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δa limitation du type de contrôle possible au regard des principes complémentaires

481. Il convient de démontrer que les principes complémentaires n’habilitentΝ pasΝ leΝ jugeΝ àΝ contrôler une carence législative en matière sociale. ϊ’uneΝmanièreΝgénérale,Νon sait que si le législateurΝ françaisΝ ouΝ grecΝ n’estΝ nullementΝ intervenu,Ν leΝ contrôleΝ deΝ sonΝ omission est impossible. Dans cette hypothèse, s’appliqueΝavec certitude la limite intrinsèque au principe social qui empêche de commander des actions positives au législateur. Néanmoins, lorsque celui-ci est déjà intervenu en créant une prestation, il devient en théorie possible pour le juge de procéder à un aménagement conforme en le contraignant à intervenir davantage en se basant sur des fondements complémentaires. Sur le fondement du principeΝd’égalité, il pourrait même

étendre lui-même leΝbénéficeΝd’une prestation à des individus qui en étaient initialement exclus. Sur celui du principe de la dignité de la personne humaine, il pourrait modifier les caractéristiquesΝd’uneΝprestationΝquiΝportentΝatteinte à ce principe en décidant, par exemple, l’augmentation du montant de celle-ci.

482. On serait en présence, dans ces hypothèses, d’un contrôleΝ d’omissionΝ

législative « camouflé » impliquant une interférence corrective dansΝl’activité du législateur. La conception selon laquelle le juge peut procéder un tel contrôle partiel d’omissionΝlégislativeΝ surΝleΝfondementΝduΝprincipeΝd’égalitéΝestΝassezΝpopulaireΝparmiΝlaΝdoctrine748. Il en va de même

s’agissantΝduΝprincipeΝdeΝdignitéΝdeΝlaΝpersonneΝhumaineΝquiΝestΝsouventΝenvisagéΝcommeΝleΝ fondementΝd’unΝminimum de prestations matérielles à fournir aux individus749. Or, dans toutes

748 Voir Laurence GAY, « Constitution et droits sociaux - France », Annuaire international de justice

constitutionnelle, n°ΝXXXI,Ν‐conomica,ΝPressesΝUniversitairesΝd’χix-Marseille, 2015, p. 263. δ’auteurΝconsidèreΝ

queΝleΝprincipeΝd’égalitéΝestΝunΝmoyenΝpourΝleΝjugeΝconstitutionnelΝdeΝsanctionnerΝl’omissionΝinconstitutionnelleΝ relativeΝduΝlégislateurέΝ‐lleΝévoqueΝqueΝ«Νl’atteinteΝalléguéeΝàΝl’égalitéΝreprésenteΝuneΝporteΝd’entréeΝclassiqueΝdeΝ l’omissionΝ législativeΝ dansΝ leΝ contentieuxΝ constitutionnelΝ enΝ matièreΝ deΝ prestationsΝ socialesΝ »έ Concernant la doctrine hellénique, voir Kostas CHRYSOGONOS, Droits individuels et sociaux, op.cit., p. 38.

749 Diane ROMAN, Le droit public face à la pauvreté, L.G.D.J, 2002, p. 337. Paul CASSIA, Dignité(s) : Une

notion juridique insaisissable, Dalloz, 2016, p. 110. Concernant la doctrine hellénique, voir Pénélope AGALLOPOULOU, « δ’applicationΝdu principe de dignité humaine en Grèce », in Marie Lucie PAVIA, Thierry REVET, La dignité de la personne humaine, Economica, Paris, 1999, p. 143. Selon certains auteurs, il y a dans la Constitution hellénique un rapport normatif « triangulaire » entre le principeΝdeΝl’‐tatΝsocialΝdeΝl’articleΝβηΝparέΝ1,Ν leΝprincipeΝdeΝlaΝdignitéΝdeΝlaΝpersonneΝhumaineΝdeΝl’articleΝβΝparέΝ1ΝetΝleΝprincipeΝduΝlibreΝépanouissementΝdeΝlaΝ personnalitéΝdeΝl’articleΝηΝparέΝ1έΝVoirΝenΝceΝsensΝχpostolosΝPχPχKτσSTχσTIστU,ΝDémocratie sociale et Etat

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ces hypothèses envisagées, la réserve de la loi régissant les compétences des organes français et grecs en matière sociale ne serait plus valable.

