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Les lacs, traceurs de changements environnementaux

Chapitre 1 : Potentiel des lacs pour une reconstitution paléo-environnementale

4. Dépôts sédimentaires lacustres

4.2 Sédimentation événementielle

4.2.1 Crues torrentielles

La mise en place d’un dépôt de crue ne peut être dissociée d’un processus d’érosion dans le bassin versant. Les processus chimiques et mécaniques vont fractionner la roche présente dans le bassin versant. Le transport de ces particules nécessite un vecteur permettant le dépôt sédimentaire dans le lac. Ce transport est limité par deux facteurs, la disponibilité du matériel érodable et l’énergie du courant formé. D’après (Freeze, 1974) et références associées, l’eau qui se dépose sur un bassin versant va se déverser dans un torrent selon trois écoulements : de surface, de sub-surface et dans la nappe phréatique.

Figure 1-8 : Schéma des processus hydrologiques dans un bassin versant d’après Freeze, (1974)

L’écoulement de surface (Figure 1-8) est le plus intuitif, c’est celui que l’on voit lorsque la pluie coule sur les roches et autres sols où elle ne peut pénétrer facilement. Il est associé à un mouvement de type latéral en direction du cours d’eau. L’écoulement de sub-surface est composé d’une partie de l’eau tombée sur le bassin versant qui va s’infiltrer dans la zone non saturée des sols. Une certaine quantité d’eau va donc s’écouler en direction de la plus forte pente et se déverser dans le cours d’eau. Le troisième écoulement est constitué de l’eau pénétrant directement dans les sols jusqu’à la zone saturée. La vitesse de l’eau va donc varier selon le type d’écoulement, et cela entraine un temps de latence entre la tombée de la pluie et l’augmentation du débit d’un cours d’eau.

Lorsqu’une goutte d’eau se dépose sur un bassin versant, elle va s’infiltrer dans les pores du sol. Ce dernier peut être très poreux et faciliter l’incorporation de l’eau, ou au contraire peu poreux et ainsi limiter la pénétration de l’eau dans les sols (Mosley, 1979). Ainsi, les sols secs ou argileux favorisent l’écoulement de surface, et donc l’érosion des couches supérieures des sols. Au contraire, dans des bassins versant bien végétalisés, les pores du sol sont généralement plus nombreux, la végétation et les racines constituent autant de points d’entrées dans les sols généralement plus épais (García-Ruiz et al., 2008). Cette meilleure capacité à retenir l’eau va influer sur la vitesse du flux d’eau entrant dans le cours d’eau. Des disparités de végétation peuvent aussi être observées par exemple sur un bassin versant de montagne (Penna et al., 2011),

où la répartition de la végétation se fait selon l’altitude et peut également varier dans le temps selon les pratiques humaines.

Dans un bassin versant de montagne, les processus érosifs sont conditionnés par la présence de matériel érodable dans le bassin versant (dépôts glaciaires, colluvions, sols et substrat géologique altéré) et par l’énergie dispensée pendant la crue. La durée et l’intensité de la pluie sur un bassin de montagne vont influer sur l’énergie du torrent. Les phénomènes de pluies convectifs ont plutôt tendance à apporter des précipitations intenses et les précipitations de méso-échelle plutôt apporter quantité d’eau sur une plus longue durée. Particulièrement en altitude, ces deux phénomènes de pluies extrêmes peuvent engendrer des crues (Merz and Blöschl, 2003). Les caractéristiques morphométriques du bassin versant comme le dénivelé et la surface, peuvent aussi favoriser l’occurrence des crues (Boulton, 1979). Ces caractéristiques prévalent pour le maintien du débit de crue, mais la présence d’un plan d’eau intermédiaire ou d’une zone de replat font baisser la capacité de transport pouvant même constituer une zone de dépôt. Par ailleurs, les environnements de montagne sont souvent constitués de plaquages morainiques et de pentes fortes pouvant perturber le transport de sédiment jusqu’au lac. Ceci peut expliquer partiellement l’absence de dépôts de crues à certaines périodes.

