• Aucun résultat trouvé

6. La multifonctionnalité du territoire forestier, une approche à opérationnaliser

6.6 Une culture forestière à développer

Occuper un territoire, c’est s’investir à y exploiter les multiples ressources pour pouvoir y vivre, mais c’est également se définir une culture propre à son territoire qui permettra, ultimement, aux générations futures de bénéficier du patrimoine édifié par leurs aïeux.

« La fierté est grande pour une personne qui travaille pour gagner sa vie. La fierté et la joie sont doublement grandes pour une personne qui, par son travail, contribue à créer de l’emploi pour que d’autres gagnent leur vie. Mais la fierté et la joie de quelqu’un qui, pas son travail, contribue à développer son coin de pays, ça ne s’écrit pas, ça ne se dit pas. Ça se vit. » (Otis, 2001)

Loin d’être des modèles pour les jeunes de ces régions, les travailleurs forestiers sont confinés depuis des décennies dans la fatalité du chômage chronique et de l’insécurité financière. Soit les jeunes de ces régions quittent les milieux forestiers pour les grands centres urbains ou que ceux-ci décident de pratiquer un autre métier. Tout comme le domaine de l’agriculture, le problème de la relève forestière est criant.

En fait, la relève est surtout manquante au niveau du métier traditionnel relié à l’exploitation forestière, soit la profession de bûcheron. En effet, plusieurs des initiatives étudiées démontrent que la majorité des bûcherons sont désormais âgés de plus de 50 ans. Historiquement, l’occupation des territoires forestiers a été largement assurée par cette classe de travailleurs. Or, depuis les années 1960, la part des bûcherons au sein de la

population active de ces régions s’est constamment effritée étant donné la mécanisation de plus en plus prononcée de l’exploitation forestière.

Afin de favoriser la création d’emplois au sein des milieux forestiers, plusieurs MRC ont adopté des politiques internes interdisant la mécanisation de l’exploitation forestière sur les TPI. Toutefois, au sein des forêts du domaine de l’État, la mécanisation et la pratique de la coupe totale sur de grandes superficies se sont généralisées. De plus, les bois issus des TPI compétionnenet les bois issus de la forêt publique. En fait, c’est comme si un agriculteur muni d’une faux compétitionnait un producteur agricole travaillant avec un tracteur pour produire du foin destiné aux mêmes marchés. La compétition est tout simplement impossible à maintenir.

À l’heure actuelle, ces MRC songent à permettre la mécanisation de l’exploitation forestière sur les TPI, étant donné que des travaux mécanisés génèrent des bénéfices financiers deux fois plus élevés que l’abattage manuel. Toutefois, la mécanisation de l’exploitation forestière fournit quatre fois moins d’emplois que des travaux de récolte effectués manuellement. Les MRC font donc face au même dilemme que l’ensemble des entreprises d’aménagement forestier, c’est-à-dire choisir entre des bénéfices économiques supplémentaires ou fournir de l’emploi à la population locale. Ainsi, poser la question, c’est y répondre.

À titre indicatif, une équipe munie d’une abatteuse multifonctionnelle et d’un porteur est composée de cinq travailleurs. Opérant sur deux quarts de travail, cette équipe peut couper annuellement 60 000 m3 de bois. En considérant que la productivité de la forêt publique est fixée à environ 1 m3/ha/année, cette équipe de cinq personnes exécute les travaux d’exploitation forestière d’un territoire équivalent à 60 000 ha (Bouchard, 2008).

De plus, tous les risques financiers reliés à la mécanisation des activités sont assumés uniquement par les travailleurs forestiers. En effet, ces travailleurs doivent s’endetter de quelques centaines de milliers dollars afin de pratiquer leur métier. Plusieurs de ces travailleurs sont d’ailleurs présentement en faillite étant donné le ralentissement actuel vécu par l’industrie forestière.

Il est clair qu’un modèle de développement forestier axé sur la mécanisation de l’exploitation forestière en forêt de proximité ne présente pas des perspectives d’emplois florissantes. Toutefois, le débat ne doit pas résider seulement entre la mécanisation et la non-mécanisation. En fait, il est impératif de déterminer quelles sont les conditions à réunir afin qu’une exploitation forestière réalisée manuellement soit plus efficace qu’une exploitation forestière axée sur la mécanisation des activités.

