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Construction de la mesure de Lebesgue

Dans le document Mesure et Intégration (Page 73-90)

Nous cherchons à montrer l’existencede la mesureνncomme dans le théorème 4.34. Rappelons que son unicité est acquise, voir la proposition 4.36 c). Comme nous l’avons remarqué, il est commode de travailler dans un premier temps avec des mesures finies, puis de s’affranchir de la finitude. Nous allons donc construire la mesure de Lebesgue d’abord sur un pavé bornéP. Plus spécifiquement : 1. Nous allons construire la mesure de Lebesgue surs0,1rn. La construction sera

analogue sur toute autre pavé.

Constructions de mesures 5.1 Construction de la mesure de Lebesgue

2. La mesure de Lebesgue sur les pavés permet de construire la mesure de Le-besgue surRn.

Il est commode – mais pas indispensable – d’utiliser des propriétés élémen-taires de l’intégrale de Riemann lors de l’étape 1. Afin de ne pas perdre en chemin le lecteur qui connaît l’intégrale de Riemann dansR, mais pas dansRnavecnľ2, nous allons prendre uniquementn“1dans ce qui suit. Une fois construite la me-sure de Lebesgue dans R, son existence dansRn est démontrée dans le chapitre 8. Il est néanmoins possible de se passer de la technologie développée dans le chapitre 8 et de montrer l’existence de µn en adaptant aux dimensions ľ 2 les preuves présentées dans la section5.1.4(voir par exemple Stein et Shakarchi [18, Chapitre 1]).

5.1.1 Construction de la mesure de Lebesgue sur s0, 1r

Posons, pout tout intervalle I d’extrémités a ĺ b,mpIq :“ b´a. Nous avons vu (proposition4.36, exercice4.38) que, si la mesure de Lebesgueλ1 existe, alors elle est donnée par la formule

λ1pAq “ inf

# ÿ

j

mpIjq; Ij intervalle ouvert, @j, AĂ YjIj +

, @APBR.

Posons, pourAĂs0,1r, m˚pAq:“inf

# ÿ

j

mpIjq; Ij intervalle ouvert,@j, A Ă YjIj +

. (5.1)

Nous devons montrer que m˚ “ λ1 sur la tribu de Lebesgue (des0,1r). Mais il se trouve que l’existence de cette tribu repose sur l’existence de la mesure de Lebesgue, dont l’existence n’est pas encore acquise !

L’idée suivante, due à Lebesgue, permet d’identifier les candidats aux mem-bres de la tribu. Sim˚ “ν1 “msur les intervalles et siAest Lebesgue mesurable, alorsAc “s0,1rzA l’est aussi, d’oùm˚pAq `m˚pAcq “ m˚ps0,1rq “ mps0,1rq “ 1.

Posons alors

T :“ tAĂs0,1r; m˚pAq `m˚pAcq “ 1u. (5.2) Nous avons alors le résultat suivant.

5.1 Théorème(Lebesgue).

a) T est une tribu.

b) T contientBs0,1r.

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Petru Mironescu Mesure et intégration

c) La restriction dem˚ àT est une mesure.

d) m˚pIq “mpIqpour tout intervalleI Ăs0,1r.

e) T est la complétée deBs0,1rpar rapport àm˚.

En particulier, la restriction dem˚àBs0,1r est une mesure borélienne telle que m˚pIq “ mpIqpour tout intervalleI Ăs0,1r. ˛

Nous admettons pour l’instant ce théorème.

5.1.2 Construction de la mesure de Lebesgue sur R

Soitµjla mesure borélienne qui vérifie l’analogue du théorème5.1surs ´j, jr, j P N˚. PosonsξjpAq:“µjpAXs ´j, jrq,@j,@APBR. La mesureξj est borélienne, et elle coïncide avecmpour les intervalles des ´j, jr(vérifier).

Par unicité de la mesure de Lebesgue surs ´j, jr, nous avonsµj`1pAq “ µjpAq,

@APBs´j,jr. Il s’ensuit que

ξj`1pAq “µj`1pAXs ´j ´1, j`1rq ľµj`1pAXs ´j, jrq

“µjpAXs ´j, jrq “ξjpAq, @APBR. Ainsi, nous pouvons définir

µpAq:“lim

j ξjpAq “ lim

j µjpAXs ´j, jrq, @AP BR, qui est une mesure (exercice4.6).

