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Les acteurs du design de produits

« Recherchez dans le design le bon et le juste, et la beauté viendra d’elle-même. » Éric Gill, designer graphique, créateur de typographies et sculpteur

Le designer de produits

Comme tout créateur, il est doté généralement d’une bonne culture générale, à la fois artistique et technologique, et d’un sens aigu de la curiosité. Il est ouvert sur le monde et sur les autres : les hommes, les cultures, la philosophie, les tendances, les nouveautés, les arts, les voyages… Écouter, dialoguer, parta-ger, transmettre et rester modeste fait partie de ses qualités. C’est grâce à ces qualités qu’il appréhende la relation de l’utilisateur avec l’objet, cerne les intentions des entreprises et donne la bonne réponse à leurs problématiques.

C’est aussi grâce à son esprit d’ouverture qu’il s’entoure de spécialistes et réunit des équipes autour d’une innovation créative. Bien entendu, la maîtrise du dessin est inhérente à ce métier. Il s’agit de traduire rapidement, par un croquis ou un schéma, un concept, une intention ou un parti pris. L’informa-tique et le multimédia viennent ensuite accompagner son acte créatif.

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Le designer de produits comprend un contexte de projet et ses objectifs. Il sait intégrer les contraintes inhérentes à un produit (cahier des charges) et antici-per sur la faisabilité. Il sait organiser et hiérarchiser les contraintes du cahier des charges. Il doit comprendre le marché de référence, la clientèle ciblée, l’envie et la culture du dirigeant et de l’entreprise commanditaire. Il doit éga-lement savoir appréhender des caractéristiques techniques, évaluer un prix de revient, les besoins des consommateurs et les conditions d’utilisation. Il doit intégrer l’ergonomie et les matériaux dans sa démarche. C’est donc tout un ensemble complexe qui définit la fonction du designer de produits.

Entretien avec Nicolas Reydel,

dirigeant de l’agence de design industriel Denovo

« Le designer industriel : ce généraliste ouvert au monde. » Des durées de vie commerciale raccourcies et une concurrence accrue… Face à un tel contexte, les entreprises françaises, après avoir longtemps négligé le design, commencent à prendre conscience de l’importance de cette discipline. « En France, les entreprises sont en effet venues tardivement au design, car elles pensaient à tort que les ingénieurs pou-vaient s’en charger, explique Nicolas Reydel. Trop longtemps, le designer a été assimilé à un artiste. Or, en design industriel, l’esthétique n’est que la partie émergée de l’iceberg. Notre mission est de transformer notre créativité en produit réalisable commercialement. Certes, la forme demeure importante car c’est sans doute le premier critère de sélection, mais le designer au service de l’entreprise ne doit pas négliger le reste. C’est un métier complet et complexe. Le designer indus-triel est un généraliste présentant des connaissances techniques (comment employer les matériaux et avec quels outils ?), économiques (il a un budget à respecter) et écologiques (les problématiques de développement durable sont de plus en plus prises en compte dans les cahiers des charges). C’est pourquoi le designer, qu’il soit intégré ou pas à l’entreprise, doit intervenir en amont dans la réflexion du produit. » Et en matière de design, des pans entiers de l’industrie restent à investir pour répondre à des besoins non satisfaits. Le secteur médical et celui dédié aux personnes âgées, sur lesquels intervient Denovo, en sont l’exemple parfait. Pourquoi un objet destiné aux personnes âgées

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devrait-il être moins beau et forcément estampillé « vieux » ? L’exemple est donné avec Denovo. Le défi est de concevoir des objets adaptés aux seniors (esthétiques, simples d’utilisation, rendant service, rassurants), mais sans forcément leur rappeler leur âge. Il ne s’agit pas seulement d’enjoliver les objets, mais de les humaniser (un objet, même médical ou technologique, peut également présenter un brin de poésie), et de révolutionner les usages. Pour inventer ou réinventer les objets, Nicolas Reydel s’est entouré de designers aux compétences et nationalités mul-ticulturelles. La curiosité et la diversité pour créer. Notre designer aime voir ses collaborateurs confronter leurs idées sur un même projet. « C’est la mise en réseau de compétences, de cultures, de talents, de logiques et de con-naissances (des techniques et des matériaux) divers qui produit les véritables innovations », explique-t-il, fort critique face à la structure actuelle de l’enseignement du design en France. « Cette dernière dispose de très peu de moyens et d’outils, et continue à former des designers avec une connaissance de l’industrie limitée. » Or aujourd’hui, la mission de formation des écoles de design doit évoluer. Il ne s’agit plus seulement de former des créatifs, mais des professionnels de la création, des généralistes, ouverts aux tech-nologies et au monde, capables de créer de la valeur par le design.

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Lavabo hospitalier supprimant les problèmes de légionelles (bactéries) en chauffant l’eau grâce à un chauffe-eau intégré.

Le Rollator permet aux personnes âgées

de se déplacer d’une façon optimum.

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Les principaux points d’un cahier des charges : – le coût de fabrication du produit ;

– la quantité ;

– la traduction de l’image de la marque, le style, la valeur perçue ; – l’insertion ou non dans une gamme de produits existants ; – les fonctions ;

– l’ergonomie ; – les normes ;

– l’éco-conception et le recyclage ; – les matériaux ;

– la production et le process industriel…

Des acteurs divers et variés

Les professionnels du design de produits restent mal connus. En effet, le design de produits réside de plus en plus là où l’on fabrique les produits : c’est-à-dire non plus seulement en France ni même en Europe, mais en Asie. Alors qu’il y a encore dix ans, on pouvait craindre que la Chine copie le design européen, elle intègre désormais des designers formés en France.

