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Un débat historiographique dominé par l’interprétation « sceptique »

1.4 La matrice théologique de l’épistémologie de Mersenne

1.5.1 Un débat historiographique dominé par l’interprétation « sceptique »

Dans l’œuvre de Mersenne la détermination des critères pour différencier et effectuer une classification des sciences mathématiques évoque la discussion concernant les méthodes et l’objet de celles-ci initié au XVIe siècle. Comme il a été signalé auparavant, les références de Mersenne à la pensée de Biancani témoignent d’une prolongation de la quaestio de certitude mathematicarum dans le contexte de la production apologétique du Minime et plus particulièrement dans La vérité des sciences. Cet ouvrage a acquis une importance fondamentale dans l’étude de la pensée de Mersenne par l’attention portée à l’œuvre de Richard Popkin. Suite au travail monumental de Robert Lenoble sur la pensée du Minime qui invite à explorer une des dimensions de la possibilité d'une « modernité pré-cartésienne » à travers la notion du mécanisme, Popkin dirige son attention vers le travail de Mersenne en l'abrégeant dans un chapitre de The history of scepticism from Erasmus to Descartes (1960), consacré au scepticisme constructif ou mitigé. Après avoir présenté une conférence à l’Université d’Iowa sous le titre «The sceptical crisis and the rise of modern philosophy» en 19521 et après avoir publié un article qui avait pour but d’analyser la réponse que La vérité des sciences offrait aux arguments sceptiques en 19572, Popkin attribue à la figure

intellectuelle de Mersenne la naissance d'une nouvelle forme de scepticisme qui trouverait ses origines dans La vérité des Sciences et ses prolongations dans la pensée de

1 Dans son autobiographie, Popkin remarque l’objectif principal de cette conférence, à savoir dénoncer

l’oublie de la part des historiens de d'envergure de la «crise sceptique qui avait englouti le monde intellectuel européen» dans le développement de la philosophie moderne. Cf. Richard POPKIN,

Intellectual autobiography. Warts and all in R. WATSON, J. FORCE et al., The sceptical mode in modern philosophy. Essays in honor of Richard Popkin, Dordrecht, Martinus Nijhoff, 1988, pp. 113-4.

Cité par Antoine GLEMAIN, «Richard H. Popkin et l’histoire du scepticisme». Revue de synthèse, 1998, p. 341.

2 Richard POPKIN, «Father Mersenne’s war against Pyrrhonism». The modern schoolman, 34, 1957, pp.

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Pierre Gassendi1. En effet, d’après Popkin, la position de Mersenne incarne un

scepticisme constructif ou mitigé caractérisé par (i) ce qu’il considère comme «une version pragmatique de la théorie formulée par Aristote au sujet des conditions qui permettent l'obtention d'un savoir empirique et rationnel», (ii) par un modèle de savoir de vérités probables ou convaincantes concernant les apparences et (iii) par l’élimination de l’opposition entre deux forces de pensée différentes - à savoir une tendance «destructrice» du nouveau pyrrhonisme et un dogmatisme douteux - au moyen d’une troisième perspective philosophique capable de surmonter les conflits impliqués par ces deux forces impétueuses. L’objectif de l’étude de Popkin sur Mersenne est de mettre en évidence la conception de connaissance scientifique à la lumière d’une crise sceptique qui, d’après l’auteur, aurait secoué la pensée philosophique et scientifique du début du XVIIe siècle2. C’est pourquoi Popkin dirige tout particulièrement son attention

vers La vérité des sciences… où il s’agirait, d’après lui, non pas de renverser les arguments des pyrrhoniens - comme Mersenne l’annonce dans la préface -, mais de montrer qu’en les examinant et en acceptant leurs conséquences, il y a encore de vérités scientifiques capables de résister au doute sceptique3.

