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Conséquences sociales Comme il est déjà mentionné plus avant, une des anomalies

de la structure du parc immobilier espagnol est la grande quantité de logements vacants. Si nous additionnons les logements vacants pour des motifs spéculatifs, un nouveau stock non vendu après la crise et des logements vidés par exécution de l’hypothèque, l’Espagne se trouve confrontée à un excédent considérable d’environ 3,5 millions de logements vacants pour l’année 201225. Cette tendance inflationniste expliquée en amont, la constitution d’une bulle immobilière, a donc généré des «actifs toxiques» financiers. Ces fonds d’investissement de très faible qualité, créés par le regroupement d’hypothèques de personnes économiquement insolvables, sont le reflet d’un paysage urbain fantôme.

En effet, en 2010, face à la crise systémique qui menace le système espagnol, un large processus de concentration bancaire se met en place, ce qui permettra de regrouper les entités financières les plus petites et vulnérables d’entre elles autour de noyaux financiers plus solides, c’est la restructuration bancaire. Parmi ces regroupements qui sont en fait des rachats, 7 caisses d’épargne sont fusionnées afin de créer l’entité Bankia. L’État y injecte une somme d’argent conséquente, de 19 milliards d’euros et annoncera en mai 2012 la nationalisation de sa dette et de ses actifs toxiques. En juin 2012, la déstabilisation du système financier espagnol menace l’Eurogroupe qui décide de céder un crédit de 100 milliards d’euros au pays pour mettre à flot son secteur financier, rendant l’État, et donc les contribuables espagnols, responsables du remboursement de ce prêt. Cet argent européen est attribué sous une condition, la création de la SAREB (Sociedad de Gestión de Activos

Procedentes de la Reestructuración Bancaria26), dite banco malo ou

banque poubelle. Cette entité financière constitue le rachat de 4 banques nationalisées : Bankia, Catalunya Banc, NGC Banco-Banco Gallego et Banco de Valencia. L’État va donc tenter de dissoudre ses actifs toxiques qui se traduisent par plus de 80 000 logements vides. L’institution née en tant que société anonyme est financée principalement par de l’argent public à hauteur de 45%, fonds venus en partie du prêt émis auprès de la banque centrale européenne. L’ensemble des injections de capital, rachat de dette, acquisition d’actifs financiers et émissions

25 : Vorms C, « Surproduction immobilière et crise du logement en Espagne », La Vie des idées, 12 mai 2009. 26 :Société de Gestion des Actifs de la Resructuration Bancaire

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de dettes absorbées par l’État espagnol représenteraient au total 219,397 millions d’euros27. Le fonctionnement de cette

banque poubelle consiste à assainir le

système financier espagnol en vendant les biens immobiliers des actifs toxiques dans un délai maximum de 15 ans. Nous pouvons comparer avec d’autres modèles de bad banks comme celui de l’Irlande qui mise plutôt sur la liquidation immédiate de ses logements vides sur le marché de l’immobilier. La SAREB fonctionne différemment puisqu’elle tente de maximiser sa rentabilité et d’accomplir la désintégration de la dette annulée par l’État espagnol en essayant d’obtenir les prix les plus élevés possibles. Rendant ainsi rentables les investissements privés et évitant «d’inonder le marché» avec des biens immobiliers, les 15 ans qui lui sont alloués lui permettent de retenir les biens pour les vendre au plus cher. Il s’agit en fait de nouveau d’une large opération de spéculation immobilière.

Mais derrière la vacance éminemment élevée du parc résidentiel espagnol, ce sont de nombreuses familles qui ont perdu leur lieu de vie. Ces actifs toxiques, auparavant des produits financiers hypothécaires risqués ont bénéficié en effet d’une législation « libre » en matière d’expulsions et donc moins soucieuse du respect du droit au logement. Cette liberté facilite l’attraction d’investissements immobiliers internationaux vers l’Espagne, puisqu’elle assure une garantie en cas de non remboursement28. Cet aspect très peu soucieux du cadre social rend économiquement risqué tout changement du cadre légal à ce sujet. Une boucle qui peine à être détournée.

