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CIRCONSCRIRE LES LIMITES DU TERRAIN

Dans le document Quand la prison prend soin (Page 36-63)

INTRODUCTION DE LA PARTIE

CHAPITRE 1 : MÉTHODOLOGIE DE L’ENQUÊTE

I. CIRCONSCRIRE LES LIMITES DU TERRAIN

de déplacer mon attention pour prendre en compte la place et le rôle joués par les professionnels en

santé mentale dans les établissements pénitentiaires de Grünstadt et de Tourion1.

I. CIRCONSCRIRE LES LIMITES DU TERRAIN

La négociation des terrains de recherche est souvent un moment particulièrement révélateur des relations existant au sein de l’univers que l’on souhaite étudier, relations faites d’alliances, de coopérations pacifiques mais également de conflits plus ou moins visibles. Une fois identifiées, ces configurations pèsent encore sur la réalisation des terrains et sur les relations d’enquête qui s’y nouent.

1.

Quand les épreuves ethnographiques révèlent la topographie du terrain

Les difficultés rencontrées pour mettre en place des terrains d’enquête dans les services psychiatriques des prisons de Grünstadt et Tourion ont permis de réaliser l’inscription particulière des services psychiatriques dans l’économie des relations intra-carcérales.

a) La prison : une institution hétérogène

Même si les travaux sociologiques ont montré la diversité des formes et la pluralité des

espaces que comprend la prison2, celle-ci constitue au même titre que l’école ou l’hôpital, une

institution singulière, reconnaissable entre toutes, dont la fonction sociale spécifique serait

d’héberger des personnes détenues sous main de justice. Une institution au singulier aussi, la prison,

que l’imaginaire collectif se représente comme un espace homogène, fait de cellules, de coursives, de cours et de bâtiments. À l’heure de négocier mes premiers terrains en France et en Allemagne, je me tourne donc vers le ministère de la justice (la direction de l’administration pénitentiaire en France et la Senatsverwaltung für Justiz en Allemagne) pour obtenir l’autorisation d’enquêter en milieu carcéral. Projet de thèse et lettre de soutien de mon directeur de thèse et d’un professeur allemand de criminologie (Frieder Dünckel, Université de Greifswald) à l’appui, j’obtiens rapidement ce sésame qui m’ouvrira, je l’espère, toutes les portes des établissements pénitentiaires de Tourion et de

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Pour respecter l’anonymat des personnes rencontrées, les noms des lieux et des personnes ont été modifiés. Pour ces dernières, des prénoms et·ou patronymes de substitution ont été inventés. La façon de désigner les personnes (par leur prénom « Uwe », leur nom « Herbert Rainer », ou bien encore leur titre « Professeur Jeunet ») correspond à la façon dont ces personnes sont généralement désignées sur le terrain. Ainsi, par exemple, les infirmier·e·s et surveillant·e·s n’indiquent jamais leur nom de famille dans leur quotidien de travail.

2

Voir par exemple la thèse de géographie d’Olivier Milhaud, qui étudie avec minutie la segmentation spatiale de l’espace carcéral. (Milhaud, 2009).

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Grünstadt. Arrivée en septembre "^$^ dans l’ancienne prison de Grünstadt, novembre "^$^ pour la prison pour femmes de Grünstadt et mars "^$$ pour la prison moderne de Tourion, je négocie avec chaque direction le déroulement concret de mes enquêtes et obtiens partout un accès quotidien aux

établissements pénitentiaires, pour des durées variables3. Cependant, une fois dedans, les terrains ne

sont pas encore acquis, pour des raisons qui renvoient aux contraintes de l’observation ethnographique d’une part, à l’hétérogénéité de l’espace carcéral d’autre part.

