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METTRE À DISTANCE POUR MIEUX REGARDER ? HYPERMÉTROPIES ET MYOPIES COMPARATIVES

Dans le document Quand la prison prend soin (Page 63-78)

INTRODUCTION DE LA PARTIE

CHAPITRE 1 : MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE

III. METTRE À DISTANCE POUR MIEUX REGARDER ? HYPERMÉTROPIES ET MYOPIES COMPARATIVES

En partie induite par les opportunités de financements franco-allemands24, cette comparaison

s’inscrit dans une tradition de recherche comparative entre les sociétés française et allemande, autour de l’organisation du travail, des systèmes de protection sociale ou encore des systèmes

éducatifs25. Si la méthode comparative est habituelle dans les travaux de type macrosociologiques,

elle est en revanche moins fréquente lorsque la méthode ethnographique est mobilisée. Et pour cause, la comparaison suscite alors de nombreuses questions que ne peut aider à résoudre un patron défini au préalable. Elle devient à proprement parler problématique, parce qu’elle contribue à modifier le cours même de l’enquête et de l’analyse sociologique proposée. Disposant pour appréhender la prise en charge des troubles mentaux dans le système carcéral allemand, de peu d’informations, j’avance à tâtons comme les doctorants qui se sont lancés dans cette aventure avant

moi26. Les terrains allemands m’amènent cependant à élargir l’objet de la recherche : le dispositif

institutionnel allemand, très différent de celui auquel je suis familière en France, m’oblige à prendre en considération les héritages institutionnels des deux pays. Mais d’autre part, le traitement pénitentiaire appuyé sur un savoir psychologique que j’observe dans les prisons allemandes, me permet de prendre conscience d’une tendance partagée, dans les deux pays, à vouloir faire de la peine un moment de traitement des personnalités et comportements déviants. Loin de se résumer à un problème de santé, la question des troubles mentaux s’inscrit dans la réforme de l’institution carcérale.

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J’obtiens à l’automne 2009 une bourse de recherche du Centre Marc Bloch de Berlin à laquelle je renonce bientôt pour un financement plus pérenne de l’École Nationale Supérieure de la Sécurité Sociale.

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La France et l’Allemagne sont penséés comme des « cas très similaires » (Maurice, Sellier et Silvestre, 1982 ; Vigour, 2005, p.160) et la comparaison franco-allemande est, depuis longtemps considérée comme heuristique par les sociologues, à commencer par Durkheim, qui s’appuie sur des données allemandes dans son étude sur le suicide (Durkheim, 2003 [1897]). La période contemporaine a donné lieu à de nombreuses enquêtes comparatives, qui portent cependant plus fréquemment sur l’État-providence ou l’organisation du travail que sur le système pénal et pénitentiaire.

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À l’instar de Janina Kehr, qui explique qu’elle ignorait encore les « contours » du réseau médical autour de la turberculose lorsqu’elle engage sa recherche sur la prise en charge de cette maladie en France et en Allemagne, ou de Jérémie Gauthier qui s’attend à retrouver en Allemagne une réflexion similaire à celle engagée en France à la suite des émeutes de 2005 sur les relations entre police et quartiers populaires. Jérémie Gauthier découvre, arrivé en Allemagne, que ce qui faisait problème dans l’hexagone français ne trouve pas de résonance de l’autre côté du Rhin et réalise bientôt qu’il doit porter son attention non pas seulement sur l’interaction entre policiers et minorités visibles, mais également sur l’organisation de l’institution policière et sur l’histoire de l’immigration dans les sociétés françaises et allemandes : « Notre objet, qui dépasse donc la question de l’émeute, réside dans l’identification des espaces d’émergence, de tension, de formulation de la question des relations entre puissance publique et minorités à travers le prisme de l’action policière au sein de deux États de droit : la France et l’Allemagne. Autrement dit, il s’agira d’analyser l’articulation entre action policière et ce que nous proposons d’appeler la question minoritaire. » (Gauthier, 2012, p.30).

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1.

Mais qu’allait-elle faire dans cette galère ?