5.2 Proposition. µest la mesure de Lebesgueν1surBR. ˛ Démonstration. Il suffit de montrer queµpIq “ mpIqpour tout intervalleI (justifier). SiI est borné, alorsI Ăs ´j, jrpourjsuffisamment grand, et doncξjpIq “ µjpIq “ mpIqpour un telj; d’oùµpIq “ mpIq. SiIest non borné, alorsµpIq ľ µpJq “ mpJqpour toutJborné avec J ĂI. En prenant lesupsur tous cesJ, nous obtenonsµpIq “ 8 “mpIq. CQFD

À partir de ν1, nous obtenons la tribu complétée L1 et la mesure complétée λ1. Le lien avec lesµj est le suivant.

5.3 Exercice. SoitTj la complétée deBs´j,jr par rapport àµj.

SoitAĂR. Nous avonsAPL1 ðñ AXs ´j, jrPTj,@jľ1. ˛

5.1.3 Construction de la mesure de Lebesgue sur R

n

La mesure de Lebesgue ν1 est σ-finie et satisfait ν1pIq “ mpIq pour tout in-tervalleI. Il existe alors une et une seule mesure borélienne νn sur Rn telle que νpI1ˆ ¨ ¨ ¨ ˆInq “mpI1q. . . mpInq,@I1, . . . , Inintervalles dansR(voir chapitre8).

Constructions de mesures 5.1 Construction de la mesure de Lebesgue

5.1.4 Démonstration du théorème 5.1

Pour faciliter la lecture, la preuve est découpée en petites étapes préliminaires (lemmes), faciles à montrer et comprendre. Elles seront « assemblées » lors de la preuve proprement dite du théorème.

Les ingrédients les plus importants de la preuve sont les lemmes 5.6 (qui re-pose sur un argument topologique : les intervalles fermés bornés sont compacts) et5.11.

Nous allons travailler ici uniquement avec des parties des0,1r. Les notions de fermé et complémentaire s’entendent par rapport às0,1r.

Notons que, si A Ă YjIj, alors A Ă YjpIjXs0,1rq. Par ailleurs, nous avons řmpIjXs0,1rq ĺ ř

mpIjq. Il s’ensuit que, dans (5.1), il suffit de considérer des intervallesIj Ăs0,1r(justifier).

5.4 Lemme.

a) m˚pHq “0.

b) m˚ est monotone, c’est-à-direm˚pAq ĺm˚pBq,@AĂB. c) m˚pYjAjq ĺř

jm˚pAjq, pour toute suitepAjq Ăs0,1r.

d) m˚pAq ĺ1,@A. ˛

Démonstration. Les propriétés a), b), d) sont claires (vérifier).

c) Soitεą0. Pour chaquej ľ1, il existe une suite d’intervalles ouvertspIkjqkavecAj Ă YkIkj et

ÿ

k

mpIkjq ăm˚pAjq `ε{2j`1.

La famillepIkjqj,kest dénombrable (proposition1.13). Si nous la listons sous la formepLnqnľ0, alors pour toute somme finie nous avons

N

ÿ

n“0

mpLnq ĺÿ

j

pm˚pAjq `ε{2j`1q, d’où

ÿ

nľ0

mpLnq ĺÿ

j

m˚pAjq `ε.

CommeYjAj Ă Ynľ0Ln, nous obtenonsm˚pYjAjq ĺř

jm˚pAjq `ε. Nous concluons en

faisantεÑ0. CQFD

5.5 Lemme. m˚pAq “inftm˚pUq; U ouvert etAĂUu. ˛ 76

Petru Mironescu Mesure et intégration

Le premier résultat clé dans la preuve du théorème5.1est le suivant.

5.6 Lemme. SipLkqkest une famille a. p. d. d’intervalles d. d. d., alorsm˚p\kLkq “ ř

kmpLkq.

En particulier, siI Ăs0,1rest un intervalle, alorsm˚pIq “mpIq.