Tableau E Durée des terrains « pénitentiaires »

Période Lieu

2010

Septembre à mi-novembre

Grünstadt Prison pour hommes

2010

Mi-novembre à mi-décembre

Grünstadt Prison pour femmes

2011 Mai à août

Tourion Prison moderne

Comme le rappellent tous les manuels de méthode sociologique4, l’intérêt de l’enquête

ethnographique réside dans l’observation d’actions, de pratiques, qui pourraient difficilement être saisies par entretien, soit parce qu’elles seraient perçues par les enquêtés comme trop banales, trop évidentes pour être racontées ou au contraire trop peu légitimes et donc occultées dans le discours (Schwartz, cité par Arborio et al. "^^r). Pour pouvoir examiner ces actions et accéder autant que possible au sens que les personnes leur donnent en pratique par des échanges informels et·ou des

entretiens ethnographiques, l’enquêteur doit cependant obtenir la confiance, ou a minima, l’accord

des personnes qu’il souhaite observer. Comme l’ont bien montré des enquêtes désormais classiques, cet accord se gagne progressivement, doit être consolidé par un engagement de l’ethnographe sur

son terrain, et reste toujours fragile. Ainsi William Foot Whyte revient dans la postface de Street

Corner Society sur ses multiples tentatives infructueuses pour entrer en contact avec la population du quartier de Boston qu’il souhaite observer (Whyte, "^^" [$qg%]) ; Philippe Bourgois décrit la façon dont les rues se vident sous ses yeux au début de son enquête sur East Harlem, alors que les revendeurs de crack, en majorité d’origine portoricaine, associent ce blanc à un policier en civil. (Bourgois, "^^$ [$qq_], p._"). Comme Jean Peneff à l’hôpital, je constate en prison que si l’accès à l’institution est garanti par l’autorisation administrative, l’accès à ses agents est l’objet de négociations multiples et sans cesse renouvelées (Peneff, $qq", pp."gg-"gt).

À Grünstadt comme à Tourion, je vais donc frapper à la porte des différents bureaux, me présente et obtiens fréquemment l’autorisation d’accompagner les professionnel·le·s qui se trouvent

3

L’annexe 2 donne le détail des terrains réalisés (journées et lieux d’observation, entretiens enregistrés ou non).

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Voir par exemple : Arborio, Fournier et de Singly, 2008 ; Beaud et Weber, 2000 ; Becker, 2002 ; Olivier de Sardan, 2008 ; Peneff, 2009.

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là dans leurs activités (parfois pour un bref moment5, parfois pour plusieurs journées consécutives6).

Je me présente toujours comme une étudiante en sociologie, et demande souvent à mes enquêtés de me montrer leur travail comme ils l’expliqueraient à une stagiaire. Lors de la rencontre, la position et les dispositions sociales des personnes rencontrées sont déterminantes : ainsi, Herbert Rainer, le Gruppenleiter7 qui deviendra mon informateur privilégié dans la prison pour hommes de Grünstadt a un cursus atypique et son autodidaxie le place dans une position marginale par rapport à ses collègues. Le fait d’accueillir une étudiante française intéressée par son expérience et par son parcours peut avoir un effet de revalorisation de son travail. De même, Kirstin Segelke, qui m’accueille et accompagne ma progression dans la prison pour femmes de Grünstadt se trouve dans une situation paradoxale : plus âgée que ses collègues, elle a cependant une expérience professionnelle assez courte (car elle s’est arrêtée pendant dix années pour élever ses enfants) mais tente de faire reconnaître l’expérience personnelle accumulée au cours de ces années en tant que mère de famille et dans la vie associative. Du même âge environ que ses jeunes collègues, je lui donne l’occasion de jouer le rôle de formatrice. Si Udo, infirmier de l’APP, m’explique avec tant de patience le fonctionnement des logiciels de l’unité c’est sans doute parce qu’il en maîtrise plus que ses collègues les subtilités, du fait de son ancienneté dans le service et qu’il est peut-être heureux de rencontrer quelqu’un qui s’intéresse à ses compétences. De même, si Alexis, surveillant du bureau de gestion de la détention, accepte de me confier ses doutes professionnels, c’est peut-être parce qu’ils sont en dissonance avec ceux de ses collègues. Dans tous les cas, le temps accordé, les informations données, les connaissances partagées, les confidences révélées ou les opinions dévoilées ne le sont évidemment jamais de façon complètement désintéressée. Ces dons appellent des contre-dons : une marque d’intérêt, de reconnaissance, d’attention, de réconfort ; des informations, une rétribution matérielle. La multiplication des points de vue dans les établissements observés a pour conséquence de multiplier aussi le nombre d’interlocuteurs rencontrés au cours de ces différents terrains de recherche, certains pour des durées très courtes, le temps d’un échange, d’une discussion informelle ou d’un entretien, d’autres pour la durée entière du terrain, quelques-uns enfin au-delà de l’enquête ethnographique. Ces rencontres façonnent l’enquête et le chercheur·euse doit admettre « n’avoir été qu’un hôte de passage au sein d’un monde dont il a saisi quelques parcelles, en fonction des périodes et des lieux de sa présence, des personnes croisées ou devenues ses intimes, des circonstances de ces rencontres, de ses propres intuitions et cadres de pensée. » (Bizeul, "^^r, p.$^g).

