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UNE COOPÉRATION NÉCESSAIRE POUR MIEUX GÉRER LES PRISONS ?

Dans le document Quand la prison prend soin (Page 161-181)

PROFESSIONNELS EN TENSION

CHAPITRE 3 : LA PRISON DE TOURION, UNE INSTITUTION FRAGMENTÉE

II. UNE COOPÉRATION NÉCESSAIRE POUR MIEUX GÉRER LES PRISONS ?

Témoins de l’augmentation du nombre de personnes présentant des troubles mentaux, les personnels pénitentiaires appréhendent ce problème comme une difficulté qui s’ajoute aux contraintes liées à la gestion des personnes détenues, particulièrement importantes dans une maison d’arrêt surpeuplée comme celle de Tourion. Ces troubles mentaux sont en effet appréhendés comme une source potentielle de désordre dans un quotidien déjà très tendu. Considéré comme un partenaire indispensable pour repérer et résorber ce désordre, le SMPR est sollicité par la hiérarchie pénitentiaire pour participer au bon fonctionnement de la prison. Les résistances du SMPR sont reçues avec d’autant plus de perplexité par la hiérarchie pénitentiaire qu’elles jettent le discrédit sur les efforts de l’institution pour tenter « d’humaniser » la peine de prison.

Encadré En L’exécution des peines pour cœur de métier

Le terme de hiérarchie pénitentiaire désigne à la fois le corps des personnels de direction et le corps des personnels de surveillance des prisons de Tourion. Le second est organisé en grades (les lieutenant·e·s, capitaines et commandant·e·s pénitentiaires constituent les grades de commandement, tandis que le corps d’encadrement et d’application est divisé en sept grades, du major·e pénitentiaire à l’élève surveillant·e). Recrutés sur concours (ouverts à des candidats de moins de g^ ans) et formés à l’école nationale de l’administration pénitentiaire à Agen, les agent·e·s de la hiérarchie pénitentiaire ont pour mission principale de gérer l’exécution des peines, c’est-à-dire de veiller au bon fonctionnement des établissements pénitentiaires. Longtemps investis dans de nombreuses missions d’intendance et d’accompagnement des personnes détenues, ces professionnel·le·s ont vu leurs missions se resserrer autour d’un « cœur de métier » pénitentiaire à mesure que les prisons externalisaient les missions de soin, d’enseignement, de formation, mais également de restauration, d’intendance, de formation et de travail. La présence d’un gestionnaire privé dans les prisons de Tourion prive ainsi les surveillant·e·s de certaines opportunités professionnelles : ils ne peuvent plus, comme dans les établissements à gestion publique, travailler comme cuisinier, cantinier ou superviser le travail des personnes détenues. Néanmoins, les surveillant·e·s pénitentiaires occupent des postes et remplissent des missions professionnelles variées dans tous les espaces pénitentiaires : depuis le greffe de la prison jusqu’au quartier disciplinaire, en passant par la surveillance des ateliers, des services médicaux, le quartier arrivant ou

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les bâtiments de détention. Certains travaillent principalement derrière des ordinateurs ou sur des dossiers (au greffe ou au bureau de gestion de la détention par exemple), d’autres ont rejoint une équipe régionale d’intervention et de sécurité et interviennent en cas de tension dans un établissement pénitentiaire, certains observent les écrans de contrôle et les mouvements dans un guichet aux vitres teintées depuis lequel ils activent les portes de l’établissement, d’autres, les plus nombreux, travaillent dans les espaces de détention. Deux problèmes principaux se posent à l’administration pénitentiaire, dans la gestion de « l’exécution des peines » : un problème de gestion des flux en maison d’arrêt, seuls établissements pouvant enfermer au-delà de leur nombre de places théoriques (Chantraine, "^^g ; Bouagga, "^$s ; Fassin "^$s) et un problème de gestion des longues peines dans les établissements pour peine, c’est-à-dire les centres de détention et maisons centrales (Le Caisne, "^^^ ; Marchetti, "^^$ ; Cliquennois, "^$%).

1.