483. Il est certain queΝ l’étendueΝ duΝ contrôleΝ desΝ principes complémentaires dépend de la

définition exacte qui leur est donnée. PlusΝilsΝsontΝindéterminésΝetΝgénéraux,ΝplusΝs’aggraveΝleΝ risqueΝdeΝsubstitutionΝduΝjugeΝauΝlégislateurέΝϊèsΝlors,ΝsiΝl’onΝsouhaiteΝrévélerΝla limitation de type du contrôle des principesΝcomplémentairesΝsociaux,ΝilΝconviendraΝdeΝleΝfaireΝàΝpartirΝd’uneΝ

appréhension précise de leur sens. Dans le cadre de notre étude, une interprétation stricte des principes estΝ laΝ cléΝ pourΝ aborderΝ d’uneΝ manièreΝ adéquateΝ leurΝ rôleΝ deΝ fondements

complémentaires du principe social. δaΝdélimitationΝdeΝleurΝsensΝpermetΝd’écarter le contrôle

« correctif »750 qui vise la création législative de prestations matérielles et de se focaliser sur le

contrôle tendant à un aménagement négatif de ces dernières.

484. Il convient alors de procéder à une délimitationΝduΝsensΝduΝprincipeΝd’égalitéΝΧSectionΝ1Ψ,Ν puis à celui du principe de dignité de la personne humaine (Section 2) dans le cadre du contrôle de l’attributionΝde droits sociaux.

Section 1 - La délimitation du sens du principe d’égalité dans le cadre du contrôle de l’attribution de droits sociaux

485. IlΝ s’agitΝ àΝ présentΝ d’identifierΝ lesΝ distinctions interdites par le principe d’égalitéΝ etΝ de relever le contrôle strict réalisé au regard des droits sociaux, c’est-à-dire un contrôle qui ne porteΝpasΝsurΝl’omissionΝlégislative et qui neΝs’étend pas non plus aux prestations initialement accordées. La délimitation duΝ principeΝ d’égalitéΝ seΝ heurte,Ν enΝ premierΝ lieu,Ν àΝ l’infinitéΝ desΝ

distinctions entre individus qui au niveau théorique seraient susceptibles de lui porter atteinte. Il conviendra alors de se focaliser exclusivement sur celles qui sont consacrées par des normes

supra-législatives (égalité de la loi)751 et cela seulement dans la mesure où elles en résultent

d’uneΝmanièreΝdirecte. Leur interdiction directe implique un sens déterminé qui devra toujours

750 Sur ce concept, lire Otto PFERSMANN, « Préface », Thèse, Christian BEHRENDT, Le juge constitutionnel,

un législateur-cadre positif : une analyse comparative en droit français, belge et allemand, Bruylant, L.G.D.J, 2006.

751 Il importe alors de différencier, en empruntant les termes employés par Hans Kelsen, « égalité de la loi » et «

égalitéΝdevantΝlaΝloiΝ»ΝenΝs’intéressantΝexclusivementΝàΝla première. Avec cette dichotomie, Hans Kelsen a distingué les motifs de discrimination énumérés par la Constitution de ceux interdits par la loi ; la seconde ne pouvant trouver son fondement que dans la première. Il serait en effet difficilement concevableΝqu’uneΝdispositionΝconstitutionnelleΝ énumère tous les motifs de distinction possibles. Cela serait incompatible avec le caractère général et indéterminé des normes constitutionnelles. Pour cette raison, il convient de considérer que les dispositions supra-législatives se bornent à interdire les motifs qui porteraient les atteintes les plus graves à l’égalitéέΝ Voir,ΝώansΝK‐δS‐σ,Ν

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être respecté par le législateur, par opposition aux distinctions potentiellement dérivées dont la détermination exacte dépend largement des circonstances752.

486. Si on peut facilement appréhender les distinctions interdites au législateur par le biais de

l’égalitéΝdeΝlaΝloi, il convient, en second lieu, de les différencier des « distinctions positives ».