Observer une prison, c’est donc observer une multitude d’espaces contrôlés par des personnes qui réagissent différemment aux demandes de l’ethnographe. Il s’agit donc, dans chacun

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À Tourion, j’accompagne ainsi une demi-douzaine de conseiller·e·s d’insertion et de probation en « entretien arrivants » (il s’agit d’un entretien avec les personnes qui viennent d’être incarcérées). Je passe donc 6 matinées avec 6 conseiller·e·s différents, qui se concluent chaque fois par un entretien informel plus ou moins approfondi. Je retrouve ces conseiller·e·s à diverses occasions, en commission d’application des peines, en commission pluridisciplinaire unique ou bien dans les coursives de l’établissement.

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Ainsi, dans la prison pour femmes de Grünstadt, je passe environ une semaine auprès de Kirstin S., travailleuse sociale (Gruppenleiter), que j’accompagne en entretien, en réunion, en pause cigarette ou déjeuner et que j’observe également souvent face à son ordinateur.

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Le Gruppenleiter, littéralement « chef de groupe », est un agent pénitentiaire chargé de l’accompagnement socio-éducatif des personnes détenues. Son bureau est placé au sein de la coursive dont il a la charge. Le Gruppenleiter, à proximité immédiate des cellules, est également responsable des surveillants d’étage (les Gruppenbetreuer), voir le lexique.

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de ces espaces, d’identifier intuitivement celle ou celui qui donnera tacitement ou explicitement le droit d’être là, et donc la possibilité d’observer les pratiques, interactions et discours qui s’y déroulent, mais également de saisir les opportunités : accompagner un surveillant qui va annoncer sa levée d’écrou à une personne en hospitalisation d’office qui a été jugée irresponsable ; accompagner

un travailleur social (Gruppenleiter) de Grünstadt dans un cours qu’il donne aux surveillants

(Gruppenbetreuer) stagiaires sur les pronostics criminologiques (kriminologische Prognose) ou un psychologue de Tourion qui prépare les surveillants de la nouvelle prison à travailler au service psychiatrique.

b) Une sociologue critique ou une criminologue institutionnelle ?

Néanmoins, les conditions d’accueil sont très différentes en France et en Allemagne. Dans la prison pour hommes de Grünstadt, je peux planifier ma progression depuis le bureau que la

direction m’a attribué, au rez-de-chaussée de l’un des bâtiments Teilanstalt. J’y dispose d’un

ordinateur, d’une imprimante, d’un téléphone et ce lieu de repli me permet de rédiger au calme mes notes de terrain ou d’analyser les dossiers que me remettent mes enquêtés. Dans la prison pour femmes de Grünstadt, c’est le bureau de mon informatrice privilégiée, Kirstin Segelke, qui me sert de zone de repli. Dans les deux établissements, je prévois les séances d’observation à l’avance, en prenant rendez-vous avec les professionnel·le·s que j’accompagnerai : au total je réalise toutes les observations aux côtés d’une quinzaine de chef·fe·s de groupe, que j’accompagne pour des durées variables (d’une demi-journée à une semaine), en différents moments (entretiens avec des personnes détenues, commissions des peines, réunions plus ou moins formelles avec leurs collègues) et avec lesquels je réalise des entretiens ethnographiques. Au contraire, dans la prison moderne de Tourion, je n’ai pas d’espace propre à l’intérieur de l’établissement où planifier la suite de mes observations et je suis donc sur le qui-vive au sein de la prison : dès qu’une interaction se termine ou que je sors d’un bureau, il faut prévoir le prochain mouvement – ou sortir de l’établissement pour rejoindre ma voiture, transformée en quartier général.

