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LA CONCEPTION La question qui se pose, dès lors que le domaine de la psychologie cognitive a réussi à lever

Conception, créativité et modélisation 3D

CHAPITRE 1. CONCEPTION, CRÉATIVITÉ ET MODÉLISATION 3D alors la conception de réflexive : « le concepteur doit maîtriser un genre de médium – le croquis –

1.2. LA CONCEPTION La question qui se pose, dès lors que le domaine de la psychologie cognitive a réussi à lever

quelques zones d’ombres du processus créatif, est quels outils informatiques peuvent permettre de fournir un support à la créativité ? Mais avant cela, que peut apporter un outil informatique dans un processus créatif ? Pour répondre à ces questions, nous nous plaçons dans deux contextes différents : les outils détournés et les outils intégrés.

Les outils détournés

Nous avons déjà rapidement évoqué le fait que l’aspect nouvelle technique de l’informatique a introduit de nouvelles formes de création. Il est évident, et l’histoire de l’art le montre, que certains créateurs-artistes ont toujours été à l’affût et à la pointe des nouvelles techniques pour exercer leur créativité (souvent au grand dam de leurs contemporains y voyant un manque évident de sens artis-tique et de bon goût). Nous ne nous poserons pas la question de savoir si c’est cette créativité qui a engendré une rupture avec les techniques standards ou si c’est justement ses techniques qui ne stimu-laient pas convenablement la créativité. Nous constaterons seulement que la fin du vingtième siècle a vu apparaître de nouvelles formes de création, directement liées à l’emploi d’outils numériques et in-formatiques (musiques électroniques, peinture numérique et modélisation 3D, mondes virtuels, etc.). Cet aspect des outils informatiques pour la création n’est pas le propos de notre travail, mais permet toutefois un constat intéressant : beaucoup d’outils informatiques initialement conçus pour s’intégrer dans des processus créatifs dits « traditionnels » ont initié de nouvelles formes de création, sans pour autant remplir toutes les tâches auxquelles ils étaient destinés.

Il reste alors à savoir où réside l’apport créatif à ce niveau : avoir eu l’inspiration d’utiliser ces outils pour ouvrir de nouveaux « buts » (en l’occurrence, de nouvelles formes d’art), ou bien continuer à les utiliser pour atteindre ces buts.

Les outils intégrés

Plus proche des méthodes traditionnelles, et dans l’optique de nos travaux, il est une tendance vi-sant à promouvoir les systèmes informatiques au rang de compagnon privilégié du processus créatif, au même titre que le dessin. Mais plus qu’un simple support, la large palette des techniques infor-matiques existantes peut apporter des valeurs ajoutées indéniables. Il est toutefois indispensable de considérer leur intégration aux étapes du processus créatif, dans le but de le favoriser (et non de s’y substituer) :

1. Lors de l’exploration. Il est évident que les systèmes d’information sont devenus des media prépondérants dans l’accès à la connaissance sous toutes ses formes et son partage, offrant des méthodes en constante évolution pour son étude, son analyse, sa fusion (bibliothèques numé-riques, banques de sons, images et vidéos, bases de connaissances, extraction de données, etc...). L’association de ses techniques peut sans aucun doute favoriser l’analyse de problèmes. 2. Pour la génération de solutions. Il n’est pas impensable d’utiliser un ordinateur comme «

bloc-notes » lors de l’apparition ou de la proposition d’idées. Associé aux méthodes d’interprétation (dessin, texte, parole), capacités d’archivage et systèmes récents de manipulation de connais-sances, il est probable que ce serait un facteur d’émergence de nouvelles possibilités pour la découverte d’analogies (et la génération automatique de solutions, dans une moindre mesure). 3. Pour l’évaluation. Au niveau des évaluations numériques, les capacités des ordinateurs nous

CHAPITRE 1. CONCEPTION, CRÉATIVITÉ ET MODÉLISATION 3D atouts indéniables. Mais aussi, les techniques de visualisation d’une manière générale peuvent donner une autre vision de ses idées au concepteur, lui permettant alors de les évaluer autrement. Cette liste d’apports possibles ne se veut évidement pas exhaustive. Il est toutefois un point commun que partagent toutes ses valeurs ajoutées : la nécessité de les intégrer au processus de conception. Et cette intégration passe évidemment par les méthodes d’interaction et de visualisation que va proposer le système, afin d’établir un dialogue similaire à celui que crée le concepteur avec ses dessins. Une approche système