Ces dernières sont entendues comme des distinctionsΝfaitesΝentreΝindividusΝquantΝàΝl’attributionΝ de droits qui permettent, sous certaines conditions à titre exceptionnel, de privilégier en leur attribuant des avantages, des individus victimes de discriminations753. Afin de différencier les

distinctions positives des distinctions interdites, les analyses de la doctrine française754 et

hellénique755 opposentΝsouventΝl’égalitéΝ« réelle/essentielle »ΝàΝl’égalitéΝ« typique/formelle ».

487. Même si les distinctions positives impliquent un traitement différencié entre individus, ellesΝn’incombentΝpasΝa priori àΝl’interdictionΝdeΝnon-discrimination. Pour cela, il faudrait être dans le cas très exceptionnel dans lequel, en corrigeant une inégalité, le législateur créerait une nouvelle inégalité directement interdite. Dans la mesure où le législateur est habilité à corriger l’inégalitéΝ parΝ desΝ actionsΝ positives,Ν les distinctions positives sont envisagées en tant que démarches de concrétisation positive permise du même principe756.

Afin de délimiter le sens du principeΝd’égalitéΝlorsΝduΝcontrôleΝdesΝdroitsΝsociaux, il convient de se focaliser sur le contrôle strict de chacun de ses deux aspects ; soit des distinctions interdites (1) et des distinctions positives (2).

752 IlΝs’agitΝdeΝrappelerΝiciΝleΝconceptΝd’obligation relative relevé lors de la présentation des droits sociaux issus de

la Convention européenne. Il se peut que le législateur doive respecter des obligations de non-discrimination pour des motifs autres que ceux qui sont directement interdits, mais celles-ci seront nécessairement relatives et feront semble-t-il l’objetΝd’uneΝlargeΝmargeΝd’appréciationΝlorsΝduΝcontrôleΝdeΝleurΝviolationέΝVoirΝsupra, p. 161.

753 Otto PFERSMANN, in L. FAVOREU et alii, Droit des libertés fondamentales, op. citέΝpέΝλζέΝS’agissantΝdeΝlaΝ

doctrine hellénique, voir Georgios GERAPETRITIS, Egalité et Mesures positives, Ed. Ant. N. Sakkoulas, 2007, p. 20, 21. (en grec). SurΝ l’origineΝ du concept, voir Gwenaëlle CALVES, « Discrimination positive », in Joel ANDIRANTSIMBAZOVIMA, Helene GAUDIN, Jean-Pierre MARGUENAUD, Stéphane RIALS, Fréderic SUDRE, ϊictionnaireΝdesΝϊroitsΝdeΝl’ώomme, PUF, 2008, p. 231.

754 Dominique ROUSSEAU, Pierre-Yves GAHDOUN, Julien BONNET, Droit du contentieux constitutionnel,

op.cit., p. 763. Xavier BIOY, Jean – Paul COSTA, Droits fondamentaux et Libertés publiques, op.cit., p. 425.

755 Gerogios GERAPETRITIS, Egalité et Mesures positives, op.cit, p. 20, 21. Christina DELIGIANNI-

DIMITRAKOU, « εesuresΝpositivesΝetΝprincipeΝd’égalitéΝduΝpointΝdeΝvueΝduΝdroitΝcomparé », in Mélanges en

l’honneurΝdeΝIoannisΝKτUKIχϊIS. Le nouveau droit social, éd. Sakkoulas Athina-Thessaloniki, 2014, p. 45 (en

grec).

756 Dans la mesureΝoùΝlesΝdistinctionsΝpositivesΝconcrétisentΝd’uneΝcertaineΝfaçonΝleΝprincipeΝd’égalité,ΝonΝneΝpeutΝ

pasΝconsidérerΝqu’ellesΝs’inscriventΝdansΝuneΝconceptionΝdifférenteΝdeΝcelui-ci. En ce sens va la distinction effectuée par Michel BORGETTO entre « égalité » et « équité ». Michel BORGETTO, « Équité, égalité des chances et politique de lutte contre les exclusions », Droit social, n° 3, 1999, p. 221.