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3 La considération du problème dans une perspective comparatiste France Grèce

90. La présente analyse est comparatiste : elle porte sur deux Etats mis en parallèle, la France et la Grèce. Elle s’inscrit dans le droit comparé, car elle tend à analyser son objet en mettant en lumière les points de convergence et de divergence entre les deux systèmes décrits104. Il est

surtout question de retenir les éléments communs aux deux ordres juridiques qui constituent la structureΝnormativeΝdeΝl’Etat social. εêmeΝsiΝl’Etat social est un concept contingent qui change légèrement de sens en fonction de l’ordreΝ juridiqueΝ concerné,Ν ilΝ s’agitΝ deΝ dégagerΝ sesΝ

caractéristiques essentielles à défaut desquelles la qualification de « social »Νn’estΝpasΝpossibleέΝ

La perspective comparatiste éclaire ainsi la nature desΝpropriétésΝconstitutivesΝdeΝl’Etat social en nous permettant de mieux identifier sa présence.

91. ωertainsΝprolégomènesΝportantΝsurΝl’analyseΝcomparativeΝdeΝlaΝ‑ranceΝetΝdeΝlaΝύrèceΝen tant qu’‐tatsΝ sociauxΝ s’avèrentΝ indispensablesέΝ ‐nΝ particulier,Ν l’étudeΝ des limites àΝ l’actionΝ du législateurΝissuesΝduΝprincipeΝdeΝl’‐tatΝsocialΝenΝFrance et en Grèce présuppose que ces deux Etats soient effectivement des « Etats de droit » (i). Précisons à cet égard que tous les deux ont consacré un contrôle de constitutionnalité qui se réalise cependant selon des modalités différentes (ii), mais également un contrôle de conventionnalité qui pose la question de la « primauté » entre normes supérieures (iii).

i - δe contrôle du législateur, élément constitutif de l’« État de droit »

92. La définitionΝduΝconceptΝd’« Etat de droit »ΝneΝfaitΝtoujoursΝpasΝl’objetΝd’unΝcompromisΝ doctrinal. Les juristes allemands avaient développé dès le XIXe siècleΝ l’idéeΝ d’uneΝ « auto-

limitation »ΝdesΝorganesΝdeΝl’‐tat,ΝdeΝleurΝsubordinationΝauΝdroitέΝτr,ΝlaΝformeΝexacte que cette dernière devrait prendre est longtemps restée incertaine105.

93. En France, le sujetΝ aΝ faitΝ l’objetΝ deΝ nombreusesΝ controversesΝ opposantΝ uneΝ définitionΝ « objectiviste » et une définition « volontariste »Ν deΝ l’‐tatΝ106έΝ ϊ’aprèsΝ laΝ première,Ν dontΝ leΝ

principal représentant était δéonΝ ϊuguit,Ν l’origineΝ duΝ droitΝ seΝ trouveΝ dansΝ unΝ ensembleΝ de

104 Otto PFERSMANN, « Le droit comparé comme interprétation et comme théorie du droit », Revue

internationale de droit comparé, 2001, p. 275. Voir également, Eleni MOUSTAIRA, Etapes dans le

développement du droit comparé. Positions et contre-positions, Ant. N. Sakkoulas, 2004, p. 229 (en grec).

105 Francis HAMON, Michel TROPER, Droit constitutionnel, L.G.D.J., 2017, p. 43. Antonis MANITAKIS, Etat

de droit et contrôle de constitutionnalité, Sakkoulas, Athina – Thessaloniki, 1994, p. 47 (en grec).

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phénomènesΝ extérieursΝ àΝ l’‐tatΝ quiΝ estΝ uneΝ entitéΝ dontΝ l’actionΝ estΝ guidéeΝ parΝ leΝ « service public »107. Selon le deuxième courant, représenté notamment par Raymond Carré de Malberg,

laΝlimitationΝdeΝl’‐tatΝdoitΝêtreΝrecherchée dans sa propre volonté108. Si par « souveraineté » on

entend d’uneΝmanièreΝgénéraleΝl’habilitationΝd’unΝorganeΝàΝdéterminerΝlibrement ses propres actions et omissions109,ΝpourΝϊuguitΝl’‐tatΝn’estΝpasΝsouverain, alors que pour Carré de Malberg

le législateur est souverain.