C’est pourtant de tout autres chemins qui ont été historiquement suivis en informatique. La première préoccupation a été de fournir les méthodes de calculs, les modèles analytiques permettant de résoudre des problèmes bien définis. Dès lors, apparaissent des noyaux fonctionnels ultra-performants, dans des domaines variés tels que le traitement de texte et la PAO (publication assistée par ordinateur), la CAO et modélisation 3D, la MAO (musique assistée par ordinateur) et tous les X-AO que nous connaissons. Mais, bien que les fonctionnalités et les possibilités de ces logiciels soient très étendues, les interac-tions et l’approche de construction qu’ils proposent ne prennent pas en compte les aspects du proces-sus créatif que nous avons évoqués. Leurs démarches sont intimement liées aux techniques analytiques de leurs noyaux fonctionnels, nécessitant un maximum de données et de contraintes pour produire un résultat, écartant ainsi beaucoup des aspects incrémentaux et itératifs de la conception. De fait, les interfaces et les interactions se résument à des points d’accès aux fonctions du logiciel, ne laissant que peu de place à la retouche, la comparaison, le façonnage d’un concept.

Plusieurs études viennent appuyer ce discours. L’une d’elles porte sur les processus cognitifs mis en jeux lors de la création de graphismes avec un logiciel de PAO (Adobe Illustrator, en l’occurrence) par des professionnels habitués à cet outil [Bonnardel et Piolat, 2003].

Les auteurs constatent que l’utilisation de ce système, basé sur les mêmes paradigmes d’interaction que ses concurrents, pousse les concepteurs à prendre au plus vite des décisions majeures à propos de caractéristiques locales de l’objet à concevoir, et ce dans le but d’en obtenir au plus vite une représen-tation graphique (comme lorsqu’ils dessinent). Nous en revenons donc à notre propos précédent, ces outils nécessitent des données précises sur l’objet créé, qui ne sont pas forcément encore définies dans les premières étapes de conception. Il est évident que faire de tels choix dans les phases préliminaires réduit ipso facto l’espace des solutions possibles au problème. Dès lors, la créativité en est forcément limitée : moins d’ouverture à d’autres solutions, modifications ultérieures limitées, peu de possibilités de transversalité. Cela implique un changement complet de démarche pour l’utilisateur.

Mais cette même étude soulève aussi le problème de l’effort cognitif important que génère le traite-ment de ces mêmes caractéristiques locales. Les auteurs supposent sur ce point que de telles préoccu-pations dans les toutes premières phases de la conception induisent des choix conflictuels nécessitant alors l’utilisation de fonctionnalités avancées du logiciel. Seulement, accéder à ces fonctions avancées n’est pas trivial et occupe des « ressources » cognitives qui ne sont alors plus disponibles pour l’acti-vité créative.

Il est dommage que cette étude n’ait pas effectué une comparaison de la même tâche sans l’outil in-formatique afin de conforter ses résultats (comme dans [Whitefield, 1986] où une telle comparaison a permis d’identifier des différences dans la tâche, sans toutefois se focaliser sur les aspects cognitifs engagés). Comment doivent alors êtres conçus les outils informatiques de support à la création ? Une approche utilisateur

Il est très peu envisageable de remettre en question la structure interne des logiciels pour « modé-liser » les processus humains. Comme nous l’avons déjà souligné, il reste une part d’inconnu dans

1.2. LA CONCEPTION les aspects cognitifs que nous n’éclaircirons probablement pas. Comment alors les modéliser, ou au mieux les simuler. Nous pensons que la remise en question ne doit pas se poser à ce niveau et qu’il est nécessaire de conserver le fonctionnement analytique des logiciels : laissons l’ordinateur faire ce qu’il peut faire et bien, à savoir résoudre des problèmes analytiques qu’un concepteur ne peut résoudre simplement. Toutefois, ces fonctionnalités doivent évoluer pour s’inscrire dans des démarches moins strictes, plus adaptées à la conception (ainsi, pourquoi le noyau d’un modeleur 3D n’intégrerait pas aussi des outils de recherche d’analogies, ou de suggestions sur des objets incomplets).

