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1. En général

Les articles 679 et 679a CC (en relation avec l'art. 684 CC) distinguent trois types de responsabilité :

- la responsabilité en cas d’immissions excessives en général (art. 679 al. 1 CC), applicable notamment en matière de plantations et de projets de constructions;

- la responsabilité en cas d’immissions provenant d’une construction ou d’une installation existante (art. 679 al. 2 CC) ;

- la responsabilité en cas de nuisances excessives et inévitables temporaires (art. 679a CC).

Le droit public des constructions, qui constitue un indice de l’usage local dont parle l’article 684 al. 2 CC, doit être pris en compte dans l’application de l’article 684 CC dans la mesure où l’unité de l’ordre juridique interdit que le droit privé et le droit public coexistent sans aucun rapport entre eux. Dans ce sens, l’article 6 al. 1 CC n’exprime pas seulement une réserve improprement dite en faveur des cantons, mais il impose aussi une harmonisation des règles du droit privé fédéral et du droit public cantonal. L’extension du droit public des cons-tructions a certes tendance à empiéter sur la protection contre les immissions garantie par le droit privé. Elle se justifie néanmoins dans la mesure où l’on a affaire à des plans de zones et des règlements des constructions détaillés,

ins-8 Vue sur le lac de Zoug: 5A_415/2008 consid. 3.1; vue sur la plaine: 5C.201/2006 consid. 4 et 5.

Droit privé et droit public cantonal dans la jurisprudence récente du Tribunal fédéral

truments qui satisfont aux objectifs supérieurs de l’aménagement du territoire, notamment au principe de la planification rationnelle de l’ensemble du terri-toire réservé à l’habitat10.

2. Les constructions projetées

a) Le principe

Lorsqu’un projet de construction correspond aux normes déterminantes du droit public sur les distances entre les constructions, qui ont été promulguées dans le cadre d’un règlement des constructions et des zones, il n’y a en prin-cipe pas d’immissions excessives au sens de l’article 684 al. 2 CC et donc en règle générale plus de place pour une application de la garantie minimale des articles 684/679 CC11. La jurisprudence consacre ainsi la primauté du droit public cantonal sur le droit privé. Elle justifie cette primauté par le fait que les plans de zones et les règlements des constructions sont détaillés et satisfont aux ob-jectifs supérieurs de l’aménagement du territoire12.

En conséquence, si la construction a été autorisée par une décision admi-nistrative (permis de construire), le juge civil est lié : il ne doit pas examiner la validité de cette décision, ni substituer sa propre appréciation à celle de l’autorité administrative. En effet, dès qu’une décision administrative est en force de chose jugée, le régime qu’elle établit est censé conforme à l’ordre juri-dique, même si, en réalité, elle est viciée13. Le juge civil ne peut statuer, à titre préjudiciel, sur des questions de droit public que si l’autorité compétente ne s’est pas déjà prononcée à ce sujet14.

Est réservé le cas de la nullité de la décision administrative15. Une décision est nulle si le vice qui l’affecte est particulièrement grave, qu’il est manifeste ou du moins facilement décelable et que, de surcroît, la sécurité du droit n’est pas sérieusement mise en danger par la constatation de cette nullité. Des vices de fond d’une décision n’entraînent qu’exceptionnellement sa nullité. Ainsi, en règle générale, un acte administratif illégal est simplement annulable. Recon-naître la nullité autrement que dans des cas tout à fait exceptionnels conduirait à une trop grande insécurité. Par ailleurs, le développement de la juridiction administrative offrant aux administrés suffisamment de possibilités de

