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OU SOIGNER LA PRISON ?

Dans le document Quand la prison prend soin (Page 92-132)

L’asile et la prison voient à partir de la seconde moitié du XXe siècle leur crédit entamé non

seulement par les usages politiques dont ils font l’objet pendant la deuxième guerre mondiale16, mais

aussi par la violence qui s’exerce entre leurs murs et dont la légitimité est de plus en plus souvent questionnée. Les années $qt^ notamment sont celles d’une critique de la discipline sous toutes ses formes, dont la prison et l’asile constituent deux figures archétypales. Ce sont alors autant les conditions de l’enfermement que ses effets pervers qui nourrissent la critique militante, mais aussi intellectuelle : la discipline asilaire est perçue comme dégradante, et l’asile est également suspecté de chroniciser les pathologies en tenant les malades à l’écart de la société, sous une tutelle psychiatrique arbitraire. De même, le caractère punitif de la prison semble produire plus d’humiliation que de pénitence. Néanmoins, si cette critique débouche en France sur une contestation radicale de la prison, relayée par les intellectuels de gauche, en Allemagne, elle trouve un écho moins

important faute de relais intellectuels ou politiques17. La réforme de l’institution carcérale progresse

dans les milieux juridiques et législatifs, en marge des grands conflits politiques de l’époque. L’entrée des psy en prison est marquée par l’ambiance politique de l’époque : en France, les services psychiatriques tentent de s’autonomiser d’une institution carcérale frappée d’opprobre. En Allemagne au contraire, les psychologues participent de l’intérieur à la réforme de la prison en institution « à visée de traitement ».

1.

France : émanciper la psychiatrie de la tutelle pénitentiaire

Avant la Seconde Guerre mondiale, les psychiatres sont présents de façon sporadique dans les prisons françaises. Il faut attendre les années $qt^ pour les voir s’installer durablement dans des services psychiatriques ambulatoires et stationnaires au sein des établissements pénitentiaires. Cette institutionnalisation est marquée par les bouillonnements politiques de l’époque : les psychiatres participent en effet à la dénonciation des prisons et c’est à la condition de préserver leur autonomie vis-à-vis de l’enfermement carcéral qu’ils acceptent de venir y exercer.

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Voir notamment Von Bueltzingsloewen, 2009 sur les milliers de patients en psychiatrie morts de famine pendant la guerre. La deuxième guerre mondiale et notamment la dureté des conditions de détention à la fin des années du régime de Vichy ont également un impact sur la réforme des prisons dans l’immédiat après-guerre (Carlier, 2009).

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Comme l’explique Grégory Salle (2009, chapitre 2), les soutiens politiques potentiels sont en Allemagne discrédités par leur proximité idéologique avec le terrorisme d’extrême gauche, tout particulièrement après l’Automne Allemande de 1977 et le prononcé de lois anti-terroristes.

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a) Des psychiatres dans la dénonciation de la prison

En France, la fin de la Seconde Guerre mondiale ouvre une période de réforme carcérale sous la houlette de Paul Amor, premier directeur de l’administration pénitentiaire, qui vise à « construire la prison de l’État-Providence (Bouagga, "^$s, chapitre $). La réforme pénitentiaire qu’il initie avec la création d’un « service social pénitentiaire » en juin $qgs est inspirée de la philosophie de la nouvelle défense sociale : elle entend travailler au « redressement moral » des personnes détenues par une individualisation de leur traitement. Dans cet objectif de création d’annexes psychiatriques, le projet, abandonné dans les années $q%^, est relancé : le code de procédure pénale de $qsr propose de créer des « services psychiatriques en milieu carcéral ». Il s’agit de mettre en place, dans les maisons d’arrêt, des « consultations d’hygiène mentale » sous l’autorité médicale d’un psychiatre désigné par le ministère de la justice (Manzarena, Senon, "^^g), mais également d’organiser, pour les détenus consentants, des cures de désintoxication alcoolique. Un examen systématique de dépistage est proposé, et la possibilité d’hospitaliser d’office les détenus dont l’état est incompatible avec

l’incarcération est introduite (article D%qr du Code de Procédure Pénale18). La « réforme Amor » crée

d’ailleurs un centre national d’observation à Fresnes (en $qg_) ainsi qu’un centre d’observation spécialisé pour les détenus psychopathes (i·e. malades mentaux) au centre pénitentiaire de

Château-Thierry19 (en $qs^), qui devient une « maison centrale sanitaire ».

