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1800-1950 : ENTRE ASILE ET PRISON : LA RECHERCHE D’UNE TROISIÈME VOIE

Dans le document Quand la prison prend soin (Page 81-92)

DISPOSITIFS INSTITUTIONNELS FRANÇAIS ET ALLEMAND

I. 1800-1950 : ENTRE ASILE ET PRISON : LA RECHERCHE D’UNE TROISIÈME VOIE

I. 1800-1950 : ENTRE ASILE ET PRISON : LA RECHERCHE D’UNE

TROISIÈME VOIE

Le XIXème siècle voit la cristallisation d’institutions modernes toujours présentes dans notre paysage contemporain : l’hôpital psychiatrique et la prison. Si la frontière entre ces deux institutions fait l’objet d’une définition précise au début du siècle, elle est cependant sans cesse remise en question pour son caractère poreux et redéfinie au profit d’un découpage institutionnel alternatif. En Allemagne, cette obsession réformatrice se traduit au début du vingtième siècle par la création d’une nouvelle institution, l’hôpital psycho-légal. En revanche, la dichotomie entre prison et asile survit à sa remise en cause en France. Si la tentation existe, en France, de créer une institution similaire, celle-ci ne voit cependant jamais le jour, même si les théories de la défense sociale contribuent à irriguer le système pénal français. Cette section s’appuie sur une synthèse des travaux historiques français et allemands autour des relations entre prison et psychiatrie, qui reflètent les préoccupations sociales et politiques de chacun des pays. Les travaux français remontent généralement au début du XIXème siècle et à la cristallisation des relations entre prison moderne et asile, pour mieux éclairer le principe de séparation de ces deux institutions, un principe régulièrement débattu mais jamais fondamentalement remis en cause. Les travaux historiques allemands se penchent pour leur part sur la fin du XIXème siècle pour retracer la genèse d’une institution à mi-chemin entre la prison et l’asile, l’hôpital psycho-légal.

1.

France : les tiraillements d’un système institutionnel dichotomique

Le début du XIXème siècle constitue une période paradoxale en France : à cette époque se stabilise un système institutionnel dichotomique qui fonctionne autour du pivot de la responsabilité pénale : responsable de ses actes, le criminel sera puni d’un enfermement carcéral ; irresponsable, l’aliéné sera pris en charge par l’asile. Alors que ces deux institutions s’installent dans le paysage français, matérialisant la distinction entre « crime » et « folie », un ensemble de savoirs autour de la folie criminelle se constituent qui remettent en question ce principe fondamental du droit pénal et les institutions auxquelles il a donné naissance.

a) Punir les criminels en prison, soigner les aliénés à l’asile

La fin de la période révolutionnaire marque la constitution de la prison moderne (Petit, "^^") et de l’asile : si ces deux institutions ont une histoire parallèle (Renneville, "^^g), celle-ci commence par le partage des populations que chacune doit prendre en charge. En $r$^, le nouveau code pénal napoléonien formalise un principe déjà présent dans le code pénal de $tq$ et dans l’ancien droit (Protais, "^$$) : le principe de l’irresponsabilité pénale. L’article _g précise ainsi : « il

- tq - n'y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l'action, ou lorsqu'il a été contraint par une force à laquelle il n’a pas pu résister ». Principe cardinal notamment défendu par celui que l’histoire de la psychiatrie présente souvent comme le père de la médecine mentale,

Philippe Pinel2, l’article _g, qui restera en vigueur jusqu’en $qq", constitue l’un des actes fondateurs

de la psychiatrie moderne. Il participe en effet à délimiter la population prise en charge par cette discipline en pleine ascension : si les criminels relèvent de la punition et donc de la prison, les aliénés ayant commis des délits ou des crimes doivent eux être traités à l’asile par les aliénistes. Définissant une limite entre responsabilité et irresponsabilité, l’article _g s’inscrit dans la filiation du grand partage entre « raison » et « déraison », qui constitue selon Michel Foucault le fondement de la psychiatrie moderne. (Foucault, $qqg [$qt_]).

