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5.4 Films d’huiles silicones

5.4.2 En écoulement

Au paragraphe précédent, nous avons pu voir que l’effet thermocapillaire utilisé en fin d’expérience n’affecte pas la mesure des fluctuations de surface. C’est pourquoi dans ce para-graphe on répète l’expérience en utilisant l’effet thermocapillaire dès le début de l’expérience. On se situe toujours dans la configuration (b) de la figureIII.51où les deux faisceaux éclairent le film. L’objectif est de réduire considérablement le temps à attendre pour pouvoir mesurer les fluctuations sur des films minces.

Le montage utilisé est identique à celui schématisé figureIII.50à l’exception de l’objectif qui focalise le faisceau sonde. On remplace l’objectif x20 par un objectif x50, diminuant ainsi le rayon R0 du faisceau sonde de 3.5 µm à 1.5 µm. On rappelle que la largeur du faisceau sonde fixe la longueur d’onde des fluctuations détectées par la technique. La réduction de cette largeur diminue l’effet du confinement sur le spectre mesuré SA−B. Dans le cas où h  R0 et où le glissement est nul (b = 0), on rappelle l’expression du spectre :

SA−B(ω) ∝ kBT λ2

h3 R4

0ηω2 (III.105)

Avec l’objectif précédent (x20), les fluctuations ont pu être mesurées jusqu’à une épaisseur de 150 nm. D’après (III.105), en diminuant le rayon du faisceau sonde de 3.5 µm à 1.5 µm, il doit être possible de mesurer les fluctuations jusqu’à une épaisseur de 48 nm.

l’expé-rience. On remarque que l’épaisseur initiale du film est de seulement 2.5 µm, au lieu de 10.8 µm précédemment. Sachant que l’on s’intéresse uniquement aux fluctuations lorsque l’épaisseur du film est inférieure à R0 = 1.5 µm, on a réduit au préalable l’épaisseur initiale du film en utilisant la technique de spin-coating. Grâce à l’utilisation de l’effet thermocapillaire, l’épais-seur chute à zéro en seulement une dizaine de minutes. La puissance du faisceau pompe, à l’origine de l’effet thermocapillaire, n’est pas constante au cours de l’amincissement du film. Les petites accélérations, notamment à 5.5 et 7.8 minutes, correspondent à une augmentation de la puissance du faisceau sonde.

Figure III.56Evolution de l’épaisseur du film d’huile silicone sur un substrat en verre pendant l’ex-périence de mesure des fluctuations. Le faisceau pompe est allumé pendant toute la durée de l’exl’ex-périence et permet de démouiller le film en quelques minutes.

Sur la figureIII.57, on représente l’évolution de l’intensité moyenne réfléchie hIA+ IBien fonction de l’amplitude du spectre SA−B lors de l’amincissement du film contrôlé par l’effet thermocapillaire. On affiche cette représentation pour deux fréquences : 5 kHz et 17 kHz. La ligne en pointillés, d’équation SA−B = 2.10−9Hz−1, est la limite en dessous de laquelle l’amplitude des fluctuations du signal IA− IBest trop faible pour être correctement mesurée. Pour la fréquence de 17 kHz, ceci revient à étudier des films dont l’épaisseur est supérieure à 113 nm. Pour la fréquence de 5 kHz, ceci revient à étudier des films dont l’épaisseur est supérieure à 50 nm. Les courbes noires correspondent aux valeurs théoriques calculées en uti-lisant les expressions (III.102) et (III.104) pour des épaisseurs comprises entre 0 et 680 nm. Le calcul du spectre SA−B est réalisé en supposant nul le glissement (b = 0). L’accord avec les points expérimentaux est satisfaisant et valide l’hypothèse de non glissement pour les épaisseurs mesurées.

Figure III.57Variations de hIA+ IBien fonction de SA−Bmesurées lors de l’amincissement d’un film d’huile silicone sur un substrat en verre dû à l’effet thermocapillaire pour les deux fréquences suivantes : 5 kHz et 17 kHz. La ligne en pointillés, d’équation SA−B = 2.10−9

Hz−1, est la limite en dessous de la-quelle les fluctuations sont trop faibles pour être correctement mesurées. Les courbes noires correspondent aux valeurs calculées d’après les expressions théoriques (III.102) et (III.104) pour b = 0.