L’identification de ces dépôts particuliers est uniquement possible dans un milieu dominé par les apports détritiques allochtones. Ils sont associés à des dépôts de turbidites qui ont été identifiés en premier lieu sur les lobes deltaïques marins fossiles ou à partir de carottes sédimentaires (Bouma, 1963; A. Bouma, 1964). La particularité de ces dépôts fossiles est qu’ils présentent tous la même stratigraphie : une base gréseuse surmontée d'argiles, et ce malgré les différences de localisation, d’orientation et d’âge. Ces dépôts sont caractéristiques des canyons sous-marins qui canalisent le surplus sédimentaire accumulé sur les plateformes continentales vers les fonds marins. Il s’agit donc d’un courant dense, chargé de sédiment, qui se produit lorsque les fleuves sont en forte crues. Par la suite, le sédiment dévale les pentes pour enfin se déposer de façon organisée sur les fonds marins. La stratigraphie observée est identique dans tous les cas, et montre alors une constance dans le type de transport du sédiment. Il existe néanmoins des caractéristiques plus fines qui permettent de distinguer plusieurs groupes dans le grand ensemble des turbidites (Mulder and Alexander, 2001). La classification est basée sur la cohésion des particules, la distance parcourue par le dépôt, la concentration en sédiment et la matrice.

Quand l’eau du torrent en crue entre dans la zone lacustre, la différence de densité des eaux entrantes et de l’eau du lac peut causer plusieurs types de courants différents. Les sédiments transportés par le torrent arrivent avec une certaine vitesse fonction du débit. Lorsque le torrent

arrive dans le lac, l’eau perd une grande partie de sa vitesse, et donc de sa capacité de transport. Les particules les plus grossières se déposent alors et vont contribuer à former le delta. Plus on s’éloigne de la position de l’entrée de l’affluent plus la taille des particules décroît.

Si l’eau du torrent est moins dense que l’eau du lac, un courant hypopycnal (Smith, 1978; Sturm and Matter, 1978) va se former et se répandre en surface du lac (Figure 1-9). Ce type de courant a été documenté pour de nombreux lacs proglaciaires (Weirich, 1985; Brodzikowski and Van Loon, 1991). La charge sédimentaire peut ainsi se répandre sur une grande surface, et lorsque les deux masses d’eau vont venir s’équilibrer, les particules en suspension vont pouvoir décanter dans la colonne d’eau selon la loi de Stockes. Les particules les plus grossières vont se déposer en premier et les plus fines en dernier. Il en résulte des dépôts bien triés granodécroissants pouvant être identifiés dans l’ensemble du bassin lacustre, aussi bien dans la zone de dépocentre que sur les pentes latérales ou bassins isolés.

S’il existe une thermocline au moment où le torrent en crue entre dans le lac, une partie du sédiment fin va être piégé à ce niveau et former un courant homopycnal (Figure 1-9). La différence de densité des eaux au niveau de la thermocline empêche les particules piégées de la traverser. Il faut donc un rééquilibrage des masses d’eau, comme par exemple lors du brassage hivernal, pour que ces particules puissent enfin se déposer. De la même manière, elles vont se répandre au niveau de cette surface et vont sédimenter lors de l’homogénéisation des masses d’eau. La loi de Stockes s’applique aussi sur ces particules et il en résulte un dépôt similaire aux courants hypopycnaux. La mise en place de ce courant nécessite une différence de densité assez faible entre l’eau du torrent et celle du lac, ou alors une charge sédimentaire très faible. Ce type de dépôt n’est donc pas majoritaire dans des systèmes dominés par les apports détritiques.

Lorsque le torrent possède une eau plus dense que celle du lac, avec une charge sédimentaire importante, un courant hyperpycnal (Figure 1-9) turbulent va se former. Sa densité fait faire que son écoulement va suivre le delta submergé, et atteindre la zone de dépôt. En domaine marin, ces courants présentent classiquement un granoclassement inverse correspondant à la montée en charge de la crue, surmontée d’un granoclassement normal correspondant à la décrue. En domaine lacustre, le dépôt est confiné dans la zone la plus profonde du lac, sa forme n’étant pas homogène selon la zone du bassin (Sturm and Matter, 1978; Lamoureaux, 1999; Jenny et al., 2014). Ces études ont montré que l’extension des dépôts est donc variable au cours du temps. Cela signifie qu’un carottage en position trop distale ne va pas permettre d’identifier la totalité des dépôts de crues dans un bassin, aussi bien qu’un carottage trop proche du delta va être influencé par les processus d’érosion lors de ces dépôts. Toutefois une approche multi-carottes peut informer de façon bien plus précise sur l’évolution au cours du