À la même période en effet, le système asilaire prend racine dans le paysage institutionnel

français : à partir de $r%r3, chaque département doit se doter d’un établissement d’aliénés mais

surtout la loi encadre les conditions de l’enfermement médico-administratif en précisant les modalités des placements volontaires (à la demande d’un tiers) et des placements sur demande de l’autorité publique. Ces procédures témoignent d’une volonté de protection de la société – il s’agit d’enfermer, pour une durée indéterminée, des personnes qui présentent un danger imminent pour la société. On peut, avec l’Histoire de la Folie à l’âge classique (Foucault, $qrr [$qt"]) ou avec l’Ordre psychiatrique (Castel, $qt_) considérer la création de l’asile comme la suite d’un processus d’exclusion des fous et de fixation des populations marginales qui aurait pris naissance au cours du dix-septième siècle et aurait trouvé une certaine légitimité dans la formalisation d’un nouveau savoir médico-psychiatrique. Cette lecture critique de la naissance de la psychiatrie a été commentée et nuancée par les travaux de nombreux historiens. Parmi eux, Gladys Swain et Marcel Gauchet ont mis en évidence la volonté des aliénistes de comprendre la folie et redonner une certaine humanité aux fous : la constitution de techniques de « traitement moral » devrait ainsi être également lue comme une tentative d’entrer en « dialogue avec l’insensé », tentative rapidement confrontée à l’encombrement asilaire et à ses propres limites (Swain, Gauchet, $qqg). Jan Goldstein s’est quant à elle penchée sur les processus de professionnalisation de cette discipline aliéniste qui, trouvant racine dans des pratiques catholiques traditionnelles, est parvenue à faire triompher une lecture scientifique de la maladie mentale par la classification (Goldstein, $qqt). Les procédures instituées en $r%r manifestent donc aussi la volonté d’encadrer des pratiques existant de longue date (voir Castel, $qt_), et de leur donner une légitimité thérapeutique. C’est en effet aussi pour protéger et soigner l’aliéné qu’il est enfermé à l’asile. Il s’agit, comme le rappelle l’article "g de la loi de $r%r, en écho à l’article _g du Code Pénal, de s’assurer que « dans aucun cas, les aliénés ne pourront être ni conduits avec les condamnés ou les prévenus, ni déposés dans une prison ».

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Tant pour le geste – mythifié plus qu’avéré historiquement - de libération des fous que pour la publication de son Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale ou la manie en 1801, qui lui vaut rapidement une renommée importante. (Goldstein, 1997)

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Loi nº 7443 sur les aliénés du 30 juin 1838. La genèse de cette loi et la création des asiles départementaux sont étudiées dans le détail par Robert Castel (1976).

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Au moment du jugement, les aliénés sont donc théoriquement renvoyés vers l’asile. En pratique, l’exercice du droit de punir et l’évolution des concepts et des savoirs censés fonder l’examen moral du justiciable et légitimer la répartition entre prison et asile produisent des hésitations permanentes (Guignard, "^$^). Ces hésitations témoignent que le régime dichotomique est, dès ses origines, soumis à la critique. En effet, les observateurs de l’époque font état d’une

présence importante de fous en prison. Jean-Louis Senon4 liste ainsi les nombreux rapports5, qui, à

partir de la moitié du XIXème siècle, signalent ce problème dans le cadre de réflexions plus larges sur la réforme de l’institution pénitentiaire : à l’époque déjà, la présence de fous en prison pose la question de la « folie pénitentiaire ». Dans quelle mesure les conditions d’incarcération ne contribuent-elles pas à rendre fous les détenus ? Et surtout, que faire de ces détenus malades ? Plusieurs options sont envisagées au cours du siècle pour les repérer mais surtout pour corriger un aiguillage qu’on estime défaillant : une première rédaction de l’article _g prévoit ainsi de suspendre la peine le temps que dure l’état de démence (Guignard, "^$^), tandis qu’est discuté et pratiqué de façon exceptionnelle le transfert des détenus les plus agités vers l’asile. Enfin, la question se pose de créer des annexes psychiatriques pour examiner de façon systématique l’état mental des personnes incarcérées (elles seront expérimentées au début du vingtième siècle) et des quartiers spéciaux pour accueillir ces détenus. Dès $rgg, soit six ans seulement après la création de l’asile psychiatrique, Baillarger rédige une note sur les causes de la folie chez les prisonniers. Les malades mentaux continuent d’affluer en prison (Senon et Manzarena, "^^g) et rendent nécessaire la création d’un « établissement pour les aliénés vagabonds et criminels » (Brierre de Boismont, cité par Renneville, "^^g). Quelques décennies plus tard, la maison centrale de Gaillon dans l’Eure ouvre en $rt_ un « quartier de condamnés aliénés et épileptiques », qui ferme cependant en $q^_. Les détenus sont alors transférés vers l’asile de Villejuif, qui inaugure en $q$^ un « service de sûreté » (la première « unité pour malades difficiles ») chargé d’accueillir les patients les plus perturbateurs (Senon, Manzanera, "^^g). Faut-il aménager l’asile ou la prison ? Cette question a cours tout au long du siècle – et jusqu’à aujourd’hui. Elle témoigne des hésitations quant au traitement des populations situées à la frontière de ce que l’on considère être le « crime » et la « folie ».