94. La conception selon laquelle la « loi est souveraine », prépondérante avant la Seconde guerre mondiale dans la plupart des Etats européens, a progressivement cédé la place à un

contrôle de constitutionnalité des lois qui estΝnéΝdeΝl’expérienceΝdeΝla Seconde guerre mondiale

etΝ deΝ laΝ manièreΝ dontΝ l’« autolimitation »Ν duΝ législateurΝ s’estΝ effondréeΝ devantΝ lesΝ régimesΝ totalitaires en Allemagne et en Italie110. ϊepuisΝ lors,Ν l’« Etat de droit » est entendu en tant

qu’ordreΝjuridiqueΝquiΝgarantitΝlaΝsubordinationΝduΝlégislateur à la Constitution. A cet égard, le « principe de constitutionnalité » se distingue du « principe de légalité » qui signifie la soumissionΝdeΝl’χdministrationΝàΝlaΝloi111. ‐nΝ‑rance,ΝleΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝaΝétéΝ

établiΝ dansΝ laΝ ωonstitutionΝ deΝ 1ληκΝ quiΝ aΝ crééΝ leΝ ωonseilΝ constitutionnel,Ν organeΝ chargéΝ deΝ l’exercerΝdansΝtouteΝsonΝétendueΝàΝpartirΝdeΝlaΝdécisionΝ« δibertéΝd’association »ΝdeΝ1λι1112έΝEn

Grèce,Νl’exercice d’unΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝdesΝloisΝa été consacré dans la Constitution de 1975113έΝϊésormais,ΝlaΝquestionΝn’estΝplusΝcelleΝdeΝsavoirΝdansΝquelleΝmesureΝilΝconviendraitΝ

deΝ limiterΝ ouΝ nonΝ l’actionΝ duΝ législateur,Ν maisΝ quellesΝ sontΝ exactement les normes constitutionnelles qui limitent sa compétence dans un Etat de droit.

95. La réponse à cette questionΝdépendΝdeΝlaΝdéfinitionΝexacteΝqueΝl’onΝretientΝdeΝl’‐tatΝdeΝdroit, qui peut aller dans un sens « formel » ou dans un sens « matériel »έΝIlΝs’agitΝd’uneΝdéfinitionΝ

107 Léon DUGUIT, Traité de droit constitutionnel. La règle de droit, le problème de l'État, Tome 1, E. Boccard,

1927.

108 Raymond CARRE DE MALBERG, Contribution à la théorie générale de l'État : spécialement d'après les

données fournies par le droit constitutionnel français, Dalloz, 2003.

109 Ainsi, un Etat est souverain parceΝqu’ilΝdisposeΝd’unΝpouvoirΝautonomeέΝδireΝnotέΝχntonisΝPχσT‐δIS,ΝDroit

constitutionnel hellénique, op. cit., p. 27. Voir infra, p. 382 et s.

110 Michel FROMONT, Alfred RIEG, Introduction au droit allemand, Tome I, Editions Cujas, 1977, p. 47. 111 Antonis MANITAKIS, Etat de droit et contrôle de constitutionnalité, op. cit., p. 47.