Au cours des années $q_^, l’accès aux soins constitue donc l’une des dimensions de la politique de réforme du ministère de la Justice. Cette « médecine pénitentiaire » s’organise sous la baguette des « médecins-inspecteurs » de l’administration pénitentiaire, partisans d’une médecine conçue comme « auxiliaire de la Justice » et reconnue comme une discipline médicale autonome. Cette entreprise de spécialisation n’est cependant que très brièvement couronnée de succès (avec la création d’une chaire de « médecine pénitentiaire » notamment). Dès les années $qt^ en effet, les psychiatres exerçant en prison cherchent à prendre leur distance avec l’administration pénitentiaire. Comme l’explique Eric Farges, « progressivement, le qualificatif « pénitentiaire » est apparu comme amoindrissant le statut de soignant. La médecine pénitentiaire semble devenir « une médecine ‘au rabais’, disqualifiante pour celui qui l'exerce. » (Farges, "^$%, p.gq-s^). Les psychiatres présents dans l’univers carcéral participent ainsi à en dénoncer le fonctionnement et à revendiquer une plus grande autonomie pour les personnels soignants. En $qt", quelques mois après les premières mutineries en milieu carcéral et tout particulièrement celle de la prison de Toul au moment de Noël, Edith Rose, psychiatre intervenant à la prison de Toul prend publiquement la parole pour dénoncer les pratiques inhumaines de la prison. Elle parle, dans un témoignage qui sera publié par le Nouvel Observateur, des contentions de personnes agitées pratiquées dans la prison :

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L’article prévoit que « les détenus en état d'aliénation mentale ne peuvent être maintenus dans un établissement pénitentiaire. Sur la proposition du médecin de la prison et conformément à la législation générale en la matière, il appartient au préfet de faire procéder à leur internement. Cet internement doit être effectué d'urgence s'il s'agit d'individus dangereux pour eux-mêmes ou pour autrui. Il n'est pas fait application, à leur égard, de la règle posée au second alinéa de l'article D. 386 concernant leur surveillance par un personnel de police pendant leur hospitalisation. »

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Si le CNO vise à « mieux orienter » les personnes condamnées à de lourdes peines (reliquat de plus de 10 ans) en fonction de leur « profil », l’établissement de Château-Thierry est lui, jusqu’à aujourd’hui, spécialisé dans la prise en charge des personnes détenues présentant de graves troubles mentaux.

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« La chose qui m’a le plus écœurée et le plus fait de peine, c’est d’avoir vu les gens attachés pendant une semaine et plus. Je puis affirmer sous la foi du serment qu’on ne les détachait pas pour manger. J’entendais de mon bureau l’infirmière appeler un surveillant pour les nourrir à la cuiller. Un surveillant m’a dit lui-même combien cela lui était désagréable, outre le surcroît de travail que cela représentait. Certains témoignages disent même qu’on les laissait dans leurs excréments, je ne l’ai pas vu ». Scandalisée, elle affirme plus loin : « Je puis affirmer sous la foi du serment que jamais je n’ai été consultée sur la nécessité d’une contention, et j’exige des confrontations. Pourtant les « fous », les agités, ceux qui tapent, c’est ma spécialité, oui ou non ? Jamais je n’ai signé un bon de contention, et on pourra constater ce fait puisque mes prescriptions médicales sont écrites noir sur blanc dans un cahier consigné à l’infirmerie de la prison ».

Le Nouvel Observateur, n°%t", "t décembre-" janvier $qt"

À l’instar du docteur Rose, les psychiatres intervenant dans les institutions carcérales développent dans les années $q_^ et $qt^ une forte « propension […] à prendre la parole publiquement ». Cette posture s’explique peut-être par « la culture critique qui s’est progressivement développée dans le secteur de la psychiatrie au cours des années soixante » (Farges, "^$%, p.$$t). Ce discours critique s’institutionnalise rapidement : ainsi Paul Hivert, qui exerce à la prison de la Santé, crée un « syndicat de psychiatres pénitentiaires ». Celui-ci dénonce la contradiction de leurs missions et réunit par exemple à l’été $qtg un groupe de psychiatres pour réfléchir aux conditions du travail en milieu pénitentiaire. La critique porte tout particulièrement sur l’instrumentalisation de la psychiatrie. Eric Farges cite ainsi de longs extraits de thèses écrites à l’époque par des internes de

psychiatrie à propos du milieu carcéral : il y est question20 de « psychiatrisation insidieuse des

prisons », de la surconsommation de produits hypnotiques, ou encore de l’instrumentalisation des psychiatres, « psycho-flics », ou encore « porte-seringues » chargés, par la médicalisation des troubles, de « dépolitiser et d’annihiler toute contestation au sein de l’institution carcérale ».

