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Chapitre 1 Problématique de l’épuisement professionnel dans la main-d’œuvre : état de la

1.2 Cortisol

Le cortisol est une hormone stéroïdienne, sécrétée par la corticosurrénale et qui a pour effet de mobiliser les réserves d’énergie dans le corps, de réduire l’action du système immunitaire, de réguler le système circadien et qui nous conditionne en général pour faire face à toutes les situations stressantes (Bear et al., 2002). En fait, le stress dans le sens de stresseur est le stimulus qui permet de déclencher la sécrétion de cortisol salivaire (Bear et al., 2002). Plus précisément, cette hormone de la corticosurrénale stimule l’augmentation du glucose sanguin et donc permet

de libérer de l’énergie à partir des réserves de l’organisme. L’objectif étant de préparer l’organisme à faire face aux situations d’urgence en lui fournissant assez d’énergie pour la fuite ou la lutte (Marieb, 2000).

Il s’agit de la partie sympathique du système nerveux autonome qui se charge de cette préparation, son activité se révèle lorsque nous sommes excités, effrayés ou menacés. La partie sympathique du système nerveux autonome déclenche diverses adaptations qui permettent de faire face aux stresseurs, notamment, l’accélération de la fréquence cardiaque, l’augmentation de la pression artérielle, l’élévation du taux de glucose sanguin, la dilatation des vaisseaux sanguins des muscles squelettiques (pour permettre de courir plus vite et de se battre avec plus d’énergie) (Marieb, 2000). En fin de compte, la partie sympathique du système nerveux autonome entame une série de réactions qui facilitent l’adaptation rapide et vigoureuse de l’organisme face aux situations qui pourraient perturber l’homéostasie, c’est-à-dire la tendance du corps à maintenir un état stable malgré des changements externes (Hansen et al., 2009; Marieb, 2000).

Cette connaissance à propos du système nerveux autonome a conduit à l’élaboration de la théorie cognitive de l’activation du stress (cognitive activation theorie of stress, CATS). Cette théorie soutient la thèse selon laquelle la réponse de stress est synonyme d’activation et devrait être regardée comme un système d’alarme général (Ursin et Eriksen, 2004). L’activation, qui est la réponse de stress, survient lorsqu’il y a un écart entre ce que l’organisme attend et la réalité (Ursin, 1988; Levine and Ursin, 1991; Ursin et Eriksen, 2004). En fait, selon cette théorie, la réponse de stress affecte la biochimie du cerveau ainsi que les systèmes endocrinien, nerveux, autonome et immunitaire (Levine et Ursin, 1991). Les principales composantes de la réponse de stress sont l’axe hypothalamo-pituitaire-surrénal (axe HPA) et la partie sympathique du système nerveux autonome (Harris et al., 2007). Bien que les hormones associées à la réponse de stress (ex : cortisol salivaire) protègent le corps à court terme en promouvant l’adaptation (coping), à long terme cela peut causer des changements dans le corps qui mènent à certaines maladies telles que l’insulo-résistance, l’obésité, la haute pression sanguine, l’immuno-suppression, la dépression, etc. (Hansen et al., 2009; McEwen et Seeman, 1999; Ursin, 2000). Toujours selon cette théorie, de longues heures de travail et le manque de capacité de coping peuvent conduire

à une activation soutenue et aux pathologies subséquentes (Levine et Ursin, 1991; Ursin et Eriksen, 2004).

Le cortisol salivaire est une hormone du stress dont l’augmentation de ses taux de base représente un marqueur valide de cette activation soutenue de l’axe HPA (Chida et Hamer, 2008; Pruessner et al., 1997; Wüst et al., 2000). Cette hormone atteint des sommets de concentration lors des premières heures du matin et diminue ensuite au cours de la journée (Weitzman et al., 1971). La réponse de réveil (awakening cortisol response, ACR) se définit comme la période de l’activité sécrétoire lors des 45-60 minutes suivant le réveil (Clow et al., 2004). La réponse de cortisol au réveil (CAR ou ACR) est une des principales caractéristiques du profil diurnal de cortisol (Karlson et al., 2011). Il a été démontré que la sécrétion de cortisol salivaire au réveil est une mesure fiable de l’activité de l’axe HPA avec une forte stabilité intra-individuelle et ainsi peut être utilisée afin de mesurer le niveau de tension dans la vie quotidienne (Harris et al., 2007). De manière plus précise, un cortisol au réveil (ACR) élevé est relié aux symptômes dépressifs (Pruessner et al., 2003a), alors qu’un cortisol au réveil plus faible s’associe à l’épuisement professionnel (Pruessner et al., 1999). Également, le déclin des concentrations de cortisol salivaire au cours de la journée et en soirée s’associe aussi aux tensions de la vie quotidienne et à la santé (Harris et al., 2007). En fait, un faible déclin de la sécrétion de cortisol salivaire au cours de la journée s’associe à des facteurs de stress tels que la surcharge de travail et l’épuisement (Karlson et al., 2011). De plus, un haut niveau de sécrétion de cortisol salivaire en soirée témoigne une capacité insuffisante de récupération et cela est caractéristique des individus hautement stressés (Eriksen et Ursin, 2004; Harris et al., 2007; McEwen, 1998).

