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Contenu et portée du principe de la souveraineté constituante du peuple

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 103-108)

C HAPITRE PREMIER : L’ INTERNATIONALISATION DE LA DEVOLUTION DU POUVOIR CONSTITUANT

A. Contenu et portée du principe de la souveraineté constituante du peuple

Le principe de la souveraineté constituante du peuple connaît dans le droit moderne une consécration générale et absolue exprimée à la fois dans le droit constitutionnel, c'est-à-dire au sein des ordres juridiques internes, et dans le droit international. Au niveau des ordres juridiques internes, c’est à partir des révolutions américaine et française qu’il prend progressivement place dans le droit constitutionnel. Adossé aux idées modernes replaçant la liberté individuelle au centre de la gestion de la société, et reposant sur les idées rousseauistes du pacte social, il signifie simplement que toute loi, et à fortiori la norme fondamentale, ne peut trouver son existence que dans le peuple204. En réalité, c’est le passage de la souveraineté monarchique à la souveraineté du peuple qui va favoriser l’émergence du principe de sa souveraineté constituante du peuple205. Ce dernier étant souverain, l’ensemble de l’ordonnancement juridique ne peut être mis en œuvre qu’autant qu’il y consent.

Comme l’affirme Böckenforde, rapporté par Claude Klein, « le concept de pouvoir constituant est d’après son origine aussi bien que son contenu un concept démocratique et révolutionnaire qui n’a sa place que dans le seul cadre d’une théorie constitutionnelle démocratique… »206. Autrement dit, on ne peut valablement envisager une constitution dont l’origine ne serait pas populaire, un tel acte ne peut revêtir la qualité de Constitution du fait de l’absence de participation du peuple à sa mise en œuvre. Or, la théorie constitutionnelle a également mis en lumière l’impossibilité pratique pour le peuple d’exercer lui-même les compétences attachées à son caractère souverain, du moins de manière permanente. Ainsi donc, le peuple ne peut exercer ses devoirs souverains que de manière ponctuelle ou par le truchement de ses représentants, issus de sa désignation souveraine.

204Encore que sur ce point, il semble qu’il existe des différences fondamentales dans la conception de ce qu’il faut entendre par « peuple ». Par exemple, on connaît l’opposition théorique entre Rousseau et Montesquieu sur la notion de peuple. Alors que le premier n’envisage le peuple que comme l’ensemble des citoyens, le second donne à la notion de peuple juridique uniquement le sens de la représentation. Autrement dit, lorsque l’on envisage l’idée que la Constitution émane du peuple, on entend par là soit qu’elle est l’acte du peuple tout entier, soit qu’elle est l’acte des représentants du peuple. Voir sur cette question BORELLA (F.), Eléments de droit constitutionnel, op cit., p. 164- 173.

205MARTI (G.), ibid.

206KLEIN (C.), Théorie et pratique du pouvoir constituant, op. cit., p. 3.

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S’agissant plus particulièrement de la fonction d’élaborer la Constitution, elle doit être l’œuvre d’un corps spécialisé, généralement appelée Assemblée constituante, disposant soit d’un pouvoir de l’adopter au nom du peuple, soit simplement de lui soumettre un projet que lui-même adoptera dans le cadre d’un référendum constituant. Mais dans tous les cas, l’organe chargé d’élaborer la constitution doit toujours tirer sa légitimité d’une décision du peuple. De manière pratique, et avec l’émergence de la notion de démocratie, cette nécessaire participation du peuple souverain est désormais conditionnée à la désignation élective de ses représentants. Autrement dit, le constitutionnalisme moderne fait correspondre la souveraineté du peuple à sa capacité à déterminer par le vote ses propres représentants qui par suite exercent la fonction constituante. Si le principe est désormais bien enraciné en droit constitutionnel, il l’est également en droit international, sur le fondement des règles de l’autonomie constitutionnelle et du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes consacrés par un certain nombre d’instruments juridiques notamment depuis les premières décolonisations issues de la fin de la première guerre mondiale. Après en avoir dégagé le contenu (1), nous exposerons sa portée en droit international pour établir son caractère fondamental (2).

1. Le contenu du principe de la souveraineté constituante du peuple.

Découlant de la norme générale de droit international public qui énonce que chaque peuple a le libre choix des règles fondamentales de son organisation politique207, c'est-à-dire l’autonomie constitutionnelle à laquelle l’internationalisation des constitutions constitue une atteinte certaine, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes est, avec l’égalité souveraine et la non-intervention, un des trois piliers sur lesquels repose ce dernier. Il est difficile de déterminer exactement le sens donné en droit international à ce principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Cette difficulté est liée principalement à l’absence de définition du terme peuple. En effet, on ne trouve nulle part en droit international une définition précise de ce que peut recouvrir la notion de peuple. Mais comme l’a dit Charles Chaumont, la notion de peuple renvoie en droit international à une réalité matérielle constatée d’abord politiquement et en tout état de cause, « sa qualification dans le seul domaine politique équivaut largement, en efficacité, à son insertion dans le système juridique »208. De sorte que dans certains cas, le peuple se confond avec la nation alors que dans d’autres il est une réalité dynamique bâtie sur la base ou autour des valeurs forgées dans et par la lutte, ainsi

207V. KAMTO (M.) « Constitution et principe de l’autonomie constitutionnelle », R.C.A.I.D.C., vol. 8, 2000, Tunis, Centre de publication universitaire, pp. 133- 138.

