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DU CROISEMENT A LA CROIX.

Le croisement ne se réalise que lors d’une rencontre entre deux droites présentant des directions différentes. En effet, le principe du croisement provoque un conflit : la conjonction entre deux natures différentes risque de créer des réactions imprévisibles. La rencontre entre deux personnes ouvre toujours sur un face à face menant parfois au conflit. Le système de dialogue entre les humains, y compris celui que l’on désigne aujourd’hui par le dialogue des cultures et des civilisations, vise à apaiser les réactions conflictuelles dues au croisement de deux mentalités différentes. Le croisement orthogonal nous renvoie l’image d’une croix, laquelle mène à l’idée de la souffrance et de la mort. Jacques de Landsberg a écrit : « La mort par crucifixion [du latin crux signifiant "croix "et figere signifiant "attaché" ] semble être originaire de la Perse : Les condamnés étaient crucifiés sur des arbres. Ce Type d’exécution sera ensuite employé par les Phéniciens et les Grecs […] »71. Parallèlement à ces derniers, les Égyptiens ont aussi adopté une croix désignée par l’appellation Ankh, mais à des fins différentes. Se présentant comme un « T » et ayant une forme ovale, la croix de l’Égypte ancienne - adoptée plus tard par l’église copte en Égypte - prend dans les rites de ce peuple une symbolique particulière. « En 313, le christianisme est fait religion officielle de l’empire, dès lors la croix devient l’image du salut universel, les architectes adoptent le plan de la croix. Dans les premiers siècles du moyen âge, les croix ne sont que de simples blocs dépourvus de toutes représentations, à partir du XIe siècle le Christ supplicié est de plus en plus représenté. »72 La croix comme symbole résume l’idée du rapport entre espace et temps, entre microcosme et macrocosme. La croix

71Ibid., p.11.

72Christophe LEFEBURE, Croix et calvaire, chefs-d’œuvre de l’Art Populaire, Flammarion, Paris, 2004, p. 159.

évoque aussi ce rapport entre la sculpture et le lieu. Dans Signe et Symboles, Mark O’Connell et Raje Airey nous enseignent quelques notions à propos de la croix de l’Égypte ancienne. Ils écrivent : « le hiéroglyphe de l’Ankh désignait la vie et l’immortalité ainsi que les opposés. La boucle incarne l’univers (macrocosme), tandis que la croix en T représente l’homme (microcosme). Par ailleurs l’Ankh unit le symbole masculin et féminin du dieu, Osiris (la croix), la déesse de la maternité, sœur et épouse d’Isis (l’ovale). Cette union est aussi celle du ciel et de la terre […] l’Ankh est aussi associé à la mort et aux rites funéraires ; portée par le défunt la croix signale un passage sans danger entre ce monde et l’au-delà. »73 Il suffit dès lors de bien comprendre les significations de la croix Ankh pour saisir l’essence mythologique de la croix du Christ et pour pouvoir établir un rapport avec la mythologie d’Astarté et d’Adonis. En Égypte, la croix en forme de « T » surmontée d’un anneau formait le hiéroglyphe Ankh signifiant « vie ». Elle sera reprise par l’Église copte. La structure architectonique de la croix Ankh croise le vertical avec l’horizontal pour joindre le ciel à la Terre et par la suite le spirituel au matériel, d’où est issue la dualité existentielle dont le féminin et le masculin forment l’image par excellence et dont la vie et la mort représentent une conséquence inévitable. Le fait que la croix Ankh assure un passage, sans danger, vers le monde de l’au-delà ne fait que rappeler la résurrection des trois héros dans ma thèse et dans mon œuvre - Adonis, le Phénix et le Christ – expliquant ainsi la fonction spatiale de la croix.

Avec tout ce qu’elle représente comme significations liées au deuil et à la malédiction, la croix semble être l’image d’un paradis terrestre qui s’oppose catégoriquement aux types de paradis déjà conçus dans les textes, les images et l’imagination. Si le paradis existe, donc la société idéale aussi. Située dans des endroits déterminés et structurés par un urbanisme homogène et une architecture fonctionnelle, la société n’arrive pas pour autant à faire de son environnement

quotidien un lieu paradisiaque. Pour y parvenir le lieu doit faire jaillir de sa propre perception un lieu à l’image de la croix, bien équilibrée entre vertical et horizontale ; entre esprit et matière.

La culture chrétienne se résume tout entière dans la croix, voire à son acceptation. Compte tenu de ce qui précède dans cette thèse, on aura compris qu'il ne s'agit pas d'une question de croyance, ni de sacrifice pour un éventuel Dieu, mais qu'il s’agit plutôt d’avoir davantage foi dans la vie qui englobe également l’inévitable douleur. Il est plus fructueux de considéré la religion comme une sorte de fiction. En effet, il est préférable de considérer la religion comme un élément de la culture humaine qui réactualise l’idée d’une possibilité d’avenir meilleur. À partir d’une telle logique, la religion finira par évoluer et le mythe rejoindra une réalité dont l’image est un idéal à atteindre. Dans cette thèse, la croix que je propose se réfère à celle du Christ, mais sans jamais perdre de vue que ses caractéristiques sont communes aux héros issus des civilisations anciennes. Comme Gilgamesh — le roi sumérien du IIIe millénaire av. J-C. – qui représente l’un des héros de la mythologie mésopotamienne. Son épopée raconte le mythe d’un héros qui bat le sanglier - symbolisant le mal - ultérieurement repris avec Adonis et le Christ et qui constitue un des récits du Déluge évoqué dans l’Ancien Testament avec l’Arche de Noé.