Encadré c L’asile au cœur de la réforme de la psychiatrie

Dans les années $q_^ et $qt^, les courants d’antipsychiatrie (incarnés notamment par Franco Basaglia en Italie, par David Cooper et Ronald David Laing en Angleterre ou encore par Thomas Szasz aux États-Unis) développent une critique virulente de l’institution psychiatrique. En France, cette critique est portée par les militants d’une « psychiatrie de secteur » (Georges Daumezon, Lucien Bonnafé) mais également par les penseurs de la psychothérapie institutionnelle (Francesco Tosquelles, Jean Oury ou encore Claude Jeangirard) qui développent des institutions alternatives à l’asile psychiatrique comme la clinique de La Borde (Loir-et-Cher) ou de Saint Alban (Lozère). Par ailleurs, la critique de l’asile s’adosse aux travaux critiques d’intellectuels comme Michel Foucault, Félix Guattari ou Robert Castel, qui contribuent à donner une certaine visibilité à l’ouvrage d’Erving Goffman, Asiles (Goffman, $q_r [$q_$]).

Le dispositif de prise en charge de la santé mentale contemporain n’a aujourd’hui plus grand chose à voir avec les descriptions de l’hôpital psychiatrique de Sainte Elisabeth à Washington réalisées à la fin des années $qs^ par Erving Goffman et qui ont donné lieu à un ouvrage riche d’enseignement pour la sociologie des « institutions totales » ou aux images du documentaire Titicut Follies de Frederick Wiseman filmées au cours des années $q_^ dans l’hôpital de Bridgewater. En effet, l’évolution la plus frappante de la psychiatrie se matérialise par la transformation de son paysage institutionnel : la seconde moitié du vingtième siècle marque l’ouverture des hôpitaux psychiatriques, discrédités par l’expérience de la seconde guerre mondiale et la

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Les expressions, citées par Eric Farges (Farges, 2013) sont tirées de la thèse de François Martzloff, Détention provisoire, médicaments psychotropes et psychiatrisation, Faculté de Médecine de Paris-Créteil, 1975.

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famine qui a entraîné la mort de plusieurs milliers de patients (Bueltzingsloewen, "^^q). Cette ouverture est rendue possible par l’apparition des premiers neuroleptiques, qui permettent le recul de la coercition physique grâce au recours à la contention chimique. Elle est également nourrie par la critique anti-psychiatrique et la politique de sectorisation portée par une nouvelle génération de psychiatres (Henckes, "^^t).

En France comme en Allemagne, ces critiques donnent lieu à une transformation importante du dispositif psychiatrique, jusque là centré autour de l’hôpital spécial. La circulaire du $s mars $q_^ crée des secteurs de psychiatrie, autour desquels devront désormais être articulés les services de soins. En Allemagne, de même, la commission d’enquête sur la qualité des soins en santé mentale met l’accent sur le développement de structures ambulatoires (Kersting, "^^g). Des années $qt^ à la fin des années "^^^, le nombre de lits passe en France de $"^ ^^^ à ss ^^^ et en Allemagne de $$t ^^^ à sg ^^^. (Coldefy, "^$"). En France cependant, on peut difficilement parler d’une désinstitutionnalisation psychiatrique dans la mesure où l’hôpital psychiatrique, qui concentre toujours les deux tiers des lits de psychiatrie et gère les budgets, reste la pièce centrale du dispositif de soins (Eyraud, Velpry, "^$g). En Allemagne, le terme de désinstitutionnalisation est plus approprié, dans la mesure où on observe une spécialisation des hôpitaux psychiatriques autour d’une offre de soins aigus régionalisée Ce sont désormais les hôpitaux généraux et les structures d’hébergement protégées qui prennent en charge le traitement ambulatoire des troubles psychiques (Klausner, Niewöhner, "^$"). Si le développement des soins « hors les murs » résulte bien, dans sa philosophie, de la critique des effets néfastes de l’asile, soupçonné de chroniciser les pathologies en tenant les malades à l’écart de la société sous une tutelle psychiatrique arbitraire, la réforme est également inscrite dans un souci économique de meilleure gestion des budgets alloués au soin psychiatrique, dont témoignent les réformes budgétaires successives (Eyraud, Velpry, "^$g).