Ces différences d’accueil peuvent être analysées à l’aune des rapports qu’entretiennent sciences sociales et univers pénitentiaire : en Allemagne, je suis considérée comme une criminologue, et on attend de mon travail qu’il aide l’institution à se réformer. Pour mes enquêtés, je travaille donc pour l’institution – dans la prison pour femmes, je suis présentée comme une

« assistante de recherche » (Forschungsassistentin), et suis accueillie comme le serait un contrôleur

de gestion dans une entreprise. En France, au contraire, l’accueil sur le terrain témoigne de la méfiance réciproque de l’institution carcérale et des sciences sociales, perçues comme produisant un discours critique sur l’institution carcérale. Je ne fais pas partie de l’institution, qui tolère simplement ma présence, validée par l’administration centrale. La progression sur le terrain est donc plus dépendante de la capacité du chercheur·euse à entrer en relation avec les enquêtés.

- %t - Cet accueil a des conséquences directes sur les relations d’enquête : à Grünstadt, les alliances se nouent sans même que j’aie conscience d’avoir réalisé un effort particulier, comme si mes informateurs privilégiés m’avaient choisie autant que je les avais choisis. Dans la prison pour hommes, Herbert Rainer m’accueille dans son bureau, vient me chercher régulièrement pour déjeuner ou m’inclut dans les moments de détente informels avec ses collègues les plus proches pour un café et répond inlassablement aux questions que je lui pose, même quand sa journée de travail est

terminée. Il me considère comme sa stagiaire (Hospitantin). Dans la prison pour femmes, c’est

Kirstin Segelke qui joue ce rôle, et qui s’inquiète par exemple un matin alors qu’elle arrive plus tard

qu’à l’accoutumée de ne pas voir mon manteau accroché dans son bureau8. C’est avec elle que je

discute de l’opportunité d’accompagner les psychologues de l’établissement ou de rencontrer d’autres professionnel·le·s, c’est souvent auprès d’elle que j’assiste aux réunions pluridisciplinaires. La petite taille de l’établissement me permet de rapidement être connue de toute l’équipe, mais je continue tout au long de mon terrain à informer Kirstin du programme de mes journées.

La situation est plus complexe à Tourion. En effet, pendant les premiers mois de terrain, je ne parviens pas à stabiliser ma présence. Je fixe des rendez-vous, planifie mes journées, organise des entretiens avec les personnes détenues, mais j’ai l’impression de ne jamais pouvoir savoir à quoi m’attendre lorsque j’entre en prison le matin. Je repère donc les bureaux « accueillants », les surveillants disposés à me montrer et·ou à me parler de leur travail, puis à aller chercher les personnes détenues que je rencontrerai en entretien, sous réserve de pouvoir utiliser un bureau libre. À ces surveillants, je rends visite plusieurs fois, le temps d’une conversation, d’un café, ou pour consulter quelques documents. À certains endroits, l’accueil est froid, le discours devient lapidaire, et quelquefois hostile :

Je passe trente minutes avec les surveillants du quartier disciplinaire de la prison moderne de Tourion, qui m’accueillent avec une certaine réticence, en s’étonnant que je puisse circuler si facilement dans les espaces les plus reculés de l’établissement. Alors que la discussion s’enclenche difficilement, ils expriment leur mécontentement à propos des transformations de la prison : « Tout a changé depuis que tout le monde peut venir fourrer son nez ici ». Je comprends que ma présence n’est pas souhaitée (les surveillants me demandent ainsi, « pour des raisons de sécurité », de rester dans le bureau lorsqu’ils vont chercher un détenu du quartier d’isolement pour sa promenade). Je quitte donc les lieux que je souhaitais observer parce qu’ils constituaient selon plusieurs interlocuteurs un des espaces dans lesquels on plaçait les personnes en attente d’une hospitalisation d’office. Je n’y reviendrai qu’en compagnie d’un directeur pour observer une commission de discipline puis seule, mais pour réaliser un entretien avec une personne détenue.

Journal de terrain, "s juillet "^$$

Si ces premiers mois de terrain me permettent de découvrir l’établissement sous différents angles et de faire feu de tout bois, elles me laissent aussi un sentiment d’anomie. La progression dans

ces différents espaces, bien que soumise à de nouvelles négociations, est cependant facilitée9 par

8

Elle appelle plusieurs collègues pour être sûre que je suis bien dans l’établissement.

