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La construction d’une position énonciative pertinente Tout apprentissage relève d’opérations mentales que sont :

PRATIQUES LANGAGIÈRES DANS LES APPRENTISSAGES

3- UN EXEMPLE DE TRAVAIL LANGAGIER DANS UNE SÉANCE DE MATHÉMATIQUES AU CP

3.2. La construction d’une position énonciative pertinente Tout apprentissage relève d’opérations mentales que sont :

• spécification / généralisation,

Quelques remarques pour réfléchir aux pratiques langagières dans les apprentissages en mathématiques

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• contextualisation/ décontextualisation,

• concret/ abstrait,

• catégorisation.

L’apprentissage des mathématiques ne devrait pas y échapper si on considère qu’il s’agit bien de prendre en compte les données du réel pour les ancrer dans un univers que j’appellerai « virtuel » ou « fictif », au profit de concepts abstraits qui progressivement vont fonctionner entre eux.

La construction d’une position énonciative pertinente pour apprendre et communiquer en mathématiques, repose donc sur :

- la prise en compte du réel,

- la construction de nouveaux contextes dans lesquels les objets vont être

« déréalisés » et soumis à des reformulations « culturelles ».

Les acteurs sont alors conduits vers de nouvelles formes d’activité sociale, de nouvelles pratiques, dont les pratiques langagières, et donc un travail nouveau de conceptualisation.

Il s’agit donc d’amener les élèves à passer

- d’un contexte de manipulation d’objets et d’actions (contexte immédiat, expérimental),

- à un contexte nouveau où les objets et les actions ont complètement disparu, toute référence à la situation immédiate a été effacée et où ce qui importe, c’est l’écriture du nombre sous une forme donnée.

La séance de référence est compliquée du fait que ce changement de contexte inhérent à l’entrée « en mathématiques » est précédé d’une immersion (sans précaution) dans un autre contexte constitué par l’énoncé de problème écrit, qui, en plus de présenter toutes les difficultés spécifiques de l’écrit, oblige à imaginer dans le futur des actions, des objets, en référence à des expériences antérieures… (je traiterai de cette particularité qui, selon moi, suppose acquise la première démarche de recontextualisation, en second lieu) .

Donc, si on fait provisoirement abstraction de la première décontextualisation/

recontextualisation, entre la manipulation et l’écriture, deux étapes intermédiaires sont envisagées :

- le discours qui rend compte de la manipulation,

- le discours qui rend compte de l’élaboration de l’écriture.

Chacune de ces étapes correspond à la création d’un nouveau contexte dans lequel les objets manipulés subissent des transformations :

1° étape : la représentation graphique

La représentation réfère directement au réel, il s’agit de représenter des objets et d’imaginer des actions ; le langage est peu utile puisque les partenaires sont dans un contexte implicite (ici et maintenant) dont chacun contrôle les paramètres

Juliette et Caroline dessinent 9 verres à tour de rôle et Caroline distribue gestuellement deux sucres fictifs par verre (deux là, deux là, ….). Puis elles dessinent 2 rectangles dans chaque verre.

Ce qui importe c’est de représenter les objets et de les distribuer, le langage

« double » l’action ce qui permet de ne préciser ni les lieux ni la nature des objets puisqu’ils sont désignés gestuellement.

NB. Cette phase de représentation est d’ordinaire sans difficulté au CP. Cependant deux enfants passent leur temps à dessiner « figurativement » les sucres, signe d’incompréhension de ce qu’est l’activité mathématique ; ce malentendu perdure tout le long de la séance et on comprend bien que si le premier changement de contexte est difficile, les autres seront impossibles.

2° étape : verbalisation à partir du produit écrit graphique

L’activité verbale de représentation porte sur la représentation des objets et leur distribution et non sur les objets eux-mêmes. On assiste donc à

- une progressive « dématérialisation » des objets :

95 A. On a fait un verre et puis Hugo quand il l’avait fait ça faisait un plus un ça faisait deux, moi j’ai fait et ça faisait 4 (le maître pointe sur l’affiche au fur et à mesure chaque verre) ensuite ça faisait six et puis ensuite ça faisait huit, ça faisait dix et douze alors on a fait six verres

96 M. D’accord, alors vous vous avez dessiné au fur et à mesure alors et puis vous avez contrôlé en comptant. D’accord.

« les verres » disparaissent après pronominalisation ;

- une relégation de l’action dans le passé pour ne plus prendre en compte que le résultat présent de l’action, ce que marque le passé composé avec, par ailleurs, dans certains cas, un jeu sur les antériorités qui situent clairement que dans le contexte de travail il n’y a que des traces, que l’on doit considérer comme les nouveaux objets de la communication :

78. Math On en avait mis dix, mais comme ça faisait trop, on a barré et on a recommencé là. Eh bé on a compté et il nous en fallait six.