208CHAUMONT (C.), « Le droit des peuples à témoigner d’eux-mêmes », Annuaire du Tiers- monde, 1976- II, p.17.

que par une espérance commune209. D’où il découle que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes revêt en fait en droit international deux acceptions concurrentes et complémentaires mais qui demeurent toutes deux consacrées comme normes.

Tout d’abord, il signifie le droit qu’a chaque Etat, membre de la société internationale de déterminer librement son système politique, social, économique et culturel.

C’est cette acception qui a été consacrée par l’arrêt de la C.I.J. de 1986 dans l’affaire des activités militaires210, s’appuyant ainsi sur une ébauche posée par son avis consultatif de 1975 dans l’affaire du Sahara occidental211 dans lequel il déclarait qu’ « aucune règle du droit international n’exige que l’Etat ait une structure déterminée comme le prouve la diversité des structures étatiques qui existent actuellement dans le monde ». Selon monsieur Kamto, en adoptant une telle position, « la Cour entendait affirmer que le choix du système politique, qui se traduit généralement dans la loi fondamentale, donc la constitution, fait partie des matières qui relèvent de la compétence nationale ; il entre dans le domaine réservé de l’Etat et échappe par suite à l’ordre juridique international »212. Il semble donc que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes dans cette conception renvoie à l’idée d’une autonomie d’organisation de chaque Etat. Il tend surtout à prémunir les possibles ingérences des autres Etats dans les affaires d’un Etat donné et à affirmer le principe de non- intervention. Il n’est pas étonnant que de nombreux Etats, notamment ceux issus de la décolonisation, aient érigé cette notion en principe inaliénable du droit international. Comme le montre Jean- François Dobelle, « les Nations Unies ont largement privilégié le volet externe de la libre disposition des peuples par rapport à son volet interne. Et, [poursuit-il], ceci s’explique aisément par le souci des pays nouvellement indépendants de protéger leur structure étatique, une fois le droit à l’autodétermination réalisé. L’indépendance acquise, ce droit allait s’effacer devant d’autres

209Pour René- Jean DUPUY, « La notion de droit des peuples à disposer d’eux- mêmes en tant que norme d’émancipation révolutionnaire (…) prenait ses racines dans un lointain passé, notamment au XVIIIe siècle dans les écrits anticolonialistes, en particulier ceux de Jean- Jacques Rousseau qui postule un droit du peuple à sa libération que la Révolution française consacrera par un principe général qui dépassait le cas colonial pour s’appliquer à tous les peuples asservis, fût-ce même par leur propre gouvernement ». DUPUY (R.- J.),

« Evolution historique de la notion de droit des peuples à disposer d’eux-mêmes », in DUPUY (R.-J.), Dialectique du droit international, Paris, Pedone, 1999, p. 221.

210C.I.J., Activités militaires et paramilitaires sur le territoire et contre le territoire du Nicaragua, Rec. 1986, § 258.

211C.I.J., Sahara occidental, avis consultatif, Rec. 1975, p. 43.

212KAMTO (M.), « Constitution et principe de l’autonomie constitutionnelle », op. cit., p. 140.

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principes cardinaux du droit international, à savoir ceux de l’égalité souveraine des Etats et de la non-ingérence dans les affaires intérieures »213.

Mais le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes recouvre une autre acception qui n’est plus rattachée à l’Etat en tant qu’être juridique. Celle-ci, liée à la notion de peuple considéré comme entité socio-politique dotée de certains droits, renvoie plutôt à l’idée d’auto-affirmation. Et ici, ce droit dont disposerait le peuple lui permettrait, selon les termes utilisés par Charles Chaumont, de « s’annonce[r] comme une entité politique, sociale, économique et culturelle ; d’affirme[r] exister ; de témoigne[r] de lui-même »214. Selon cette seconde acception, le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes implique l’exercice libre par les populations du choix à la fois de leurs institutions mais aussi du modèle politique, du système juridique sous l’emprise duquel elles veulent vivre. Elle induit donc un mécanisme de participation des populations et notamment par la forme par excellence qu’est l’élection.

Si la première conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes a triomphé durant la période de la guerre froide du fait des antagonismes idéologiques Est-Ouest qui ont favorisé les ingérences directes ou indirectes, elle ne semble plus de mise aujourd’hui. En revanche, le triomphe des idées libérales combiné avec les valeurs qu’elles transportent et qui sont désormais érigées en valeurs universelles ont mis en avant l’idée d’un droit des peuples effectivement détenus par les peuples. De sorte qu’on peut affirmer que le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, en s’imposant à la fois à la société internationale et aux Etats, signifie qu’aucune décision concernant le peuple ne peut être prise qu’en tenant compte de l’avis de celui-ci exprimé dans des formes claires et garantissant sa liberté d’expression.

