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CHAPITRE I Contexte Général et Problématique

A. Croissance des bactéries

2) Contamination des surfaces inertes

Parmi les surfaces les plus contaminées d’une usine agro-alimentaire, on trouve les sols, les tapis convoyeurs, les surfaces en acier inoxydable. La contamination de ces surfaces est renforcée par des taux d’humidité élevés (Chmielewski and Franck, 2003). L’environnement industriel fromager présente de telles caractéristiques, notamment dans les hâloirs d’affinage, où le taux d’humidité relative avoisine 98%, et les machines en acier inoxydable, sont fréquemment nettoyées. Dans ce contexte, nous limiterons cette revue bibliographique au cas des surfaces en acier inoxydable et des revêtements de sol.

a. Organisation spatiale des cellules sur des surfaces

Nous utilisons le terme biofilm pour évoquer la présence de microorganismes adhérents à une surface inerte, qu’elle quelle soit, à l’instar de (Carpentier and Cerf, 1999) qui définissent un biofilm comme suit : « communauté microbienne, adhérent à une surface et fréquemment ancrée dans une matrice extracellulaire ». La formation d’un biofilm suppose des conditions de croissance favorables pour les cellules, telles que la présence de nutriments ou une température environnante adéquate. Les étapes de formation d’un biofilm sont les suivantes (Chmielewski and Franck, 2003) : après que des cellules planctoniques aient adhéré à une surface après un temps de contact plus ou moins long, une partie des cellules adhèrent de manière irréversible

forme d’agrégats. Les cellules de périphérie croissent plus vite que celles présentes au centre du biofilm car elles ont plus de nutriments à leur disposition (Hood and Zottola, 1995) (Beresford et al., 2001).

Plus particulièrement, les cellules présentes sur des surfaces fréquemment nettoyées et désinfectées se présentent sous la forme de micro-colonies espacées les unes des autres (Carpentier and Cerf, 1999). Concernant L. monocytogenes, l’influence de la flore environnante limite souvent son adhérence. Dans d’autres cas plus rares, la flore environnante favorise l’adhésion de L. monocytogenes, qui se présente alors sous forme de cellules « greffées » aux micro-colonies des autres bactéries (Carpentier and Chassaing, 2004; Norwood and Gilmour, 2001). Certains auteurs ont observé qu’en 72 heures à température ambiante, 1 souche de L. monocytogenes sur 35 en culture pure est capable de former des agrégats de cellules (Kalmokoff et al., 2001), les autres se présentant sous forme de cellules isolées. Par contre, en présence d’un milieu de culture synthétique, elle est capable de former des agrégats de cellules au bout de deux jours (Chavant et al., 2004; Chavant et al., 2002).

L’adhérence et la croissance des cellules sur les surfaces, plus particulièrement L. monocytogenes, ayant un impact sur le mécanisme des contaminations secondaires, dépendent d’un grand nombre de facteurs que nous présentons dans le paragraphe suivant.

b. Formation des biofilms sur les surfaces inertes

Sur les surfaces de machines en acier inoxydable

Les cellules présentes sur une surface en contact avec les produits sont généralement éliminées par les fréquentes opérations de nettoyage et de désinfection appliquées sur ces surfaces. Si la charge microbienne est très élevée et/ou si les opérations de nettoyage sont mal appliquées, des cellules peuvent survivre et rester sur la surface. L’adhésion des souches de L. monocytogenes en 72 heures est possible mais elle ne concerne qu’une faible proportion de cellules (Chae and Schraft, 2000; Lunden et al., 2000). Ceci est confirmé par Graziella et al qui observe que les forces d’adhésion de L. monocytogenes sur l’inox sont nettement inférieure à celles mesurées sur tapis convoyeur (Midelet and Carpentier, 2002; Midelet et al., 2006). De plus, en culture pure, (Helke, 1994) observent qu’après adhésion de L. monocytogenes à l’acier inoxydable, le niveau de population reste stable à moins de 20°C et ce, pendant dix jours, suggérant ainsi que L. monocytogenes ne se multiplie pas dans ces conditions.

Ainsi on peut conclure que les cellules présentes sur une surface en acier inoxydable fréquemment nettoyées ne croissent pas sur les machines et inox et sont facilement détachées lors de contact avec les produits.