Afin d’évaluer la sensibilité des résultats à la longueur de glissement, sur la figure III.58

on représente les courbes théoriques hIA+ IBien fonction de SA−B, calculées pour différentes longueurs de glissement (0 nm, 5 nm, 10 nm et 30 nm) à 5 kHz . On vérifie que le glissement a pour effet d’augmenter l’amplitude du spectre SA−B à une épaisseur donnée. Pour l’épaisseur de 113 nm, correspondant au premier minimum de hIA+ IBi (interférences destructives), l’amplitude du spectre avec b = 30 nm est environ 70% plus importante que l’amplitude du spectre sans glissement (b = 0). Cette augmentation est cohérente avec le rapport (III.101), valable pour h  R0, rappelé ci-dessous :

SA−B Sb=0

A−B

= 1 +3b

h (III.106)

D’après la position des points expérimentaux dans le faisceau de courbes théoriques (fi-gureIII.58), la longueur de glissement b permettant de décrire le plus justement les résultats semble comprise entre 0 et 5 nm. Afin de connaître la valeur de b plus précisément, on ajuste la courbe expérimentale hIA+ IBivs SA−B pour des épaisseurs comprises entre 50 nm et 339 nm en utilisant les expressions (III.102) et (III.104) avec b comme seul paramètre ajustable.

Figure III.58Variations de hIA+ IBien fonction de SA−Bà 5 kHz, expérimentale et calculée d’après les expressions (III.102) et (III.104) pour les longueur de glissement suivantes : b = 0, b=5 nm, b=10 nm et b=30 nm. Les points expérimentaux sont en accord avec une longueur de glissement inférieure à 5 nm.

On obtient b = 2.1 nm. Sachant que l’ajustement est effectué pour des épaisseurs de film supérieures à 50 nm, d’après (III.106), la valeur obtenue de b se situe dans la marge d’erreur. Afin d’obtenir plus de précision et de savoir si cette valeur est pertinente, il est nécessaire de pouvoir mesurer correctement les fluctuations à des épaisseurs de film inférieures à 50 nm.

Notons que les résultats présentés, utilisant l’effet thermocapillaire, sont très reproduc-tibles. On peut répéter l’expérience pour différentes vitesses d’amincissement en modifiant la puissance du faisceau pompe, les courbes obtenues, hIA+ IBien fonction de SA−B, se super-posent parfaitement. Comme nous l’avons remarqué au paragraphe précédent, l’utilisation de l’effet thermocapillaire ne modifie absolument pas l’amplitude des fluctuations mesurées. Il est donc possible d’utiliser l’effet thermocapillaire en parallèle de la mesure des fluctuations. Ceci permet d’accélérer l’amincissement du film et de réduire considérablement la durée de l’expérience.

Il peut paraître surprenant que l’absorption du faisceau pompe dans le substrat et l’effet thermocapillaire induit n’affectent pas notre mesure des fluctuations de surface. En effet, l’élé-vation de température et l’écoulement du film sont susceptibles de modifier les fluctuations de surface, qui résultent de l’agitation thermique du milieu. Dans ce paragraphe, nous allons tenter d’expliquer pourquoi nos spectres SA−B sont insensibles à l’élévation de température et insensibles à l’écoulement produit.

Premièrement, d’après la vitesse à laquelle le film s’amincit lors de nos expériences, l’aug-mentation de la température due à l’absorption du faisceau pompe est relativement faible.

On calcule θmax<1 °C. Il est donc raisonnable de négliger la variation de la viscosité du film due à l’élévation de la température. De plus, on rappelle que la largeur du faisceau pompe qui correspond à la distance typique sur laquelle la température varie est environ trois ordres de grandeur supérieure à la largeur du faisceau sonde. Ainsi, sous le faisceau sonde, où les fluctuations de surface sont mesurées, les gradients de viscosité et de tension de surface ne modifient pas les fluctuations de surface de façon significative. Par ailleurs, l’élévation de température induit une augmentation de l’énergie thermique kBT inférieure à 0.4%, celle-ci peut donc être considérée comme constante.