Cas particuliers :m˚pHq “0etm˚ps0,1rq “1. ˛ Démonstration. Quitte à rajouter de intervalles vides, nous pouvons supposer qu’il y a une infi-nité (dénombrable) d’intervalles, indexéspLkqkľ1.

«ĺ» Pour chaque intervalle bornéLet chaqueεą0, il existe un intervalle ouvertJavecLĂJet mpJq ămpLq `ε(vérifier). Considérons, pour chaquek, un intervalle ouvertIktel queLkĂIk etmpIkq ămpLkq `ε{2k`1. AlorsYkľ1LkĂ Ykľ1Iketř

kľ1mpIkq ĺř

kľ1mpLkq `ε, d’où (en faisantεÑ0)m˚p\kľ1Lkq ĺř

kľ1mpLkq.

«ľ» Il suffit de montrer cette inégalité pour un nombre fini d’intervalles compacts danss0,1r. En effet, supposons cette inégalité établie pour les unions finies d’intervalles compacts. Pour chaque intervalle bornéLet chaqueε ą 0, il existe un intervalle compactCavecL Ą CetmpCq ą mpLq´ε(vérifier). Considérons, pour toutk, un intervalle compactCkavecLkĄCketmpCkq ą mpLkq ´ε{2k`1.

Pour toutnfini, nous avons alors (grâce à l’inégalité «ľ», supposée vraie pour lesCk) m˚p\kľ1Lkq ľm˚p\nk“1Ckq ľ

jmpIjq(justifier).

Cétant compact, il existeNtel queCĂ YNj“1Ij. Il s’ensuit (exercice14.6) que

Constructions de mesures 5.1 Construction de la mesure de Lebesgue

Notons que, pour tout intervalleI Ăs0,1rla fonction caractéristiqueχI est continue par morceaux surR, donc intégrable Riemann surr0,1s. Par ailleurs, nous avons

ż1

0

χIpxqdx“mpIq. (5.4)

En utilisant(5.3),(5.4)et les propriétés de l’intégrale de Riemann, nous obtenons

n

d’où (**) et la conclusion du lemme. CQFD

Notons une conséquence immédiate du lemme. Comme tout ouvertU s’écrit comme une union a. p. d. d’intervalles ouverts d. d. d.Lk, nous avonsm˚pUq “

Pour l’inégalité opposée, soitεą0.

ÉcrivonsU “ \jIj, avecIj intervalle ouvert,@j, etř

5.8 Lemme. SoientU, V des ouverts. Nous avons

m˚pU YVq `m˚pU XVq “m˚pUq `m˚pVq. ˛ Démonstration. Quitte à rajouter des intervalles vides, nous pouvons écrireU “ \jľ1IjetV “

\jľ1Lj, avecIj,Ljintervalles ouverts.

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PosonsUn:“ \nj“1Ij,Vn:“ \nj“1Lj. AlorsUnÕU; propriétés analogues deVn,UnYVn etUnXVn(vérifier).

Un,Vn,UnYVnetUnXVnétant des unions finies et d. d. d. d’intervalles, il s’ensuit que l’égalité m˚pAq “

ż1

0

χApxqdxest vraie pour chacun de ces ensembles (justifier, à l’aide du lemme5.6).

En combinant ce fait avec l’identité χUnYVnUnXVn “χUnVn

(exercice14.5), nous obtenons que

m˚pUnYVnq `m˚pUnXVnq “m˚pUnq `m˚pVnq. (5.5) Nous concluons grâce au lemme5.7, en faisantnÑ 8dans(5.5). CQFD

Une conséquence immédiate des lemmes5.5et5.8est la suivante.

5.9 Lemme. SiA, B Ăs0,1r, alors

m˚pAYBq `m˚pAXBq ĺm˚pAq `m˚pBq. ˛ (5.6) Démonstration. SoientU,V ouverts tels queA Ă U etB Ă V. AlorsAYB Ă U YV et AXB ĂU XV, d’où (en utilisant les lemme5.5et5.8)

m˚pAYBq `m˚pAXBq ĺm˚pUYVq `m˚pUXVq “m˚pUq `m˚pVq. (5.7) En prenant, dans(5.7), l’inf surUetV, et en utilisant à nouveau le lemme5.5, nous obtenons

(5.6). CQFD

Posons, conformément à la discussion heuristique du début du chapitre, T :“ tAĂs0,1r; m˚pAq `m˚pAcq “ 1u. (5.8) Notons que

1“m˚ps0,1rq “m˚pAYAcq ĺm˚pAq `m˚pAcq (lemme5.4c)), et donc une définition équivalente deT est

T “ tAĂs0,1r; m˚pAq `m˚pAcq ĺ 1u.