La comparaison relève en première apparence d’un défi impossible. Les risques sont en effet

nombreux de biaiser la comparaison, en raison de la connaissance a priori dissymétrique des terrains

comparés. Définissant les grandes lignes de leur programme d’histoire croisée qui permet d’éviter nombre des écueils énumérés ci-dessus, Michael Werner et Bénédicte Zimmermann invitent le chercheur·euse à s’interroger sur les conditions de la comparaison : « le croisement ne se présente jamais comme un « déjà donné là » qu'il suffirait de relever et d'enregistrer. Il requiert un observateur actif pour le construire et c'est dans un mouvement d'aller-retour entre le chercheur et son objet que se dessinent conjointement les dimensions empiriques et réflexives de l'histoire croisée. Le croisement se donne ainsi comme une activité cognitive structurante qui, par diverses opérations de cadrage, construit un espace de compréhension ». (Werner, Zimmermann, "^^g, p."%).

a) Comparer pour évaluer ?

Comme je pouvais m’y attendre en entreprenant une comparaison internationale, la question la plus fréquente, sur le terrain mais également lorsque je présente mon travail dans des cercles scientifiques ou autres, est de savoir si « c’est mieux en France ou en Allemagne ? », une question qui me laisse perplexe et à laquelle je réponds souvent, pour botter en touche : « qu’est-ce qui est mieux ? ». Dans les premiers temps, il s’agit d’une pirouette, car j’ai le sentiment qu’il me manque trop d’informations pour pouvoir évaluer les systèmes carcéraux français et allemand, mais progressivement, je me rends compte que la pirouette fait sens : tout dépend de ce que l’on compare, et tout dépend aussi du point de vue depuis lequel on compare. Si la question porte sur les conditions de détention, alors elle se décline déjà en une multitude d’interrogations : où vaudrait-il mieux se trouver incarcéré ? Où est-on le mieux jugé, le mieux défendu, le mieux pris en charge, le mieux nourri, le mieux logé, le mieux soigné ? Les soutiens à la réinsertion sont-ils meilleurs en France ou en Allemagne ? Le marché du travail est-il plus accueillant pour les sortants de prison ici ou là ? Si le point de vue est criminologique et si l’on m’interroge sur l’efficacité des systèmes carcéraux alors de quoi parle-t-on ? De prévention de la récidive ? De réinsertion sociale ? Autant de

questions qui sont sujettes à caution, tant la construction des indicateurs fait débat27. Lorsque ce

sont les surveillant·e·s ou les infirmier·e·s qui m’interrogent sur les conditions de travail, que comparer ? Les possibilités de carrière ? Le contenu des tâches effectuées ? Le niveau de salaire ? La reconnaissance sociale ?

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Voir les travaux menés au CESDIP (Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales) sur les statistiques pénales et policières (Aubusson de Cavarlay, 1985 ; Robert et Zaubermann, 2012 ; Mucchielli, 2008, etc.) ou les travaux menés par Annie Kensey, démographe à la direction de l’administration pénitentiaire ou de Pierre-Victor Tournier, démographe à l’Université Paris 1.

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Je réponds donc souvent de manière allusive, que les taux de population carcérale sont moins

élevés en Allemagne28, que comme en France, certains établissements sont vieux et désuets, mais que

les établissements flambant neufs en France sont unanimement critiqués pour leur manque d’humanité ; que la politique carcérale varie d’un Land à l’autre et que d’ailleurs, même en France, les conditions de détention sont variables d’une maison d’arrêt et d’un établissement pour peine à l’autre ; que les peines sont en moyenne plus longues en France, mais que l’Allemagne a une pratique plus fréquente de la rétention de sûreté qui a pour effet de rallonger les longues peines.

Souvent, j’ajoute que mon travail ne vise pas à comparer les « prisons françaises » et les « prisons allemandes », mais à comprendre comment s’organise la prise en charge des troubles mentaux dans les deux systèmes carcéraux. Mais là aussi, il m’est impossible de fournir une évaluation qui situerait la France et l’Allemagne sur une échelle allant du pire au meilleur, tant la question ne se laisse pas réduire à une poignée d’indicateurs simples (où soigne-t-on mieux ? où y a-t-il le moins de troubles mentaux ?) : si les prisons françaises ont nettement plus de moyens « psychiatriques » (lits d’hospitalisation, équipes hospitalières), la déclaration d’irresponsabilité pénale est plus fréquente en Allemagne et devrait donc éviter que se retrouvent incarcérés des personnes présentant des troubles mentaux graves en prison ; si les équipes psychiatriques sont plus étoffées en France qu’en Allemagne, il y a cependant beaucoup plus de psychologues dans les établissements pénitentiaires allemands. Mais ces informations ne permettent pas de classer les deux pays.

