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2.4 L'ethnométhodologie : une sociologie nouvelle fondée sur les individus en interaction

2.4.4 La méthodologie de recherche de l'AC

2.4.4.6 Les continuateurs

Schegloff (1982) étudie l'emploi d'éléments tels que uh huh, yeh ou right, connus dans des

études sociolinguistiques sous les appellations "particules de feed-back", "gambits",

"lubrifiants discursifs", "phatiques", "marques d'écoute" ou "régulateurs". Un tel élément

forme souvent une intervention tout seul, mais certains chercheurs ne considèrent pas ces

interventions comme des tours de parole proprement dits.

Dans son étude de ces éléments, Schegloff (1982) rapporte les fonctions que d'autres

chercheurs leur ont attribuées. Par exemple, on dit que ces éléments de la part d'un

interlocuteur montrent sa participation active ou signalent son attention. Schegloff souligne

que ces interprétations n'expliquent pas pourquoi l'attention doit être montrée ni pourquoi

d'autres signes tels que le regard ou des hochements de tête ne suffisent pas. Même si on

admet que l'attention doit être signalée, Schegloff fait remarquer que tout discours montre

une orientation vers le discours d'un autre, alors il pose la question de savoir ce qui distingue

ces éléments d'autres énoncés.

Il est important, autant pour ces éléments que pour d'autres éléments, d'étudier le rôle qu'ils

jouent dans une conversation particulière. Schegloff remarque que dans certaines

conversations, il semble bien que ces éléments marquent l'intérêt et/ou la compréhension de

l'interlocuteur, comme dans l'exemple qui suit, cité dans l'article de Schegloff :

(20)

Bee: hh This feller I have- (iv-) "felluh"; this ma:n. (0.2) t! hhh He ha::(s)- uff-eh-who-who I have fer Linguistics is really too much, hh h=

Ava: Mm hm Mm hm

Schegloff propose que ces éléments aient une fonction plus précise. Il postule qu'ils signalent

une compréhension de la part du locuteur qui les émet que son interlocuteur est en train de

produire une "unité de discours" plus longue qu'une UCT. Le locuteur qui dit uh huh ou

mm-hm montre qu'il laisse la parole à l'autre afin que ce dernier termine cette unité de discours.

C'est pourquoi ces éléments s'appellent des continuateurs (continuers).

Il existe des UCT qui signalent la prolongation d'une unité de discours, comme une préface

de narration, ou un pre-pre (Schegloff 1980), par exemple "Est-ce que je peux vous

demander quelque chose ?". Le locuteur fait comprendre à son interlocuteur qu'il aimerait

accomplir une certaine tâche (raconter une histoire, poser une question) et ce signal fait partie

de la négociation de la situation entre participants. Dans l'exemple qui suit (issu de Schegloff

1982), la locutrice B utilise le pre-pre "let me ask you this" pour négocier la prolongation de

son tour pour la narration qui précède la question qu'elle veut poser. Les "uh uh" "yup"

"right" et "mm hm" du locuteur A témoignent de sa compréhension du besoin de la locutrice

B de garder la parole jusqu'à ce qu'elle ait posé sa question.

(21)

1 B: Now listen, Mister Crandell, let me ask you this. 2 A cab. You're standing onna corner. I heardjuh 3 talking to a cab driver.

4 A: Uh::uh

5 B: Uh was it- uh was a cab driver, wasn' i'? 6 A: Yup.

7 B: Now, yer standing onna corner,

8 A: Mm hm,

9 B: I live up here in Queens,

10 A: Mm hm,

11 B: Near Queens Boulevard,

12 A : Mm hm,

13 B: I'm standing on the corner of Queens Boulevard a::nd 14 uh::m ( ) Street.

15 A: Right?

16 B: Uh, I- a cab comes along, an' I wave my arm, “Okay,

17 I wancha I wancha.” You know,

18 A: Mm hm,

19 B: Uh::m, I'm waving my arm now. Here in my living room. 20 hhhh!

21 A: heh heh!

22 B: A:nd uh, he just goes right on by me.

23 A: Mm hm,

24 B: A::nd uh-two::, three:, (.) about three blocks, 25 beyond me, where- in the direction I'm going, there

26 is a cab stand.