112 Voir infra, p. 80.

113 Le contrôle de constitutionnalité était réalisé par les hautes juridictions helléniques (Cour de Cassation, n°

23/1897- ωd‐,Νn°Ν1ή1λβλΨΝégalementΝsousΝleΝrégimeΝdesΝconstitutionsΝprécédentesέΝω’estΝtoutefoisΝlaΝωonstitutionΝ de 1975, constitution qui marque le passage de la dictature des colonels à la démocratie, qui lui donne la place centrale quiΝluiΝestΝreconnueΝaujourd’huiέΝωetteΝωonstitutionΝestΝsouventΝmentionnéeΝenΝtantΝqueΝproduitΝd’uneΝ révisionΝconstitutionnelle,ΝmaisΝl’χssembléeΝconstituanteΝdeΝ1λιηΝdisposaitΝduΝpouvoir constitutionnel originaire - et non du pouvoir constitutionnel dérivé – et était ainsi chargée de la tâche de rédiger une nouvelle constitution. Lire, Georgios KASIMATIS, δ’interprétationΝdeΝlaΝωonstitution, op. cit., p. 9.

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« formelle »ΝsiΝl’onΝtientΝcompteΝdesΝseulesΝlesΝpropriétésΝconstitutivesΝdeΝl’ordreΝjuridiqueέΝIlΝ seraΝ questionΝ d’uneΝ définitionΝ « matérielle » si l’on tient compte des structures normatives contingentesΝdontΝleΝsensΝexactΝvarieΝselonΝl’ordreΝjuridiqueΝquiΝlesΝconsacre114. Pour Kelsen,

par exemple, seule une définition formelleΝdeΝl’‐tatΝdeΝdroit est possible ; définition qui aboutit àΝuneΝtautologieΝavecΝl’‐tat115. SelonΝl’approche kelsénienne, si l’‐tatΝestΝunΝordreΝjuridique,Ν

c’est-à-dire un ensemble de normes juridiques hiérarchisées disposant d’uneΝcertaineΝunité,ΝilΝ se confond avecΝleΝdroitέΝIlΝn’yΝaΝalorsΝpasΝlieuΝd’évoquerΝunΝ‐tatΝdeΝdroit : tout Etat est un Etat de droit parΝleΝfaitΝd’êtreΝunΝsystèmeΝdeΝnormesέΝΝ

96. Pour une grande partie des auteurs, une telle position est cependant critiquable dans la mesure où elle impliquerait une liberté totale du législateur dans la production de normes. Or, siΝleΝlégislateurΝn’estΝpas contraint par le contenu des normes constitutionnelles mais seulement par la forme deΝ l’ordreΝ juridique,Ν mêmeΝ unΝ ‐tatΝ totalitaireΝ pourrait être qualifié d’EtatΝ deΝ

droit116. Contrairement alors àΝ l’approcheΝ normativisteΝ deΝ l’‐tatΝ deΝ droit,Ν laΝ majoritéΝ des

auteurs117 entendΝl’‐tatΝdeΝdroitΝdansΝunΝsens matériel en y associant, par exemple, autant la

« démocratie »118 que les droits constitutionnels. Or, cette définition purement matérielle de

l’‐tatΝdeΝdroitΝn’estΝpasΝnonΝplusΝsatisfaisanteΝparceΝqu’elleΝperdΝsa signification autonome119.

SiΝl’‐tatΝdeΝdroitΝestΝuneΝsynthèseΝdeΝplusieursΝstructuresΝnormatives contingentes, le concept en tant que tel finit par devenir « inutile »120.

97. IlΝconvient,ΝdèsΝlors,ΝdeΝretenirΝuneΝdéfinitionΝdeΝl’‐tatΝdeΝdroitΝquiΝimplique autant des éléments formels que matériels, afin de dépasser les inconvénients de chacune des définitions mentionnées. Une telle définition mixte sera, en réalité, davantage matérielle dans la mesure où son sens exact pourra se spécifier en fonctionΝdeΝl’ordreΝjuridiqueΝ concerné. Le Professeur Pfersmann121 propose une telle définition sur la base du constat suivant. Historiquement, une

phase « revendicative » durant laquelle les prérogatives du monarque étaient limitées par le

114 Otto PFERSMANN, « Prolégomènes pour une théorie normativisteΝdeΝl’‐tatΝdeΝdroit », in Olivier JOUANJAN,

όiguresΝdeΝl’EtatΝdeΝdroit,ΝleΝΟRechtsstaatΟΝdansΝlΥhistoireΝintellectuelleΝetΝconstitutionnelleΝdeΝlΥχllemagne, Presses

universitaires de Strasbourg, 2001, p. 53, p. 54.

