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Pendant plusieurs siècles, l’étude de la mécanique des fluides s’est appuyée sur l’hypothèse selon laquelle lorsqu’un liquide coule sur une surface solide, les molécules liquides adjacentes au solide possèdent une vitesse relative nulle. Cette condition de non-glissement a été appli-quée avec succès pour modéliser de nombreuses expériences macroscopiques mais ne possède pas de justification microscopique. Par conséquent, le succès de ce postulat de l’hydrodyna-mique ne reflète peut être pas toujours sa validité mais plutôt l’insensibilité des expériences. Au cours de ces dernières années, il y a eu un intérêt accru dans la détermination de la condition limite exacte.

Au-delà de l’aspect purement fondamental de l’étude de la condition limite, la compré-hension et la maîtrise des phénomènes de glissement constituent un enjeu majeur dans les nouveaux domaines de la micro et nanofluidique [58]. En effet, un des points clefs de la microfluidique est l’importance accrue du rôle des surfaces par rapport à la situation non miniaturisée. Le transport et le mélange des liquides lorsque la taille du canal diminue re-présentent de véritables problèmes [59]. Ainsi, on conçoit que le glissement hydrodynamique entre un liquide et une surface solide puisse jouer un rôle important lors du passage à des échelles micrométriques.

Pour prendre en compte la possibilité d’un glissement liquide sur la surface, on introduit une condition limite, dit de glissement partiel, qui relie la vitesse du glissement au taux de cisaillement à la paroi :

ug = b∂u

où ug est la vitesse de glissement à la paroi, ∂u/∂z , le taux de cisaillement local et b est une longueur appelée longueur de glissement. Cette dernière représente la distance dans le solide à laquelle l’extrapolation linéaire du profil de vitesse s’annule (figure III.47). La condition standard de non-glissement correspond à b = 0. Plus généralement, la condition aux limites (III.92) traduit l’égalité entre la contrainte de cissaillement η∂u/∂z (où η est la viscosité du liquide) exercée par le liquide sur la paroi et la contrainte de frottement exercée par la paroi sur le liquide κfus, où κf est un coefficient de frottement interfacial. La longueur de glissement correspond alors au rapport entre le coefficient de frottement et la viscosité du liquide, b = η/κf. D’après cette interprétation, la condition aux limites (III.92) suppose donc que la force tangentielle par unité de surface exercée sur le solide est proportionnelle à la vitesse de glissement. Conventionnellement, une longueur de glissement positive est associée à une vitesse de glissement positive. Cette longueur peut éventuellement être négative et indiquerait un changement de signe de la vitesse du liquide u proche de la paroi.

b z solide g u Liquide u

Figure III.47Représentation schématique de la définition de la longueur de glissement b.

Sachant que nous souhaitons détecter un éventuel glissement à partir de la mesure des fluctuations de la surface libre d’un film mince, nous nous sommes intéressés aux études dans lesquelles un glissement a déjà été observé dans des conditions de mouillage total. Confor-mément aux études théoriques, la majorité des études expérimentales [60,61] montre que les propriétés de mouillage du liquide sur le solide influence le glissement et que celui ci-devient nul lorsque le mouillage devient total. Dans cette partie, nous allons présenter une méthode expérimentale particulière de détection du glissement. Cette technique de FRAP9développée par Pit, Hervet et Léger [62–64] a permis d’observer un glissement sur une surface totalement mouillante (et non rugueuse).

Cette technique, dite de vélocimétrie en champ proche, permet de déterminer la vitesse

du liquide au voisinage d’une paroi en suivant la fluorescence de sondes moléculaires fluo-rescentes. Pour cela, le liquide est cisaillé entre deux disques parallèles sur une couronne de 32 mm de rayon et 5 mm de large. L’épaisseur du fluide est d’environ 190 µm. Cette géo-métrie permet d’imposer un taux de cisaillement uniforme dans l’échantillon et peut être ajusté entre 102et 104s−1en tournant un disque par rapport à l’autre, immobile. Des sondes fluorescentes de taille comparable à celle des molécules du fluide simple sont utilisées comme traceurs de l’écoulement. L’impulsion d’une centaine de millisecondes d’un faisceau laser in-tense permet de photoblanchir une partie des sondes situées à l’intérieur d’un cylindre de 60 µm de diamètre. Un second faisceau laser arrive alors sur la surface en réflexion totale. L’onde évanescente associée au second faisceau sonde la fluorescence uniquement au voisi-nage de la surface solide sur une profondeur de pénétration d’environ 50 nm. C’est le suivi en temps réel de l’augmentation du signal de fluorescence sur la profondeur de pénétration de l’onde incidente qui permet de déterminer s’il existe ou non un glissement à la paroi. En effet, sous l’effet combiné de la diffusion et de la convection, les sondes non photoblanchies pénètrent dans le volume éclairé, ce qui permet au signal de fluorescence de remonter à sa valeur initiale avant photoblanchiement. Ainsi, la cinétique de récupération de la fluorescence reflète la vitesse du fluide au voisinage de la paroi.

Disque tournant Disque fixe Liquide (sous  cisaillement) Faisceau laser  intense Faisceau laser de faible  puissance

ω

Figure III.48Schéma de principe du dispositif utilisé pour les expériences de vélocimétrie en champ proche (VLCP).

L’expérience se décompose en trois étapes. Au début de l’expérience, la rotation du disque est lancée.

– Etape 1 : l’onde évanescente, associée au laser de faible puissance en réflexion totale, excite les sondes fluorescentes sur une épaisseur de 50 nm pour donner une valeur de référence.

– Etape 2 : le laser de grande puissance photoblanchit les sondes pendant une centaine de millisecondes.

– Etape 3 : l’onde évanescente, associée au laser de faible puissance en réflexion totale, excite les sondes fluroescentes non photoblanchies. Au fur et à mesure que l’écoulement évacue les sondes photoblanchies, l’intensité augmente jusqu’à retrouver sa valeur de référence. (1) (2) (3) Faisceau d’écriture  (photoblanchit) Faisceau de lecture Phase de lecture Fluorescence par onde  évanescente

Figure III.49Etapes du processus de recouvrement de fluorescence après photoblanchiement lors de l’expérience de VLCP.

Cette méthode de Vélocimétrie Laser en Champ Proche a été utilisée pour étudier le glis-sement entre l’hexadécane sur une surface de saphir très lisse (rugosité de 0,4 nm rms). La surface a été traitée chimiquement afin de présenter différentes caractéristiques de mouilla-bilité. De plus, la réalisation de différents greffages permet de faire varier la rugosité à la surface. Ces études montrent que le glissement dépend à la fois des propriétés de mouillage du liquide sur le solide et de la rugosité à la surface : ainsi la rugosité réduit le glissement et une interaction non-mouillante favorise le glissement. Des longueurs de glissement comprises entre 115 et 175 nm ont été mesurées sur la surface de saphir nue, totalement mouillante pour l’héxadécane.

Dans la suite, nous allons sonder les fluctuations de la surface libre d’un film mince d’héxadécane et voir si les effets du glissement observés avec cette technique de vélocimétrie peuvent être retrouvés. Avant cela, on décrit l’effet du glissement sur les fluctuations de surface ainsi que l’effet attendu sur les spectres mesurés S(ω).