27 A: Mm hm,

28 B: Uh-there is a hospital, (0.?) uh, a block (0.?) up, 29 and there is a subway station, right there.

30 A: Mm hm.

31 B: Uh now I could've walked, the three or four blocks,

32 to that cab stand,

33 A: Mm hm,

34 B: Bud I, had come out-of where I was, right there

35 on the corner.

36 A: Right?

37 B: Now is he not suppose' tuh stop fuh me? 38 A: If he is on duty.

Dès que la question annoncée est posée par B, A se permet (et se trouve plus ou moins

obligé) de produire une UCT qui est plus qu'un continuateur.

Lorsqu'un locuteur ne reconnaît pas la fin d'une telle unité prolongée, et que par conséquent il

continue de produire des continuateurs, on observe une certaine perturbation dans la

conversation. Le locuteur en face doit lui faire comprendre que cette unité est terminée et

qu'une autre réaction est attendue de sa part, comme dans l'exemple suivant (issu également

de Schegloff 1982). Il s'agit d'une émission de radio, où les auditeurs peuvent appeler pour

partager leurs problèmes en tant que consommateurs. Le locuteur A est le présentateur de

l'émission et le locuteur B est un auditeur qui appelle.

(22)

1 B: This is in reference to a call, that was made about a

2 month ago.

3 A: Yessir?

4 B: A woman called, uh sayin she uh signed a contract for 5 huh son who is- who was a minuh.

6 A: Mm hm,

7 B: And she claims inna contract, there were things given 8 and then taken away, in small writing.

9 ((pause))

10 A: Mm hm

11 B: Uh, now meanwhile, about a month ehh no about two weeks 12 before she made the call I read in, I read or either

13 heard-uh I either read or hoid onna television, where 14 the judge hadda case like this.

15 A: Mhhm,

16 B: And he got disgusted an' he says ‘I' – he's sick of these 17 cases where they give things in big writing, an' take 18 ‘em, and take ‘em away in small writing.

19 A: Mhhm,

20 B: An' ‘e claimed the contract valid. 21 A: Mhhm,

22 B: Uh what I mean is it c'd help this woman that called. 23 You know uh, that's the reason I called.

Dans cet exemple, A ne semble pas avoir compris the point of the story

16

. Il émet un

continuateur à la ligne 21, alors que B semble avoir conclu son histoire à la ligne 20. À la

ligne 22, "uh what I mean is" signale clairement que B se rend compte que A s'attend à ce

qu'il continue à raconter son histoire. Il souligne donc le point of the story "it c'd help this

woman that called". Il souligne non seulement ce qu'est le point of the story mais encore le

fait que c'est le point of the story "that's the reason I called".

Schegloff propose une deuxième fonction de ces éléments, celle de refuser la possibilité de

déclencher une réparation (repair). Si un locuteur émet un continuateur, il signale à son

interlocuteur non seulement qu'il reconnaît qu'il y aura une prolongation du tour en cours,

mais aussi qu'il croit avoir compris le tour jusque-là. Un tel élément signale un renoncement

local du droit de demander une confirmation du sens du tour précédent. Cela ne l'empêche

pas de déclencher une réparation plus loin, s'il se rend compte qu'il n'avait pas bien compris

ce qu'il avait cru comprendre.

Ces deux fonctions exposent l'aspect co-constructif de la conversation, c'est-à-dire la manière

dont son développement est négocié entre participants. Il y a une coordination continuelle

entre les participants en ce qui concerne la prise de parole, l'alternance des tours et l'évolution

de la compréhension.

Quant au statut de ces éléments par rapport au système d'alternance des tours, Schegloff

considère qu'il n'est pas possible de généraliser. Il trouve qu'il faut analyser chaque instance

d'un tel élément pour décider si le uh huh ou mm hm en question forme un tour pour les

participants à la conversation.

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