• Aucun résultat trouvé

3. Les aspects méthodologiques

3.2. Les conditions à respecter ou les outils de collecte de données

Tous les auteurs consultés s’entendent pour dire que la recherche, même si elle est menée par un enseignant, se doit de rencontrer toutes les exigences de la rigueur scientifique, mais qu’on ne peut exiger autant de robustesse qu’une étude menée en laboratoire (Dadds & Hart, 2001; Gattuso, 1993; Lankshear & Knobel, 2004; Mertler, 2006; Mialaret, 2004; Mills, 2000; Van Der Maren, 1995, 1999). Lankshear et Knobel rappellent que pour être considérée comme telle, une recherche doit détenir un minimum de caractéristiques et de qualités. Pour eux, le mot d’ordre pour toute recherche, qu’elle soit académique ou « professionnelle » est systématique. Ils poursuivent :

« A key difference between academic and practitioner research is that practitioner researchers aim to tackle practical problems or issues as efficiently as possible. They are not concerned with demonstrating a sophisticated knowledge of the theory and methodology of an academic discipline area (or a particular paradigm) as an end in itself » (2004, p. 20). Le praticien-chercheur s’attardera davantage à sélectionner intelligemment les méthodes systématiques et les outils pour répondre à ses préoccupations pratiques qu’à exposer avec finesse les théories et les disputes conceptuelles de sa discipline. Par contre, les auteurs considèrent que les normes de rigueur sont les mêmes pour les chercheurs- praticiens que pour les chercheurs académiques. Cependant, Gattuso (1993) rapporte que :

« D’autres chercheurs (Mohr et MacLean, 1987; Bissex et Bullock, 1987) soutiennent que la recherche menée par les enseignants (teacher research) est

un nouveau genre et elle ne doit pas nécessairement être liée par les contraintes des paradigmes de la recherche traditionnelle » (1993, p. 69). Dans son chapitre sur la collecte de données en recherche-action, Mills (2000) affirme que c’est la nature du problème qui va déterminer quels sont les meilleurs outils pour collecter les données de la recherche. Il rappelle que l’approche qualitative, largement utilisée dans les recherches-action, n’est pas la voie « facile » pour ceux qui craignent les statistiques. Il avance que la rigueur pour mener des recherches qualitatives est la même que la rigueur requise pour les recherches quantitatives.

Selon Van der Maren (1999), aucune technique n’est parfaite, mais on doit tenter de produire des données fidèles, valides, vraisemblables et pertinentes par rapport aux questions de recherche. On doit se poser deux questions : quels sont les instruments les plus pertinents? Et l’échantillon est-il suffisant pour répondre et éclairer notre problème? Le problème de l’échantillon est présent ici : les participants ne sont pas choisis de façon aléatoire ni par boule de neige, mais bien parce qu’ils sont les élèves de la chercheure. Cependant, nous avons montré que la recherche appliquée a sa place et qu’elle veut « faire bien dans les conditions qu’on vit et avec les ressources que l’on a » (1999, p. 39). Ainsi, notre recherche est une mise à l’essai d’une séquence d’enseignement/apprentissage que nous ne prétendons pas généralisable à l’ensemble des élèves de la province.

Toujours selon Van der Maren (1999), pour être crédible, une recherche ontogénique doit respecter trois exigences, trois contraintes vu la position précaire dans laquelle se trouve l’enseignant qui examine sa pratique. Il s’agit de la constitution d’une trace primaire (notamment par enregistrement vidéo), la tenue d’une chronique dans un journal de bord et le recours à un tiers analyste. Bien que plus intrusifs, nous ajoutons le test et le questionnaire pour nous permettre une forme de triangulation.

Par contre, cette recherche n’étant que partiellement ontogénique, le rôle de l’enseignante dans cette recherche ne prend pas une place prépondérante. En effet, contrairement à Gattuso (1993), notre expérimentation n’est pas spécifiquement sur notre pratique, mais met plutôt les élèves en situation de résolution de problèmes. C’est pourquoi nous n’aurons pas recours à un tiers témoin.