Bref, je constate ce que la littérature autour de la comparaison a mille fois souligné : aucune comparaison ne va de soi ; il est déjà délicat de mettre en regard des indicateurs particuliers construits dans un cadre national (chômage des jeunes, réussite scolaire, etc.), l’affaire se corse donc lorsque l’on tente de comparer des systèmes institutionnels complexes (systèmes universitaires, assurance chômage, marché du travail), qui ne sont pas nécessairement dessinés de la même façon dans chaque pays, qui ont une histoire propre et qui mettent en jeu des groupes sociaux et professionnels différents.

b) Une méthode risquée

Si les ouvrages portant sur la comparaison rappellent qu’elle est consubstantielle au raisonnement sociologique, une longue partie de leur propos est souvent consacrée à lister les écueils possibles de cette méthode. Ainsi Patrick Hassenteufel identifie quatre problèmes de la

comparaison dans l’analyse des politiques publiques : la comparaison factice, qui se contente de

juxtaposer des cas, la comparaison à distance, basée sur une littérature secondaire mais sans travail

empirique, la comparaison biaisée, qui cherche à valider une hypothèse de recherche sans qu’aucune

autre hypothèse ne soit prise en compte, la comparaison réductrice qui réduit des phénomènes

complexes à une poignée d’indicateurs synthétiques. Franz Schultheis reprend et illustre cette

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- _% - dernière erreur fréquente et d’autant plus difficile à identifier selon lui que cette « comparaison synthétique » s’appuie souvent sur des instruments méthodologiques sophistiqués (échelles, indicateurs synthétiques, etc.) visant à comparer des modèles dans une logique de classement et d’évaluation. À ces quatre « comparaisons au rabais » (Hassenteufel, "^^s), Schultheis en ajoute trois, qui menacent particulièrement le chercheur·euse qui travaille sur une société qui lui est étrangère :

la comparaison « assimilatrice », où le chercheur·euse, habité par un certain ethnocentrisme, tend à assimiler ce qu’il observe dans la société étrangère à ce qu’il connaît déjà. C’est « l’erreur touristique type », contre laquelle la recherche savante n’est évidemment « pas immunisée ».

la comparaison « idéographique » (ou culturaliste) qui se contente de prélever des éléments de façon pointilliste en s’appuyant sur une toile de fond culturaliste, celle de la « mentalité » française ou allemande par exemple.

la comparaison « accommodatrice », qui isole les faits de leur contexte, ignore les conditions de possibilité des phénomènes et met en rapport des faits issus de contextes culturels différents : ainsi, en $qrq, travailler sur le taux de chômage des moins de "s ans en France et en Allemagne sans prendre en compte la réalité sociale d’un jeune Français (service militaire), qui peut pourtant biaiser fortement la comparaison.

Ces difficultés cognitives et méthodologiques relatives à la construction de la comparaison s’ajoutent à une autre question complexe : celle des échelles de la comparaison. Patrick Hassenteufel relève que la comparaison internationale a souvent pour défaut de ne pas prendre en considération la dimension transnationale des phénomènes ; de nombreux auteurs soulignent l’importance d’articuler différents niveaux d’analyse dans la comparaison et de prendre au sérieux les jeux d’échelle (voir par exemple Demazière, Giraud, Lallement, "^$%), pour ne pas accorder trop de poids aux éléments macro-sociaux et être attentif à la mise en œuvre de l’action publique. C’est le programme des travaux sur l’effet sociétal (Maurice, Sellier, Silvestre, $qr" ; Möbus, Verdier, $qqt), mais également d’une multitude de comparaisons « micro », attentives aux pratiques

professionnelles et·ou aux expériences subjectives des individus29.

c) Un puits sans fond

Une bonne comparaison suppose un travail de longue haleine, qui prend en considération l’histoire mais aussi la complexité sociale de chaque société étudiée. Il s’agit de ne pas négliger « l’épaisseur historique et sociale du phénomène » étudié, c’est-à-dire « l’importance de l’ancrage du phénomène étudié dans une société qui, par définition, possède de solides racines historiques » (Spurk, "^^%, p.ts).