D’autant que cette frontière est sans cesse redéfinie au cours du XIXème siècle au point d’être décrite par Marc Renneville comme « définitivement perméable » (Renneville, "^^g). De nombreux savoirs, de la phrénologie à l’anthropologie criminelle, émergent en effet, qui prétendent identifier les déterminants biologiques du crime. Ces savoirs mettent à mal le principe de la responsabilité mais surtout la dichotomie qu’ils fondent entre « traitement psychiatrique » et « contrainte pénale ». Si la délimitation entre crime et folie est impossible, alors il faut trouver un autre critère pour organiser le partage des populations déviantes. La notion de « dangerosité » est alors perçue comme un principe de classement intéressant : c’est autour du degré de dangerosité des personnes qu’il faut aménager le dispositif pénal.

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Psychiatre en milieu pénitentiaire, Jean-Louis Senon a entrepris de défricher l’histoire de la présence psychiatrique en prison. Les paragraphes suivants s’appuient sur ses travaux (Senon, 1998 ; Senon, Manzanera 2004).

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Rapport Vingtrinier en 1853, Parchappe en 1865, Bailleul en 1890, Pactet en 1891, Garnier en 1892, Monod en 1894, Taty et Mabille en 1896.

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b) De la responsabilité à la dangerosité ?

La recherche des déterminants du crime est ancienne mais l’idée d’une dangerosité intrinsèque au criminel fait florès au XIXème siècle. Selon les nombreux historiens qui se sont penchés sur les sources historiographiques (Castel, $qt_ ; Mucchielli, $qqg ; Renneville, "^^%), ces savoirs remettent en cause le principe de la responsabilité pénale : « les conceptions neuves de la folie comme la monomanie homicide, véritable folie du crime qui surgit dans le corpus médical autour de $r$t, les instincts, l’hérédité morbide ou la dégénérescence, forment en effet autant de limites problématiques à l’exercice de la volonté libre supposée diriger le sujet responsable. » (Renneville, "^^g). Les années $r"^ voient apparaître cette notion de « monomanie homicide », que Michel Foucault qualifie d’ « entité absolument fictive d’un crime folie, d’un crime qui est tout entier folie, d’une folie qui n’est rien d’autre que crime » à l’occasion de grandes affaires dans lesquelles les crimes paraissent sans motifs. C’est d’ailleurs autour de ces affaires que s’affirme, selon Michel Foucault, le pouvoir de cette nouvelle discipline que constitue la « médecine mentale » Michel Foucault affirme ainsi que la conceptualisation de la « monomanie homicide » a participé à imposer la psychiatrie comme une « forme d’hygiène publique » et donc à garantir et justifier son pouvoir : « Si le crime est devenu alors pour les psychiatres un enjeu important, c’est qu’il s’agissait moins d’un domaine de connaissance à conquérir que d’une modalité de pouvoir à garantir et à justifier. La psychiatrie, si elle est devenue si importante au XIXe siècle, ce n’est pas simplement parce qu’elle appliquait une nouvelle rationalité médicale aux désordres de l’esprit ou de la conduite, c’est aussi parce qu’elle fonctionnait comme une forme d’hygiène publique ». Cette entreprise est cependant facilitée par la justice, qui trouve dans le discours de ces experts psychiatres le moyen de légitimer les décisions qu’ils rendent. L’intervention de la médecine mentale dans la justice pénale à partir du XIXème siècle est donc « due à l’ajustement de deux nécessités qui relevaient l’une du fonctionnement de la médecine comme hygiène publique, l’autre du fonctionnement de la punition légale comme technique de transformation individuelle » (Foucault, $qqg [$qtt], p. gg%-g_g). Quoiqu’il en soit, les courants d’anthropologie criminelle qui émergent au milieu du XIXème siècle gagnent en visibilité. S’attachant à penser la folie du crime (Mucchielli, $qqg), ces courants s’inspirent des théories médicales de l’époque : phrénologie (développée par François-Joseph Gall à la fin du dix-huitième siècle mais radicalisée autour d’une recherche déterministe des causes de la monomanie homicide par ses héritiers) ; physiologie (et tendances hygiénistes des

différentes sociétés philanthropiques à l’œuvre au cours du siècle6) ; recherches sur l’hérédité et la

dégénérescence menées par Benedict-Augustin Morel dans les années $rs^.

