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Dans le premier modèle, sept variables expliquent la probabilité qu’un ménage de Dakar soit en 2005 raccordé ou non au branchement privé. Ces sept variables et leurs interprétations sont les suivantes.

1) Le fait d’avoir un bac à laver, des toilettes et un toit en dalle

Le modèle montre que le fait d’avoir un bac à laver, des toilettes (chaise anglaise ou turque) et une maison équipée d’une dalle (comme toit) ont un effet positif sur la probabilité que les ménages de Dakar soient raccordés en 2005 à un branchement privé. Rappelons que ces trois variables (bac à laver, chaise et dalle) sont des variables d’équipement et de caractéristiques de l’habitat qui sont censées approximer le niveau de revenu et de richesse des ménages. En effet dans l’étude de Whittington et alii (1990) au sud d’Haïti, les auteurs approximent le niveau de revenu des ménages en développant une mesure ordinale de la valeur des capitaux détenus par les ménages à partir de huit questions portant sur la qualité de la construction de l’habitat et de deux questions portant sur deux autres indicateurs de revenu (transferts reçus par le ménage de parents à l’étranger et activité des membres principaux du ménage). Dans cette étude, la variable ainsi créée, appelée « indice de richesse » du ménage apparaît significative pour expliquer la probabilité que le ménage consente à payer pour utiliser le branchement privé ou la borne fontaine.

Dans notre modèle, on peut penser que le fait d’avoir un bac à laver, des toilettes et un toit en dalle représentent indirectement un certain niveau d’équipement et donc de richesse du ménage. Ce dernier explique alors que les ménages ont une probabilité plus élevée d’être raccordés au branchement privé. Ce résultat va aussi dans le sens des travaux de Nauges et Van Den Berg (2006) qui portent, comme notre étude, sur la demande avérée. En effet, les auteurs montrent que le revenu est une variable significative qui explique la probabilité que les ménages au Sri Lanka soient raccordés. Enfin dans les travaux de Nauges et Strand (2005) qui portent aussi sur les déterminants de la demande avérée ex post des ménages dans les villes d’Amérique centrale, la variable revenu explique la probabilité d’être raccordé au branchement privé.

2) Le fait que le chef de ménage soit une femme veuve

Le fait que le chef de ménage soit une femme veuve a un effet positif sur la probabilité d’être raccordé à Dakar en 2005 à un branchement privé. Rappelons que les femmes supportent plus la tâche et donc le temps de collecte de l’eau, c’est pourquoi dans les études d’évaluation contingente, il a été montré que les femmes attachent davantage d’importance à la fourniture d’eau améliorée (branchement privé et borne fontaine) que les hommes. Ainsi le fait d’être branché permet d’économiser du temps qui peut alors être réalloué à des emplois productifs et rémunérateurs, à l’éducation des enfants ou à la préparation des repas (Curtis, 1986 ; Cairncross et Cliff, 1987). Il nous semble que ces arguments sont d’autant plus vrais que la femme, chef de ménage, est veuve. En effet dans ce cas, elle apparaît être le membre de ménage qui décide de la gestion du budget. Notre résultat est donc cohérent avec la littérature.

3) L’alphabétisation du chef de ménage

Le fait de savoir lire et écrire a également un effet positif sur la probabilité que les ménages de Dakar soient raccordés en 2005. La littérature indique qu’un ménage plus éduqué est plus conscient des bénéfices sanitaires à la consommation d’eau potable aux services améliorés (branchement privé et borne fontaine). De plus, un ménage plus éduqué est probablement un ménage qui a un niveau de rémunération plus élevée et donc pour qui le coût d’opportunité en temps lié à la collecte d’eau est plus élevé. Ainsi, il est logique que ces ménages aient une probabilité plus élevée d’être raccordés. Ceci a beaucoup été démontré dans les travaux portant les déterminants du consentement à payer des ménages pour des services améliorés (Altaf et alii, 1993 pour le Pakistan ; Whittington, Lauria, 1991 pour le Nigéria ; Briscoe et alii, 1990 pour le Brésil ; Whittington et alii, 1990 pour le sud d’Haïti et Ahmad et alii 2005 pour le Bangladesh).

