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« Au milieu d’une foule immense et dénuée, au milieu d’hommes déséspérés et désemparés, au sein de leur solitude, de leur souffrance, le théâtre s’est manifesté. [...] Dans les camps, le théâtre est né ; il a pris naissance des mêmes besoins, des mêmes détresses, des mêmes bonnes volontés. Il a restitué des hommes à eux-mêmes. Il a libéré, il a fait revivre en eux tout ce que leur condition nouvelle avait détruit ou amorti ; il leur a affirmé la permanence de la vie, sa continuité. Ainsi le théâtre

éveille les espoirs et les souvenirs. Il fait revivre une sensibilité qui peut

s’étioler ou sombrer. Le théâtre rend aux hommes la tendresse humaine. [...] Par une œuvre représentée, par une pièce, par des tréteaux, une

libération se fait, une élévation survient, une connaissance intérieure se pratique, une vie profonde se déclare entre les hommes. »156

Le théâtre n’est pas la seule pratique artistique dont on puisse constater la présence au sein-même de l’univers concentrationnaire. Poésie, dessins et peintures, musique, « revues »

155 P. Calveiro, Poder y desaparición, op. cit., p. 113, trad. Isabelle Taudière in C. Pilar, Pouvoir et disparition: Les camps de concentration en Argentine, s. l., La fabrique éditions, 2006.

156

L. Jouvet, Témoignages sur le théâtre, Paris, France, Flammarion, 1952, p. 243. Paru pour la première fois en 1946 dans le journal Les

Étoiles, ce texte de Jouvet fait évidemment signe vers l’expérience concentrationnaire de Delbo et les activités théâtrales de son groupe

et journaux : dans les camps nazis comme dans les camps chiliens, ces activités ont été documentées. L’intérêt que suscitent de telles productions est double : elles sont le plus souvent envisagées selon une double fonction, en tant qu’œuvre et en tant que témoignage. Même lorsque les objets en questions se voient discrédités sur le plan esthétique (si tant est que cette dimension soit même considérée), ils valent par l’activité de création dont ils témoignent, et la valeur subversive de ce geste.

Dans les camps nazis, on relève la présence d’activités théâtrales, picturales, d’écriture et de musique. Le qualificatif « théâtre » englobe en réalité des exemples très variés : écriture

de textes dramatiques157, réécritures, mise en scène, écritures collectives et improvisation,

conception et confection technique158. Chacune de ces activités suppose des degrés divers de

clandestinité ou d’autorisation ; des dispositions qui paraissent à « qui n’a jamais été dans un camp de concentration » inimaginablement difficiles à mettre en place. Lorsque Charlotte Delbo raconte la genèse du groupe de théâtre, c’est par le souvenir de l’art que tout commence, et par le récit :

Nous qui tenions mal debout au sortir de la mort – traverser un petit pré en portant un panier vide exigeait un effort et une volonté extraordinaires –, après quelque temps, nous reprenions apparence humaine. Après quelque temps, nous pensions au théâtre. L’une de nous racontait des pièces aux autres qui se groupaient autour d’elle, bêchant ou sarclant. On demandait : « Qu’est-ce qu’on va voir aujourd’hui ? » Chaque récit était répété plusieurs fois. Chacune voulait l’entendre à son tour et l’auditoire ne pouvait dépasser cinq ou six. Pourtant, le répertoire s’épuisait. Bientôt, nous songions à « monter une pièce ». Rien de moins. Sans texte, sans moyen de nous en procurer, sans rien. Et surtout si peu de temps libre.159

Raconter une œuvre d’art se prête à la clandestinité à laquelle la situation – les travaux forcés – leur impose de se ranger. Cette première opération de recréation ne constitue pas à proprement parler une activité de création ; mais elle l’occasion d’activer une « vie

intérieure »160, et de réaliser par l’art sa liberté individuelle. Elle constitue d’ores et déjà un

acte d’autonomie gagné collectivement sur l’institution. Le projet de « monter une pièce » est cependant sans commune mesure. Comme le relève Delbo, et selon le modèle de création théâtrale que ces internées ont à l’esprit, il implique un texte, du temps de création, et « tout le

157 Entre autres exemples remarquables, on signalera l’œuvre de H. Hachenburg, On a besoin d’un fantôme ; suivi de poèmes choisis: textes écrits en 1943 dans le ghetto juif de Terezín, C. Audhuy et B. Cogitore (éd.), Strasbourg, France, Rodéo d’âme, 2015.