Au paragraphe 4, nous avons vu que l’effet thermocapillaire induit un écoulement dans le film. Dans notre cas, où la largeur du profil de température (R1 ≈ 1 mm) est largement supérieure à l’épaisseur du film (h < 1 µm), on se situe dans le régime où A  1, il s’agit d’un écoulement de cisaillement. Les fluctuations ne sont donc pas mesurées sur un film à l’équilibre mais sur un film cisaillé. Or, il est légitime d’imaginer que le cisaillement puisse modifier les fluctuations à l’interface. Notons que dans ce cas, le système est hors équilibre puisque de l’énergie y est continûment injectée. Il ne devrait plus être possible d’appliquer les méthodes habituelles de la physique statistique (telles que les théorèmes d’équipartition ou des fluctuations-dissipation). La description des fluctuations thermiques d’une interface sous l’effet d’un écoulement de cisaillement a été effectuée dans la thèse de Marine Thiébaud [65]. Ce travail montre que la modification des fluctuations est gouvernée par le nombre sans dimension :

α= ξT lc

×˙τ (III.107)

Le nombre α est le produit de deux nombres sans dimension. Le premier ξT/lc est le rapport entre les deux longueurs caractéristiques de l’interface : celle typique de la rugosité ξT et celle typique des corrélations spatiales des ondes capillaires lc. Le second, ˙τ, est le rapport entre les deux temps caractéristiques, celui de l’interface τ et celui de l’écoulement 1/˙. Pour α  1, l’effet du cisaillement sur les fluctuations est négligeable. Autrement, pour α ≥ 1, les fluctua-tions sont lissées par l’écoulement, comme cela a été observé expérimentalement [66]. Afin de savoir si le cisaillement induit par l’effet thermocapillaire devrait modifier les spectres de fluctuations SA−B , nous allons évaluer les différentes paramètres qui définissent le nombre α.

Evaluation de ˙τ

Dans notre cas, on mesure le spectre SA−Bà des fréquences supérieures à 1 kHz. Le temps caractéristique maximal des fluctuations mesurées est donc τ ≈ 1 ms. On cherche ensuite à évaluer le taux de cisaillement ˙ dans le film dû à l’effet thermocapillaire. D’après le profil de vitesse dans le film (III.78), le taux de cisaillement s’écrit ˙ = 1/η∂rγ. Le taux de cisaillement

n’est donc pas constant mais dépend de l’éloignement r du centre du faisceau pompe. ˙γ est nul au centre et maximum pour r ≈ R1. En supposant les deux faisceaux centrés, le taux de cisaillement sous le faisceau sonde est maximum pour r = R0 et peut s’écrire ˙r=R0 = ˙hR0/h2. D’après la vitesse d’amincissement ˙h du film observée sur les courbes des figuresIII.52-III.56, le taux de cisaillement sous le faisceau sonde est toujours inférieur à 10 s−1. Le nombre ˙τ est donc inférieur à 0.01.

Evaluation de ξT/lc

L’expression exacte de la rugosité de l’interface a été déterminée au paragraphe 2.2 du chapitre I, ξTqkBT

2πγ ln qmaxlc. Dans notre cas, γ = 2.10−2N/m , on obtient ξT ≈10−10m et lc≈10−3m. Le rapport ξT/lc est égal à 10−7.

D’après les évaluations des nombres ˙τ et ξT/lc, on obtient α ≈ 10−8. L’effet du cisaille-ment sur les fluctuations de surface mesurées dans nos spectres est complètecisaille-ment négligeable. Dans l’expérience de Derks et al., il s’agit d’une interface obtenue après démixion d’un mé-lange colloïdes/polymères, la tension de surface est extrêmement faible (γ = 10−9N/m) et la longueur capillaire est très élevée (lc = 10−6m). Dans leur cas, le rapport ˙γτ est proche de l’unité. Ainsi, malgré un taux de cisaillement appliqué relativement faible (˙ ≤ 1 s−1), dans leur expérience l’effet de l’écoulement sur les fluctuations de surface est visible.