Sur les revêtements de sol

Les sols des usines agroalimentaires sont généralement caractérisés par la présence d’une flore microbienne résidente suggérant la présence de nutriments permettant la croissance de la bactérie Listeria. De même que pour les machines, des cellules pathogènes présentes sur les sols sont susceptibles de contaminer les produits en cours de production.

Peu d’études expérimentales sur la présence de Listeria sur les revêtements de sols ont été conduites, bien que les observations montrent que cette bactérie y soit fréquemment localisée. Cependant, un grand nombre d’études tentent de reproduire les conditions environnementales du sol sur des matériaux différents de ceux utilisés pour les revêtements de sol. Les cellules de L. monocytogenes dans l’environnement étant exposées à des fluctuations du niveau et du type de nutriments, nous avons distingué deux cas : L. monocytogenes en présence et en absence de nutriments.

Le stress nutritionnel se traduit généralement par une perte rapide d’une partie importante de la population, suivie d’un maintien de la fraction survivante pendant de longues périodes (Herbert and Foster, 2001; Lou and Yousef, 1996). Ainsi, entre 0,1 et 5 % de cellules de L. monocytogenes reste viable après 20 jours à 37°C sans nutriments. Les cellules survivantes au stress nutritionnel présentent des tailles de cellules réduites et accroissent leur protection contre divers stress environnementaux (Herbert and Foster, 2001).

Si des nutriments sont disponibles, les résultats relatifs à la croissance de Listeria en présence d’une flore microbienne montrent que différentes situations existent (Carpentier and Chassaing, 2004).

(Leriche and Carpentier, 2000) observent qu’en présence d’un biofilm de Staphylococcus sciuri, dont la présence dans l’environnement des fromagerie est démontrée (Mettler and Carpentier, 1998), la croissance de

L. monocytogenes peut être diminuée, de même qu’en présence d’une bactérie produisant des bactériocines (Leriche, 1999b). De plus, la présence de lait ou de protéines du lait réduit aussi l’adhérence de Listeria (Helke et al., 1993).

Des résultats différents ont été obtenus sur des carreaux de céramique : quelque soit le milieu de culture utilisé, TSB-YE dilué au 1/20ème ou lactosérum, la présence d’un biofilm plurimicrobien, cultivé à 25°C et constitué d’une flore à Gram positif, avec présence ou non de Pseudomonas, stimule légèrement l’adhésion de L. monocytogenes. Concernant sa croissance dans un tel biofilm, la population reste relativement stable ou augmente en 5 jours, à 25°C, malgré les désinfections quotidiennes, en fonction du milieu de culture, suggérant que Listeria est capable de croître mais que cette croissance peut être compensée par les mesures d’hygiène.

Or, dans le cas particulier d’une fromagerie, dont les revêtements de sol sont le plus souvent constitués de carreaux de céramique séparés par des joints, la population microbienne des hâloirs d’affinage peut atteindre 6 log CFU/cm² après 10 jours (Alliot, 1999), du fait d’une température adéquate pour la croissance des bactéries, de la présence de nutriments et d’un taux d’humidité souvent très élevé. Cette population microbienne est caractérisée par la présence majoritaire de Pseudomonas (Alliot, 1999). Ainsi, les derniers résultats microbiologiques évoqués suggèrent que L. monocytogenes est capable d’adhérer et de se multiplier sur les sols des hâloirs d’affinage, ce qui est confirmé par les observations du terrain (cf. Chapitre II).

c. Taux de croissance sur les surfaces inertes

L’observation de la croissance dans un biofilm se fait généralement à travers l’étude de la population finale de cellules adhérentes. Or les cellules filles issues de la croissance peuvent se développer, soit sous forme agrégées du fait de la formation d’exopolymères (Chavant et al., 2004; Chavant et al., 2002), soit sous forme de cellules planctoniques. Dans ce cadre, des protocoles expérimentaux tenant compte de la population planctonique issue de la croissance sur les surfaces d’intérêt devraient être conduits, à l’instar de (Leriche and Carpentier, 2000) qui montrent que le nombre de L. monocytogenes adhérentes dans un biofilm de

Staphylococcus sciuri sur l’acier inoxydable reste stable après trois jours, alors que le nombre de cellules planctoniques augmente. Dans ce cadre, les taux de croissance observés sur surfaces inertes restent difficiles à évaluer, les résultats expérimentaux ne tenant compte généralement que de la population adhérente. De plus, cette observation suggère que les cellules se multipliant sur une surface ne sont pas transférées dans leur totalité lors d’un contact, puisqu’une partie des cellules seulement est adhérente.