Le lemme suivant donne les premiers exemples concrets d’ensembles dansT .

5.10 Lemme. SiU est un ouvert, alorsU P T. ˛

Constructions de mesures 5.1 Construction de la mesure de Lebesgue

Démonstration. Supposons d’abord queU “ \nj“1Ij, avecIj intervalles ouverts. AlorsUcest une union finie d’intervalles, et doncm˚pUcq “

ż1 0

χUcpxqdx; de même pourU. Il s’ensuit que

m˚pUq `m˚pUcq “ ż1

0

χUpxqdx` ż1

0

χUcpxqdx“ ż1

0

1dx“1.

Soit maintenant U un ouvert quelconque. Nous pouvons donc écrireU “ \jľ1Ij, avec chaqueIjintervalle ouvert. PosonsUn:“ \nj“1Ij. De ce qui précède et du lemme5.7,

m˚pUq “lim

n m˚pUnq “lim

n p1´m˚ppUnqcqq ĺ1´m˚pUcq.

Il s’ensuit quem˚pUq `m˚pUcq ĺ1, d’oùU PT. CQFD

Le deuxième résultat clé est le suivant.

5.11 Lemme. Les propriétés suivantes sont équivalentes.

1. APT .

2. Pour toutεą0, il existe un ouvertU tel quem˚pA∆Uq ă ε. ˛ Démonstration.

«1 ùñ 2» Soient V,W des ouverts tels que A Ă V, Ac Ă W, m˚pVq ă m˚pAq `ε{2, m˚pWq ăm˚pAcq `ε{2. AlorsV YW “s0,1r(vérifier), et donc (lemme5.8)

m˚pV XWq “m˚pVq `m˚pWq ´m˚pV YWq “m˚pVq `m˚pWq ´1 ăm˚pAq `m˚pAcq `ε´1“ε.

PrenonsU :“V. Nous avons

A∆U “VzA“V XAcĂV XW, d’oùm˚pA∆Uq ĺm˚pV XWq ăε.

«2 ùñ 1» Nous avons A Ă U Y pA∆Uq (exercice14.7), d’où (lemme5.4 c))m˚pAq ĺ m˚pUq `ε. De même,AcĂUcY pAc∆Ucq “UcY pA∆Uq(exercice14.9a)), d’oùm˚pAq ĺ m˚pUcq `ε. Grâce au lemme5.10, il s’ensuit que

m˚pAq `m˚pAcq ĺm˚pUq `m˚pUcq `2ε“1`2ε.

En faisantεÑ0, nous obtenonsAPT. CQFD

Démonstration du théorème5.1.

Étape 1.T est une tribu qui contient la tribu borélienne.Par définition deT, siAPT alors AcPT.

Par ailleurs,m˚pHq “0etm˚ps0,1rq “1, d’oùH PT. 80

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Soit maintenant une suitepAnqnľ1ĂT. Pour chaquenľ1, soitUnun ouvert tel que m˚pAn∆Unq ăε{2n`1(lemme5.11). PosonsU :“ Ynľ1Un, qui est un ouvert. Nous avons pYnľ1Anq∆pYnľ1Unq Ă Ynľ1pAn∆Unq(exercice14.9c)), d’où (lemme5.4c))

m˚ppYnľ1Anq∆Uq ĺ ÿ

nľ1

m˚pAn∆Unq ăε.

Le lemme5.11donneYnľ1AnPT.

T est donc une tribu. Cette tribu contient les ouverts (lemme 5.10), donc la tribu borélienne.