115 Hans KELSEN, Théorie pure du droit, op.cit., p. 281.

116 Antonis MANITAKIS, Etat de droit et contrôle de constitutionnalité, op.cit., p. 50, p. 51.

117 Louis FAVOREU et alii, Droit constitutionnel, op. cit., p. 30, p. 31. Michel FROMONT, Alfred RIEG,

Introduction au droit allemand, Tome II, op. cit., p. 10. François DREYFUS, « Les droits économiques et sociaux dans quelques constitutions récentes », op. cit. Anne-Laure VALEMBOIS, δaΝconstitutionnalisationΝdeΝl’exigenceΝ de la sécurité juridique en droit français, op. cit.

118 Par « démocratie »,ΝonΝentendΝleΝfaitΝd’élireΝunΝParlementΝauΝsuffrageΝuniverselέΝ 119 Kostas CHRYSOGONOS, Droit constitutionnel, op. cit., p. 377, 385.

120 Jean-Philippe DEROSIER, δesΝ limitesΝ constitutionnellesΝ àΝ l’intégrationΝ européenne : étude comparée

Allemagne, France, Italie, op. cit., p. 235.

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législateur a donné place à une phase « conquérante » durant laquelle les prérogatives du législateur sont limitées par un organe juridictionnel qui veille au respect de la Constitution. Les deuxΝétapesΝfontΝqueΝl’‐tatΝdeΝdroitΝcontemporainΝestΝenΝréalitéΝuneΝconjonctionΝd’unΝ« Etat de droit minimal »,Ν quiΝ signifieΝ laΝ réductionΝ deΝ laΝ violenceΝ auΝ moyenΝ deΝ l’institutionΝ deΝ procéduresΝparlementaires,ΝetΝd’unΝ« Etat de droit conforme », qui implique la correction de contenus « injustes »122. Ne pouvant éviter la production de normes fautives, un « Etat de droit

fort » est ainsi, selonΝl’auteur, inaccessible.

98. δaΝdéfinitionΝretenueΝdeΝl’Etat de droit impliqueΝl’existenceΝd’unΝcontrôleΝdeΝconformitéΝ des normes inférieures par rapport à celles qui se situent à un rang supérieur ainsi que la productionΝdeΝlaΝloiΝparΝunΝorganeΝindépendantΝtantΝdeΝl’organeΝquiΝl’exécuteΝΧχdministrationΨΝ queΝdeΝl’organeΝquiΝlaΝcontrôleΝΧjugeΨ123. Le second élément constitutif de l’‐tatΝdeΝdroit porte

sur la « séparation des pouvoirs » ou « distribution des compétences » et implique que toute normeΝpeutΝêtreΝcontrôléeΝparΝdesΝorganesΝspécialisésΝetΝdistinctsΝdeΝceuxΝquiΝl’ontΝédictéeέΝ Certaines garanties supplémentaires peuvent résulter de la définitionΝdeΝl’‐tatΝdeΝdroitΝcomme,Ν par exemple, la déterminationΝ deΝ laΝ loiΝ deΝ telleΝ sorteΝ qu’elleΝ soitΝ compréhensibleΝ parΝ sonΝ destinataire. Le respect de cette dernière garantie est indispensable pour que soit possible un contrôle de conformité124.