Alors que la prison et l’asile sont déjà critiqués pour leur inefficacité face à « l’incurabilité du patient » et à « l’incorrigibilité du criminel » (Renneville, "^^g), on s’interroge sur le traitement à réserver aux fous criminels. Le concept de dangerosité, « inventé » par Raffaele Garofalo en $rtr qui le définit comme la « perversité constante et agissante du délinquant et la quantité de mal qu'on

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Les Annales d’hygiène publique et de médecine légale (1829) plaideront ainsi pour la constitution d’une médecine sociale car « les fautes et les crimes sont des maladies de la société qu'il faut travailler à guérir, ou, tout au moins, à diminuer » (Mucchielli, 1994, p.12) ;

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peut redouter de sa part en sa capacité criminelle » (Kaluszynski, "^^r) laisse entendre que le crime pourrait être prévenu par l’identification des individus dangereux. À la faveur d’une problématisation médicale de la criminalité, l’idée germera à la fin du siècle de réserver un traitement médico-pénal particulier au « criminel-né » (Lombroso, $rqs), ou au dangereux. Evolutionnisme et hérédité constituent, à la fin du XIXème siècle, le paradigme dans lequel s’inscrit la grande majorité des

travaux scientifiques : en ce sens, Cesare Lombroso, auteur de l’Uomo Delinquente et porte-drapeau

de l’anthropologie criminelle italienne est « plus un héritier qu’un pionnier » (Mucchielli, $qqg, %q). Toute l’anthropologie criminelle ne se prête pas au « grand examen » lombrosien, c’est-à-dire à la recherche des causes strictement biologiques du crime et certains intègrent également à leur théorie

des déterminations sociales7. Mais qu’elle soit d’origine biologique, organique ou atavique (sociale),

la dangerosité constitue une qualité immanente du sujet que l’on peut découvrir en isolant certaines propriétés. Il est dès lors logique que le principe de « responsabilité pénale », basé sur l’exercice du libre-arbitre et inscrit dans l’article _g du code pénal de $r$^ soit considéré comme une « fiction anthropologique » qui consacrerait « le mythe de l’homme rationnel et raisonnable, libre de se définir » (Protais, "^$$, p.tg) ou encore comme une « chimère métaphysique » (Renneville, "^^%, p.$g). Devrait se substituer à la sanction pénale, issue de la tradition beccarienne (légalité de l’infraction, proportionnalité de la sanction), une série de mesures administratives reposant non plus sur la responsabilité pénale mais sur une responsabilité sociale du criminel. C’est l’idée développée par le courant du positivisme pénal qui se développe, proposant « un système de peines basé sur une connaissance positive et scientifique des comportements humains pour éradiquer ceux de nature criminelle » (Protais, "^$$, p.ts). Le XIXème siècle est donc celui de l’infiltration progressive d’une

logique de la défense sociale8 dans le droit pénal classique.

Le contexte historique (bouleversement économique et industriel) favorise la réception de cette notion de dangerosité, véritable « obsession créatrice au XIXème siècle » (Kaluszynski, "^^r) et les projets alternatifs à la prison et à l’asile, afin de calibrer le traitement réservé au criminel en fonction de son degré de nuisance sociale potentielle. En Allemagne, ces réflexions donnent

naissance aux mesures dites de « réhabilitation et de sûreté » (Maßregeln der Besserung und

Sicherung), dont le nom même porte l’ambivalence du projet de défense sociale, entre contrainte et traitement.

2.

Allemagne : la genèse des mesures de réhabilitation et de sûreté

L’internement psycho-légal constitue la déclinaison allemande d’une « nouvelle » forme de traitement destiné aux infracteurs présentant des troubles mentaux, qui concilie deux projets : la réhabilitation de l’infracteur et la protection de la société. Prévu par la loi du "g novembre $q%%

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Ainsi, l’école de Lacassagne refuse d’adhérer au paradigme déterministe porté par Lombroso et donne au contexte social une place importante, voir (Kaluszynski, 1989).