L’obtention d’une trace primaire par enregistrement vidéo

Van der Maren (1999) rappelle que si on veut observer ce qui se passe dans l’action, on doit se rappeler que le praticien est justement concentré sur la tâche. Il est plus difficile pour lui de réfléchir et d’analyser l’action en même temps que son déroulement puisqu’il doit gérer entre 20 et 30 élèves et les événements qui se déroulent de façon simultanée. Bien qu’il soit expérimenté, le praticien ne peut construire une praxis (conscience réfléchie) sans prendre du recul. La seule mémoire du praticien n’est donc pas suffisante; elle filtre les événements, en embellit, en enlaidit, en oublie. D’où l’importance de constituer une trace primaire, physique des événements tels que vécus dans le temps et l’espace et ce, le plus fidèlement possible, avec toute leur complexité et les interactions.

Une façon privilégiée par ce chercheur pour recueillir ces traces primaires est l’enregistrement vidéo. Par contre, cette méthode n’est pas sans inconvénients. D’abord, l’introduction d’une caméra vidéo peut contaminer la situation. Elle ne passe pas inaperçue et doit être accompagnée d’un opérateur. Certains élèves peuvent manifester des réactions de défense comme ne pas vouloir se montrer ou au contraire, d’autres peuvent s’exhiber et faire les clowns. Van der Maren (1999) propose de donner la chance aux élèves de manipuler ces appareils pour les apprivoiser. Nous suggérons également de les introduire quelques jours ou semaines avant l’expérimentation pour que les élèves s’y habituent.

Dans un souci de fidélité et de crédibilité, nous comptons utiliser l’enregistrement vidéo dans le cadre de notre recherche. Les élèves étant habitués d’être filmés (plusieurs de leurs anciennes enseignantes les ont filmés tout au long de l’année et leur ont donné le DVD en souvenir), nous croyons que les caméras ne contamineront pas la situation outre mesure. Aussi, nous installerons les caméras vidéo sur des trépieds et éviterons ainsi de recourir à des opérateurs qui pourraient exciter ou gêner les élèves.

La consignation des observations dans un journal de bord

Lorsque l’enregistrement vidéo ne peut se faire, Van der Maren (1999) préconise la tenue d’une chronique des événements, d’un journal de bord quotidien. Même lorsqu’il y a captation vidéo (personne n’est à l’abri d’un problème technique), le journal de bord, en plus d’une description des événements, permet d’ajouter les souvenirs, les perceptions, les observations et les émotions du moment. Bien que cette démarche puisse être astreignante, il est important de faire le récit des événements de façon quotidienne pour ne pas laisser le

temps altérer la mémoire. Nul besoin de justifier quelle qu’action que se soit à cette étape, la chronique est la description de la succession des actions. Ce n’est qu’ultérieurement, à l’étape de l’analyse, que l’on viendra faire les liens entre les activités, entre les données recueillies et le cadre conceptuel. À l’instar de plusieurs auteurs, (Gattuso, 1993; Lankshear & Knobel, 2004; Mertler, 2006; Mills, 2000; Van Der Maren, 1999), nous préconisons la tenue d’un journal de bord quotidien.

Le test et le questionnaire

Bien que Van der Maren (1999) considère les données provoquées moins pertinentes en recherche pédagogique (parce que non naturelles et intrusives), nous croyons toutefois que le test et le questionnaire peuvent compléter nos observations. En effet, un petit test sur le fonctionnement du système de numération travaillé nous permettra d’évaluer la compréhension qu’ont les élèves de leur système de numération (Retour sur

votre système de numération à l’annexe 11a). Ce test demande à l’élève de faire ressortir les

ressemblances et les différences entre son système et le système indo-arabe et entre son système et les autres systèmes vus en classe. Aussi, le test reprend les notions de « base » et « base intermédiaire », la nécessité ou non du zéro et si le système travaillé est positionnel ou non. Nous croyons que le travail en équipe sur un système de numération, les présentations orales, les discussions qui les suivent et où l’on fait justement ressortir les ressemblances et les différences entre les différents systèmes et notre système actuel et la petite récapitulation pour voir les caractéristiques communes et le vocabulaire liés à la numération vont permettre aux élèves de répondre à la plupart des réponses.