99. ‐nΝs’appuyantΝsurΝleΝcontrôleΝdeΝconformitéΝdeΝlaΝloi aux normes supérieures ainsi que sur une distribution desΝcompétencesΝentreΝorganesΝdeΝl’‐tat,ΝonΝretiendra une approche matérielle deΝl’‐tatΝdeΝdroitέΝLa particularité de celle-ciΝreposeΝsurΝleΝfaitΝqu’elleΝcontientΝmoinsΝd’élémentsΝ matériels que les définitions qui y intègrent également la démocratie et les droits. La définition deΝ l’‐tatΝ deΝ droitΝ n’estΝ pasΝ iciΝ uneΝ synthèseΝ d’élémentsΝ contingents, mais repose sur l’identificationΝdeΝseulementΝdeuxΝélémentsΝquiΝsontΝliésέΝδeurΝancrageΝresteΝ formel, car ils peuventΝseulementΝêtreΝprésentsΝauΝseinΝd’unΝordreΝjuridiqueΝhiérarchiqueέΝ

Afin de poursuivre notre réflexion, il convient de démontrer que la France et la Grèce sont effectivement des Etats de droit.

122 Ibidem.

123 Xavier MAGNON, Théorie(s) du droit, op. cit., p. 84.

124 δ’‐tatΝdeΝdroitΝimpliqueΝleΝdroitΝd’êtreΝleΝdestinataire de normes clairement déterminées (dans la mesure du

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ii - Le contrôle de constitutionnalité et ses particularités en France et en Grèce

1ίίέΝδeΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝdesΝnormesΝn’étantΝpasΝunΝdispositifΝpurementΝformel,ΝonΝ doitΝtenirΝcompteΝdesΝnuancesΝquiΝexistentΝquantΝàΝ sonΝorganisationΝenΝ‑ranceΝetΝenΝύrèceέΝ χutrementΝ dit,Ν ilΝ s’agitΝ deΝ releverΝ lesΝ différencesΝ entreΝ lesΝ modèlesΝ deΝ contrôleΝ deΝ constitutionnalitéΝdesΝnormesΝadoptésΝenΝ‑ranceΝetΝenΝύrèce,ΝavantΝdeΝmettreΝenΝlumièreΝunΝ certainΝrapprochement,Νrécent,ΝdeΝceuxάciέ

1ί1έΝ‐nΝpremierΝlieu,ΝnotonsΝqu’àΝl’origine,ΝlesΝ‐tatsΝenΝquestionΝn’ontΝpasΝconsacréΝleΝmêmeΝ typeΝ deΝ contrôleΝ deΝ constitutionnalitéΝ desΝ normesέΝ δaΝ ‑ranceΝ aΝ optéΝ pourΝ leΝ modèleΝ « continental »ΝdeΝcontrôleΝάΝconcentré,Νabstrait,ΝaΝpriori125ΝάΝtandisΝqueΝlaΝύrèceΝaΝadoptéΝleΝ

modèleΝ« américain »ΝdeΝcontrôleΝάΝdiffus,Νincident,ΝaΝposteriori126ΝάέΝϊansΝleΝmodèleΝclassiqueΝ

français,Ν lesΝ normesΝ constitutionnellesΝ dontΝ laΝ violationΝ estΝ susceptibleΝ deΝ conduireΝ àΝ l’annulationΝ d’uneΝ loiΝ Χ« blocΝ deΝ constitutionnalité »ΨΝ neΝ peuventΝ êtreΝ déféréesΝ auΝ ωonseilΝ constitutionnelΝqu’àΝl’initiativeΝd’organesΝétatiquesέΝδaΝqualificationΝde « jugeΝconstitutionnel »Ν estΝiciΝréservéeΝàΝl’organeΝquiΝprocèdeΝàΝl’examenΝdeΝdispositionsΝlitigieusesΝaprèsΝavoirΝétéΝsaisiΝ parΝunΝorganeΝexterneέΝ‐nΝrevanche,ΝdansΝleΝcasΝhellénique,ΝtouteΝjuridictionΝpeutΝd’officeΝouΝàΝ laΝsuiteΝd’uneΝdemandeΝdirecteΝdeΝrequérantsΝΧ« exceptionΝd’inconstitutionnalité »ΨΝeffectuerΝunΝ telΝcontrôleέ

