP, une moindre préférence de certaines CSP pour l’implication dans les décisions. Au-delà de la difficulté d’évaluer empiriquement ces préférences – nous y reviendrons dans la partie suivante – se pose alors la question de l’inaliénabilité du droit démocratique dans l’entreprise (principe (3)). Nous verrons que cette question se pose aux dirigeants de manière très pratique : faut-il rendre le sociétariat obligatoire pour tous les salariés de la SCOP ?

Enfin, il faut mentionner que nous n’avons pas pour l’instant d’élément nous permettant de statuer sur l’importance donnée dans les SCOP au principe de propriété (principe (2)) puisque nos données ne contiennent pas d’information sur la valeur des parts sociales qu’il faut acheter pour rentrer au sociétariat. Nous pourrons cependant nous appuyer sur les déclarations des membres des SCOP à ce sujet pour évaluer le poids du principe (2).

A travers les indications tirées des statistiques descriptives de la base de données fournie par la CGSCOP, nous avons discuté des principes mis en œuvre par les membres des SCOP susceptibles d’expliquer les faits observés. Nous voulons maintenant explorer les effets d’interaction entre les caractéristiques du sociétariat et les recrutements et départs de l’entreprise, en reproduisant à plus petite échelle et pour les seules SCOP la stratégie empirique décrite au chapitre 3.

2.2. Les effets d’interaction entre le