Étape 2.m˚ restreinte àT est une mesure, et restreinte à Bs0,1r est la mesure de Lebesgue.Le fait quem˚restreinte àBs0,1rsoit la mesure de Lebesgue suit du lemme5.6et de l’unicité de la mesure de Lebesgue (proposition4.36c)).

Pour montrer quem˚est une mesure surT, notons d’abord quem˚pHq “0(lemme 5.6). Il reste à montrer que, sipAjqj ĂT est une suite d. d. d., alors

m˚p\jAjq “ÿ

j

m˚pAjq. (5.9)

L’inégalité «ĺ» suit du lemme5.4c). Pour l’inégalité opposée, il suffit de montrer m˚pAYBq `m˚pAXBq ľm˚pAq `m˚pBq, @A, BPT. (5.10) En effet, admettons (5.10) pour l’instant. En utilisant cette propriété et le lemme5.9, nous obtenons que

m˚pA\Bq “m˚pAq `m˚pBq, @A, B PT tels queAXB “ H, (5.11) puis, par récurrence surn,

m˚p\nj“1Ajq “

n

ÿ

j“1

m˚pAjq, @n, @ pAjqnj“1 ĂT d. d. d. (5.12)

En utilisant (5.12) et la monotonie dem˚(lemme5.4b)), nous obtenons m˚p\jľ1Ajq ľm˚p\nj“1Ajq “

n

ÿ

j“1

m˚pAjq, @n, @ pAjqjľ1ĂT d. d. d., (5.13) d’où, en faisantnÑ 8dans (5.13),

m˚p\jľ1Ajq ľ ÿ

jľ1

m˚pAjq, @ pAjqjľ1 ĂT d. d. d.. (5.14)

Comme, par ailleurs, l’inégalité opposée à (5.14) est toujours vraie (lemme (5.4) c)), nous obtenons que l’axiome ii) de la mesure est vérifié.

Constructions de mesures 5.2 Pour aller plus loin

Il reste à montrer (5.10). Du lemme5.9, la définition (5.8) deT et le fait queT est une tribu (étape 1), nous obtenons (justifier)

m˚pAYBq `m˚pAXBq “1´m˚ppAYBqcq `1´m˚ppAXBqcq

“2´ rm˚pAcXBcq `m˚pAcYBcqs

ľ2´ rm˚pAcq `m˚pBcqs “m˚pAq `m˚pBq.

Étape 3.T est la complétée deBs0,1rpar rapport à la mesure de Lebesgue surBs0,1r.Montrons dans un premier temps quem˚ restreinte à T est complète. SoitAun ensemble négli-geable par rapport à cette mesure. Il existe donc unB PT tel queA ĂB etm˚pBq “0.

Pour toutεą0, il existeU ouvert tel queB ĂU etm˚pUq ăε(lemme5.5). Il s’ensuit que m˚pA∆Uq “m˚pUzAq ĺm˚pUq ăε. Grâce au lemme5.11, nous déduisons queAPT. m˚restreinte àT est donc une mesure complète.

Enfin, montrons queT est la complétée deBs0,1rpar rapport à la mesure de Lebesgue sur Bs0,1r (donc de m˚ sur Bs0,1r). Notons Bs0,1r cette complétée. De ce qui précède, Bs0,1r Ă T (justifier, en utilisant Bs0,1r Ă T et la complétude de m˚). Inversement, soitA PT. Du lemme5.5, il existe une suitepUnqnľ0 d’ouverts telle queAĂUn,@n, et m˚pUnq Ñm˚pAq. De même, il existe une suitepVnqnľ0 d’ouverts tells queAcĂVn,@n, etm˚pVnq Ñm˚pAcq. Nous avons alorspVnqcĂA,@n, etm˚ppVnqcq Ñm˚pAq(justifier).