Ces mutations institutionnelles ne sont pas sans conséquence sur les inégalités sociales d’accès aux soins. Comme le remarquent Nicolas Dodier et Vololona Rabeharisoa : « au lieu d'être pris à partie pour l'excès de contrôle qu'ils exerçaient sur les individus, les dispositifs psy sont dorénavant questionnés sur leurs capacités à ne pas abandonner, sans filets, les malades mentaux dans la société de la précarité » (Dodier, Rabeharisoa, "^^_, p.$_). En effet, n’étant plus des lieux de vie mais des lieux de soins de courte durée, voire de gestion de flux de patients (Rhodes, $qq$), les unités d’hospitalisation n’ont plus la possibilité d’accueillir les malades chroniques en situation de précarité au long cours (Marques, Velpry, "^$%), faisant notamment peser sur les individus et leurs familles, inégalement pourvues, la responsabilité de cette prise en charge (Bungener, $qqs ; Moreau, "^^t). Par ailleurs, la démocratisation des relations entre les psychiatres et leurs patients, soutenue et encouragée par les associations de familles ou de malades, s’accompagne, pour ces derniers, d’une injonction à l’autonomie dans la gestion de leurs trajectoires.

Comme dans la critique de l’asile qui se déploie alors, c’est le rôle répressif que la psychiatrie est appelée à jouer en situation d’enfermement qui est ici visé. C’est ce que dit sans équivoque un autre psychiatre alors que se mettent en place des « centres médico-psychologiques régionaux », ancêtres des SMPR :

« Cette psychiatrie spéciale à laquelle nous sommes conviés à coopérer, sous le regard d'une presse qui n'a tendance à ne voir en nous que des gardiens de l'ordre, des fliciatres, ne risque-t-elle pas de ternir notre image... Les psychiatres des hôpitaux qui ont mis plus de $"^ ans à sortir de leur asile vont-ils maintenant aller en prison ? »

Fortineau J., $qtt, « Les psychiatres des hôpitaux en prison », Bulletin des psychiatres des hôpitaux, pp.$r-$q

- q% - Du côté de la psychiatrie, on cherche donc très tôt à s’émanciper de la tutelle carcérale. Or

comme l’a bien montré Foucault, dans son « Discours de Toul »21, le témoignage de ces

professionnels a un effet politique très fort : « nos institutions feignent de se rebiffer lorsque, de l’intérieur, on les critique ; mais elles s’en accommodent ; elles en vivent ; c’est à la fois leur coquetterie et leur fard. Mais ce qu’elles ne tolèrent pas, c’est que quelqu’un leur tourne soudain le dos et se mette à hurler vers l’extérieur : « voici ce que je viens de voir ici, maintenant, voici ce qui se passe. Voici l’événement ». Si l’idée de créer des services psychiatriques, même indépendants de la hiérarchie pénitentiaire, reste controversée pendant les années $qt^, elle s’impose donc rapidement : sur le modèle du secteur psychiatrique mis en place en $q_^, la direction générale de la Santé propose de créer des « secteurs pénitentiaires ».

b) S’affranchir de la tutelle carcérale

Pendant les années $q_^ et $qt^, c’est l’action de pionniers de la psychiatrie en prison qui permet à certaines initiatives de se pérenniser et qui fait évoluer les pratiques vers le soin (Bellanger, "^$g). Ainsi, à Lyon, l’annexe psychiatrique devient en $qsg un prolongement du service hospitalier de psychiatrie : un centre de cure de désintoxication pour alcooliques y est ouvert, puis au début des années $q_^, des activités thérapeutiques se mettent en place : psychothérapie de groupe,

consultations dans les différents quartiers de la prison22. À l’époque, tous les psychiatres intervenant

en prison travaillent à temps partiel. Cette remarque n’est pas anecdotique, comme l’explique Eric Fargès : le fait de conserver des liens avec l’hôpital psychiatrique permet aux psychiatres, contrairement aux médecins somatiques, de s’appuyer sur des lieux de socialisation professionnelle autonomes (colloques, revues, etc.) dans lesquels cette réflexion sur les pratiques peut s’élaborer. Les psychiatres ont alors conscience de l’intérêt politique de leur situation inconfortable :