Avant d’aborder la certitude mathématique chez Mersenne dans le contexte de La vérité des sciences, il devient donc indispensable d’établir le cadre d’interprétation dans lequel s’insèrent l’étude de cette œuvre et l’ensemble de la pensée du Minime. L’étude de Popkin sur l’histoire du scepticisme est successivement rééditée avec des corrections et avec une importante prolongation chronologique du champ d’étude: « from Erasmus to Descartes » (1960), from « Erasmus to Spinoza » (1979) et « from Savonarola to Bayle » (2003). Les historiens de la philosophie moderne ont été et sont

1 Richard POPKIN, The history of scepticism..., p. 129.

2 «What Mersenne wanted to establish was that even if the claims of the sceptics could not be refuted,

nonetheless we could have a type of knowledge which is not open to question and which is all that is requisite for our purpose in this life. This kind of knowledge is not that which previous dogmatic philosophers had sought, knowledge of the real nature of things. Rather it consists of information about appearances, and hypothesis and predictions about the connections of events and the future course of experience. Scientific and mathematical knowledge for Mersenne did not yield information about some transcendent reality, nor was it upon any metaphysical truths about the nature of the universe. A positivistic-pragmatic conception of knowledge was set forth.» Ibidem,, p. 131

3 Popkin défend le scepticisme constructif de Mersenne non seulement dans son modèle scientifique mais

aussi dans son «attitude philosophique». Son portrait du Minime est celui d’un religieux intéressé par des questions scientifiques –physiques et mathématiques - et pseudo scientifiques, impliqué dans la divulgation de la nouvelle science - et les résultats de recherches de Galilée en particulier - et avec un énorme réseau de correspondants de différents courants de pensée. En 1953, grâce à une bourse Fulbright, Popkin a accès aux sources premières qui lui permettent d’»évaluer les mérites des autorités secondaires» et fait connaissance avec R. Lenoble par l’intermédiaire d’Alexandre Koyré, qu’il avait rencontré aux Etats Unis lorsque ce dernier était réfugié pendant la Seconde guerre mondiale. Cf. R. WATSON, J. FORCE et al., Op. cit., pp. 114-5.

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encore énormément influencés et enrichis par les apports de Popkin et l’étude de l’œuvre de Mersenne n’échappe pas à cette influence1. Le premier impact de l’interprétation de la pensée de Mersenne comme représentative d’une forme de scepticisme constructif se trouve dans la recherche doctorale de David Allen Duncan, en 1981, The tyranny of opinions indermined. Pseudo-science and scepticism in the musical thought of Marin Mersenne. Cette recherche a l’intention et la particularité d’intégrer la théorie musicale du Minime dans l’étude du rôle de sa philosophie dans la révolution scientifique. D’après Duncan, la théorie musicale - et la pensée de Mersenne en générale - est une réaction (i) aux spéculations fantastiques d’une pseudo-science et de « la magie des hermétistes » (ii) aux « tendances suicidaires du scepticisme » et (iii) à l’intolérance religieuse. Duncan fait une révision historiographique qui dénonce une étude partielle de l’œuvre de Mersenne2. C’est pourquoi il se propose de récupérer et

d’intégrer les apports de Lenoble quant à la critique de Mersenne contre ce qu’il appelle la pseudo-science, les recherches qui relèvent de la théorie musicale3, les études qui

abordent la figure du Minime face au libertinage érudit et l’interprétation de Popkin. En effet, Duncan conçoit l’œuvre de Mersenne à la lumière d’une crise intellectuelle provoquée par le scepticisme et défend la place de Mersenne dans l’histoire du scepticisme sous l’étiquette du scepticisme constructif, mais il incorpore dans cette conception le rôle indispensable joué par la théorie musicale, un des domaines de connaissance privilégiés dans la recherche du Minime. Sous cette perspective, l’investigation musicale de Mersenne a pour but de défendre l’idée d’une méthode

1 Dans l’introduction à Skepsis, Gianni Paganini signale la façon dont Popkin rend au scepticisme «sa

dignité d’objet historiographique de première importance» et établit en paradigme interprétatif dominant jusqu’à nos jours. La liste des chercheurs évoqués par Paganini donne témoin du succès historiographique international des travaux de Popkin: «il suffit de citer, après De Olaso et Tonelli, les recherches de Bracken, Curley, Watson, Laursen, Lennon, Maia Neto et Charles sur le continent américain, et celles de Cao, Cavaillé, Floridi, McKenna, Giocanti, Brahami, Perler en Europe…» Gianni PAGANINI, Skepsis.

Le débat des Modernes sur le scepticisme : Montaigne, Le Vayer, Campanella, Hobbes, Descartes, Bayle,

Paris, Vrin, 2008, p. 1.

