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La controverse à propos de la reconnaissance du phénomène de sécurité environnementale constate une opposition entre les spécialistes de la sécurité traditionnelle et ceux travaillant sur la sécurité environnementale87. Les spécialistes de la sécurité traditionnelle ou nationale surestimeraient l'importance des phénomènes des conflits identitaires et ethniques ainsi que celui du terrorisme. En effet, ces phénomènes comptent quelques dizaines de milliers de victimes et quelques millions de dollars de dégâts matériels par année88, alors que les problèmes environnementaux sont estimés en millions de morts et en milliards de dollars de coûts financiers et économiques89,90. Néanmoins, une partie grandissante de « la communauté de sécurité » participe à l’émergence du phénomène de la sécurité environnementale (agences de renseignements, OTAN, armées…) dans les réflexions et les débats entourant la sécurité traditionnelle.

83 Ibid., page 611

84 LE PRESTRE, P., 1998, « Sécurité environnementale et insécurités internationales », Revue québécoise de

droit international, Vol. 11, N° 1, page 283

85 REUVENY, R., 2007, op. cit., page 657 86 Ibid.

87 HEARNE, S. R., 2008, op. cit., page 218

88 COOLSAET, R. et T. VAN DE VOORDE, 2006, « L’évolution du terrorisme en 2005 : une évaluation statistique. », Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité, Bruxelles, page 3

89 COSKUN, H. G., 2008, « An Integrated Approach For Environmental Security in the NATO Countries Based on Remote Sensing and GIS Technologies. », dans NATO Science for Peace and Security Series,

Integration of Information for Environmental Security, 473 pages ; MYERS, N., 1993, « Environmental

Refugees in a Globally Warmed World », BioScience, American Institute of Biological Sciences, Vol. 43, N° 11, p. 752-761 ; MYERS, N., 2001, « Environmental refugees : a growing phenomenon of the 21st century »,

The Royal Society, Phil. Trans. R. Soc. Lond. B 2002 357, p. 609-613 ; PARKIN, S., 1997, op. cit., p. 24-28

Certains auteurs discutent de la notion de pénurie environnementale et du potentiel conflictuel des ressources naturelles. Le Billon souligne que la pénurie environnementale entraîne avant tout l’innovation socio-économique couplée à une diversification de l’économie qui, à son tour, engendre une redistribution plus équitable du pouvoir à travers la société. Selon lui, la mondialisation des échanges économiques et des marchés permettrait de contrebalancer la géolocalisation des pénuries ou de représenter une motivation supplémentaire dans la recherche d’innovations techniques. Le Billon estime que l’intérêt des élites des pays pauvres de développer et d’exploiter le capital humain est plus pertinent que de protéger les rentes des ressources limitées ou inexistantes91. Iyer en 1998, quant à lui, prétends que penser que la pénurie est plus une source de conflit que de coopération et donc prioriser l’angle de la sécurité, ressemble plus à une prophétie auto- réalisatrice qu’à une vraie théorie scientifique92. Ce faisant, il cite le cas de l’eau, plus une source de coopération que de conflit, en rappelant l’exemple de l’Inde et du Pakistan93.

Nils Petter Gleditsch relativise le poids de la variable environnementale dans les processus d’émergence des conflits au sein des sociétés, en soulignant le fait que « the relationship between these issues and armed conflict is modified by the eneral political, economic, and cultural factors at work in armed conflict enerally. »94. Gleditsch estime que la variable de la dégradation environnementale est une variable intermédiaire entre celle de la pauvreté et celle de la gouvernance défaillante : « In this sense, environmental de radation may be more appropriately viewed as a symptom that somethin has one wron than as a cause of the world’s ills. » 95.

Les recherches théoriques et empiriques mettent en évidence deux constats. Dans un premier temps, si la corrélation entre environnement et sécurité a été amplement théorisée et partiellement testée sur le plan de la sécurité intra-étatique, elle n'a jamais été significative en termes d’intensité et rarement observé de façon empirique au niveau des

91 LE BILLON, P., 2001, « The political ecology of war: natural resources and armed conflicts », Oxford,

Political Geography, Vol. 20, page 564

92 IYER, 1998, op. cit., page 1169 93 Ibid., page 1168

94 GLEDITSCH, N. P., 2001, op. cit., page 188 95 Ibid.

relations internationales. En d'autres termes, la sécurité environnementale, malgré la crainte, maintes fois répétée par les médias d'une guerre interétatique reposant sur une ressource naturelle en général et sur l'eau en particulier, paraît faible96. De plus, la variable environnementale ne suffit pas à expliquer, à elle seule, les évolutions de la variable dépendante de la sécurité. Elle doit être étudiée en relation avec les autres variables socio- économiques (économie et démographie) et politiques (institutions, régimes, pratiques politiques)97. Néanmoins, dès le début de ses recherches sur la sécurité environnementale, Homer-Dixon a reconnu l’existence et la pertinence des variables connexes dans les processus causaux aboutissant à l’état de conflit98.

Levy, engagé dans un débat critique avec Homer-Dixon, met en lumière certains biais dans la recherche empirique sur la sécurité environnementale99. Celle-ci devrait faire l’objet d’une analyse plus positiviste. Premièrement, il était reproché à la recherche en sécurité environnementale un défaut d’études empiriques au profit d’une recherche essentiellement théorique. Toutefois, remarquons que le champ est relativement jeune d’une part et qu’un certain nombre d’études de cas a déjà été réalisé d’autre part100. En second lieu, le biais de sélection de cas stipule que pour traduire scientifiquement la pertinence d’une théorie, le chercheur ne doit pas sélectionner ces cas d’étude seulement selon des variables indépendantes et dépendantes déterminées101. Levy indique qu’au lieu de chercher des études de cas où la relation entre environnement et conflit semble apparente, on devrait plutôt faire des comparaisons entre des cas où l’environnement pose problème de façon similaire102. Homer-Dixon s’opposera à l’argument de Lévy en indiquant que d’un point de vue épistémologique il préconise la méthode du « process tracing »103 et que la meilleure

96 DESCROIX, L., 2005, dans LASSERRE, F. et al., 2005, L’éveil du dragon : Les défis du développement de

la Chine au XXIe siècle, Presses de l’Université du Québec

97 HOMER-DIXON, T. F., 1999, op. cit. ; GLEDITSCH, N. P., 2001, op. cit. ; HEARNE, S. R., 2008, op. cit. 98 HOMER-DIXON, T. et M. A. LEVY, 1996, « Environment and security », International Security, Vol. 20, N° 3, p. 189 - 198

99 LÉVY, M. A., 1995, « Is the Environment a National Security Issue ? », International Security, Vol. 20, N° 2, p. 35 - 62

100 GIZEWSKI, P. et T. HOMER-DIXON, 1996, « Environmental Scarcity and Violent Conflict : The Case of Pakistan », Association for the Advancement of Science and the University of Toronto, Occasional Paper, Project on Environment, Population and Security, Washington

101 MATTHEW, R. A., GAULIN, T. et MCDONALD, B., 2003, op. cit., page 858 102 HOMER-DIXON, T. et M. A LEVY, 1996, op. cit., page 193

des méthodes consiste justement, à choisir des cas où les dysfonctionnements environnementaux et les problèmes de sécurité sont présents, afin de déterminer si effectivement il existe des liens de causalité entre les deux variables104. La discussion entre les deux auteurs nous permet d’une part de mieux comprendre les écueils des recherches passées et de faciliter d’autre part notre choix méthodologique qui sera exprimé dans le chapitre suivant.