temps de ces dépôts de crues (Jenny et al., 2014; Bruno Wilhelm et al., 2015). La meilleure connaissance de la spatialisation des dépôts de crues peut mener à une meilleure compréhension des données hydro-climatiques que certaines études paléolimnologiques peuvent apporter et nous semblent essentielles pour l’estimation de la quantité de sédiment déposée dans le lac lors de ces événements.

Figure 1-9 : Modèle de distribution des flux détritiques dans un lac stratifié et environnements de dépôts (modifié par C. Beck, d’après Sturm et Matter, 1978)

La majorité des dépôts identifiés en domaine lacustre sont des hyperpycnites tronquées, la partie basale est difficilement conservée dans les dépôts lacustres. Néanmoins, la partie granodécroissante est très souvent présente et cette caractéristique en fait un élément d’identification particulier. De nombreuses études ont tenté d’extraire une information d’intensité de l’événement à partir des caractéristiques du dépôt de crue. En général, la granularité de la fraction détritique est assimilée à la vitesse de courant du cours d’eau (Hjulstrom, 1939; Campbell, 1998). Dans le cas des hyperpyctinites générées par le crues du Var (Mulder et al., 2001), les grains les plus grossiers conservés dans le dépôt sont associés au débit maximal de crue. Cette méthode d’évaluation de la paléo-intensité de la crue possède l’avantage d’être peu dépendante de l’évolution des processus érosifs dans le bassin versant. Toutefois, la méthode de mesure est limitée au pas de mesure des analyses granulométriques en continu avec une résolution minimale de l’ordre de 5 mm. Dans un second temps, la paléo-intensité peut être renseignée à partir de la quantité de matériel apporté par les crues (Wilhelm et al., 2012b). Si l’on

considère une quantité de matériel importante, on peut imaginer que le débit est d’autant plus important et inversement. Cette relation a pu se vérifier (Mulder and Syvitski, 1995; Bruno Wilhelm et al., 2015), mais la mise en perspective des épaisseurs de dépôts avec les mesures de charges sédimentaires en suspension et les débits des fleuves ont montré que cette relation pouvait évoluer de manière plus ou moins complexe au cours d’une même année (Mulder et al., 1997; Susperregui, 2008). La charge sédimentaire transportée par les fleuves est fonction des processus érosifs et de la disponibilité du matériel dans le bassin versant au cours de l’année. L’hypothèse d’une augmentation de l’épaisseur des dépôts en fonction du débit peut donc être valable dans un contexte de processus érosifs constants dans un bassin versant.

L’identification de ces dépôts de turbidites a été largement étudiée dans les lacs ces dernières années. La fréquence de ces événements et l’intensité correspondante va renseigner sur les conditions hydrologiques au moment du dépôt (Gilli et al., 2013). Une occurrence plus importante de ces événements de crues dénote une hydrologie plus importante et donc des conditions climatiques favorisant les pluies extrêmes. Toutefois, l’humidité moyenne n’est pas fonction d’une occurrence de crues plus importante, ainsi que des conditions générales plus sèches ne correspondent pas forcément à des faibles occurrences. La fréquence de crues dans la région alpine a montré que la période froide du Petit Age Glaciaire a été plus sujette à l’occurrence des précipitations extrêmes (Arnaud et al., 2012; Wilhelm et al., 2012a; Giguet-Covex et al., 2012; Glur et al., 2013; Wilhelm et al., 2013; Wirth et al., 2013a). Les différences de régimes de précipitations peuvent supposer un découplage entre l’activité hydrologique des Alpes du Nord et des Alpes du Sud (Wilhelm et al., 2012b, 2013; Wirth et al., 2013a). Une partie de ce travail de thèse va consister à explorer les conditions hydrologiques extrêmes dans les Alpes centrales françaises en vue de mieux comprendre les modalités de l’occurrence des crues au cours du temps.