Mais cela a aussi été démontré dans les études portant sur les déterminants de la demande avérée

ex post : au Sri Lanka, le niveau d’éducation du chef de ménage augmente la probabilité du ménage

d’être branché au raccordement privé (Nauges et Van Den Berg, 2006). De même dans les villes d’Amérique centrale, le revenu explique la probabilité que les ménages soient raccordés au réseau (Nauges et Strand, 2005). Notre résultat est donc cohérent avec la littérature.

4) Le fait d’avoir pour activité principale « autre » que celles proposées dans le questionnaire

Le fait d’avoir une activité autre que celles citées dans le questionnaire semble avoir un effet positif sur la probabilité que les ménages de Dakar soient raccordés en 2005. Tout d’abord, on peut imaginer que cette activité principale appartienne au secteur informel. En même temps, une activité informelle est en théorie moins rémunératrice même si cela reste à vérifier. En tout cas cela peut révéler un coût d’opportunité du temps lié à l’activité élevé, et donc une incitation à être raccordé. Cependant, il faut préciser que dans la littérature, le type d’activité explique rarement la probabilité du raccordement au branchement privé.

5) Le fait d’être propriétaire (soit en tant que descendant soit en payant des traites)

Le fait que le chef de ménage soit propriétaire (soit en tant que descendant soit en payant des traites) a un effet positif sur la probabilité que le ménage soit raccordé au branchement privé. Tout d’abord, ce constat semble logique dans la réalité sénégalaise. En effet lorsqu’un ménage est propriétaire, il est plus incité à supporter le coût initial de raccordement et surtout, il est plus facile pour lui d’obtenir l’autorisation du raccordement par la SDE. Dans la littérature, le statut propriétaire est rarement ressorti significatif dans les déterminants de la demande des ménages qu’elle soit ex post ou ex ante. On peut simplement citer un résultat, issu des travaux sur les déterminants du consentement à payer des ménages du Népal (Whittington et alii, 2002). Les auteurs montrent que les locataires sont moins disposés à rester connectés et ont un plus faible consentement à payer que les propriétaires.

6) La « bonne » opinion des chefs de ménage sur la politique de la SDE en terme de hausse du prix de l’eau aux branchements

Il faut tout d’abord rappeler que suite à la privatisation du secteur opérée en 1996, la SDE a augmenté chaque année le prix de l’eau potable de 3% par an pour enfin atteindre en 2003, le prix

assurant l’équilibre budgétaire du secteur. C’est l’opinion des ménages concernant ces hausses annuelles de prix qui est testée dans le modèle. Le modèle montre qu’un chef de ménage ayant une opinion correcte concernant la hausse des prix a plus de chance d’être raccordé qu’un autre. Indirectement, on imagine que ceci dénote d’une bonne opinion des ménages sur la politique de gestion de l’eau menée par le partenariat public/privé depuis 1996.

La littérature a déjà montré comment l’attitude des ménages envers la politique gouvernementale menée, influence le consentement à payer pour des services améliorés (branchement privé et borne fontaine). Les résultats sont d’ailleurs complexes. La littérature démontre que dans les pays en développement, le sentiment de « droit à l’eau » et à l’ « eau gratuite ou subventionnée » est important. Ceci explique le faible consentement à payer des ménages pour des services améliorés d’eau potable qui devraient être fournis par l’État (Whittington et alii, 1990 ; Robinson, 1988) même si dans plusieurs cas, les ménages expriment un certain cynisme au sujet de la capacité du gouvernement à fournir ces services (Singh et alii, 1993). Mais ce dernier effet n’est pas clair car les travaux réalisés au Sri Lanka dans un contexte de privatisation de la distribution d’eau potable montrent que peu de ménages déclarent se raccorder au réseau si le service amélioré est fourni par le secteur privé, contrairement à un secteur public réformé (Pattanayak et alii, 2006).