Troubles mentaux dans les coursives

La prison regorge d’histoires à dormir debout concernant des personnes détenues présentant de graves troubles psychiatriques. Il suffit parfois de quelques mots ou d’un nom pour faire surgir des anecdotes que tous connaissent et qui semblent constituer la mémoire vive de l’institution autour des troubles mentaux :

Sacha, surveillant, commente mon objet de recherche, un problème vraiment central en détention selon lui. Comme pour en attester, il me raconte deux scènes qui l’ont particulièrement marqué au cours des dernières années. La première est celle d’un homme qu’il appelle Baraoui, enfermé de façon préventive au quartier disciplinaire après avoir agressé un surveillant. « Il était complètement en crise », m’explique Sacha, « il s’est déshabillé, il s’est mis à uriner avant de se rouler dans sa pisse en hurlant » Appelé en renfort (son poste de travail est proche du quartier disciplinaire), il aide les surveillants à maintenir l’homme au sol, le temps qu’une infirmière vienne lui faire une injection. Il m’explique que son uniforme sentait l’urine, que le détenu se débattait tellement qu’il était impossible de lui faire une clef de jambe. « Et le soir, ça me travaillait encore… Ben qu’on en arrive à faire un truc comme ça à un homme, je vous jure, on se demande vraiment ce que c’est notre travail ! C’est pour ça que je suis content d’être au BGD (i·e. « bureau de gestion de la détention », un poste administratif, à l’écart de la détention). Même si bon, je suis quand même surveillant, je dois faire des interventions quand même ». La seconde histoire met en scène un homme qui doit être hospitalisé sans son consentement : « c’est un détenu… je ne me souviens plus de son nom… qui devait partir en HO (hospitalisation d’office), et quand il est arrivé dans la cellule au niveau du greffe pour attendre l’ambulance, il était tout calme, mais il a sorti une lame de rasoir qu’il avait cachée sous sa langue. Pourtant, on l’avait fouillé intégralement et on avait déjà retrouvé plusieurs lames sur lui, mais il en avait encore une. Et il l’a mise comme ça – il me montre, contre son cou – en disant : « je me coupe la carotide si vous m’emmenez en HO ». Ah ! On fait comment dans ce cas ? Ben on a parlé avec lui, y’a des gradés qui sont venus, pour lui expliquer que c’était pour son bien, pour qu’il se repose un peu… Mais lui il voulait rien savoir, il disait qu’il était pas fou, qu’il voulait pas partir en HO. Nous pendant ce temps, on nous demande d’intervenir, sympa ! Du coup, on est arrivés par un angle mort, et on a réussi à le plaquer au sol, il avait déjà commencé à s’entailler, mais pas trop fort. On lui a plaqué les mains au sol – il mime la position du détenu – et on a réussi à lui reprendre la lame. Mais bon, c’était chaud ! ».

Son collègue André arrive et entend les dernières phrases de Sacha : « ah oui, c’est le mec qui est parti en HO ça, non, y’a trois ans ? »

Je commente : « ce que tu me dis là, c’est que des fois vous faites le boulot d’un infirmier en fait ?

- C’est exactement ça, acquiesce Sacha, des fois je compare avec mon beau-frère qui est infirmier en psychiatrie, ça y ressemble des fois ! Sauf que nous on n’est pas formés pour ça !

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- Oui, puis faut voir le nombre de cas psy ici, ajoute son collègue, pfff ! Quand on nous dit : ‘lui c’est ouverture de cellule avec un gradé et deux surveillants, c’est un profil psy’, ben on est là : ‘ok, d’accord, mais nous on n’est pas psy ! C’est pas notre boulot !’ ».

Journal de terrain, g août "^$$

Sans avoir besoin de chercher loin, chaque surveillant a ainsi une série de souvenirs emblématiques, qui tous interrogent ses missions professionnelles. Les deux « histoires » de Sacha ont en commun de relater un épisode d’une extrême violence, dans lequel une personne détenue semble « prise de folie » et se met en danger au point de devoir être maîtrisée physiquement par les

surveillants pour la protéger d’elle-même. Les « cas psy » renvoient pour son collègue, à ces détenus

au comportement extravagant dont on cherche à se protéger, en adoptant des précautions

supplémentaires. Dans les coursives, les « troubles mentaux » posent donc problème à deux titres : parce qu’ils peuvent être le signe avant coureur d’une tentative de suicide, et parce qu’ils peuvent produire de la violence. C’est en effet associés à ces deux risques ambivalents, le suicide et l’agression, que les troubles mentaux mettent en jeu le quotidien des surveillant·e·s.

a) Folie et dangerosité : trouble ou stratégie ?