9

Ce qui ne signifie évidemment pas que j’ai eu accès à tout : je ne suis, par exemple, pas en prison la nuit, et dans certains espaces, ma présence ponctuelle ne me permet pas de juger de l’authenticité de ce que j’ai observé : les personnes que j’observe ont en effet, comme moi, la possibilité de jouer ou surjouer certains rôles ou de déjouer mes attentes en dissimulant certaines pratiques ou certains discours. Je n’ai, par exemple, pas été témoin de violences physiques illégales, qui ont pourtant cours dans certains établissements.

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l’entregent local que j’acquiers au fur et à mesure des terrains sauf dans deux espaces : les services de soins psychiatriques de Grünstadt et de Tourion.

c) Services psychiatriques : zone protégée, défense d’entrer

À Grünstadt comme à Tourion, les premiers contacts avec les services psychiatriques sont difficiles. Je comprends rapidement que la difficulté à obtenir un accès à ces espaces témoigne de la position d’autonomie que ces services tentent de défendre.

À Grünstadt, après plusieurs relances par mail, j’obtiens enfin un rendez-vous avec la médecin-chef de service de psychiatrie de l’hôpital pénitentiaire, service sécurisé par l’administration pénitentiaire et chargé de l’hospitalisation temporaire des personnes détenues en état de crise psychiatrique. En fait de rendez-vous, elle me propose, dans un mail très sec et lapidaire, de visiter le service mais indique qu’elle ne répondra pas à mes éventuelles questions. C’est effectivement ce qui se passe : au pas de charge, elle me montre des chambres d’hospitalisation, les salles d’activité (ergothérapie, musicothérapie, etc.), précise la composition du service (le nombre de soignants) et l’emploi du temps des reclus. Elle ignore mes questions et me ramène à l’entrée au bout de $s minutes. Je ressors dans la neige, stupéfaite par l’interaction qui vient de se jouer, d’autant plus que je n’ai pas anticipé ce refus violent.

Journal de terrain, "% novembre "^$^)

À Tourion, le dispositif est éclaté sur plusieurs établissements. Mes autorisations d’accès me permettent, dans la prison moderne, d’accéder à l’unité psychiatrique ambulatoire, dans laquelle je réalise un entretien avec la surveillante en poste. Mais alors que je souhaite présenter mon travail aux soignants de l’unité, une psychiatre m’interpelle avec une méfiance hostile « mais que faites-vous là ? » et, face à mes explications embarrassées, refuse de me rencontrer en entretien et me demande d’obtenir l’accord formel du chef de service. Je parviens, par l’entremise d’un psychologue rencontré lors d’une visite de l’ancienne prison et qui m’a accordé un long entretien, à participer à une matinée de formation de surveillants amenés à travailler dans la prison ultra-moderne. Je retrouve la psychiatre qui co-animait la matinée avec lui un matin à la porte de la prison de Tourion, elle m’invite à participer à une réunion de formation psychanalytique organisée dans le service. J’espère de fil en aiguille pouvoir enquêter enfin dans le service psychiatrique. Mais de mai à août "^$$, je n’accède à rien de plus du côté des services psychiatriques.

Dans les deux pays, j’ai évidemment déjà écrit aux chefs de service mais sans succès. Mes demandes de rendez-vous n’aboutissent pas, et m’obligent à réviser mon approche. Puisque la stratégie de l’implantation locale ne fonctionne pas, je joue la carte de la réputation académique : à Tourion, j’utilise les quelques contacts providentiels de mon laboratoire de recherche parisien, je rencontre après quelques semaines le chef de pôle de l’hôpital en charge de la médecine

pénitentiaire10, puis, enfin, début août le chef de service de psychiatrie, qui, après vingt minutes

d’entretien et quelques réserves sur la méthode ethnographique, m’autorise à rencontrer l’équipe « d’abord pour des entretiens, et puis, si ça se passe bien, pour des observations ». À Grünstadt, je

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Depuis le milieu des années 1980 pour la psychiatrie et depuis 1994 pour la médecine somatique, les services en milieu pénitentiaire sont en effet rattachés au service public hospitalier.

- %q - reviens à la charge deux ans après mon premier terrain ("^$"), et mobilise les entretiens réalisés en France comme un indice de mon sérieux académique : si le professeur Jeunet m’a autorisée à enquêter dans son service, c’est bien la preuve que mon travail mérite d’être soutenu ! Le professeur Köttler accède à son tour à ma demande : je réalise enfin une semaine d’observation dans le service psychiatrique de Grünstadt. C’est encore la carte académique qui me permettra d’observer, pendant

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