Mais nous pensons surtout qu’une meilleure intégration du logiciel passe avant tout par une adap-tation de ses interactions à l’utilisateur, une intégration basée sur la tâche à réaliser et sur la méthode (consciente ou non) qu’emploie l’utilisateur : une conception centrée utilisateur [Norman et Draper, 1986; Norman, 1998; Mackay et al., 1998] plutôt que système. Là encore, il ne s’agit pas de produire un reflet du processus cognitif qu’engage l’utilisateur dans la tâche de conception [Flach et Bennett, 1996]. Nous retomberions dans les travers qui imposent une seule vision, une seule méthode et un seul chemin possible à l’utilisateur. Il s’agit de s’inscrire dans un principe d’interface écologique, ou chaque action réalisable et chaque but possible sont clairement accessibles et lisibles, sans pour autant être imposés. Le libre arbitre est laissé au concepteur, qui conserve la maîtrise de la méthode, des intentions et des décisions en s’appuyant sur des outils visibles et adaptés.

Considérons alors le dessin dans la conception créative. Son utilisation est simple, intuitive et naturelle. Aucun système de CAO actuel ne peut rivaliser en terme d’adéquation à la tâche et d’ai-sance d’utilisation. Ils ne permettent ni de reproduire, ni d’utiliser une technique aussi limpide que le dessin à main levé, essentiellement à cause de leur approche système, centrée autour des fonc-tionnalités de l’outil plutôt que son utilisation dans un contexte créatif [Eisentraut et Günther, 1997; Suwa et Tversky, 1997]. Dans ce sens, nous apprécions la qualification de Jean-Pierre CHUPIN qui considère que « la plupart des logiciels de CAO se comportent encore comme des assistants de dessin suréquipés » [Chupin, 2002]. Car, contrairement au dessin qui laisse libre champ au concepteur, l’utili-sation de ces outils présuppose de la maturité du projet, ne supportant donc pas la conception créative. Il est alors nécessaire d’adapter aussi la structure même de ces logiciels afin qu’ils s’inscrivent dans un processus flou, moins descriptif et plus conceptuel.

Nous pouvons donc synthétiser ces remarques par le fait que les outils informatiques peuvent supporter la créativité à au moins deux niveaux distincts :

1. en aidant à collecter le savoir et la connaissance, à les partager, les intégrer et voire même à générer les idées : intégration des savoirs et des savoirs-faire.

2. en permettant la création d’artefacts créatifs dans un domaine particulier en fournissant les fonctionnalités critiques de manière claire, directe et utile : une interface écologique, avec des paradigmes d’interaction et des métaphores adaptés.

Des exemples significatifs

Des travaux comme ceux de Sharon GREENE, [Greene, 2002], ou Michael TERRY, [Terry et Mynatt, 2002], incluent déjà des notions d’exploration indispensables à la créativité. Ces outils ont été conçus pour faciliter l’exploration et l’expérimentation en permettant à l’utilisateur de ne pas faire de choix définitifs (retour arrière, itérations), mais aussi d’avoir des vues des différents choix possibles.

Le principe des Side-Views [Terry et Mynatt, 2002; Terry et al., 2004], par exemple, est une tech-nique très adaptée à l’exploration de solutions. Les Side-Views sont des vues instantanées de l’ap-plication partielle d’une commande à l’objet d’intérêt. Ces vues peuvent être rendues persistantes si l’utilisateur le souhaite. Ainsi, de par leur aspect dynamique, elles peuvent être appliquées, ou même

CHAPITRE 1. CONCEPTION, CRÉATIVITÉ ET MODÉLISATION 3D chaînées et composées entre elles. La figure 1.3 montre l’application simple de ce principe à un outil d’édition d’images.

D’une part, ces vues rendent plus explicites les possibilités et fonctionnalités de l’outil. Mais elles sont surtout une trace de la construction de chemins alternatifs dans l’exploration de solutions.

FIGURE1.3 –Le principe des Side-Views, [Terry et Mynatt, 2002; Terry et al., 2004], appliqué à un éditeur d’images. Ces vues fournissent au concepteur les résultats potentiels de l’application d’une commande.