Cette politique anti-interventionniste a malheureusement été responsable d’une catastrophe sociale dans tout le pays. Entre 1997 et 2007, les prix des loyers ont augmenté de 100 à 300 euros tandis que les salaires eux n’ont augmenté que de 100 à 150 euros. Selon les données judiciaires, entre 2007 et 2011 se sont enclenchées 328.720 expulsions hypothécaires. Selon les chiffres de l’année 2011, chaque jour se réalisaient 212 processus, c’est-à-dire 6.348 par mois. En 2015,

« La cupidité des dirigeants de

l’économie et des banquiers, la

maladresse des économistes

à anticiper le changement,

l’inaptitude des autorités publiques

nationales et européennes à

régulariser le marché, l’incapacité

des citoyens à anticiper. »

29

27 : ATTAC Madrid

28 : Manzano Gómez N. Casas sin gente, gente sin casas, Financiarisation urbaine et appropriations d’immeubles dans la

nouvelle périphérie madrilène, Mémoire de master en sociologie, Université Paris 8, septembre 2015

29 : Capel Saez H «Urbanisme, politique et économie : pour une approche comparée de la France et de l’Espagne» dans Coudroy de Lille L, Vaz C, Vorms C. L’urbanisme espagnol depuis les années 1970 : La ville, la démocratie et le marché. Rennes: PU Rennes, 2013.

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on compte en moyenne 43 expulsions par jours en catalogne. Le nombre de personnes touchées par l’exécution de crédits hypothécaires est incroyablement élevé puisqu’il ne concerne pas uniquement la seule personne signataire du contrat, mais bien la famille entière. En effet, ces crédits à haut risque ont été cédés par les groupes financiers sous condition de garanties, généralement venant de membres de la famille, presque automatiquement les parents. Barcelone compte seulement 2% de logements sociaux. Dans toute la catalogne, 450 000 logements sont vides, 100 000 appartiennent à des banques.

Un soir en terrasse, je me trouve en compagnie de Natalia. D’origine colombienne, elle a 39 ans et est arrivée à Barcelone il y a 14 ans sans jamais en être repartie :

« Mais tu n’étais pas au courant de ça ! Pourtant c’est

incroyable, ils sont super organisés, malheureusement beaucoup

de gens tombent dans le piège, moi la première. C’est vrai,

ça m’est arrivé ! Moi je n’avais pas d’autres choix et je ne

connaissais pas la PAH, c’est pas la première chose à laquelle

tu penses quand tu habites de l’autre côté de Barcelone, en tout

cas, tu connais de loin, mais tu te dis que toi ça t’arrivera jamais.

J’avais l’impression de pouvoir m’en sortir moi-même, je n’ai

jamais été dépendante de personne. En fait, ça remonte à plus

loin, quand bien sûr, j’ai vu que je ne pouvais plus payer mon

crédit, parce qu’après la crise, j’ai perdu mon salon, je pouvais

plus payer le loyer ni les salaires, et puis tout s’enchaîne. Donc

d’après ce que j’avais vu à la télé, tout ça moi je pensais que tu

avais droit à 3 mois sans payer, qu’après seulement on pouvait

t’expulser. Donc j’ai arrêté de payer, j’avais plus un sou, je ne

pouvais pas, je voyais bien que j’allais pas arriver au bout. Moi

je suis super prévoyante et tout. Mais au propriétaire je lui avais

dit garde la caution comme ça ça payera ce premier mois ! Puis

le propriétaire n’a pas voulu l’entendre comme ça, il m’a dit qu’il

voulait avoir l’assurance que je paye et que pour ça il fallait qu’il

30 : Campagne La Sareb es nuestra (La SAREB est à nous) sur : http://www.lasarebesnuestra.com/reestructuracion.html

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garde la caution en plus ! Ça dans le quartier de Santa Coloma,