Plusieurs situations stressantes sont susceptibles de causer un débalancement des taux de sécrétion de cortisol salivaire au réveil. Dans le cas qui nous occupe, notons que plusieurs facteurs de l’organisation du travail peuvent expliquer la variation des taux sécrétion de cortisol salivaire, notamment, les horaires de travail, les demandes, le contrôle, etc. Ainsi, selon une perspective de stress professionnel, cette variation des taux de sécrétion de cortisol salivaire peut servir de complément objectif aux questionnaires auto-rapportés et en regard de la perception individuelle et subjective de stress au travail (Karslon et al., 2011). Toutefois, il est important de garder à l’esprit qu’il y a aussi de nombreux facteurs individuels qui peuvent influencer la sécrétion de cortisol salivaire, tels que l’âge, le genre, l’heure du lever, l’effet de

la lumière, l’adhérence au protocole des participants, jours de semaine versus jours de fin de semaine, la méthode utilisée afin de déterminer les niveaux de sécrétion de cortisol salivaire, l’utilisation de contraceptifs oraux, la consommation de café, d’alcool et de tabac (Clow et al., 2004; Wüst et al., 2000; Hjortskov et al., 2004). Pour ce qui est du genre, ce que l’on constate est que les femmes en pré-ménopause ont un taux de sécrétion de cortisol salivaire au réveil plus soutenu et prolongé et souvent demeure plus élevé au cours de la journée (Clow et al., 2004). De plus, les femmes qui prennent des contraceptifs oraux ont une concentration de cortisol salivaire au réveil qui est atténuée (Clow et al., 2004). Cela dit, il est à noter qu’aucune différence n’est associée aux différentes phases du cycle menstruel (Clow et al., 2004; Harris et al., 2007). Par ailleurs, la sécrétion de cortisol salivaire du réveil serait plus élevée chez les fumeurs (Clow et al., 2004). Dès lors, il est important de contrôler pour ces facteurs confondants lors d’étude sur l’impact des déterminants de stress sur la sécrétion de cortisol salivaire afin de s’assurer de bien capter l’impact des stresseurs sur la sécrétion de cortisol salivaire.

En ce qui a trait aux réponses apportées par la littérature en regard du stress au travail, des problèmes d’épuisement professionnel et de la sécrétion de cortisol salivaire, notons une inconsistance marquée. Certains auteurs expliquent cette inconsistance par les différents protocoles de recherche, méthodes de collecte, etc. (Karslon et al., 2010; Hjortskov et al., 2004). Au cours des prochaines sections, nous présenterons l’état actuel des connaissances concernant la sécrétion de cortisol salivaire. D’abord, nous voulons simplement exposer le fait qu’à notre connaissance, très peu d’études traitent du lien entre la sécrétion de cortisol salivaire et le niveau d’épuisement professionnel. En fait, la directionnalité des concentrations de cortisol salivaire en relation avec des symptomatologies psychologiques est complexe et la littérature est inconsistante à ce sujet. Une méta-analyse effectuée par Danhof-Pont et al. (2011) confirme que les associations entre la sécrétion de cortisol salivaire et l’épuisement professionnel sont très hétérogènes et que les conclusions sont difficilement comparables vu les différences entre les différents devis de recherche. D’abord, certaines études concluent à l’absence de relation significative entre la sécrétion de cortisol salivaire et l’épuisement professionnel (Grossi et al., 2003; Mommersteeg et al., 2006a). Notons que l’étude de Grossi et al. (2003) porte sur un petit échantillon de travailleurs (n=44) et que celle de Mommersteeg et al. (2006a) porte sur un échantillon clinique. L’étude de Bellingrath et al. (2009) soutient que le niveau de sécrétion de