Dans le cadre du travail que je réalise, il faudrait donc, pour que la comparaison prenne

sérieusement en compte l’épaisseurhistorique, pouvoir réfléchir à la fois à l’histoire des institutions

carcérales dans lesquelles je réalise mes terrains, mais également aux transformations du champ

29

Voir tout particulièrement la thèse de Mathilde Darley (Darley, 2008) qui propose une réflexion sur le traitement de l’immigration en s’intéressant aux pratiques d’accueil, d’enfermement et de sélection des étrangers en situation irrégulière entre Autriche et République Tchèque et jongle habilement entre les niveaux micro, méso, et macro-sociaux.

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psychiatrique dans les deux pays au cours du siècle dernier pour comprendre comment les héritages historiques particuliers (le IIIème Reich, la division puis la réunification allemande, la (dé)colonisation, les migrations internationales) ont pu venir modifier les politiques pénales et pénitentiaires, et s’inscrire dans le fonctionnement des établissements pénitentiaires. Il faut pouvoir saisir les transformations du champ psychiatrique sur le long cours, s’intéresser aux rapports entre psychiatrie et prison en France et en Allemagne, mais aussi aux effets de l’aggiornamento psychiatrique des années _^-t^ chez les psychiatres allemands et français. Il faut réfléchir à l’histoire des professions qui composent ce champ de part et d’autre du Rhin, au développement d’une discipline « criminologique » dans les deux pays. Il faut également prendre en considération les éventuels transferts de savoirs entre les institutions, les politiques et les pratiques professionnelles des deux pays, éventuellement organisés à un niveau supranational, européen ou international (Hassenteufel, "^^s) et ce depuis le dix-neuvième siècle, période de réflexion sur le système carcéral et ses liens avec le système psychiatrique.

Du côté de l’épaisseur sociale, il faudrait être attentif à la formation de tous les acteurs

professionnels, se rappeler que « les catégories linguistiques apparemment équivalentes ne désignent pas les mêmes phénomènes » (Vassy, "^^%). Il faut s’intéresser aux formations initiales, continues, aux possibilités de carrière, au recrutement social de chacun de ces groupes, qui conditionnent fortement les pratiques professionnelles que j’observe. Il faut réfléchir aux hiérarchies institutionnelles, aux découpages professionnels : ainsi, la hiérarchie hospitalière est distincte de la hiérarchie pénitentiaire en France, ce qui a des implications économiques, professionnelles et symboliques ; ainsi, les établissements pénitentiaires allemands recrutent nombre de psychologues à des postes divers et variés alors que les établissements français disposent.

En ce qui concerne les échelles de l’analyse, il faudrait pouvoir prendre en compte l’impact des règlementations, directives et instances de contrôle européennes et internationales sur le débat national et sur les pratiques locales. Il faudrait retracer l’histoire des débats nationaux autour de la

question carcérale. Il faudrait réfléchir aux traditions régionales (le Land de Grünstadt a une

politique pénitentiaire plus « progressiste » que d’autres Länder allemands). Il faut par ailleurs avoir

une compréhension fine de l’écologie locale dans laquelle s’inscrivent les établissements observés, de leurs règles spécifiques ; de la configuration locale du dispositif institutionnel ; mais aussi des façons de faire locales. Il faudrait enfin s’intéresser au rôle spécifique de certains individus, notamment les chefs des services psychiatriques pénitentiaires, qui participent à la recherche scientifique et au débat d’idées et ont donc dans une certaine mesure des ressources pour participer aux débats nationaux ou supranationaux.

On comprend dès lors à quel point il est difficile de mener une comparaison qui satisfasse aux exigences de l’exercice. Le chercheur·euse peut s’appuyer sur les travaux déjà réalisés dans ces différents champs de recherche, mais ils n’ont malheureusement pas toujours fait l’objet d’un défrichage systématique. Pour mener la comparaison à bien, il faudrait donc une équipe collective de recherche ou des années entières d’immersion dans chacune des sociétés considérées. En somme, « comparaison n’est pas raison » (Schultheis, $qrq), et il faut dès lors justifier le choix de s’engager

- _s - dans cette démarche comparative, mais également expliciter les choix de construction de cette comparaison, et en cerner les limites.