PosonsB :“ YnpVnqc,C :“ XnUn. Nous avons (justifier)

B, C PBs0,1r etB ĂAĂC. (5.15)

Par ailleurs, nous avonspVnqcĂB,@n, d’où (justifier) m˚pBq ľlim

n m˚ppVnqcq “m˚pAq. (5.16)

De manière similaire,CĂUn,@n, d’où m˚pCq ĺlim

n m˚pUnq “m˚pAq. (5.17)

De (5.15)–(5.17) et la monotonie dem˚(lemme5.4b)), nous avonsm˚pBq “m˚pAq “ m˚pCq. Il s’ensuit (justifier) quem˚pCzBq “0, d’où (propositions4.11et4.14)A PBs0,1r

etm˚pAqest la mesure (de Lebesgue complétée) deA. CQFD

5.2 Pour aller plus loin

5.2.1 Mesures de Stieltjes

Soit F : R Ñ R, Fpxq :“ x, @x P R. La mesure de Lebesgue sur les boréliens deRest l’unique mesure borélienneµtelle queµpsa, brq “ Fpbq ´Fpaqpour tout intervalle ouvert bornésa, br.

Considérons plus généralement une fonction croissante F : R Ñ R. Rappe-lons que F a des limites latéralesFpx`q et Fpx´q en tout point. Nous avons la généralisation suivante de la mesure de Lebesgue.

82

Petru Mironescu Mesure et intégration

5.12 Théorème. Soit F : R Ñ Rune fonction croissante. Alors il existe une unique mesure borélienneµsurBRtelle queµpsa, brq “Fpb´q ´Fpa`qpour tout intervalle ouvert bornésa, br.

5.13 Définition (Mesure de Stieltjes). La mesure µ du théorème 5.12 est la mesure de Stieltjesassociée àF.

Si F est dérivable avec F1 Riemann intégrable sur tout intervalle borné (par exemple siF P C1), alors nous pouvons obtenir ce résultat en copiant la preuve du théorème 5.1. En général, F n’est pas dérivable ; elle peut par exemple être discontinue. Dans ce cas, il est encore possible de suivre la preuve du théorème 5.1, mais il faut éviter l’utilisation de l’intégrale de Riemann dans les preuves des lemmes 5.4, 5.8 et 5.10; voir Bogachev [4, section 1.8]. Comme nous l’avons noté, l’utilisation de l’intégrale de Riemann dans la preuve est commode, mais pas indispensable.

5.2.2 La construction de Carathéodory

Commençons par une définition liée au lemme5.4.

5.14 Définition(Mesure extérieure). Unemesure extérieuresurXest une fonction m˚ :PpXq Ñ r0,8stelle que :

i) m˚pHq “0.

ii) m˚pAq ĺm˚pBqsiAĂB. iii) m˚pYjAjq ĺ ř

jm˚pAjq, pour toute suitepAjqj ĂX. ˛ Dans l’esprit de la construction de la mesure de Lebesgue, une façon simple de construire des mesures extérieures est la suivante.

5.15 Proposition. SoitA une famille de parties deXtelle que : i) Il existe une suitepXnqn ĂA avecYnXn “X.

ii) H PA.

Soitm:A Ñ r0,8stelle quempHq “0. Posons m˚pAq:“inf

# ÿ

j

mpAjq; Aj PA, @j etAĂ YjAj, +

.

Alorsm˚est une mesure extérieure. ˛

Constructions de mesures 5.2 Pour aller plus loin

En poursuivant l’analogie avec la mesure de Lebesgue, il est tentant de consi-dérer la classe

T “ tAĂX; m˚pAq `m˚pAcq “m˚pXqu

et de montrer quem˚ restreinte àT est une mesure. Cette approche marche uni-quement si m˚pXq ă 8. La clé pour s’attaquer au cas général est indiquée par le résultat suivant (avec m˚ et T comme dans la construction de la mesure de Lebesgue).

5.16 Lemme. SoitAĂs0,1r. Alors

APT ðñ m˚pAXEq `m˚pAcXEq “m˚pEq, @E Ăs0,1r. ˛ Par analogie, posons, pourXetm˚ généraux,

T :“ tAĂX;m˚pAXEq `m˚pAcXEq “ m˚pEq, @E ĂXu. (5.18) Nous avons alors le résultat suivant.

5.17 Théorème(Théorème de Carathéodory). Soitm˚ une mesure extérieure sur Xet soitT comme dans (5.18). Alors

a) T est une tribu.

b) m˚ restreinte àT est une mesure complète. ˛

L’inconvénient de ce résultat abstrait est qu’il ne donne aucun renseignement surT ; par conséquent, il ne permet pas de décider si un ensemble concret est me-surable. Considérons le cas particulier oùX est un espace métrique. Rappelons que dans ce cas les ensembles « usuels » sont boréliens. Il est donc intéressant de décider siT contient les boréliens. Dans ce contexte, nous avons le complément suivant du théorème précédent.