En conclusion, l’élévation de température et l’écoulement du film, dus à l’absorption du faisceau pompe, sont trop faibles pour modifier significativement les fluctuations de surface sous le faisceau sonde. Il est donc cohérent que les spectres de fluctuations SA−B mesurés avec ou sans l’utilisation du faisceau pompe soient identiques.

Remarque sur l’épaisseur du film sondé

L’utilisation de l’effet thermocapillaire implique l’existence d’un gradient d’épaisseur sous le faisceau sonde. La mesure des fluctuations ne s’effectue donc pas sur un film d’épaisseur uniforme mais sur un film dont l’épaisseur varie dans l’espace. Afin d’estimer la variation d’épaisseur sous le faisceau sonde, on peut utiliser l’équation différentielle (III.84) qui décrit la variation du profil normalisé H(R) au cours du temps. Dans la suite, on se place dans le cas où A  1, on rappelle que dans cette limite, l’effet de la pression capillaire sur l’écoulement est négligeable. Notons qu’il s’agit du cas le plus défavorable pour la variation d’épaisseur. En effet, pour A ≤ 1, la pression capillaire réduit la courbure de la surface libre, les variations d’épaisseur sont donc plus faibles. Sur la figureIII.59, on représente la déformation de la sur-face libre pour un profil de température de largeur R1, calculé d’après l’équation différentielle (III.84) pour A = 10. Malgré le centrage du faisceau sonde sur le faisceau pompe, il existe

une variation d’épaisseur ∆h sous le faisceau sonde. Notons cependant que le schéma n’est pas du tout à l’échelle. Ci-dessous, on rappelle l’équation différentielle (III.84) dans le cas où

Faisceau pompe Faisceau sonde 0 h h H= µm h mm R µm R 1 1 5 . 1 0 1 0 = 1 0 R R R= R=1 1 R r R= 0 2R 1 2R h Δ 0 h

Figure III.59Schéma illustrant la variation d’épaisseur ∆h sous le faisceau sonde (où les fluctuations de surface sont mesurées pendant l’expérience). Notons que le schéma n’est pas du tout à l’échelle.

A 1 : TH+ A1 RR  RH2 = 0 (III.108) où h = h h0, R = r R1, Θ = θ θmax, A = 3 2 θmax γ0 γθR21 h2 0 et T = γ0h3 0t 3ηR4 1.

On cherche à calculer la variation d’épaisseur relative maximale sous le faisceau sonde au cours de la déformation, soit (t) = (h(R0, t) − h(0, t)) /h(R0, t)

Sachant que l’on s’intéresse au profil sous le faisceau sonde (pour r ≤ R0) et que R0  R1, on a R  1. Dans ce cas, l’équation différentielle (III.108) se simplifie et s’intègre directement :

H(R, T ) = (1 + f(R)T )−1 (III.109)

Avec f(R) = A(R∂2

RΘ + ∂RΘ)/R. Par ailleurs, on s’intéresse en particulier aux fluctuations de surface lorsque l’épaisseur du film est faible par rapport à l’épaisseur initiale, soit lorsque f(R)T  1. Dans cette limite, la variation d’épaisseur relative maximale sous le faisceau sonde s’écrit :

= 1 −f(R0/R1)

f(0) (III.110)

Notons que ce rapport est constant au cours du temps. La variation d’épaisseur relative ne dépend pas de l’épaisseur du film (pour h  h0/2). En supposant le profil de température sous le faisceau sonde gaussien (Θ = exp(−R2)), la variation d’épaisseur relative s’écrit simplement  = (R0/R1)2. En pratique pour R0 = 1.5 µm et R11 mm, on obtient  = 2.10−4. La variation d’épaisseur relative est extrêmement faible. L’utilisation d’un faisceau pompe dont

la largeur R1 est beaucoup plus grande que celle du faisceau sonde R0 garantit la mesure des fluctuations sur un film dont l’épaisseur est uniforme.