À titre d’exemple, tout le bois récolté sur la Forêt de l’Aigle est récolté de façon manuelle. À cet égard, la CGFA préconise une sylviculture basée sur la récolte d’essences nobles et de forte dimension destinées majoritairement vers des marchés à forte valeur ajoutée. De plus, cette organisation préconise la coupe partielle et la coupe totale sur de petites superficies, ce qui permet de prélever des bois plus fréquemment sur les mêmes parterres de coupe et de miser en bonne partie sur la régénération naturelle. Marchés à forte valeur ajoutée et la pratique d’une sylviculture fine sont donc les deux principaux éléments permettant la non-mécanisation de l’exploitation forestière.

D’autre part, les travaux sylvicoles et plus particulièrement la plantation d’arbres sont effectués en majorité par de jeunes travailleurs. Souvent en provenance de milieux non forestiers, ces jeunes travailleurs pratiquent un métier peu valorisé. À titre d’exemple, les travaux non commerciaux (plantation d’arbres et éclaircies précommerciales) réalisés pour le compte de la scierie Abitibi-Bowater à Maniwaki sont effectués par des entrepreneurs sylvicoles abitibiens.

« La majorité des reboiseurs sont des gens dans la vingtaine. Certains d’entres eux possèdent une formation en foresterie où dans un domaine connexe, mais la majorité de ces travailleurs saisonniers occupent un autre emploi durant le reste de l’année, sont aux études, ou nouvellement diplômés. [...] D’autre part, la nature répétitive et physiquement exigeante du reboisement fait en sorte que les risques de blessures et d’usure physique sont grands à moyen et long terme. La quantité d’arbres mis en terre en est le principal facteur responsable. Dans les petits formats de 45 et 67 et surtout en terrain scarifié, un planteur doit dépasser la barre des 2500 arbres pour gagner un salaire respectable; après quelques saisons, les reboiseurs ont le corps usé et développent souvent des blessures chroniques. » (Saint-Onge, 2007)

travailleurs ou d’entrepreneurs polyvalents ou sur le développement de savoir-faire particuliers. À titre d’exemple, voici les différents programmes d’étude en matière de foresterie du Centre de formation professionnelle de Mont-Laurier (CFPML, 2004).

• Abattage et façonnage de bois; • Abattage manuel et débardage; • Aménagement de la forêt; • Travail sylvicole;

• Protection et exploitation de territoires fauniques.

Afin de créer une culture forestière axée sur l’innovation et la valeur ajoutée, il est impératif de mettre sur pied un programme d’étude destiné à la formation de sylviculteurs polyvalents possédant des savoir-faire particuliers. De plus, cette formation doit se baser sur la production de ressources à forte valeur ajoutée (bois, biomasse forestière, PFNL, etc.). À l’image de la formation dispensée en agriculture biologique, ce programme d’étude devrait être offert au niveau collégial et comporter des cours de gestion d’entreprises.

« À bien des égards, nous ne sommes que de simples collèges techniques à force d’uniformisation par la base. Il faudra donc mettre sur pied un système d’enseignement capable de former des sylviculteurs-producteurs. L’université devrait s’intéresser de très près à cette question pour y introduire une optique de producteur véritable et non pas de gestionnaire comme c’est le cas actuellement et où la culture et la culture forestière ne feraient plus qu’un, en résonance avec la technique. » (Lemieux, 1986)

À titre d’exemple, l’Université du Vermont (UV) donne des formations aux travailleurs forestiers basées sur la pratique d’une sylviculture fine et polyvalente. De plus, cette formation s’accompagne d’une certification LEAP (Logger Education to Advance Professionalism) et celle-ci est axée sur la formation continue. À cet effet, certains cours sont axés sur des techniques d’intervention visant à maintenir la qualité de l’eau, à contrôler l’érosion et à préserver les milieux humides (UV, 2001).

En somme, l’exploitation de la forêt publique québécoise s’organise selon une logique de spécialisation, se base sur les économies d’échelle et vise des marchés à faible valeur ajoutée. Ces éléments se répercutent directement sur le travailleur forestier, un métier

caractérisé par une dynamique d’emploi de nature saisonnière, qui engendre peu de sécurité d’emploi, qui demande des risques financiers énormes et qui est peu rémunéré. En prenant en compte ces différents éléments, le manque flagrant de relève forestière s’explique facilement.

En matière d’exploitation de la forêt de proximité, une culture forestière particulière est à développer et à implanter dans l’aménagement de ces territoires. Cette culture doit préconiser la polyvalence et le développement de savoir-faire particuliers. En effet, l’exploitation de la forêt de proximité doit permettre le déploiement de sylviculteurs possédant des habiletés particulières à produire des ressources à forte valeur ajoutée et aptes à effectuer l’ensemble des travaux relatifs à l’aménagement d’un territoire forestier. Pour ce faire, il est essentiel d’établir un programme de formation spécifique à ce type de sylviculture.