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Partie II : Difficultés rencontrées pour un accès optimal aux médicaments innovants

5. Des négociations de prix longues voire une rupture de dialogue

5.1. Les considérations des industriels

5.1.1. Le retour sur investissement (94)

Le médicament est le fruit d’un long parcours couteux et risqué de recherche et

développement (R&D) avant son arrivée sur le marché. A cet important poste de

dépense s’ajoutent, entre autres, les coûts de production et de commercialisation.

Le secteur pharmaceutique est l’un des secteurs économiques dont l’effort de recherche est le plus important. En valeur absolue du budget total, l’industrie pharmaceutique est en 3e position après la construction aéronautique et spatiale et

108 pharmaceutique représente 9,8% de son chiffre d’affaires en 2015 contre 4,8% pour l’automobile.

On estime que parmi 10 000 molécules criblées, 10 parviendront à un dépôt de brevet et seulement une entrera sur le marché. De plus, une étude de 2012 avait estimé que mettre au point une nouvelle molécule représentait un investissement d’environ 900 millions de dollars, voire 1,5 milliards de dollars en tenant compte du coût du capital. En effet, les apporteurs de capitaux (actionnaires …) attendent un retour sur investissement, mesuré en taux de rentabilité attendu, assimilable au coût des projets (R&D particulièrement).

Une hausse continue des coûts de développement de nouveaux médicaments a été constatée ces dernières années du fait de l’enchérissement des coûts de

développement (croissance de 10% par an), expliqué par :

• L’enchérissement des études cliniques accompagné de protocoles plus complexes, un nombre croissant d’indicateurs et de patients requis par les autorités ;

• L’allongement de la durée des études notamment en cancérologie et dans les maladies du SNC ;

• L’augmentation du taux d’échec notamment dans les maladies chroniques et dégénératives.

De plus, le médicament n’est pas un produit constant et figé dans le temps, ainsi son prix ne peut se limiter à l’ensemble des coûts qui le composent. La structure de coût du médicament est complexe : elle ne peut se déduire par produit ni par pays. En effet, l’investissement en R&D se fait souvent dans une logique de portefeuille et il est difficile d’associer un coût à un seul produit. Par ailleurs, la R&D se fait généralement à l’échelle mondiale, ne permettant pas de rapporter un coût de développement par pays.

L’amortissement financier de ces projets de R&D, ne pouvant se faire qu’au plan mondial, celui-ci se voit complexifié par l’arrivée tardive des innovations sur le marché et la concurrence précoce des génériques ou biosimilaires. En effet, la molécule est protégée par un brevet pour une durée de 20 ans (pouvant être prolongé de 5 ans par un certificat complémentaire de protection) dès son identification. Celle-ci faisant ensuite l’objet d’études cliniques successives pendant une dizaine d’années, elle doit encore franchir les différentes étapes réglementaires dont celle de la fixation de prix par le CEPS. C’est pourquoi, compte tenu de la complexité du processus d’accès au marché, l’innovation ne bénéficie d’une protection commerciale effective que de 10

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ans en moyenne. De plus, l’innovation thérapeutique n’atteint sa population cible

qu’en quelques années (presque au terme de la protection par le brevet).

Figure 25 : Cycle de vie du médicament - investissements et diffusion - années 1980 versus aujourd'hui (94)

D’un point de vue plus international, l’accord-cadre de décembre 2015 a ouvert la possibilité de tenir en considération les investissements réalisés par les laboratoires dans l’Union Européenne pour la fixation initiale du prix, ou pour sa révision (14). L’article 18 prévoit en pratique, une stabilité de prix octroyée par le CEPS. Il s’agit en fait, de la régularisation d’une pratique ancienne des pouvoirs publics à prendre en

compte les engagements des industriels dans les nouveaux investissements et

la création ou le maintien des emplois existants. Les lettres d’orientations ministérielles successives adressées au président du CEPS recommandent une politique qui

favorise l’attractivité de la France en termes de rayonnement de recherche et

d’activité économique, mais également incitent à soutenir le dynamisme des

industries de santé. Cependant, la lettre d’orientation d’août 2016 (95) nuance ce

soutien : pour les médicaments déjà disponibles dans le panier de soins, la prise en compte des investissements dans l’Union Européenne ne saurait avoir pour conséquence une perte d’efficience ou un impact budgétaire excessif.

L’innovation thérapeutique présente donc à la fois un coût élevé et un risque financier majeur : le temps nécessaire à la recherche mobilise d’importants capitaux sur une longue période, pour un résultat incertain. Peu de médicaments

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génèrent des gains suffisants pour couvrir l’ensemble des coûts de recherche et de développement engagés.

5.1.2. Exemples de stratégies pour restaurer une croissance

Il est vrai que les entreprises du médicament ont fait évoluer leurs stratégies en matière de prix. De par l’incertitude grandissante sur leur retour sur investissement de R&D, celles-ci se sont orientées de plus en plus vers des demandes de prix établies en fonction de la capacité à payer des acheteurs publics.

• Les prix supérieurs des innovations de niche :

Le prix d’un médicament n’est pas le même si le produit concerne plusieurs centaines de milliers de personnes ou plusieurs centaines, comme c’est le cas dans une maladie rare. Les thérapies de niche de pathologies rares et sans alternative amènent plus souvent la HAS à les évaluer comme des thérapies apportant une ASMR plus importante (III à I), avec pour conséquence un prix plus élevé attribué au produit. Ainsi, au-delà de la valeur thérapeutique ajoutée par rapport aux autres traitements, le prix des comparateurs, la taille de la population est également un élément de fixation du prix selon le CEPS.

Par la suite, le laboratoire choisit parfois l’élargissement de l’accès à des indications visant des populations plus larges.

• Attendre l’évaluation plus favorable d’une indication ultérieure :

Dans le cas où le laboratoire redoute une évaluation, ou que celle-ci s’avère effectivement défavorable par la CT, il peut décider de ne pas demander le remboursement ou retirer son dossier (si le produit n’a pas fait l’objet d’une ATU) pour attendre l’évaluation plus favorable d’une indication à venir. Cela permet au laboratoire de négocier le prix du produit sur base de l’évaluation plus favorable du niveau d’ASMR, afin d’obtenir un prix plus élevé. Les évaluations non favorables peuvent évidemment concerner le risque d’attribution ou l’attribution d’un SMRi, mais pas seulement. Cela peut également concerner les SMR faibles et modérés, même si ce critère n’est pas officiellement un critère de fixation du prix au sens de la loi, on peut facilement imaginer que le CEPS ne fixe pas le même niveau de prix pour un produit qui possède un SMR important, modéré ou faible. De même il s’avère qu’une ASMR V voire une ASMR IV ne soit pas toujours favorable aux yeux du laboratoire, surtout lorsque celui-ci s’attend, par exemple, à une inscription sur la liste en sus nécessitant une ASMR III en l’absence de comparateur inscrit sur cette même liste.

111 • La diversification du portefeuille de produits :

Cette diversification peut se manifester sous forme de rapprochements avec des sociétés de biotechnologies ou d’autres laboratoires, par l’acquisition d’un ou plusieurs produits, du portefeuille d’une aire thérapeutique, ou d’une entreprise entière. Cela permet parfois de restaurer une croissance et de minimiser le risque associé à chaque médicament. C’est notamment le cas lorsque des produits se ne sont plus considérés comme innovants et/ou qui ne bénéficient plus d’une place dans la stratégie thérapeutique. En effet, le risque de ne plus être pris en charge suite à une évaluation défavorable est, dans ce cas, important