Les deux récits de Sacha sont emblématiques de l’« imprévisibilité » que les surveillant·e·s disent redouter chez les personnes présentant des troubles mentaux. L’attaque à l’huile bouillante

présentée en prologue de ce chapitre26 constitue l’archétype de ces agressions imprévisibles. Cette

affaire éclaire la façon dont la hiérarchie pénitentiaire appréhende le problème des troubles mentaux en prison : associée à l’irrationalité et l’imprévisibilité, la folie est considérée comme ce qui vient perturber l’interaction et produire des « inconvenances situationnelles » (Goffman, $qt%). Mais face à cette folie, l’institution apporte une réponse particulièrement ambivalente : Monsieur Kadar, l’auteur de cette attaque imprévisible, est considéré comme « fou », son comportement est cependant sévèrement sanctionné : il est puni de la sanction maximale par la commission de discipline de la prison en partie pour répondre au présupposé « besoin de punition » des surveillant·e·s. Bien qu’il ne semble pas à sa place en prison, il est néanmoins condamné par le tribunal correctionnel à une nouvelle peine de privation de liberté assortie d’une amende.

La punition disciplinaire et la peine judiciaire ont paradoxalement pour effet de renforcer l’opinion selon laquelle le détenu était capable de discernement au moment de son acte, malgré son apparente folie. C’est l’avis d’un surveillant de coursive qui m’explique quelques temps après l’événement :

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Pour le lecteur pressé : Monsieur Kadar a agressé un surveillant qui ouvrait la porte de sa cellule en projetant sur lui de l’huile bouillante dans un état de confusion extrême, et à la suite d’une hospitalisation d’office liée à une décompensation psychotique. Il explique son geste, au tribunal, par le fait que l’administration pénitentiaire l’aurait poussé à bout. Il est sanctionné de trente jours de placement au quartier disciplinaire, et puni au tribunal de 18 mois de prison supplémentaires et d’une amende de 1500 euros de dommages et intérêts.

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« Je le connais moi ce type, je l’ai eu à l’étage, franchement, c’est de la simulation ! C’est facile, il cherche à montrer qu’il était malade. Il n’est pas malade ! C’est facile, ils savent tous faire ça : faire croire qu’ils sont malades, c’est toujours la bonne excuse ! ».

Jérémie, surveillant, " août "^$$

Selon ce surveillant, la folie serait ainsi simulée dans le but d’excuser un comportement violent ou d’exercer du chantage sur l’institution. L’explication donnée par Monsieur Kadar lors de son procès : « j’ai été poussé à bout » donne une intentionnalité à son geste et apporte un crédit à cette version du surveillant. Mais le réduire à cette seule dimension stratégique, comme le font les quelques surveillant·e·s qui le peignent en « simulateur », permet cependant de ne pas s’interroger sur la responsabilité collective de cette violente réaction. La folie du geste n’est-elle pas pour partie déterminée par la prison, cette « structure sociale fragile aux effets imprévisibles » ? L’irruption de la violence physique n’est-elle pas favorisée par un univers carcéral qui propose peu « d’espaces de conflictualisation » et de négociation (Chauvenet et al. "^^r, p."^-gs) ? Cette volonté de percer à

jour les personnes détenues « simulatrices » rappelle celle des « prison officers » étudiés par Lorna

Rhodes dans Total Confinement (Rhodes, "^^g, chapitre "), qui considèrent les détenus enfermés

dans les unités Supermax comme des « crazy tough guys » ayant fait le choix d’être mauvais (the

choice to be bad) et qui justifient ainsi par leur comportement violent les contraintes extrêmes

auxquelles ils sont soumis27.