« Le psychiatre risque rapidement de se sentir incarcéré à son tour. On risquerait aussi de voir l’annexe psychiatrique, rapidement coupée du monde extérieur, vivre en vase clos, et s’étouffer progressivement. Par ailleurs, ce psychiatre des prisons serait forcément sous l’entière dépendance de l’Administration pénitentiaire, qui le considérerait comme un fonctionnaire […] Il semble donc, qu’il est préférable de conserver la pluralité des psychiatres, avec les inconvénients que cela représente (travail discontinu, manque parfois de corrélation dans certaines activités) mais aussi avec tous ses avantages : confrontation de différents points de vue, possibilité dans une certaine mesure pour le détenu de choisir son médecin, plus grande liberté d’action, plus grande variété d’activités thérapeutiques ».

Bedat, L’annexe psychiatrique de la M.A de Lyon, thèse de médecine, Faculté de Lyon, $q_g23

En $q_t, une circulaire24 transforme les six annexes psychiatriques toujours en

fonctionnement en CMPR (Centres Médico-Psychologiques Régionaux). Comme l’explique Eric

21

Publié dans le tome II des Dits et Ecrits (Foucault, 1994, p.236-239), mais dont le Nouvel Observateur publie de larges extraits à la suite du témoignage du Docteur Rose (voir supra).

22

Voir Gonin Daniel, « Une expérience de douze années à l’annexe psychiatrique de la Maison d’arrêt de Lyon », L’information psychiatrique, n°9, 1966, pp.885-890.

23

Cité par Eric Farges (2013, p.119)

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Farges, « cette dénomination se démarque alors volontairement de l'étiquette psychiatrique, jugée trop répressive, tandis que le mot « centre » apparaît « moins pénitentiaire » que celui de « quartier » proposé par l'Administration » (Farges, "^$%, p.sqt). Les CMPR sont placés sous l’autorité conjointe du chef d’établissement et du directeur régional des services pénitentiaires et le psychiatre n’a qu’une autorité médicale et peu d’autonomie professionnelle. Ainsi, si le secret médical est mentionné dans la circulaire, elle indique également que les psychiatres doivent « donner connaissance au chef d’établissement des indications nécessaires à l’application du régime pénitentiaire au détenu ou de toute mesure particulière qui s’avérerait nécessaire ». Elle met par ailleurs en place un système de surveillance pénitentiaire grâce aux « surveillants en fonction au CMPR » qui tiennent « un cahier d’observation où sont mentionnées les constatations relatives au comportement du détenu, aussi bien que tout incident concernant la discipline et la sécurité ».

Voués à se généraliser, les CMPR ne parviennent pas à s’imposer dans toute la France et les soins psychiatriques restent le plus souvent assurés par un seul praticien libéral vacataire. La volonté d’échapper à la tutelle carcérale s’affirme dans le discours des psychiatres-militants, et un premier secteur psychiatrique expérimental est instauré en $qt$ à Fleury-Mérogis par la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) et le Centre Hospitalier Spécial d’Etampes, sous l’autorité de Jacques Mérot. La réflexion progresse avec notamment Marie-Rose Mamelet, sous-directrice à la protection sanitaire de la Direction générale de la Santé, qui a été à l’origine de la circulaire du $s mars $q_^ créant la psychiatrie de secteur. En mars $qtt, la circulaire

Veil25 prévoit la création de $t CMPR, dont le personnel est désormais rémunéré par les autorités

sanitaires. Le pli est pris et la mise en place en $qr_ des Services Médico-Psychologiques Régionaux ne fait que renforcer la dynamique, en instaurant dans chaque région pénitentiaire au moins un

SMPR. L’arrêté du $g décembre $qr_26 énumère les missions de prévention, de dépistage et de soin

des SMPR27, précise les liens entre SMPR et service général de psychiatrie28, mais surtout renforce encore l’autonomie des SMPR vis-à-vis de l’autorité pénitentiaire : les personnels médicaux ou paramédicaux amenés à travailler dans les SMPR sont embauchés par le chef du service, le recours à

des surveillants-infirmiers est abandonné. En $qrr29, une circulaire rappelle que le code de

déontologie - et donc le secret médical - s’appliquent en prison et donnent ainsi aux psychiatres une grande autonomie professionnelle vis-à-vis de l’administration pénitentiaire. L’idée est confirmée par un premier rapport sur la santé mentale et l’organisation des soins psychiatriques en milieu pénitentiaire (Gubler, Tcheriatchoukine, $qq") dans lequel on peut lire parmi les recommandations :

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