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La création de valeur et l’innovation

Les temps changent. On l’a vu, Raymond Loewy écrivait : « La laideur se vend mal. » On dit aujourd’hui qu’il faut amener de la valeur. Toutefois, cette valeur va bien au-delà de l’esthétique. Elle tient compte de cette incroyable capacité qu’a – ou non – un manager à percevoir l’avenir, à anticiper son entreprise.

Certains délèguent tout, c’est une erreur. Le manager porte ou non cette anti-cipation, qui ne peut rester théorique, mais doit devenir une réalité dans son entreprise : au travers des hommes, des idées, des valeurs, de l’état d’esprit, des signes, de la technologie, des décisions d’investissement, etc.

Dans ce contexte, certaines entreprises font appel à des consultants en design, d’autres se sont organisées en créant la fonction design (Renault, Décathlon d’où est né Oxylane qui crée désormais pour d’autres enseignes).

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Entretien avec Philippe Picaud,

directeur d’Oxylane Design (ex-Décathlon création)

« Le design, créateur de valeur pour le sport. »

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Oxylane est loin d’apparaître comme un groupe « suiveur ». Armé de 120 designers répartis entre les différentes marques et les différents centres de conception (quatre en France implantés sur les lieux de pratique et un en Chine), Oxylane a fait du design une activité stratégique. On pourrait même dire, sans exa-gération, que le groupe est l’un des pionniers du design intégré. Ce qui n’était pas tout à fait le cas jusqu’en 2000 : les designers intervenaient alors très tardivement dans le processus de conception des produits, et il n’existait pas réellement de coordination entre les différents départe-ments. Or, le design, discipline stratégique, doit se gérer au plus haut niveau (la définition de l’offre, le développement et le design doivent jouer collectif). Un changement s’impose pour que le groupe puisse être porteur d’innovations et se positionner véritablement comme un

« créateur » d’articles de sport. Une mission qui incombe à Philippe Picaud, qui pousse la porte de la direction design de Décathlon en 2001.

Le changement ? Il parvient à développer des entités, de plus en plus autonomes, proches du terrain et des utilisateurs. C’est ce qu’il nous explique : « La mission du design est de rendre accessible le plaisir du sport au plus grand nombre. Les designers sont plus particulièrement tournés vers l’expé-rience des utilisateurs. Notre intimité avec les clients, usagers et autres métiers de l’entreprise Oxylane nous permet d’offrir des solutions pertinentes plus rapide-ment. Au sein d’Oxylane Design, nous avons une équipe qui travaille sur les tendances et un groupe dédié au design avancé afin d’émuler les équipes et d’être auteur d’innovations. La conception d’un produit est le fruit d’une équipe qui intègre chefs de produit, ingénieurs, designers, acheteurs… et seule cette collabora-tion est porteuse de projets innovants. Plus qu’une fonccollabora-tion au sein de l’entre-prise, le design chez Oxylane est une structure dont la valeur ajoutée est reconnue dans tous les domaines où l’usager est en contact avec l’entreprise : Internet, publicité, merchandising, produits, composants et services. » Toute la

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force d’Oxylane réside sans doute dans son organisation et son manage-ment du design, qui permettent de donner le maximum d’autonomie aux marques tout en gardant une unité, une identité forte.

Chez soi, FitnessPouf est une mini-salle de fitness, qui regroupe l’ensemble des exercices nécessaires à la pratique du fitness : une fonction rameur pour faire travailler le cœur, des anneaux pour les muscles du haut et du bas du corps, un tapis

pour les exercices au sol et la relaxation. En position repliée, il peut servir de pouf ou d’assise d’appoint. L’étude de concept ci-dessus aboutira au produit « Le Cube ».

The Kage : tous les passionnés de football ont envie de jouer où ils veulent, quel que soit l’endroit où ils se trouvent : dans la rue, dans un parc, sur la plage, etc.

The Kage se déplie d’un petit sac pour créer un but de football.

Cette fonction design est alors contrôlée directement par la direction, si ce n’est par le président lui-même. Le cas d’Adidas est connu, où le président Robert Louis-Dreyfus ne laissait pas sortir une seule paire de chaussures sans l’avoir vue. Chez Cartier, il y a encore peu de temps, c’était également le cas : le président, Alain-Dominique Perrin, impulsait la politique de design avec une équipe. Ce modèle de « fonction design intégrée » ne vaut évidem-ment que par l’excellence des designers, leur remise en cause permanente

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(puisqu’ils n’opèrent que dans un seul secteur), par le fait que le président est ouvert, intelligent, et dispose d’une culture à la fois esthétique et technique, au-delà de la culture marchande.

Il y a une nouvelle école désormais (impulsée par les fondateurs d’Apple ou de Virgin), où ceux qui gèrent l’entreprise ne sont pas dans le strict champ de la gestion et de la rationalité, et ceux qui innovent et créent les produits ne sont plus dans le strict champ de l’irrationnel : on n’oppose plus l’émotion et la gestion, les idées nouvelles et la conduite de l’entreprise.

Ils le disent…

Faire du design, c’est créer et industrialiser des produits attractifs qui communiquent un message, qui sont fonctionnels et rendent service, qui garantissent une sécurité d’utilisation sans faille, dont le bilan éco-logique est optimisé ; le tout à un prix compétitif…

Fabrice Peltier, président de P’Référence et de la Designpack Gallery

Il y a en France trop d’entreprises où les idées des personnels ne sont pas cana-lisées. Récemment, dans une entreprise, on voulait encore utiliser la vieille

« boîte à idées » pour créer de nouveaux produits : l’entreprise se faisait rache-ter deux ans plus tard. Les cadres portent une grande responsabilité vis-à-vis du manque de questionnement. C’est d’ailleurs là où le design commence à rejouer son rôle, en ce sens qu’il devrait participer directement à la gestion de l’entreprise, qui réconcilierait alors la notion de projet, de stratégie, de dessein, avec les applications concrètes, le dessin.

C’est au consultant en design que revient le rôle de piloter cette création de valeur. Il garde à l’esprit, agissant avec la direction générale, de faire avancer la marque ou les marques, de les réévaluer financièrement, et ensuite d’inscrire l’entreprise dans une démarche d’actualité permanente, si ce n’est d’innova-tion, ce qui a pour conséquence la valorisation des personnels dans une œuvre collective. Valeur aussi pour les actionnaires, puisque le design, le plus souvent perçu comme un coût, devient un investissement.

La re-création de sens est un enjeu de valeur. Dans sa tête, seul ou avec un consultant ou un designer, le manager met en perspective son entreprise, au travers d’un projet. Il donne du sens. Le problème, c’est que ce sens peut

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donner lieu à différentes interprétations. Le design, qui rend cohérents les signes d’une entreprise, doit alors fournir les outils pour communiquer ce sens, le faire partager et, surtout, le traduire en termes d’opérationnalité.