2 « Historians too often come to conclusions about Mersenne after examining only one a single work of

several works from only one period of his intellectual development. » David A. DUNCAN, Op. cit., p. 10.

3 Helmut LUDWIG, Mersenne und seine Musiklehre, Hildesheim, Georg Olms, 1971. D. P. WALKER,

«Musical humanism in the 16th and early 17th centuries». Music review, 2, 1, 1941, pp. 1-13; 2, pp. 111- 121; 3, pp. 220-227; 4, pp. 288-308. Fréderik HYDE, The position of Father Mersenne in the history of music, PhD 1954. Claude PALISCA, «Scientific empirism and musical thought» in Stephen TOULMIN, Douglas BUSH, James S. Ackerman & Claude PALISCA, Seventeenth-Century Science and the Arts, Princeton, Princeton University Press, 1961, pp. 91-137. Burdette L. GREEN, The harmonic series from

Mersenne to Rameau : an historical study of circumstances leading to its recognition and application to music, Thèse de Doctorat, Ohio State University, 1969. Albion GRUBER, «Mersenne and evolving tonal

theory». Journal of music theory, 14, 1, 1970, pp. 36-67. Jean ELIE, Marin Mersenne et sa contribution à

la théorie de la musique : consonances et dissonances, Thèse de doctorat, Montréal, McGill University,

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expérimentale et quantitative qui permet de sortir du dilemme sceptique1. Elle fournit,

d’après Duncan, les bases de son scepticisme dans la mesure où la musique est le champ d’étude que Mersenne connaît et affectionne particulièrement et par la place importante que celle-ci trouve dans la société savante2. Cependant, le scepticisme de Mersenne serait à l’origine d’une théorie musicale dépourvue d’une « cohérence » ou d’une « logique interne », mais tout de même influencée par deux périodes qui marquent une direction vers « la conversion au mécanisme » où il met en question l’autorité des anciens en matière musicale et initie ses recherches acoustiques sur les propriétés du son et de ses implications techniques et pratiques dans des problèmes tels que le tempérament des instruments, l’emploi d’une hauteur de référence et la recherche d’un étalon du temps3. D’après Duncan, les recherches du Minime visent la précision

mathématique et expérimentale ainsi que l’utilité pratique et donnent ainsi une réponse mécaniste au scepticisme, laquelle diffère de celle qui est présentée dans La vérité des sciences qui revêt un caractère exclusivement spéculatif et qui cherche les fondements de la musique dans les principes des mathématiques4. L’abandon de Mersenne

concernant la recherche des fondements scientifiques et objectifs de la beauté et des effets de la musique montre, d’après Duncan, les limites de la connaissance humaine et, par conséquent, le scepticisme mitigé de Mersenne5.

Mersenne trouve dans le mécanisme la solution à la crise intellectuelle de son temps. Le mécanisme, empiriquement et mathématiquement précis, évite la spéculation vague et sans fondement de la science aristotélicienne des qualités, en démontrant en même temps que les sceptiques les plus radicaux se trompent quand ils affirmer qu’aucune connaissance de la nature n’est possible. Le mécanisme présente aussi une alternative orthodoxe et respectable à l’animisme hermétique. Mersenne assemble ainsi la cause de la nouvelle science avec le programme de la Contre Réforme. De la même façon que Baïf et Mauduit, Mersenne voit la

1 D. A. DUNCAN, Op. cit., p. 296.

2 Duncan ajoute la nécessité de Mersenne de répondre au Discours sceptique de la musique écrit par

François de La Mothe Le Vayer, publié dans ses Questions harmoniques, pour répondre au défi sceptique en montrant non seulement les fondements solides de cette science mais aussi son indépendance de toute sorte d’occultisme sans pour autant nier certains jugements de La Mothe Le Vayer, surtout en ce qui concerne le jugement à propos de la beauté musicale. Ibidem, pp. 297-300.

3 Idem, pp. 300-307. 4 Idem, pp. 315-332.

5 «Consequently his mitigated scepticism about all knowledge harmonized with his musical science and

philosophy: some very useful scientific knowledge about the acoustical characteristics of music is possible, but musical beauty and, by extension, whatever the quality is that gives music its emotional power over men, whatever the thing is that lies at the heart of musical expression, is beyond our power to say». Idem, p. 332.