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En fait comme le montre Caroline Protais cette infiltration existe de longue date (code d’Hammourabi, droit romain, et présence de l’élément psychologique de l’infraction, participation intentionnelle au crime dès le XVème siècle).

- r% - intitulée « loi contre les criminels d’habitude dangereux et sur les mesures de sûreté et de réhabilitation », l’internement psycho-légal est une production législative nazie. Pourtant, comme l’ont montré de nombreux historiens allemands (Liang, $qqq ; Müller, "^^g ; Baumann, "^^_ ou encore Dessecker ; "^^g), la mesure est l’héritière des théories de la défense sociale de la fin du XIXème siècle. Celles-ci remettent en question, comme nous l’avons vu, l’approche positiviste et suggèrent au contraire d’adapter le traitement pénal à la personnalité du criminel, à laquelle certains penseurs allemands consacrent l’essentiel de leur travail.

a) Interner pour mieux traiter : l’hôpital psycho-légal (Maßregelvollzug)

Plusieurs projets de loi sont préparés dans les années $q"^ à l’époque de la République de Weimar. Loin d’être le produit d’une époque exceptionnelle, les mesures de sécurité s’inscrivent donc dans la longue histoire du traitement de la déviance (Liang, $qqq ; Müller, "^^g, p.$r^-""r ; Dessecker, "^^g, p.t^-rr ; Baumann, "^^_). Elles sont une réponse institutionnelle à la question remise plusieurs fois sur l’établi au XIXème siècle, en Allemagne mais également dans tous les pays européens : celle de savoir ce qui fonde le droit de punir. Le débat se structure en Allemagne autour de trois grands courants. Fidèles aux principes d’une stricte proportionnalité des peines édictés au début du siècle par des juristes comme Cesare Beccaria en Italie ou Paul von Feuerbach en Allemagne, certains juristes insistent sur la nécessité d’éviter tout arbitraire et de fixer une échelle des peines unique pour tous les délinquants. L’école de Franz von Liszt, cofondateur avec le belge

Adolphe Prins, de l’Internationale Kriminalistische Vereinigung (Union Internationale de Droit

Pénal) en $rrq, propose au contraire d’assouplir cette échelle des peines et de prévoir des réponses pénales mieux adaptées à la personnalité des personnes délinquantes. Dans son programme de Marburg ($rr"), Franz von Liszt distingue ainsi trois types de traitement qui correspondent selon lui

à trois catégories de criminels : la réhabilitation (Besserung) des criminels qui ont à la fois besoin et

ont la capacité d’être réhabilités (besserungsfähig und besserungsbedürftig) ; la dissuasion

(Abschreckung) de ceux qui n’ont pas besoin d’être réadaptés ; la neutralisation (Unschädigmachung) de ceux qui ne sont pas réadaptables. Par cette typologie, von Liszt entend se distinguer des importateurs de l’école positiviste italienne, qui, selon lui, ont une lecture trop naturaliste et déterministe des comportements, et vont jusqu’à rejeter l’idée que l’homme pourrait être

rééducable9. Les projets de loi se succèdent donc en Allemagne à partir de $q^^, d’abord dans un

climat d’intenses échanges internationaux (tout particulièrement avec la Belgique, la Suisse et l’Autriche qui réforment également leurs codes pénaux) puis, à la fin de la Première Guerre mondiale et à la mort de Franz von Liszt ($q$q), dans un cadre plus national. Ces projets annoncent, sous des formes légèrement différentes, des mesures en direction des « criminels d’habitude », c’est-à-dire des petits délinquants multirécidivistes, et des alcooliques. Il est ainsi prévu dans le projet de $q^q de

créer une Trinkeranstalt (un établissement pour alcooliques), mais également de systématiser ce qui

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Ainsi en Italie, Enrico Ferri, issu de l’école de Cesare Lombroso, propose en 1921 pour l’Italie un projet de loi pénale qui reposerait sur un catalogue de 25 critères de personnalité, motivation, gravité des faits pour déterminer la dangerosité de la personne et donc la sanction pénale à appliquer.

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se pratique depuis la fin du XIXème siècle par exemple dans la prison de Waldheim en Saxe (depuis $rt_) ou dans la prison berlinoise de Moabit (depuis $rrr) : la création d’unités spéciales pour les délinquants présentant des troubles mentaux. Une unité de ce genre est d’ailleurs créée dans la prison de Straubing en Bavière au début des années $q"^ ; Theodor Viernstein y mène ses recherches

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