5.18 Théorème (Théorème de Carathéodory). Soient m˚ et T comme dans le théorème précédent. SiX est un espace métrique et sim˚a la propriété

m˚pAYBq “ m˚pAq `m˚pBq, @A, B ĂXtels que distpA, Bq ą 0, (5.19)

alorsT contient les boréliens deX. ˛

Pour les résultats dans cette section, voir par exemple Halmos [11, chapitre III], Evans et Gariepy [7, chapitre 1], Bogachev [4, section 1.11].

84

Petru Mironescu Mesure et intégration

5.2.3 Les mesures de Hausdorff

Une conséquence importante de la méthode de la Carathéodory est l’existence des mesures de Hausdorff. Dans ce qui suit, nous nous donnons uns P r0,8r. À un tels, nous associons une constanteβpsq Ps0,8r. La formule deβpsqest connue, mais elle ne sera pas utile pour la compréhension de ce qui suit ; voir Evans et Gariepy [7, chapitre 2] et Bogachev [4, section 3. 10 (iii)] pour la valeur deβpsqet les résultats présentés dans cette section.

Pourδ ą0,sP r0,8retAĂRn, posons HsδpAq:“inf

#

βpsqÿ

j

pdiamAjqs; diamAj ĺδ, @j, etAĂ YjAj

+ , HspAq:“inf

δą0HsδpAq(mesure de Hausdorffs-dimensionnelle).

Ici,diamAest lediamètredeA,diamA:“supt}x´y}2;x, y P Au.

Les résultats de la section précédente impliquent facilement le résultat sui-vant.

5.19 Proposition.

a) HsδetHs sont des mesures extérieures.

b) Elles satisfont le critère de Carathéodory (5.19).

c) Restreintes aux boréliens,HδsetHssont des mesures. ˛ Par abus de notation, désignons encore par Hsδ et Hs les mesures associées aux mesures extérieures Hsδ et Hs par la construction de Carathéodory. L’utilité des mesures de Hausdorff vient de leur interprétation géométrique, du moins poursentier.

5.20 Théorème.

a) DansRn, nous avonsHn “λn(la mesure de Lebesgue).

b) Si n ľ 2 et si C est une courbe lisse paramétrée dans Rn, alors H1pCq est la longueur deC.

c) Sin ľ3et siS est une surface lisse paramétrée dansR3, alorsH2pSqest l’aire deS.

d) Etc. ˛

C’est dans ce théorème qu’interviennent les valeurs précises deβpsq.

Poursuivons l’exemple de la courbe paramétrée C Ă Rn. Il est possible de montrer que HspCq “ 8 si s ă 1 et que HspCq “ 0 si s ą 1. Le changement

Constructions de mesures 5.2 Pour aller plus loin

s’opère pour s “ 1, qui correspond à la dimension (géométrique) de C. De ma-nière générale, nous pouvons considérer le nombre

dimA:“inftsą0 ;HspAq “ 0u.

Pour une partieAdeRnde mesure de Lebesgue ą0, nous avonsdimA “n. Pour une surface lisse paramétrée S dans Rn, n ľ 3, nous avons dimS “ 2.

En général,dimAn’est pas un entier, mais il est néanmoins interprété comme la

« dimension deA». Par exemple, l’ensemble de Cantor maigre(voir l’exercice6.56) a la dimension ln 2

ln 3 (voir Taylor [19, Proposition 12.17]).