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musique (musique basée sur des principes mécanistes solides une voie pour combattre les forces d’une anarchie intellectuelle et spirituelle1.

Quelques années plus tard, l’œuvre de Peter Dear, Mersenne and the learning of schools, explore les origines du scepticisme du Minime dans sa formation intellectuelle. Le travail de Dear consiste en une recherche approfondie sur les influences de la pensée de Mersenne, lesquelles auraient déterminé de façon catégorique son parcours philosophique. Dear réinterprète la catégorie du scepticisme mitigé avec la conception du probabilisme cicéronien en mettant l’accent sur la pédagogie jésuite qui s’inscrit institutionnellement dans le cadre de la Ratio studiorium de Christopher Clavius, laquelle attribue un rôle fondamental à l’enseignement des mathématiques et dans laquelle Mersenne est instruit. Or Dear souligne non seulement le rôle des mathématiques dans sa formation mais aussi - et surtout - les manuels de rhétorique humanistes utilisés qui reprennent l’enseignement d’Aristote, Cicéron et Quintilien. Dear défend ainsi la thèse de M. Fumaroli selon laquelle la généalogie gréco-romaine de la formation jésuite au XVIIe siècle instaure un véritable « âge de l’éloquence » qui lie la théologie et la rhétorique humaniste au service de la morale et de la foi. Dear considère que cette formation humaniste - combinée et fusionnée à l’aristotélisme scolastique - donne lieu à la meilleure pédagogie au début du XVIIe siècle2. L’étude sur

l’influence de la pédagogie jésuite dans la pensée de Mersenne fournit des arguments plus solides pour soutenir la thèse d’un scepticisme mitigé3, conçu non pas comme une « version modérée du pyrrhonisme » mais plutôt comme un « probabilisme cicéronien

1 «Mersenne found in mechanism the solution to the intellectual crisis of his time. Empirical, lawful, and

mathematically precise, mechanism avoided the vague and unsubstantiated speculation of Aristotle’s science of qualities, while also demonstrating that the most extreme sceptics were wrong in claiming that no knowledge of nature is possible. Mechanism also presented an intellectually respectable and religiously orthodox alternative to Hermetic animism. Thus, Mersenne combined the cause of the new science with the program of the Counter Reformation. Not unlike Baïf and Mauduit, Mersenne saw music (music based on solid mechanical principles) as a way to defeat the forces of intellectual and spiritual anarchy». Idem, pp. 421-2. Nous traduisons.

2 Bien que Mersenne étudie la théologie à la Sorbonne, avec les Docteurs Philippe de Gamaches, André

Duval et Nicolas Ysambert, Dear considère que les trente six preuves de l’existence de Dieu fournies par le Minime dans les Quaestiones in genesim sont issue de son probabilisme. Cf. Marc FUMAROLI, L’âge

de l’éloquence. Rhétorique et res litteraria de la Renaissance au seuil de l’époque classique, Droz,

Genève, 1980, p. 33. Dear, P., Op. Cit., pp. 13-15. Etienne GILSON « Éloquence et sagesse selon Cicéron ». Phoenix, Classical Association of Canada,. 7, 1953, pp. 1-19.

3 «Popkin is undoubtedly correct in identifying Mersenne’s attempt to circumvent Pyrrhonism in La vérité

as a crucial factor in the genesis of his epistemological position and its associated natural philosophical agenda, but his account cannot be regarded as a complete explanation. Mersenne wished to defuse what he saw as a Pyrrhonist threat, but his strategy is comprehensible only when, in addition to the character of the arguments he opposed, the conceptual resources on which he drew are considered. (...) An examination of these show the extent to which Mersenne thought followed patterns followed in the school doctrines he had received from the Jesuits.» Peter DEAR, Op. cit., p. 27.