Cette prévisualisation et manipulation des solutions possibles est une réalisation des « What-if tools », principe plus général proposé par Ben SHNEIDERMAN [Shneiderman, 2000]. Il souligne en effet l’aspect fondamental de pouvoir, dans un processus créatif, essayer, expérimenter et retracer la démarche sans pour autant la figer. Mais plus que cela, il propose aussi un cadre complet pour l’intégration des outils informatiques dans la démarche de conception créative [Shneiderman, 2000; Shneiderman, 2002]. Cette proposition met en relation les quatre activités principales du processus créatif, « Collect – Relate – Create – Donate », avec huit tâches pouvant supporter la créativité, voire l’améliorer. La figure 1.4 page ci-contre représente ces associations.

Il est intéressant de constater que beaucoup d’outils informatiques existent déjà pour accom-plir beaucoup de ces tâches (recherche d’informations, visualisation, collaboration, simulations, etc.). L’enjeu majeur est alors leur combinaison et leur intégration homogène et transparente dans un même environnement, un contexte créatif.

Toutefois, bien que les activités d’exploration, collaboration et dissémination (collect, relate et do-nate) soient couvertes par beaucoup d’outils informatiques, il reste à notre avis un long chemin à parcourir pour atteindre un support efficace de l’activité de création (create). Nous en revenons donc toujours au problème de la démarche inadaptée qu’imposent les outils actuels, de par leur réalisation orientée système ne supportant pas ou très peu les aspects flous de la démarche créative (ce que Ben SHNEIDERMANappelle en particulier « Thinking by free associations, Exploring solutions, etc. »).

1.2. LA CONCEPTION

FIGURE1.4 –Un cadre créatif pour les outils informatiques. Proposé par Ben SHNEIDERMAN[Shneiderman, 2002], ce framework créatif met en relation les quatre activités principales du processus créatif avec huit tâches pouvant supporter la créativité, voire l’améliorer.

Cadre de nos travaux

C’est sur cet aspect précis de la conception créative que nous positionnons nos travaux : comment concevoir un outil informatique de support, et même d’amélioration, de la créativité dans les pre-mières phases de la conception ? Nous nous restreindrons pour cela à un domaine précis, celui de la conception architecturale que nous décrivons dans la section suivante. Ensuite, nous montrerons dans le chapitre 3 page 55 les conditions que doit remplir un tel système, à partir des travaux que nous avons exposés dans ce chapitre et de nos propres études. Dans le chapitre 4 page 83, nous proposerons une première réalisation d’un tel outil : SVALABARD.

Mais plus loin que cela, nous constaterons l’inadéquation même des outils informatiques de conception d’Interaction Homme-Machine qui limitent à notre avis le développement des systèmes interactifs : souvent conçus pour un unique paradigme d’interaction et particulièrement figés, ils conduisent au développement d’interfaces stéréotypées, inadaptées à la réalisation de tâches avancées. L’utilisation de tels environnements pour le prototypage, la conception et la combinaison d’interac-tions avancées nécessite toujours de lourds efforts de programmation.

De plus, et bien qu’ils ne leur facilitent pas forcément la tâche dans le contexte des interfaces non-standard, ils s’adressent principalement à des utilisateurs programmeurs. Pourtant, il est maintenant acquis par la communauté que les informaticiens ne détiennent que rarement tous les savoirs et les connaissances pour proposer des outils comme ceux que nous avons évoqués précédemment [Chatty et al., 2004]. Le travail conjoint d’ergonomes, graphistes et développeurs est devenu un élément clef de la conception des IHM.

Mais les outils dont ils disposent sont-ils adaptés ? Comment, dès lors, proposer des outils créatifs si la créativité des concepteurs de ces outils est elle-même limitée par ceux qu’ils utilisent ou qu’ils dé-tournent ? Nous aborderons ces problèmes dans la seconde partie de ce mémoire et nous proposerons alors une solution basée sur un nouveau modèle d’architecture logicielle (chapitre 7 page 157) réalisé dans une boîte à outils prototype : MAGGLITE.

CHAPITRE 1. CONCEPTION, CRÉATIVITÉ ET MODÉLISATION 3D

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