86

Chapitre 6 Intégrale

6.0 Aperçu

Dans ce chapitre, nous définissons l’intégraled’unefonction mesurablef, dans unespace mesurépX,T, µq, et donnons ses premières propriétés. Les plus simples fonctions mesurables sont lesfonctions caractéristiquesf “χA, avecAPT , et dans ce cas nous posons naturellement

ż

χA:“µpAq. Dans le cas des fonctions étagées, la définition se fait « par linéarité », en posant

ż ÿ

i

aiχAi :“ÿ

i

aiµpAiq, mais il y a déjà une première difficulté : pour que la dernière somme soit bien définie, il faut supposer par exemple ai ľ 0, @i. Cette définition permet de définir l’intégrale d’unefonction étagée positive. L’étape suivante consiste à définir l’intégrale d’une fonctionmesurable positivef. La définition6.5:

ż

f :“sup

u; 0ĺuĺf, uétagée

*

(6.1) n’est pas très intuitive ; une définition plus naturelle serait

ż

f :“lim

n

ż

fn, oùfnétagée positive,@n, etfn Õf; (6.2) une telle définition ressemblerait au calcul de l’intégrale de Riemann en utilisant des sommes de Darboux inférieures. Il se trouve que (6.2) est en effet équivalente à la définition6.5, mais que la preuve de cette équivalence n’est pas immédiate (voir le corollaire6.26).

†. Intégralede Lebesgue, au sens d’intégrale calculée dans le cadre de la théorie de l’intégration que nous présentons ici, due à Lebesgue. Je ne vais pas employer la terminologie intégrale de Lebesguedans le cadre général, la réservant au cas de l’intégrale d’une fonction par rapport à la mesure de LebesgueνnouλndansRn.

Intégrale 6.0 Aperçu

La définition de l’intégrale d’une fonction mesurable quelconque est l’une des fai-blesses de la théorie de l’intégration : en général, une fonction mesurable n’a pas d’inté-grale. La définition rigoureuse en est donnée dans la section6.2.

Dans la section6.3, nous examinons le lien entre intégrales par rapport àµet par rapport à la mesure complétéeµ, la conclusion informelle étant que le passage deµàµn’affecte pas l’existence des intégrales et leur valeur.

La section6.4nous permet de rencontrer un résultat important d’intégration : le théorème de convergence monotone6.25 (outhéorème de Beppo Levi). C’est le pre-mier résultat permettant depermuterlimet

ż

. Il affirme que si 0ĺfnÕf :“lim

n fn, avecfnmesurable,@n, alors

ż

limn fn “lim

n

ż fn.

Ce résultat a un nombre incalculable de conséquences, dont certaines seront vues dans la section 6.5. L’une d’elles est la linéarité de l’intégrale (proposition 6.28), dont à la fois l’énoncé et la preuve ne sont pas évidentes.Une autre consé-quence est encore un résultat depermutation, cette fois-cientre somme d’une série et intégrale, dont la conclusion est (sous des hypothèses appropriées)

ż ÿ

n

fn“ ÿ

n

ż fn

(théorème6.34).

La section6.6fait le lien entre l’intégrale et les intégrales déjà connues, de Rie-mann et généralisée. Pour simplifier, nous considérons uniquement des fonctions continues (ce qui n’est pas essentiel). Un résultat simple à énoncer (proposition 6.42) est que,sif :ra, bs ÑRest continue, alors son intégrale de Riemann et son inté-grale par rapport à la mesure de Lebesgueν1 coïncident. Les propositions 6.42et 6.43 sontfondamentales, dans la mesure où elles permettent de traiter une même inté-grale tantôt comme intéinté-grale de Lebesgue, tantôt comme intéinté-grale de Riemann (ou généralisée) et d’utiliser dans les calculs des résultats spécifiques à chacune de ces intégrales.

†. Faut-il vraiment connaître cette preuve ? Lieb et Loss justifient ainsi l’absence de la théorie de l’intégration dans leur livre Analysis [15] : “We all know the tremendously important fact that ż

pf`gq “ ż

f` ż

g, and we can use it happily without remembering the proof (which actually requires some thought)”.

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Petru Mironescu Mesure et intégration

La section6.7 est inattendue par rapport au schéma « intégrale = généralisa-tion de l’intégrale de Riemann », car elle traite de séries, et explique comment celles-ci peuvent être vues comme des intégrales par rapport à la mesure de

La section6.7 est inattendue par rapport au schéma « intégrale = généralisa-tion de l’intégrale de Riemann », car elle traite de séries, et explique comment celles-ci peuvent être vues comme des intégrales par rapport à la mesure de

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