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modifié »1 . Celui-ci est conçu comme la lecture humaniste de la conception du

scepticisme académique de Cicéron qui repose non pas sur la certitude mais sur le pithanon, terme utilisé par Carnéade pour faire allusion au plausible ou au probable – dans le sens de ce qui est susceptible de persuasion - comme critère d’une conduite non dogmatique qui se différencie de la catégorie stoïcienne de représentation compréhensive [phantasia kataleptiké], se manifestant avec évidence et face à laquelle il est impossible de suspendre le jugement2. Les manuels de dialectique, étant basés sur des arguments probables dans une réaction antidogmatique, et leur influence sur les jésuites comme Pedro Da Fonseca par leur usage du «langage des probabilités» - ont forgé le raisonnement de Mersenne3. D’après Dear, la recherche musicale de Mersenne

consiste à découvrir les régularités mathématiques dans le monde physique - et plus particulièrement l’ordre qui gouverne le mouvement des sons -, une recherche semblable à celle de l’astronome qui sauve les apparences et qui, par conséquent, a recours à des arguments probables4. L’investigation des fondements mathématiques de

l’harmonie universelle est vite remplacée, selon Dear, par une recherche mécaniste de la musique car l’approche adoptée à partir de 1633 serait le résultat d’une combinaison d’empirisme, de scepticisme et de l’influence de Galilée, s’agissant d’un modèle de connaissance pragmatique et opérationnel5.

En somme, les apports réalisés par Duncan et Dear constituent les retentissements les plus immédiats de la thèse de Popkin sur la pensée de Mersenne. Tous deux prétendent aborder l’œuvre du Minime avec une approche plus intégrale - et non pas limitée aux arguments de La vérité des sciences - en mettant l’accent sur la

1 Ibidem, p. 41.

2 Marianne Groulez tente de mettre en relief les filiations académiciennes du «mitigated scepticism» de

Hume. Cf. Marianne GROULEZ, Le scepticisme de Hume. Les dialogues sur la religion naturelle, Paris, Presses Universitaires de France, 2005, Dear signale la présence du scepticisme académicien à la renaissance dont les sources se trouveraient dans Academica de Cicéron, Contra Academicos d’Augustin et La vie des philosophes de Diogène Laërce. Peter DEAR, Op. cit., pp. 28-29. Cf. aussi José R. MAIA NETO, «Le probabilisme académicien dans le scepticisme français de Montaigne à Descartes» in in

Revue philosophique de la France et de l'étranger, 138, 4, 2013, pp. 467-484.

3 Peter DEAR, Op. cit., pp. 29-31. 4 Ibidem., p. 32.

5 Dear analyse en détail la conception d’expérience et les critères que Mersenne utilise pour définir

l’expérience scientifique à partir de sa lecture des sources galiléennes. Plus tard, Dear explore plus en profondeur la conception mersennienne d’expérience scientifique et ses mutations dans le numéro de la revue Les études philosophiques consacrée entièrement à la pensée du Minime: « Il n’est pas possible de caractériser la conception que Mersenne se fait de l’expérience scientifique comme relevant ou bien de la science scolastico-aristotélicienne, ou bien de la science expérimentale moderne. On ne peut en fait les distinguer clairement l’une de l’autre, et la relation ambigue que Mersenne entretient avec chacune des deux met en valeur le fait qu’il fut lui-même un de deux qui ont contribué à remodeler la signification de l’expérience scientifique ». Cf. Peter DEAR, Op. cit. pp. 132-137 et « Mersenne et l’expérience scientifique ». Les études philosophiques, 1994, p. 66.

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théorie musicale et en adoptant l’approche historique de Popkin qui voit la figure de Mersenne sous la perspective d’une crise sceptique qui affecte radicalement la pensée du XVIe et du XVIIe siècles. Ces historiens mettent l’accent sur le modèle positiviste et pragmatique, auquel tant Lenoble que Popkin avaient fait référence. Dans le cas de Duncan, il s’agit d’observer la direction de la recherche musicale du Minime vers le mécanisme dont la précision mathématique et expérimentale peut répondre au scepticisme et, pour Dear, de rendre compte que les mathématiques et l’expérience servent à la construction d’une science probabiliste dont les racines se trouvent dans le scepticisme académicien transmis dans les manuels de rhétorique des humanistes et qui se révèle dans sa façon d’argumenter, surtout dans le domaine de l’astronomie.

L’idée selon laquelle le scepticisme modéré se trouve dans les écrits du Minime sous la forme d’une «façon d’argumenter» est présente dans l’interprétation de Dominique Descotes, éditeur critique de L’impiété de déistes (2005) et de La vérité des sciences (2003), désireux de trouver chez Mersenne les racines de l’apologétique de