Un autre petit test (Retour sur les opérations dans votre système de numération à l’annexe 11d) sera distribué à la fin des activités sur les opérations et demandera à l’élève de nommer les ressemblances et les différences entre les façons d’effectuer les opérations dans leur système et la méthode conventionnelle. Le questionnaire demande également à l’élève de réfléchir sur la supériorité de notre système positionnel indo-arabe en le comparant à leur système. Deux questions concernent l’évolution de la numération : « En quoi le peuple que vous avez présenté à la classe a contribué à l’évolution des mathématiques? » et « Nomme deux avancées majeures survenues dans l’évolution des mathématiques ». Cette réflexion personnelle précèdera et aidera à préparer une discussion (la dernière activité de la séquence).

Finalement, un questionnaire (Retour sur l’ensemble des activités du projet à l’annexe 11f), sous forme d’échelle, sur l’appréciation des diverses activités vécues dans le cadre de l’étude viendra nous renseigner sur l’intérêt qu’ont suscité les différentes tâches. On demande également à l’élève ce qu’il a le plus et le moins apprécié dans ce projet et pourquoi et ce, pour vérifier une hypothèse de notre recension des écrits qui faisait état de l’intérêt habituellement suscité par l’histoire des mathématiques. Nous posons aussi des questions aux élèves pour venir vérifier d’autres postulats de notre cadre conceptuel, à savoir si ce projet a modifié leur façon de percevoir les mathématiques et s’il leur a permis de mieux comprendre notre système de numération ou nos façons d’effectuer les quatre opérations. Nous sollicitons également les élèves pour des suggestions dans le but d’améliorer ce projet. Combinés à l’observation directe, au visionnement des enregistrements vidéo, à la lecture du journal de bord et à l’observation des affiches des élèves, le test et le questionnaire vont permettre une certaine triangulation des données.

La triangulation des données

Mills (2000) rappelle que pour assurer sa crédibilité, le chercheur ne devrait pas se fier à une seule source de données. Il cite Sagor (en 1992) qui suggère que l’on devrait compléter un plan de collecte de données et identifier au moins trois sources différentes. Mills se veut moins prescriptif, mais il supporte le principe de triangulation.

Van der Maren (1999) explique que la triangulation des données peut être restreinte ou élargie. Elle est restreinte lorsqu’elle recueille de l’information sur un même événement ou objet auprès de différents informateurs en ayant recours à plusieurs techniques afin d’effectuer des comparaisons pour évaluer la relativité des traces obtenues. Ces comparaisons permettent de déceler les variations, les imprécisions et les désaccords et de préciser à quel point on est proche de la « vérité ». C’est la manière qualitative d’estimer la fidélité des traces. La triangulation élargie est plutôt une cueillette d’informations sur un même événement ou objet, mais auprès de personnes ayant un rôle différent (élève, parent, enseignant par exemple). Elle cherche à mettre en lumière la complexité de la situation et permet de compléter les informations provenant des différentes personnes. Mialaret (2004) parle aussi de la triangulation des données pour renforcer nos affirmations. Elle permet de s’assurer d’une meilleure objectivité des observations recueillies.

Nous nous en tiendrons à une triangulation restreinte dans le cadre de notre recherche. En fait, nous analyserons notre journal de bord parallèlement aux enregistrements vidéo et parallèlement aux questionnaires aux élèves. En effet, Van der Maren (1999) met en garde les chercheurs ontogéniques et précise que tout ce qui se passe dans une pratique professorale ne peut être analysé rationnellement, de façon logique. On ne peut s’imposer les caractéristiques du discours scientifique pour orienter notre action.

Par contre, lorsqu’on porte le double rôle de chercheure et d’enseignante, les risques de biais par manque d’objectivité sont grands. Voyons les précautions à prendre.