Mais la significativité de cette variable pourrait aussi capter d’autres explications. Notamment, peut être que le fait d’avoir conscience de la qualité du service d’eau fourni par le branchement (qualité sanitaire, fiabilité et sûreté) justifie le fait d’accepter de supporter la hausse tarifaire. Ainsi, les ménages qui accordent de l’importance à la qualité de l’eau et du service continu ont une bonne opinion sur le politique de la SDE et sont raccordés. En effet, la littérature montre que la qualité de l’eau, la fiabilité et le niveau de service sont des variables qui influencent la probabilité que les ménages consentent à payer pour accéder au branchement privé (Singh et alii, 1993 pour l’Inde ; Whittington et alii, 2002 pour le Népal ; Ahmad et alii, 2006 pour le Bangladesh et Pattanayak et alii, 2006 pour le Sri Lanka).

Avec les restrictions sur les variables explicatives liées aux caractéristiques présentes, nous obtenons dans le second modèle, moins de variables significatives qui expliquent la probabilité qu’un ménage de Dakar soit en 2005 raccordé ou non au branchement privé. Cependant bien qu’on en ait moins, on retrouve le même type de variables significatives qui influencent le choix passé du raccordement. Il convient tout de même de rappeler que les deux modèles reposent sur des bases différentes. En effet, le premier modèle s’appuie sur les données concernant les 187 chefs de ménages tandis que le second modèle ne s’appuie que sur 137 chefs de ménages (propriétaires ou locataires et raccordés depuis 1995).

Les interprétations sur les variables significatives du second modèle restent semblables à celles du premier modèle.

1) Premièrement, il apparaît que le fait d’avoir un bac à laver, des toilettes (chaise anglaise ou turque) et une dalle (comme toit) ont un effet positif sur la probabilité d’être raccordé à un branchement privé. Nous pouvons interpréter cela comme dans le cas du premier modèle : un niveau de richesse (mesurable par l’équipement et la construction de l’habitat) plus élevé accroît la probabilité qu’un ménage soit raccordé au branchement privé.

2) Deuxièmement, le fait d’être locataire a un effet négatif sur la probabilité d’être raccordé à un branchement privé. Dans le premier modèle, c’était le fait d’être propriétaire qui augmentait la probabilité que le ménage soit raccordé. Ici, le fait d’être locataire diminue la probabilité d’être raccordé. Ceci s’explique de la même façon que dans le premier modèle. Un locataire est moins incité à payer le coût initial de raccordement et surtout, il est plus difficile pour un locataire d’obtenir l’autorisation de la SDE puisqu’un titre de propriété est exigé.

Ces deux modèles nous ont permis de mettre en évidence les déterminants de la demande avérée des ménages de Dakar pour le branchement privé. Cependant, l’enquête de 2005 révèle que les bornes fontaines fournissent encore 30,6% de l’approvisionnement en eau total des ménages de Dakar. Ceci montre qu’en dépit de la politique de la SDE très volontariste en termes de raccordements massifs depuis 1996, les bornes fontaines apparaissent être le second mode d’approvisionnement en eau des ménages, juste après le branchement privé. Juste après, puisque l’enquête révèle que les parts respectives du branchement et des bornes fontaines dans l’approvisionnement en eau total des ménages sont extrêmement proches, bien plus proches que le prétendent les rapports issus des études commanditées par le Ministère de l’Hydraulique.

Notre question est de savoir pourquoi les parts du branchement et des bornes fontaines sont-elles encore si proches en 2005 ? Pourquoi le recours aux bornes fontaines est-il encore si fréquent ? Quel type de ménage y s’approvisionne-t-il ? Pour répondre à ces questions, nous proposons de rechercher les déterminants de la demande avérée des ménages pour les bornes fontaines. Le chapitre 4 suivant présente alors deux modèles logit explicatif de la probabilité que les ménages de Dakar utilisent en 2005 les bornes fontaines. Ces deux modèles vont révéler les caractéristiques des ménages utilisateurs des bornes fontaines.

Chapitre 4

Un modèle explicatif de la probabilité que