79. M Et pourquoi vous aviez choisi dix ?

80. Math parce qu’il en fallait deux de moins et après on a réfléchi et il en fallait que six

81. M Ah d’accord. Vous vous êtes dit sans doute il en faut deux de moins, donc vous avez dessiné dix verres et puis après vous les avez remplis et puis vous vous êtes dit finalement il y en a trop, il en faut que six.

82. Colline Au début on avait fait sept verres et puis après on s’est dit y en a un peu trop alors on a barré le septième

- d’ailleurs cette étape est suffisamment ambiguë pour que les enfants s’y perdent :

87. M Finalement ça ressemble pas à ce qu’avaient fait Mathilde et Lucile ? Ca ressemble pas un peu à ce qu’elles avaient fait ?

88. E. Non

89. M non, vous trouvez que ça ne ressemble pas ? 90. E Non parce que c’est plus clair

enfants et maître ne parlent pas du même objet : celui du contexte actuel, i.e. l’écrit qui rend compte d’une activité d’écriture pour les enfants, celui auquel réfère cet écrit pour le maître ;

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- ou même qu’ils se sentent conduits à coder le résultat de leurs actions, par le fait même d’avoir à la représenter sur affiche,

91. M Alors ensuite, il y a quelque chose que je ne comprends pas trop mais ils vont m’expliquer peut-être, c’est Thiébaud et Raphaël (sur l’affiche se succèdent le chiffre 12, le dessin du sucre, le chiffre 2 puis un verre avec 2 sucres, puis le chiffre 6, puis un verre avec 2 sucres) Et comment tu as trouvé qu’il fallait 6 verres toi ?

92. T J’ai compté

93. M Tu as compté comment ? Tu peux me refaire comment tu as compté avec tes doigts ?

Thiébaud montre deux doigts en disant un, puis quatre en disant deux, [M Ah bon] puis six doigts, en disant trois et huit doigts en disant huit

on voit bien dans cet exemple combien la situation même d’écriture génère la mise en œuvre d’un code qui tend vers l’arbitraire, et vers le résultat d’une action terminée, même si l’utilisation de cet écrit ne rend pas tous les services escomptés.

3° étape : verbalisation d’une écriture canonique

La difficulté de cette phase d’introduction d’un code arbitraire, que les enfants ne peuvent pas inventer mais éventuellement réinvestir (encore que…cela supposerait que ce codage ait déjà un sens, les échanges transcrits en montrent la difficulté) réside bien entendu dans les stratégies que le maître va pouvoir mettre en œuvre pour donner un sens à l’écriture. A cet effet, le maître tente d’établir une série de correspondances entre les trois contextes :

122 M (le maître écrit 12 en rouge au-dessus et à gauche du premier verre représenté sur une affiche) ici on voit très bien apparaître les six verres qui ont été remplis avec deux sucres dans chaque verre. Alors qu’est-ce que j’ai écrit là en rouge ?

123. E douze

124. M douze, c’était quoi déjà ? 125. E Les sucres

126. M C’étaient les douze sucres que j’avais là, au départ, que je voulais répartir dans les verres.

Thiébaud reste assis correctement. Alors je les ai mis où ces douze sucres ? Ils sont dans quoi ?

127. E dans les verres

128. M Ils sont dans les verres (le maître écrit 2 au-dessus du premier verre) Alors moi j’en ai + qu’est-ce que j’ai dessiné là ? Qu’est-ce que j’ai écrit ?

129. E Deux

130. M Alors j’en ai deux dans ce verre. (il écrit 2 au-dessus du second verre) Après j’en ai deux dans ce verre, encore deux, encore deux, deux, deux, deux (il écrit 2 au-dessus de chacun des verres). J’ai écrit où étaient les douze sucres. Il y en a deux dans le premier verre, deux dans le second etc., etc. comme vous expliquait Capucine tout à l’heure. Je mets le signe égale, je veux dire par là que j’ai mes douze sucres et que mes douze sucres ils sont deux dans ce verre, deux dans ce verre, deux dans ce verre, etc. (le M montre avec le doigt).

12 c’étaient les douze sucres que j’avais là, au départ (contextes1-3) 2 j’en ai deux dans ce verre. (contextes2-3)

encore deux (2), encore deux (2), deux(2), deux(2), deux(2) (contextes2-3) j’ai écrit où étaient les douze sucres (contextes1-2-3)

j’ai mes douze sucres(12) et mes douze sucres (12) ils sont deux (2)dans ce verre, deux(2) dans ce verre, deux (2)dans ce verre, etc. (le M montre avec le doigt).(contextes 1-2-3).

On voit bien là que tout repose sur le travail langagier du maître, qui est le seul moyen dont il dispose pour à la fois, initier les élèves à de nouvelles pratiques, faire

opérer aux enfants les dénivellations entre les trois contextes mais aussi pour tisser les liens entre ces contextes et assurer le sens de l’écriture.