Les surveillant·e·s pénitentiaires associent folie et dangerosité, et considèrent les troubles mentaux comme un risque professionnel majeur : qu’ils soient ou non alimentés par le contexte pathogène de la prison, ces troubles sont une menace de plus pour un groupe professionnel éprouvé par le quotidien d’établissements surpeuplés, comme l’est la maison d’arrêt de Tourion. Mais les troubles mentaux sont également perçus sous l’angle d’un second risque : celui du suicide.

b) Vulnérabilité et risque du suicide

Si elle s’accompagne pour certains d’un véritable souci de l’autre comme nous le verrons plus loin, la prévention du suicide est vécue comme une véritable contrainte professionnelle pour les personnels de surveillance.

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Le cas de Rachide Boubala, fortement médiatisé ces dernières années, constitue une illustration magistrale de ce bras de fer disciplinaire : condamné initialement en 1997 à trois années de prison pour un braquage il a accumulé les infractions en détention pour des faits de violences et des prise d’otage et est désormais incarcéré jusqu’à 2037. Connu pour tapisser d’excréments les murs de sa cellule, il semble littéralement chercher à « emmerder » les surveillant·e·s pénitentiaires qu’il accuse de multiplier volontairement les brimades depuis son arrivée en prison. Nombre de détenus allongent de la sorte leur peine de prison par des actes violents qu’ils justifient comme une rébellion légitime face à l’injuste discipline carcérale.

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Encadré EE La prévention du suicide en prison

La prévention du suicide constitue une (pré)occupation institutionnelle de grande importance, comme en témoigne le nombre de rapports, de circulaires et de notes consacrés à la question. Les taux de suicide dans les prisons françaises sont en effet les plus élevés d’Europe (Duthé et al., "^^q). La politique de prévention du suicide vise à améliorer le « profilage des populations à risque suicidaire » (les primo-incarcérés, le moment du jugement, les situations de rupture familiale notamment) ainsi que leur suivi grâce à des « recettes techniques » assez anciennes (faire appel aux codétenus, augmenter la fréquence des rondes de nuit, améliorer les contacts avec l’extérieur, etc.) ou plus nouvelles (l’aménagement de nouvelles cellules sans point d’appui pour éviter le suicide par pendaison, la création de cellules dites « de protection d’urgence »28 la distribution de « kits anti-suicide »29, etc.). L’objectif est manifeste dans tous les espaces de la détention, depuis le « quartier arrivant » tout entièrement conçu pour réduire le « choc de l’incarcération », jusqu’aux recoins les plus hostiles de l’établissement : une note d’organisation du $s juin $qqq sur la prévention du suicide est scotchée dans le bureau des surveillants du quartier disciplinaire, elle indique qu’une radio doit être mise à la disposition des détenus placés au QD pour prévenir le sentiment d’isolement, « comme le recommande la commission Albrand », un des nombreux rapports sur la question du suicide en prison, le plus fameux étant le rapport « Terra » qui a donné son nom aux formations de prévention du suicide proposées aux surveillant·e·s30. (Terra, "^^%).

La prévention du suicide est devenue une priorité au début des années "^^^, alors que l’institution carcérale se voyait soumise à une dénonciation publique avec la comptabilisation et la publicisation des décès en détention par les associations de défense des droits des personnes détenues (Ban Public, OIP, etc.). Le risque est par ailleurs juridique pour l’administration pénitentiaire, qui peut être condamnée devant la justice à la suite de suicides de personnes détenues (Chantraine, Cliquennois, "^^q). À la rubrique « suicides », le site de l’OIP recense ainsi la jurisprudence en matière de suicide en milieu carcéral. Ainsi, en juin "^$g, le Conseil d’État a retenu la responsabilité de l’État à la suite du suicide d’un détenu au centre de détention de Loos, « pour une succession de fautes de l’administration pénitentiaire dans sa prise en charge » ; en décembre "^$$, « la Cour administrative d’appel de Douai a condamné l’État à indemniser la mère et la sœur d’Olivier Tranquille, qui s’est pendu dans une cellule du quartier disciplinaire du centre pénitentiaire de Liancourt »31.