S’agissant précisément de la question de l’élaboration des constitutions, c’est indéniablement cette conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qui doit être ici mise en exergue car elle a une portée considérable de ce point de vue.

2. La portée du principe.

Du point de vue de sa portée, on a assisté au cours des dernières décennies à un glissement du droit international dans le sens d’une affirmation correspondant à cette vision, notamment avec le renouveau du principe de légitimité démocratique, non seulement bien sûr

213DOBELLE (J.F.), « Commentaire de l’article 1, paragraphe 2 de la Charte des Nations Unies », in COT (J.P.), PELLET (A.) et FORTEAU (M.), La Charte des Nations Unies, Commentaire article par article, 3ème édition, 2005, Paris, Economica, p. 344.

214CHAUMONT (C.), « Le droit des peuples à témoigner d’eux-mêmes », op. cit. p. 16.

au regard de la protection des droits de l’homme, mais aussi dans la perspective du droit à l’autodétermination des peuples215. Témoin de cette évolution, la prolifération d’instruments juridiques internationaux216, dont le caractère obligatoire reste toutefois incertain, mais qui traduisent bien un revirement significatif au niveau international de la conception du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et surtout d’une reconnaissance de la souveraineté constituante du peuple détaché de l’Etat lui-même.

Bien que dans l’ensemble ils se bornent à rappeler le principe d’autodétermination tel qu’énoncé par les résolutions 1514 et 2625217, tout en relevant la diversité des régimes politiques démocratiques et des formes de procédures électorales libres et régulières existant dans le monde, ainsi que l’avaient déjà fait les juges de la C.I.J. dans le célèbre avis consultatif précité, ils posent néanmoins comme règle, le devoir pour les Etats de mettre en place tous les mécanismes nécessaires pour assurer une participation populaire pleine et effective aux processus électoraux. Ils affirment en outre que la volonté du peuple est le fondement de l’autorité des pouvoirs publics et que celle-ci s’exprime par des élections honnêtes qui doivent avoir lieu périodiquement au suffrage universel égal et au scrutin secret218.

Si donc la volonté du peuple fonde l’autorité des pouvoirs publics, elle fonde également l’autorité et la compétence de l’organe chargé d’élaborer la norme fondamentale à l’intérieur de laquelle s’exprime cette volonté : la constitution. En érigeant un tel principe à l’encontre des Etats, l’Assemblée Générale des Nations Unies entend bel et bien se conformer elle aussi à cette exigence. En d’autres termes, les acteurs internationaux ne sauraient se soustraire aux règles qu’ils établissent eux-mêmes. En faisant de la participation effective et libre du peuple à tout processus d’autodétermination même interne, elle interdit toute substitution, toute dépossession de ce dernier de cette fonction de légitimation, voire de fondation de ces institutions. Quoiqu’il en soit, pris dans l’une quelconque de ses acceptions, le principe du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pose pour le droit international et

215DOBELLE (J.F.), op. cit., p. 346.

216On citera à cet égard la Résolution 58/189, adoptée le 22 décembre 2003 et portant sur le respect des principes de souveraineté nationale et de la diversité des systèmes démocratiques en ce qui concerne les processus électoraux en tant qu’élément important de la promotion et la protection des droits de l’homme.

217Résolution 1514 (XV) du 14 décembre 1960 et 2625 (XXV) du 24 octobre 1970 de l’Assemblée Générale des Nations Unies disponibles notamment dans DUPUY (P.M.), Les grands textes de droit international public, op.

cit. pp. 86 -88 et 89- 98.

218V. par exemple la Résolution de l’Assemblée Générale sur le Respect des principes de la souveraineté nationale et de la diversité des systèmes démocratiques en ce qui concerne les processus électoraux en tant qu’élément important de la promotion et de la protection des droits de l’homme, A/RES/58/189, § 7.

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pour les acteurs internationaux une interdiction non seulement d’intervenir dans la sphère constitutionnelle des Etats, et à fortiori de se substituer à l’Etat et au peuple. De manière concrète, dans la mise en œuvre du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, celle-ci ne saurait être conçue autrement que par l’exercice de la liberté électorale qui permet au peuple d’exprimer effectivement et librement son choix. Pourtant on va voir qu’une telle approche semble avoir été totalement ignorée dans le cadre de processus constituant ayant conduit à l’élaboration des constitutions de certains territoires, le peuple ayant été purement et simplement exclu de l’ensemble du processus. Mais avant, il faut préciser que cette exclusion s’explique peut-être, sinon principalement, par des nécessités conjoncturelles bien précises.

B.Une conjoncture défavorable à l’exercice par les peuples de leurs fonctions

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