La culture hiérarchique caractérise davantage le fonctionnement du Centre jeunesse

Selon les résultats présentés, le centre jeunesse dans lequel notre étude a été réalisée se caractérise par une culture de type hiérarchique. Certains auteurs sont d’avis que bien qu’il existe généralement une culture dominante qui caractérise une organisation, plusieurs sous-cultures

peuvent exister à l’intérieur des différents groupes composant cette même organisation (Gervais et al., 2011; Graham et al., 2006; Holzer et al., 2007; Palinkas et al., 2009; Schein, 2004; Trocmé et al., 2009). Cependant, les résultats de la présente étude indiquent que les intervenants et les gestionnaires partagent la même perception de la culture organisationnelle de leur établissement. Le fait que les membres du personnel considèrent que le centre jeunesse possède une culture hiérarchique n’est pas exceptionnel puisque les organisations complexes et de grandes tailles comme les organisations de santé et de services sociaux ont la plupart du temps une culture organisationnelle de type hiérarchique (Aarons et Palinkas, 2007; Cameron et Quinn, 2006; Schein, 2004; Scott-Findlay et Golden-Biddle, 2005). Dans les faits, ces organisations sont décrites comme des milieux de travail très formalisés et structurés. Les façons de faire le travail sont qualifiées de bureaucratiques et de hiérarchiques. De plus, les employés sont tenus de respecter les règles, les politiques et les procédures. À cet égard, les dirigeants sont ceux qui sont responsables de la mise en application de ces règles et de veiller à ce que chaque employé respecte les politiques et les procédures. En outre, ce sont ces règles, politiques et procédures et leur gestion qui assurent le bon fonctionnement et la cohésion au sein de l’organisation. Enfin, ces organisations portent une attention particulière sur l’efficience, la permanence et la stabilité dans son ensemble. Par exemple, l’organisation doit offrir un bon rendement et une bonne régularité dans ses opérations. Bref, l’adoption d’une culture hiérarchique permet à l’organisation d’uniformiser et d’exercer un certain contrôle sur le travail des employés et de rendre des services stables et constants aux usagers (Cameron et Quinn, 2006; Chagnon et al., 2012a).

Outre ces dimensions administratives, le fonctionnement d’un centre jeunesse est profondément influencé par trois lois soit la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSS), la Loi sur la protection de la jeunesse (LPJ) et la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (LSJPA). Ce cadre juridique dicte les conduites et impose des contraintes sur le plan de l’exécution des interventions. Par exemple, instaurés lors de la dernière modification de la LPJ en 2007, les délais de placement, qui visent à assurer un milieu de vie stable et continu à l’enfant après un certain temps de placement, sont un facteur qui limite le temps dont disposent les intervenants pour accomplir leur travail auprès d’une famille. Ainsi, les contraintes associées à ces lois (LSSSS, LPJ, LSJPA) pourraient expliquer en partie pourquoi les règles et les

procédures formalisées font partie inhérente du travail des intervenants sociaux et des gestionnaires en centre jeunesse.

Les intervenants des centres jeunesse doivent travailler dans un contexte de risque élevé compte tenu de la nature des problèmes présentés par les jeunes et les familles, mais également de l’impact de ces problèmes sur le bien-être physique, développemental et psychologique des jeunes. Dans ce contexte, le travail des intervenants appelle à des pratiques de prudence afin d’éviter des dérapages et parfois même la mortalité d’enfants. Il ne faut donc pas s’étonner que la culture dominante dans ces milieux d’intervention soit la culture hiérarchique, puisque ce type de culture vise à limiter les risques et à prévoir des pratiques prescrites et prudentes.

Il ne faut pas non plus ignorer le fait que la pratique des centres jeunesse est sous surveillance médiatique constante. Plusieurs situations cliniques complexes et fortement émotionnelles peuvent faire l’objet de plaintes et être signalées par les médias. Compte tenu de cette situation, les centres jeunesse ont tendance à adopter des attitudes défensives pour éviter des accusations publiques concernant leurs pratiques. L’organisation hiérarchique assure le contrôle et l’uniformisation des pratiques à l’aide d’une centralisation des prises de décisions et de lignes de conduite précises quant aux pratiques à adopter. Par exemple, les intervenants du centre jeunesse peuvent être fortement encouragés à utiliser les guides de pratiques produits par l’organisation et peuvent devoir se soumettre à des rencontres régulières avec leurs gestionnaires dans le but de faire le suivi des dossiers. Ainsi, les risques reliés aux prises de décisions des intervenants peuvent être gérés et contrôlés. Dans les cas cliniques conflictuels, cela permet d’éviter d’avoir éventuellement à traiter ces situations, qui sont déjà suffisamment délicates et complexes, sur la place publique.

Enfin, les centres jeunesse sont responsables de protéger les enfants et parfois d’assurer leur hébergement. Le mandat d’hébergement d’enfants en difficulté impose des suivis attentifs afin de s’assurer que la réponse aux besoins des enfants est optimale. Ce type d’organisation se différencie donc d’autres organisations comme les entreprises de production, les milieux de gestion, les milieux de formation qui n’ont pas à assumer de telles responsabilités. Dans ces dernières organisations, il y a moins de «risque à prendre des risques» que dans les centres jeunesse. Conséquemment, les centres jeunesse en général sont plus fermés et moins flexibles

face aux changements. La stabilité et le contrôle sont alors des mécanismes qui caractérisent davantage le fonctionnement des centres jeunesse.

6.2 Les gestionnaires ont une vision plus positive que les intervenants des capacités de