Les designers de produits sont mal connus parce que le style, le design « de communication », l’a emporté sur ce que devrait être le design : un outil au service du bonheur de l’homme et du développement durable de la planète.

On a vu se développer en Occident, à l’inverse, trop d’objets « over-designés » ou « bling-bling » : le paraître semble l’emporter sur l’être, mais le XXIe siècle remettra probablement le designer à son rang, celui de concevoir. Le designer de produits sera alors recherché, mais on aura dû attendre la fin du marketing des années 1960 pour le voir émerger, et disposer peut-être d’un statut, d’un

« ordre », comme les architectes et les médecins.

Les designers de produits sont peu reconnus parce qu’il s’agit également d’un secteur d’activité extrêmement éclaté. Ils se partagent entre les agences plus ou moins grandes et spécialisées, les départements de design intégrés aux entreprises, lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes indépendants. Par ailleurs, ils

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présentent des profils très différents les uns des autres. Si certains sont diplô-més d’écoles de design ou sont issus d’écoles d’art ou d’architecture, d’autres ont parfois une formation d’ingénieurs, voire marketing.

Entretien avec Chérif, designer créateur indépendant

« Se baser sur la fonctionnalité de l’objet tout en gardant sa propre écriture. »

Meuble Gazelle ou canapé Santa Fe… Chérif, designer créateur, diplômé d’architecture intérieure de l’École des beaux-arts d’Alger et de l’École supérieure des arts décoratifs de Paris, est incontestablement fas-ciné par les courbes. Il suffit de se pencher sur son site internet pour comprendre comment celles-ci l’attirent et l’inspirent. Ce sont d’ailleurs ces courbes, ces traits de crayon noir posés vigoureusement sur des car-nets de notes, qui en premier permettront à ce designer, passionné par les arts primitifs, de donner naissance à des pièces uniques en bois, aux formes animalières, dont certaines sont visibles dans son showroom sous le Viaduc des arts, dans le 12e arrondissement de Paris. « Ces créations étaient davantage rattachées à l’expression artistique, nous explique-t-il. Le graphisme donnait naissance à un objet dont la fonctionnalité se découvrait après coup. La fonctionnalité était alors cachée derrière la forme. » Au début des années 1990, Chérif opère un virage : il s’investit dans la création de meubles destinés à la fabrication en série. La raison ? « La première guerre du Golfe change la donne. Dans un contexte économique fragile, il devient diffi-cile pour les designers de vivre en misant sur les seules pièces uniques. » Reste pour Chérif, qui aime se comparer à un cuisinier, jouant avec les ingré-dients et le savoir-faire pour composer de nouvelles pièces, à trouver la recette pour passer d’un mode de création à un autre sans perdre son identité, son esprit. Il trouvera la réponse en Finlande en entamant une recherche consacrée au designer Alvaar Aalto, à qui il rendra hommage en 1993. « C’est une histoire d’admiration pour ce designer qui m’a ouvert les portes et m’a aidé à porter un autre regard sur le design, relate Chérif. C’est à travers le travail de cet homme que j’ai compris comment donner naissance à des

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objets réalisés avec des outils de production. » Parmi les premiers fruits récol-tés dans ce nouveau terreau apparaissent les couteaux « Toko ». Une forme dynamique pour un objet proche du silex primitif. Chérif colla-bore par ailleurs avec des éditeurs et dessine alors des objets liés à un process de production. Un exercice qui nécessite de prendre en compte un certain nombre de contraintes (répondre à une demande avec un cahier des charges et un budget bien définis). « C’est un tout autre chal-lenge, mais tout aussi passionnant. Il ne s’agit plus de partir du trait pour l’interpréter, mais de prendre la fonctionnalité comme point de départ et lui donner une forme, souligne-t-il. Je garde ma propre écriture, mais celle-ci doit se baser sur la fonctionnalité de l’objet à réaliser. »

Mais pour ce designer très productif, le travail n’est jamais achevé, et c’est dans cet esprit qu’il dessine le restaurant Toi, fait de couleurs oran-gées et de courbes. Ses chaises longues, ses chauffeuses Esmeralda ou ses banquettes dessinées pour un espace privé en Arabie Saoudite, mélange subtil de modernité et de respect des traditions, émanent toutes d’une même réflexion : améliorer l’existant. « Lorsque j’imagine des fauteuils, je n’impose aucunement une façon de s’asseoir, mais je m’efforce d’observer les atti-tudes et de trouver une réponse par le dessin et les courbes. Le design ne doit pas se résumer à dessiner pour dessiner, mais a pour mission d’apporter du confort.

C’est aussi la clé pour que l’objet reste pérenne », conclut-il.

Chérif : dessin préparatoire.

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Réalisation du prototype du modèle « Santa Fe ».

Il n’est pas facile de savoir comment intégrer le design de produits en entre-prise. Alain-Dominique Perrin, président de Cartier, suivait personnellement chaque produit au cours de sa conception, jusqu’à la maquette, avec le dépar-tement de design proche de son bureau. Jean-Michel Grunberg, président du groupe de jouets, produits et services pour enfants Ludendo fait tester tous les produits qu’il commercialise. Certains se voient ainsi attribuer des « labels » qui figureront par exemple dans le catalogue de l’enseigne La Grande Récré.

Les entreprises peuvent aussi externaliser la fonction design en faisant appel à des consultants en design, à des designers ou à des agences de design de pro-duits. C’est ce que font les entreprises qui l’intègrent, pour renouveler les idées.