4° étape : l’écriture mathématique est son propre c ontexte

Le passage (nécessairement en force) n’est pas une évidence, et la dernière étape qui consiste à faire fonctionner l’écrit canonique « pour lui-même », c’est-à-dire dans un contexte qui a perdu toute référence au contexte premier présente des difficultés : les formulations/ reformulations des enfants traduisant la rupture au niveau du sens :

140 M Oui, et là (le M montre l’autre côté de l’égalité), ce que tu as écrit, ça se lit comment tu sais,?

141 E deux plus deux plus + 142 Ra De plus en plus

143 M Alors Raphaël comment tu vas le lire ça 144 Ra De plus en plus.

145 M.Vous savez pas comment on va lire ça ? 146 E Douze

147 M Alors oui, c’est vrai, c’est douze. Mais ici je le lis comment ça ? on a mis plein de plus là, alors comment on va lire ça ? Capucine

148 Ca En fait, on va lire deux plus, deux plus, (marque une pause entre chaque groupe « deux plus »), deux plus, deux plus, deux plus, deux .

la remarque de Raphaël est difficile à interpréter, on peut cependant faire l’hypothèse qu’il n’a pas « identifié » dans la proposition de son camarade un énoncé spécifique de l’activité mathématique à l’école, et, qu’il a échangé une formule qui permet de penser un objet mathématique, contre une formule « lexicalisée » en français et non spécifique, produisant un quiproquo.

Pour Capucine, le regroupement des termes qu’elle propose, signale une « lecture » apparemment « hors sens », sans qu’on sache s’il s’agit d’une incompréhension de l’écrit mathématique ou…de l’activité de lecture, en général.

5° étape : retour sur l’énoncé

Bien entendu, l’énoncé de problème, écrit qui définit à lui seul le contexte immédiat (intention prescriptive, données, destinataire, inscription dans une communauté scolaire spécifique) suppose une première contextualisation. Cependant, cet écrit, éminemment laconique est supposé enclencher la manipulation, mais…jeu pervers ( ?) , la manipulation ne peut être qu’imaginaire. Donc, la seule première mise en action suppose une première recontextualisation dont l’énoncé fixe les paramètres, ainsi qu’une deuxième qui consiste à construire mentalement une représentation, compliquant ainsi considérablement la tâche des élèves puisque cette étape repose sur le seul travail du langage.

• Difficulté de construction d’une situation fictive

13. M Est-ce qu'il y a des enfants qui arrivent à comprendre la question que j'ai posée ? +++ Non personne ne comprend la question? + Arnaud, tu comprends ?

14. E il faut des verres

15. M. Oui, en effet, j'ai écrit combien faut-il de verres. Donc, qu'est-ce que je cherche dans mon problème alors finalement ? qu'est-ce que je cherche dans mon problème, Capucine ?

16. Ca. Je cherche combien il y a de verres

17. M. Ah, je cherche combien il me faut de verres.

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Les glissements il faut- combien il faut- il y a ne sont pas innocents, ils témoignent du travail de construction d’un espace commun de fonctionnement, des réajustements : le premier enfant arrive à décoder « il faut » mais le contexte montre bien qu’il n’a pas intégré le sens même du problème, puisque seul le nombre est inconnu. La relance du maître repositionne sur le nombre, c’est alors Capucine qui reprenant à son compte le nombre effectue un autre déplacement, considérant l’action réalisée et non à réaliser.

Ces réajustements sont minimes, comparés à ceux qu’éprouvent certains enfants pour donner du sens à ce discours arbitraire.

• Difficulté pour accepter certaines règles

17 M. On va essayer de reprendre tout ça finalement parce qu'il y a beaucoup de choses finalement.

Alors, j'ai + Combien je sais que j'ai de sucres ? Marine ? 18. E. Y en a trois parce que on les voit sur le tableau

19. M Ah, il y en a trois parce que tu en vois trois sur le tableau. Mais dans le problème que je me pose

20. E Y en a douze

• Difficulté de fait pour accepter les règles, se projeter, construire une cohérence à l’univers proposé :

56. M Non, c’est pas des sucres qu’on cherche, de verres. Et qu’est-ce qu’on a au départ ? 57. G deux sucres

58. M Non

59. G Ah non, douze sucres

60. M douze sucres oui. Vous pouvez peut-être commencer par les dessiner les sucres

Dès le départ, ces enfants sont perdus dans la jungle langagière qui est leur est proposée.

L’analyse du déroulement de cette séance fait apparaître, me semble-t-il, un des aspects ce qui fait la caractéristique des discours mathématiques scolaires : emboîtement des contextes, garant des opérations de mise à distance, d’objectivation, mais aussi de conceptualisation, emboîtements à la fois signalés ET provoqués par le langage.

C’est lorsque l’enfant s’approprie les stratégies induites par les situations et les pratiques langagières proposées par le maître, qu’il peut devenir acteur (dire-penser-agir) dans la communauté mathématique scolaire.