1ίβέΝϊansΝlaΝmesureΝoùΝtoutesΝlesΝjuridictionsΝhelléniquesΝpeuventΝprocéderΝàΝunΝcontrôleΝdeΝ constitutionnalitéΝdesΝnormes,ΝilΝn’yΝaΝpasΝdeΝ« juge constitutionnel » ad hoc, comme le Conseil constitutionnel français ; un constat qui rend donc l’usageΝdu terme en réalité peu pertinent dans leΝcasΝdeΝl’ordreΝjuridiqueΝhellénique127. Aussi est-ilΝpréférableΝd’employerΝl’expressionΝ« juge

de la constitutionnalité » pour désigner de manière appropriée l’organeΝqui contrôle le respect de la Constitution dans les deux Etats. Par ailleurs, en Grèce, contrairement à la procédure employée en France, la loi ne peut être directement mise en cause par les requérants. La loi est

indirectement attaquée à travers le recours contre un acte administratif. La même restriction ne

125 Article 61 de la Constitution de 1958, alinéa 1er : « Les lois organiques, avant leur promulgation, les

propositions de loi mentionnées à l'article 11 avant qu'elles ne soient soumises au référendum, et les règlements des assemblées parlementaires, avant leur mise en application, doivent être soumis au Conseil constitutionnel qui se prononce sur leur conformité à la Constitution ».

126 Article 93, par. 4 de la Constitution hellénique : « 4. Les tribunaux sont tenus de ne pas appliquer une loi dont

le contenu est contraire à la Constitution ». Article 87, par. 2 : « 2. Dans l'exercice de leurs fonctions, les magistrats sont soumis seulement à la Constitution et aux lois ; ils ne sont en aucun cas obligés de se conformer à des dispositions prises en violation de la Constitution ».

127 Antonis MANITAKIS, δ’établissementΝd’uneΝωourΝconstitutionnelle, Sakkoulas, Athina – Thessaloniki, 2008,

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vaut cependant pas pour les actes administratifs qui sont pris par le gouvernement à la suite d’uneΝ habilitation du Parlement : ces « lois au sens matériel », connues sous le nom d’ordonnances dans la terminologie française128, peuvent directement être attaquées par les

requérants.

1ίγέΝ‐nΝ‑rance,ΝleΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝdesΝloisΝestΝréservéΝenΝexclusivitéΝauΝωonseilΝ constitutionnelέΝδeΝrefusΝd’accorderΝauxΝjuridictionsΝordinaires,ΝadministrativesΝetΝciviles,ΝlaΝ compétenceΝdeΝprocéderΝàΝunΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝdeΝlaΝloiΝestΝancienέΝIlΝdateΝd’uneΝ périodeΝantérieureΝàΝl’existenceΝd’unΝjugeΝconstitutionnel νΝlaΝ« théorieΝdeΝlaΝloiάécran »ΝétaitΝ alorsΝprépondérante129έΝPourΝleΝωonseilΝd’‐tatΝfrançais,ΝleΝcontrôleΝduΝ« règlement »,ΝsoitΝdeΝlaΝ

normeΝgénéraleΝpriseΝparΝl’χdministrationΝdansΝlaΝplupartΝdeΝcasΝpourΝl’exécutionΝd’uneΝloiΝ votée,ΝéquivautΝàΝunΝcontrôleΝindirectΝduΝlégislateur130ΝquiΝétaitΝàΝl’époqueΝ« souverain »131έΝδeΝ

refusΝduΝjugeΝadministratifΝdeΝcontrôlerΝparΝvoieΝdΥexceptionΝlaΝconstitutionnalitéΝdeΝlaΝloiΝaΝétéΝ maintenuΝaprèsΝlaΝcréationΝduΝωonseilΝconstitutionnel132έΝδeΝωonseilΝd’‐tatΝfrançaisΝprocèdeΝàΝ

unΝ contrôleΝ deΝ constitutionnalitéΝ desΝ actesΝ administratifsΝ lorsqu’ilsΝ neΝ sontΝ pasΝ prisΝ enΝ applicationΝ d’uneΝ loi,Ν ainsiΝ queΝ desΝ ordonnances133έΝ PlusΝ largement,Ν lesΝ juridictionsΝ

administrativesΝfrançaisesΝsontΝchargéesΝdeΝcontrôlerΝlaΝlégalitéΝdesΝactesΝadministratifsΝetΝdeΝ lesΝannulerΝs’ilsΝsontΝillégauxέ