10 ATF 138 III 49 consid. 4.4.2.

11 ATF 138 III 49 consid. 4.4.2; 132 III 49 consid. 2.2; 129 III 161 consid. 2.6 in fine; 126 III 462 consid. 3c/cc.

12 ATF 138 III 49; 132 III 49 consid. 2.2; 129 III 161 consid. 2.6.

13 ATF 138 III 49 consid. 4.4.3.

14 ATF 138 III 49 consid. 4.4. Cf. en général ATF 137 III 8 consid. 3.3.1.

FABIENNE HOHL

trôle sur le contenu des décisions, on peut attendre d’eux qu’ils fassent preuve de diligence et réagissent en temps utile16.

b) L’exception

Exceptionnellement toutefois, alors même que la construction a été définiti-vement autorisée par l’autorité administrative, l’article 684 CC intervient si les règles du droit public cantonal sont insuffisantes pour protéger le voisin de manière adéquate, en particulier si les immissions sont si graves que la protec-tion minimale de l’article 684 CC ne serait plus garantie. L’intensité de l’atteinte est déterminante et doit être appréciée selon des critères objectifs. Le juge doit procéder à une pesée des intérêts en se référant à la sensibilité d’une personne raisonnable17. Ce faisant, il doit garder à l’esprit que l’article 684 CC, en tant que norme du droit de voisinage, doit servir en premier lieu à établir un équi-libre entre les intérêts divergents des voisins18.

Ainsi, le juge civil peut faire interdire ou modifier une construction, autori-sée par décision administrative (il s’agit encore d’une construction projetée soumise à l’article 679 al. 1 CC), si les immissions que cette construction cause sont si graves que la protection minimale garantie par l’article 684 CC ne serait plus assurée. Tel est le cas si la surélévation du bâtiment qui a été autorisée a pour effet, vu la configuration des parcelles, que le voisin serait considérable-ment restreint dans ses possibilités ultérieures de surélévation de son propre bâtiment, à cause de la présence d’une fenêtre19.

3. Les constructions existantes

Aux termes de l’article 679 al. 2 CC, « lorsqu’une construction ou une installa-tion prive l’immeuble voisin de certaines de ses qualités, le propriétaire ne peut être actionné que si les dispositions régissant la construction ou l’installation en vigueur lors de leur édification n’ont pas été respectées ».

Exprimée positivement, la règle signifie que le propriétaire – dont l’immeuble est privé de certaines qualités – peut agir en cessation de trouble en vertu des articles 684/679 al. 2 CC si la construction ou l’installation sur l’immeuble voisin a été réalisée sans respecter les dispositions légales en vi-gueur lors de son édification.

16 ATF 138 III 49 consid. 4.4.3.

17 ATF 132 III 49 consid. 2.2; 5A_285/2011 consid. 3.2; ATF 129 III 161 consid. 2.6.

18 ATF 138 III 49 consid. 4.4.5.

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Les qualités dont l’immeuble est privé sont, par exemple, la privation d’ensoleillement ou de lumière20, la perte d’une vue particulièrement belle (immissions négatives au sens de l’article 684 al. 2 CC) ou sa situation tran-quille (immissions positives de bruit).

Les dispositions légales en vigueur au moment de l’édification sont en par-ticulier les règles du droit public de l’aménagement du territoire et des cons-tructions21, mais aussi les règles du droit privé22.

La règle ne s’applique qu’aux constructions déjà réalisées, et non pas aux constructions non encore édifiées et donc seulement projetées. Il s’ensuit que si la construction a déjà été réalisée conformément à l’autorisation de construire – qui, une fois en force, est censée conforme à l’ordre juridique –, le propriétaire voisin ne peut plus agir en cessation de trouble, même si son immeuble subit une perte de vue, une privation de lumière ou d’ensoleillement ou des immis-sions de bruit.

En revanche, si la construction n’a pas encore été réalisée, mais seulement autorisée par l’autorité administrative, l‘action en cessation de trouble de l’article 679 al. 1 CC23 est possible car il ne s’agit pas encore d’une construction existante au sens de l’article 679 al. 2 CC, et cela même si l’autorisation de construire est en force.

D. L’exploitation d’une construction ou d’une installation : bruit