d. Modélisation de la croissance sur des surfaces inertes

A notre connaissance très peu d’études ont tenté de modéliser la formation des biofilms sur des surfaces inertes dans un objectif d’intégration dans un modèle d’appréciation de l’exposition à un risque microbiologique. Les modèles existants se concentrent sur la croissance sur les surfaces en milieu liquide, en tenant compte de l’adhérence des bactéries et leur multiplication (den Aantrekker, 2003; Takhistov and George, 2004). Généralement, les modèles de croissance développés en milieu liquide sont transposés au milieu solide. Notamment (Fujikawa and Morozumi, 2005) utilise le modèle logistique de croissance pour

Escherichia coli sur des boîtes de Petri, confirmant l’existence d’une phase de croissance exponentielle à la suite d’une phase de latence des bactéries, et précédant une phase de stabilisation du niveau de population seuil. Cependant, dans un contexte d’intégration de la croissance sur surfaces inertes dans un modèle plus général, il semble plus raisonnable de se contenter d’un modèle exponentiel simple basé sur le temps de génération des cellules, du fait du manque de résultats expérimentaux et de connaissances quantitatives sur ce phénomène. Dans ce cas, la modélisation de la croissance des microorganismes sur des surfaces inertes

nécessite de connaître deux principaux paramètres : le taux de croissance des cellules et le nombre maximal de cellules issues d’une seule cellule, si l’on suppose que les cellules se développent sous forme d’agrégats (Chavant et al., 2004; Chavant et al., 2002), le temps de latence des cellules étant dépendant d’un stress préalable.

La valeur des taux de croissance de L. monocytogenes sur des surfaces inertes d’un environnement fromager est difficile à évaluer. Cette valeur dépend de la présence de nutriments, qui n’est qualitativement et quantitativement pas optimale, du pH des surfaces, compris entre 7 et 8 sur un sol de hâloir (communication personnel, Mettler, E.), de la quantité d’eau disponible, et de la température. Tous ces facteurs sont variables d’une étape à l’autre, voire au sein d’une étape. Globalement, ces conditions ne permettent pas une croissance rapide des cellules.

Les cellules se multipliant sur des surfaces sont regroupées sous forme d’agrégats et la quantité de nutriments disponibles à l’endroit même de l’agrégat diminue lorsque le nombre de cellules augmentent, jusqu’à atteindre une population maximale, du fait de la consommation de la totalité des nutriments. La connaissance du seuil atteint par la population d’un biofilm permet de déduire un ordre de grandeur du nombre de cellules-filles générées par une cellule-mère et par conséquent, de connaître la taille maximale d’un agrégat de cellules.

Dans un aliment, dans lequel l’apport nutritionnel est élevé, la taille d’une colonie ne dépasse pas l’ordre de grandeur de 100 µm de diamètre, ce qui correspond à une population microbienne moyenne s’élevant 105 cellules (Malakar et al., 2002). L’apport nutritionnel des surfaces environnementales étant moins important que celui des aliments, on en déduit dans un premier temps qu’une seule cellule ne peut générer plus de 105 cellules.

En biofilm, les niveaux de population sont généralement mesurés en nombre de colonies formant unité par centimètres carrés (CFU/cm²). Nous avons répertorié quelques niveaux de population, atteints par L.

monocytogenes dans un biofilm sur différentes surfaces. (Chae and Schraft, 2000) observent des niveaux de population sur du verre de l’ordre de 105 CFU/cm² en partant d’un niveau de population de L. monocytogenes adhérente de 103 CFU/cm². En présence de lait cru ou pasteurisé l’augmentation de la population d’un biofilm de Listeria sur de l’acier inoxydable à 37°C est de 102 CFU/cm². Ces résultats suggèrent que dans les conditions de ces deux expériences, chaque cellule initialement adhérente est capable de générer en moyenne 100 cellules-filles adhérentes. Cet ordre de grandeur est confirmé par les travaux de thèse de Valérie Leriche, qui montre que dans un biofilm plurimicrobien cultivé dans du TSB-YE dilué, la population adhérente de L.

monocytogenes passe de 104 CFU/cm² à 106,5 CFU/cm² en 5 jours (Leriche, 1999a). Ces résultats ne tiennent pas compte de la croissance des cellules planctoniques, généralement éliminées aux cours des

D’après ces résultats expérimentaux, on peut supposer qu’une cellule-mère est capable de générer entre 102 et 105 cellules.