cortisol salivaire n’a pas d’impact sur le risque d’épuisement professionnel. En fait, leurs résultats démontrent que l’épuisement professionnel ne se reflète pas dans les niveaux de sécrétion de cortisol salivaire après le réveil et tout au long de la journée. Ces résultats sont comparables aux études comprenant de larges échantillons. Toutefois, ils nuancent leurs dires en précisant qu’on peut voir apparaître un résultat significatif lorsque des outils de recherche hautement sensibles sont utilisés (administration d’une très faible dose de dexamethasone aux travailleurs). Dans un tel cas, ils constatent que le niveau de sécrétion de cortisol salivaire s’associe de manière significative et négative avec l’épuisement émotionnel et le manque d’accomplissement personnel. D’ailleurs, plusieurs études confirment que l’épuisement professionnel s’associe de manière négative à la sécrétion de cortisol salivaire (Mommersteeg et al., 2006b; Moya-Albiol et al., 2010; Pruessner et al., 1999; Sjogren et al., 2006; Wingenfeld et al., 2009). Cela dit, pour la plupart, il n’y a que la sécrétion de cortisol salivaire du matin, soit au réveil et jusqu’à 45 minutes plus tard (CAR) qui est affectée de manière significative en présence d’épuisement professionnel (Mommersteeg et al., 2006b; Moya-Albiol et al., 2010; Sjogren et al., 2006). Une étude de Nicolson et Diest (2000) arrive au même constat avec un échantillon issu de la population générale et un devis expérimental. De plus, une étude effectuée sur une petite population clinique (n=42) conclut aussi que les concentrations plus faibles de cortisol salivaire au réveil et 30 minutes plus tard s’associent à l’épuisement professionnel (Sonnenschein et al., 2007). Également, des études récentes effecutées sur un échantillon de 401 travailleurs canadiens vont dans le même sens et concluent que des concentrations de cortisol salivaire plus faibles au réveil et 30 minutes après le réveil s’associent significativement à l’épuisement professionnel (Marchand et al., 2014a; Marchand et al. 2014b). Ces résultats sont également appuyés par une récente étude qui confirme que les concentrations de cortisol salivaire sont plus faibles au réveil et 30 minutes après le réveil pour les sous-groupes de participants qui répondent aux critères d’épuisement professionnel au niveau clinique et non- clinique en comparaison au groupe contrôle en bonne santé (Oosterholt et al., 2014). Une des forces de cette étude est de contrôler pour des psychopathologies qui pourraient être présentes en comorbidité et de récolter ses échantillons de cortisol salivaire sur deux jours. Par contre, Melamed et al. (1999) ont trouvé que les travailleurs en burnout chronique avaient des taux de sécrétion de cortisol salivaire plus élevés. De Vente et al. (2003) arrivent au même résultat dans un devis expérimental avec un échantillon issu de la population générale. Ce résultat

contradictoire est susceptible d’être la conséquence du fait qu’ils s’appuient sur un seul jour de collecte de salive. L’étude de Grossi et al. (2005) abonde dans le même sens et soutient qu’il existe une dérégulation de l’axe HPA caractérisée par des concentrations plus élevées de sécrétion de cortisol salivaire au réveil, 15, 30 et 60 minutes après le réveil chez les femmes avec un haut niveau d’épuisement professionnel. Toutefois, cette étude a été effectuée à partir d’un petit échantillon d’une population clinique et les participants répondaient aux critères diagnostiques du trouble d’adaptation du DSM-IV (Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux). Ceci est susceptible de causer des modifications des profils de sécrétion de cortisol salivaire qui ne sont pas connus. Ainsi, nous pouvons admettre que le courant majoritaire pointe vers le fait que les taux de sécrétion de cortisol salivaire en début de journée sont inférieurs lorsqu’il y a présence d’épuisement professionnel. D’ailleurs, une méta-analyse effectuée par Chida et Steptoe (2009) confirme que la réponse de cortisol au réveil (CAR) plus faible est significativement associée avec l’épuisement professionnel. Ainsi, nous suggérons que la symptomatologie de l’épuisement professionnel semble s’associer à des profils hypocorticolémique au réveil, et ce, jusqu’à 30 à 60 minutes suivant le réveil. Toutefois, il est important de noter que nous en savons beaucoup moins sur les profils de sécrétion de cortisol salivaire d’après-midi et de soirée en relation avec des symptômes psychologiques.

Voyons maintenant l’impact des conditions de l’organisation du travail sur l’épuisement professionnel ainsi que sur la sécrétion de cortisol dans la salive.