2.

Comparer : pourquoi et comment ?

La méthode ethnographique, itinérante et inductive, s’accommode mal d’une comparaison terme à terme. La comparaison est donc plutôt un outil méthodologique visant à faire travailler les préconceptions du chercheur·euse. Elle tend un bout de miroir qui permet d’éclairer les zones d’ombre des sociétés comparées.

a) Prendre du recul

La recherche présentée ici n’est pas à proprement parler une comparaison, car, formée en France, je ne peux « traiter de manière symétrique les deux côtés, ne serait-ce qu'en raison de (ma) propre insertion dans la société française ». Or comme l’expliquent Michael Werner et Bénédicte Zimmermann ("^^g), « il serait vain et naïf de chercher à se défaire, une fois pour toutes, de ce problème constitutif de toute enquête scientifique ». Cette recherche part d’un questionnement français (il s’agit de comprendre comment, en France, le problème des troubles mentaux en milieu carcéral, qui a gagné en visibilité ces dernières années, est pris en charge), mais propose un détour méthodologique par l’Allemagne pour voir comment une autre société appréhende ce même problème social. Les terrains réalisés en Allemagne me permettent donc de mettre en perspective la réalité française. Il s’agit en quelque sorte de m’extraire de l’ « inertie sociale rassurante et étouffante à la fois » de la société française (Spurk, "^^%, p.ts), c’est-à-dire de remettre en question ce qui pourrait apparaître comme des évidences de ce côté-ci du Rhin.

Point de recherche d’exotisme dans ce croisement, c’est plutôt la proximité apparente des deux systèmes pénaux qui explique l’intérêt de leur étude conjointe : « un droit pénal comparable, une politique pénale comparable, de grandes tendances de la criminalité et de l’inquiétude comparables », comme l’expliquent Axel Groenemeyer et Fabien Jobard qui dirigeaient à la fin des années "^^^ un programme de recherches comparatives sur la police, « la méthode comparative trouve avec la mise en perspective de la France et de l’Allemagne un sol assurément plus ferme. Et c’est bien précisément parce que ces macro-variables sont plus aisément circonscrites que les singularités nationales parfois considérables peuvent mieux faire ressortir leurs effets » (Groenemeyer, Jobard, "^^s, p."%_). En d’autres termes, c’est parce que les phénomènes de déviance et de criminalité sont appréhendés de façon similaire dans les deux pays, que le chercheur·euse peut s’attarder sur des différences plus particulières. L’intérêt de la comparaison franco-allemande réside donc moins dans le contraste flagrant entre les deux sociétés que dans leur proximité : il est dès lors d’autant plus intéressant de chercher à comprendre pourquoi face à certains phénomènes, comme par exemple les troubles mentaux en milieu carcéral, les pratiques peuvent différer.

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Cependant, contrairement aux travaux portant sur l’État-providence, qui peuvent s’appuyer, pour les commenter, les affiner ou les critiquer, sur des typologies préconstruites comme celle d’Esta

Gosping-Andersen30 et utiliser ces types pour réfléchir aux systèmes scolaires, aux marchés du

travail, aux droits sociaux31, les chercheurs·euses travaillant de façon comparative sur l’État pénal ne

disposent pas de modèles et s’aventurent donc dans un domaine encore peu défriché32. Comme

l’explique Grégory Salle, le chercheur·euse avance sans « patron défini » et doit donc s’appuyer sur le matériau empirique pour « privilégier les prises offertes par la spécificité des expériences […] nationales » (Salle, "^^q, p.$r). Le matériau empirique rassemblé ici n’est pas un matériau d’archives33, mais des notes d’observations, des entretiens – et tous les documents recueillis sur les différents terrains d’enquête. C’est ce matériau qui m’a permis de construire la comparaison.

b) Partir des données empiriques

Ne pouvant m’appuyer sur des modèles synthétiques déjà constitués ou sur une littérature

secondaire qualitative sur le cas allemand34, j’ai choisi de mettre en œuvre une méthode

ethnographique, afin de comprendre comment s’organisait la prise en charge des troubles mentaux en milieu carcéral. À la façon d’un kaléidoscope, cette méthode a l’inconvénient de complexifier, au moins dans un premier temps, la lecture du réel : en effet, l’ethnographe observe des interactions,

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