104. La distinction principale entre contrôle de constitutionnalité a priori et contrôle de constitutionnalité a posteriori résideΝdansΝleΝfaitΝqueΝdansΝleΝpremierΝcas,Νl’entréeΝenΝvigueurΝdeΝ la norme est conditionnée à la reconnaissance de sa constitutionnalité tandis que dans le second cas, la norme est déjà enΝvigueurΝlorsqu’elleΝest contestée, une mise en cause qui peut avoir lieu

128 δ’habilitationΝdeΝl’χdministrationΝàΝproduireΝdesΝloisΝmatériellesΝseΝfondeΝnormalementΝsurΝuneΝautorisationΝ

préalableΝduΝParlementέΝδaΝproductionΝdeΝrèglesΝparΝl’χdministrationΝestΝprévueΝauxΝarticlesΝζγΝetΝ44, par. 1 de la ωonstitutionΝhelléniqueέΝIlΝenΝvaΝdeΝmêmeΝpourΝl’articleΝγκΝdeΝlaΝωonstitutionΝfrançaiseΝdeΝ1ληκ. Bien que la loi au

sens matériel en Grèce (εαθκθδ δεά αληκ δσ β αΨΝ corresponde,Ν s’agissantΝ deΝ saΝ forme,Ν auxΝ ordonnances

françaises, son sens est en réalité plus proche de celui des règlements français.

129 CE, 6 novembre 1936, n°41221, ArrighiέΝ «Ν IlΝ n’appartientΝ pasΝ auΝ ωonseilΝ d’État,Ν statuantΝ auΝ contentieuxΝ

d’apprécierΝlaΝconformitéΝdeΝlaΝloiΝàΝunΝprincipeΝconstitutionnelΝcompteΝtenuΝdeΝl’étatΝactuelΝduΝdroitΝpublicΝ»έΝVoirΝ aussi, Cour de Cassation, 11 mai 1833.

130 Michel VERPEAUX, « Pouvoir règlementaire » in Denis ALLAND, Stéphane RIALS, Dictionnaire de la

culture juridique, op.cit., p. 1177. Frank MODERNE, « A propos du contrôle de la constitutionnalité des actes administratifs dans le droit public français contemporain », RFDA, n° 5, 2008, p. 915.

131 Voir supra, p. 46.

132 CE, 29 novembre 1968, n° 68938, Tallagrand ; CE, 5 janvier 2005, n° 257341, Mlle Deprez et M. Baillard ;

CE, 5 mars 1999, n° 194658, n°196116, Rouquette ; Cour de Cassation, 7 juillet 2009, n° 08-17541.

133 Sur le contrôle de constitutionnalité du décret, voir : CE, 8 décembre 1978, ύroupeΝd’information et de soutien

des travailleurs immigrés et autres (GISTI), CFDT et CGT. Pour le contrôle de constitutionnalité des ordonnances, voir : CE 30 avril 1997, χssocέΝσatέΝpourΝl’éthiqueΝdeΝlaΝmédecineΝlibérale ; CE 12 juin 1998, n° 183528 183571 183572 183584 183587, Conseil national de l'Ordre de médecins.

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à tout moment. En outre, la sanction du législateur dans chacun des modèles envisagés diffère. 105. ϊansΝleΝcadreΝd’unΝcontrôleΝa priori, la sanction consiste en un blocage de la procédure de production législativeΝquiΝneΝpeutΝallerΝjusqu’àΝsonΝterme,ΝcarΝelleΝaboutitΝàΝl’annulation de la loiΝparΝleΝjugeΝconstitutionnelΝavantΝmêmeΝqu’elleΝneΝproduiseΝdesΝeffetsέΝϊansΝleΝcadreΝd’unΝ contrôle a posteriori, la norme législative irrégulière est simplement écartée pour le litige en question, sansΝcependantΝdisparaîtreΝdeΝl’ordreΝjuridiqueΝdeΝmanièreΝerga omnes.