Le rêve d’un lieu de vie idéal était et restera un rêve inlassablement poursuivi par l’homme. Souvent cette ambition était également celle des dieux, étant donné que sa réalisation s’avérait hors de portée des humains. Dans la société contemporaine et à l’image des dieux, l’homme cherche de nouveaux moyens et se trouve confronté aux récits mythologiques, à une volonté et à un espoir. Platon au IVe siècle av. J.-C. a essayé de construire sa pensée sur la base d’une logique ésotérique. Sa théorie du Monde des Idées, alliant le beau et le juste, a eu une influence considérable sur les théologiens chrétiens et a aussi imprégné l’art de la Renaissance : les œuvres de l’époque considérées comme platoniques par leur perfection, révèlent l’union de la beauté et de l’harmonie.

Nabuchodonosor II, roi de Babylone de 605 à 562 av. J.-C. s’est emparé de Jérusalem et l’a détruite, déportant les Juifs à Babylone vers 586 av. J.-C. Ceux- ci n’ont jamais cessés de chercher l’issu du Déluge, en attendant Le Sauveur depuis l’époque de Nabuchodonosor II. Le croisement du destin humain et du lieu a fait de Jérusalem la ville de la Croix. Cette ville de l’offense, que les juifs ont expérimentée en tant que captifs au temps de Nabuchodonosor II, a été détruite et profanée par celui-ci. En effet Jérusalem, la ville idéale par excellence, site du Temple de Salomon tant prisée, ne pourra se façonner qu’en se situant à l’opposé de la Babylone terrestre, réelle, chaotique, superbe et pécheresse, renvoyant de nos jours à l’image négative et archétypale de la grande métropole pleine de dangers, où l’air est vicié et les mœurs chaotiques. Aux cris on lui opposera le silence ; aux voix de tant de langues incompréhensibles, la facilité d’une langue unique ; aux rues étroites et à l’agglomération urbaine confuse, la visibilité de la géométrie divine ; au chaos, l’ordre ; à l’ambiguïté, la clarté de la perfection divine. Cette Jérusalem Céleste reste l’inspiration de nombreux mouvements religieux millénaristes qui la rechercheront sans perdre espoir. Cette ville est le lieu de la croix, mêle des vérités théologiques concernant les juifs, les chrétiens et même les croyants en un destin humain partagé entre le monde spirituel et le monde matériel.

24- Raphaël, L’école d’Athènes, fresque, (détail), 1509-1511.

Le détail de la fresque de Raphaël, portant le titre « L’école d’Athènes » et réalisée au palais du Vatican entre 1509 et 1511, donne à voir entre autres deux

personnages représentés de face. Le personnage situé à gauche montre Platon levant le doigt vers le haut : l’orientation verticale de l’index désigne le monde spirituel des idées. À la droite de ce dernier, Aristote présente la main droite, dans une orientation horizontale, désignant ainsi la terre pour exprimer l’importance de l’homme. L’extension de ces deux orientations forme une croix ; Le choix du peintre n’est pas un hasard et pousse à interpréter le croisement entre les deux orientations comme un indice primordial à interpréter.

La croix chrétienne dont on a hérité revient à la tradition romaine de l’époque du Christ. Jacques de Landsberg écrit à son propos: « La croix romaine réglementaire était formée de deux éléments en bois : le poteau vertical appelé stipes et le tasseau transversal nommé patibulum »74. Thomas d’Aquin (1224- 1274) est un théologien italien. Pour lui l’homme est constitué d’un esprit et d’un corps intimement liés. Il tenta de concilier la révélation chrétienne et l’aristotélisme, tant le principe du christianisme était ancré dans le platonisme. Proposée par la philosophie grecque et reconnue par la renaissance chrétienne en occident, la notion de faire se rencontrer le matériel et le spirituel trouve sa réalisation sémiotique dans la croix. Le Céleste en tant que mythe de la perfection sera converti en un mythe du lieu de Dieu, lieu idéal, terre promise pour ceux qui la méritent. Ce lieu se définit en tant qu’espace tridimensionnel réalisé en fonction du rapport orthogonal des lignes dont le croisement ramène à la croix. La dualité, constatée entre spirituel et matériel, renvoie à l’image du croisement de la forme. Cette réalisation du croisement de la vie et de la mort, une fois associée à la croix, représente une complémentarité et peut ainsi conçue rejoindre l'idée de perfection.