Les surveillant·e·s sont conscients de l’importance de la prévention du suicide, et savent aussi que la survenue d’un décès, outre le choc éventuel de la mort d’une personne côtoyée au quotidien,

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Selon les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, au 1er janvier 2015, 137 cellules de protection d’urgence (CproU) opérationnelles dans 96 établissements. Depuis la validation de la 1re CproU (mars 2010), environ 1 300 placements ont été recensés. Il n’y a pas de cellule de ce genre dans les prisons de Tourion lorsque je réalise mes observations. Ces cellules sont décrites comme des cellules « lisses », dans lesquelles aucun point d’accroche n’existe. « La cellule est destinée à accueillir les personnes détenues dont l’état apparaît incompatible, en raison d’un risque suicidaire imminent ou lors d’une crise suicidaire aiguë, avec son placement ou son maintien en cellule ordinaire, pour une durée limitée (24 heures), dans l’attente d’une prise en charge sanitaire adaptée. »

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Ces kits de protection contiennent des draps et des couvertures indéchirables, des pyjamas en papier à usage unique pour éviter les pendaisons, ainsi que des matelas anti-feu. Ils sont cependant critiqués pour leur inefficacité.

30

Selon les chiffres clés de l’administration pénitentiaire, au 1er janvier 2015, près de 87 % des personnels ont bénéficié d’une formation « Terra » relative à la prévention suicide

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produira une charge supplémentaire de travail : il leur faudra alors rédiger32 un compte-rendu initial

dans la journée puis préparer un compte-rendu précis sous huit jours, avant, éventuellement d’être entendu par la police ou par la justice si une enquête judiciaire est lancée. Ces situations sont peu

fréquentes33 dans un établissement comme celui de Tourion, toutefois tous les surveillant·e·s sont

impliqués dans la prévention du suicide : ils sont chargés d’observer les personnes détenues au

quotidien et de notifier éventuellement dans un logiciel de partage d’informations (voir infra), les

attitudes ou comportements jugés inquiétants. Un trombone, attaché aux fiches des personnes repérées comme suicidaires dans les casiers à fiche des bureaux de la détention, permet aux équipes de visualiser rapidement les personnes pour lesquelles le niveau d’alerte est élevé. Pour les personnes repérées comme « suicidaires » et placées sous surveillance spéciale, les agent·e·s en poste pendant la nuit doivent effectuer deux rondes supplémentaires pour vérifier par un contrôle à l’œilleton et en allumant la lumière de la cellule, que la personne est toujours en vie.

Cette mission est critiquée, notamment en raison de la surcharge de travail bureaucratique

qu’elles entraînent (ainsi, l’utilisation du kit anti-suicide s’accompagne d’une fiche justificative34),

mais aussi du caractère contre-productif de certaines mesures (hacher le sommeil de personnes qu’on estime vulnérables par des rondes supplémentaires est ainsi une méthode qui pose question). Cette mission de prévention du suicide est de plus considérée comme un gadget face à des personnes que l’on soupçonne de faire des tentatives de suicide par « chantage » :

Le premier surveillant du bâtiment femmes m’a demandé si je pouvais « voir Madame Valery », pensant que cela lui ferait du bien d’être écoutée. Je lui propose donc un entretien : elle me parle avec effusion de larmes de ses soucis - un changement de cellule a eu lieu il y a quelques jours, qui l’a séparée de ses rares amies, décision injuste selon elle qui résulte d’une dispute avec sa codétenue. Les détails confus qu’elle me donne me laissent entrevoir un chagrin d’amour. Désespérée, elle s’est tailladé les bras, qu’elle m’exhibe comme pour témoigner de sa souffrance. Les gs points de suture sur chacun de ses avant-bras, ainsi que les pensées de mort qu’elle dit avoir (« je veux en finir ») m’alarment et je me rends donc à la fin de l’entretien dans le petit bureau des surveillantes placé dans l’atrium du quartier femmes. Les deux surveillantes, une tasse de café à la main, lèvent les yeux au ciel : « Oh ! Mais Madame Valery, elle commence à me chauffer les oreilles ! Ca y est, elle a déjà obtenu notre attention, on l’a signalée au SMPR, elle est en catégorie ", ça suffit ! » s’exclame la première. La seconde entreprend de me raconter la « fabuleuse journée de Madame Valery », qui a appelé plusieurs fois les surveillantes en faisant « du chantage au suicide » parce qu’elle voulait changer d’étage. « Elle a

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