106. Les juridictions helléniques sont obligées de ne pas « appliquer » une loi inconstitutionnelleΝmaisΝn’ontΝpasΝlaΝcompétenceΝdeΝlaΝsupprimerΝdeΝl’ordre juridique. Cela signifie en pratique que la même disposition jugée constitutionnelle par une juridiction x pourra être jugée inconstitutionnelle par une juridiction pέΝδeΝrisqueΝd’uneΝtelleΝdivergenceΝestΝtoutefoisΝ réduit par le fait que les hautes juridictions homogénéisent la jurisprudence des juridictions inférieuresέΝϊansΝleΝcasΝexceptionnelΝd’uneΝdivergenceΝentreΝdeuxΝdesΝtroisΝhautesΝjuridictionsΝ helléniques ΧωonseilΝd’‐tat,ΝωourΝdeΝcassation,ΝωourΝdesΝcomptesΨ,Νla Constitution prévoit une « Cour suprême spéciale » afin de résoudre le conflit de jurisprudences134έΝIlΝs’agitΝduΝseulΝcasΝ

de contrôle concentré de constitutionnalité des normes consacré par la Constitution hellénique. Alors, exceptionnellement, la Cour procède à une annulation erga omnes de la disposition inconstitutionnelle.

107. PourΝautant,ΝenΝdépitΝd’importantesΝdifférencesΝentreΝlaΝ‑ranceΝetΝlaΝύrèceΝenΝlaΝmatière,Ν de récentes évolutions juridiques tendent à rapprocher les dispositifs des deux Etats. ϊepuisΝlaΝ révisionΝconstitutionnelleΝfrançaiseΝdeΝβίίκ,ΝleΝωonseilΝconstitutionnelΝpeutΝêtreΝsaisiΝd’uneΝ questionΝprioritaireΝdeΝ constitutionnalitéΝΧQPωΨΝlorsqu’uneΝloiΝporteΝ atteinteΝauxΝ «Ν droitsΝetΝ

libertésΝqueΝlaΝωonstitutionΝgarantit »135έΝUnΝcontrôleΝdeΝconstitutionnalitéΝmenéΝaΝposterioriΝ

devientΝ désormaisΝ possible,Ν maisΝ ilΝ n’estΝ pasΝ directementΝ ouvertΝ auxΝ justiciablesέΝ ωeuxάciΝ peuventΝdésormaisΝinvoquerΝleΝnonάrespectΝdeΝdroitsΝconstitutionnelsΝdansΝleΝcadreΝd’unΝlitigeΝ maisΝuniquementΝdevantΝlesΝhautesΝjuridictionsΝordinairesΝΧωonseilΝd’‐tat,ΝωourΝdeΝωassationΨ,Ν seulesΝhabilitéesΝàΝsaisirΝleΝωonseilΝconstitutionnelΝauΝsujetΝdeΝl’inconstitutionnalitéΝd’uneΝnormeΝ déjàΝ entréeΝ enΝ vigueurέΝ δaΝ questionΝ prioritaireΝ deΝ constitutionnalitéΝ constitueΝ ainsiΝ unΝ vraiΝ

134 Article 100 de la Constitution hellénique.

135 Article 61, alinéa 1er de la Constitution de 1958 : « Lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une

juridiction, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'État ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé ».

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« changementΝ deΝ laΝ cultureΝ française »136ΝέΝ UneΝ telleΝ considérationΝ mériteΝ toutefoisΝ d’êtreΝ

relativiséeΝdansΝlaΝmesureΝoùΝleΝjugeΝordinaireΝdisposeΝtoujoursΝd’uneΝmargeΝd’appréciationΝ