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CHAPITRE V LES ADJECTIFS

V.5. Conclusion

Il ressort de cette étude que si la catégorie des adjectifs est désormais reconnue comme une catégorie grammaticale autonome, l’épineux problème de déterminer les frontières exactes de cette catégorie ne laisse pas d’interroger les linguistes. Ce sont les contours flous de la catégorie, et surtout les affinités qu’elle possède avec les catégories des noms, des verbes et des adjectifs, qui, rappelons-le, amènent Goes à tenter de caractériser mieux les adjectifs. Se plaçant dans le cadre de la théorie du prototype, afin de rendre compte de l’entremêlement de ces catégories, il dégage d’une part un ensemble d’adjectifs prototypiques, les adjectifs primaires, et d’autre part quelques propriétés saillantes, tant syntaxiques que sémantiques, caractéristiques du comportement adjectival.

Les adjectifs primaires, définis par Pottier comme les adjectifs qui expriment « les propriétés fondamentales des êtres et des choses », ont suscité l’intérêt de nombreux linguistes. Les avis divergent sur les critères discriminant les adjectifs primaires des autres adjectifs (dérivés ? non dérivés ? monosyllabiques ? disyllabiques ? trisyllabiques ?) mais tous s’accordent pour y ranger les adjectifs exprimant des données immédiates des sens, et des dimensions sémantiques évaluables ou spécifiables. On retrouve, à travers les différentes études, les mêmes concepts exprimés par les adjectifs primaires : grand, petit, long, court, nouveau,

vieux, bon, mauvais, noir, blanc, rouge, cru/vert/non mûr/.

S’il paraît indéniable que les adjectifs primaires occupent une place privilégiée, voire centrale, au sein de la catégorie des adjectifs, leur sémantisme n’en est pas pour autant représentatif de celui de la classe entière. Le phénomène de désémantisation auquel ils sont fréquemment sujets, et la prédilection pour l’antéposition qui en découle, les démarquent du reste des adjectifs. C’est pourquoi Goes poursuit sa démarche de caractérisation en partant à la recherche des critères définissant un adjectif prototypique abstrait, sorte d’adjectif idéal rassemblant tous les traits typiques de la catégorie. Rappelons que Goes le définit ainsi : « susceptible de gradation dans toutes ses fonctions, il se prête avec une certaine aisance au mouvement ANTEPOST [mouvement de la postposition vers l’antéposition et vice versa] et passe tout aussi allègrement en position attribut».

Outre les adjectifs primaires, deux autres types d’adjectifs se dégagent des études présentées ici; à savoir les adjectifs relationnels et les adjectifs intensifs :

Les adjectifs relationnels (comme laitier ou présidentiel) se distinguent du reste de la catégorie, c'est-à-dire les adjectifs qualificatifs en général, suivant un critère sémantico- psychologique. L’adjectif relationnel a une valeur objective, intellectuelle, l’adjectif qualificatif une valeur subjective ou affective. Les adjectifs relationnels sont tous

dénominaux, c'est-à-dire dérivés sur base nominale, comme présidentiel ou cantonal. Ils entretiennent une relation bien particulière avec le substantif, qu’ils modifient en lui apportant une sous-catégorisation plutôt qu’une qualification proprement dite. Ils s’éloignent sensiblement du « prototype adjectival » car ils n’acceptent pas la gradation et ne peuvent pas assumer la fonction attribut. Notons enfin que Goes, remarquant que l’emploi relationnel est accessible à tout adjectif dénominal (pourvu que le support nominal s’y prête), propose en conséquence de nuancer la différence entre relationnels et qualificatifs et de parler d’adjectifs statistiquement relationnels ou statistiquement qualificatifs. On peut aussi décider de parler d’emploi relationnel ou d’emploi qualificatif.

Les adjectifs intensifs sont les adjectifs au moyen desquels on peut intensifier un nom (énorme, insondable, inénarrable,..). Ils occupent une place à part dans la catégorie des adjectifs. Ils ne sont ni qualificatifs, ni relationnels et possèdent un sémantisme bien particulier mettant en jeu la notion de degré. Là encore, il n’existe pas d’adjectif purement intensif, et on parlera plutôt d’emploi intensif.

Nous l’avons dit, nous allons utiliser le lexique adjectival pour tester le modèle de représentation et de calcul du sens que nous avons présenté au chapitre précédent. Les espaces sémantiques que nous allons construire devront donc rendre compte de cette structure adjectivale décrite par les linguistes. Ils vont constituer des outils d’exploration du lexique adjectival qui devraient permettre, en outre, d’éclairer les relations qu’entretiennent entre eux ces adjectifs primaires, relationnels et intensifs.

Au-delà de cette classification des adjectifs, la littérature fait apparaître deux caractéristiques fondamentales du sémantisme des adjectifs:

• une grande extension, parfois si grande qu’elle provoque ce que Goes appelle la désémantisation, très fréquente chez les adjectifs primaires dont une des particularités est, rappelons-le, « d’avoir une interprétation qui est si largement dépendante du nom qu’il est difficile de désintriquer ce qui dans la valeur globale obtenue vient de l’adjectif et ce qui vient du nom ».

• le besoin de se rattacher à un nom pour prendre tout leur sens (incomplétude référentielle chez Guillaume), qu’ils remplissent une fonction attribut ou une fonction épithète. Le comportement sémantique de l’adjectif est donc très dépendant de celui du nom qu’il accompagne. Il s’agit en fait d’une influence mutuelle. Lorsque l’adjectif remplit une fonction épithète, cette interaction est encore plus forte et très dépendante de la place de l’adjectif par rapport au nom.

Enfin une étude du comportement adjectival ne pouvait ignorer les changements de sens lors du passage à l’antéposition. Ils sont complexes, non systématiques et difficiles à expliquer de façon globale. On retiendra que certains auteurs, comme Goes, proposent des explications à plusieurs facettes. Les facteurs les plus efficients semblent être l’extension de l’adjectif d’une part, et le sémantisme du nom d’autre part.

Nous allons, bien sûr, utiliser les paramètres sémantiques dégagés ici pour la mise au point de notre méthode de calcul du sens. Nous devons étudier comment notre modèle prend en compte les différentes facettes du sémantisme adjectival.