158

C. Audhuy, Le théâtre dans les camps nazis: réalités, enjeux et postérité, Thèse de doctorat, Université de Strasbourg, 2013. 159 C. Delbo, Une connaissance inutile, op. cit., p. 87.

reste » (par opposition au « rien » qu’elle évoque) – c’est-à-dire les moyens logistiques de reconstituer un dispositif théâtral, aussi sommaire soit-il.

Et voilà que dans ce petit camp161, nous revenions à la vie et tout nous revenait. Tous les désirs, toutes les exigences. Nous aurions voulu lire, entendre de la musique, aller au théâtre. Nous allions monter une pièce. N’avions-nous pas le dimanche libre et une heure le soir ?

Claudette, qui travaillait au laboratoire où elle avait table, crayon et papier, entreprendre de récrire Le Malade Imaginaire, de mémoire. Le premier acte achevé, les répétitions commencent.

[...] Et les répétitions… Elles avaient lieu après le travail, après le souper – puisqu’on disait le souper pour deux cents grammes de pain dur et sept grammes de margarine – au moment où l’on éprouve davantage la fatigue, dans une baraque gelée et sombre.162

L’espace et le temps pour le théâtre sont ménagés dans les interstices de l’institution : les moments de repos octroyés pour l’optimisation du travail forcé devient un temps de

répétition163 ; le matériel destiné aux internées dans les fonctions auxquelles on les affecte

leur offre la possibilité de prendre des notes et de les conserver. Néanmoins, les conditions de vie dans le camp pèsent lourdement sur la conduite d’une activité de création :

J’écris cela comme si ç’avait été aussi simple. On a beau avoir une pièce bien en tête, en voir et en entendre les personnages, c’est une tâche difficile à qui relève du typhus, est constamment habité par la faim.164

La faim, les maladies, l’épuisement physique et psychologique imposent un rythme décousu et ralenti. La création artistique est une activité pénible au vu de l’effort qu’elle demande à des femmes déjà soumises sans discontinuer à l’effort et à la contrainte ; pourtant, en ce qu’elle constitue une échappatoire à la contrainte totale et par ce qu’elle apporte à chacune de celles qui y participent, la pénibilité supposée de ces efforts supplémentaires – « non nécessaires » – disparaît. C’est sans doute à ce titre que l’on peut interpréter l’apparente collaboration de toutes les internées qui le peuvent à ces activités : « celles qui pouvaient

aidaient » 165 . Le travail théâtral reste tributaire des contraintes de l’institution

concentrationnaire (« Une réplique était souvent la victoire d’une journée. »166). C’est qu’il

relève d’objectifs et d’une temporalité complètement autres. Il forme un système dans le système, dans l’envers de l’institution concentrationnaire.

161 Delbo et ses camarades n’apprendront que deux mois plus tard que ce « petit camp » où elle viennent d’arriver s’appelle Auschwitz. 162 C. Delbo, Une connaissance inutile, op. cit., p. 89.

163

« Chaque soir, battant la semelle et battant des bras – c’était en décembre – nous répétions. » Ibid., p. 90. 164

Ibid., p. 89. 165 Id. 166 Id.

La représentation du Malade imaginaire « d’après Molière, par Claudette » a lieu le dimanche après Noël, 1943. Le projet artistique initial était de « monter une pièce » – c’est-à- dire, en l’occurrence, de reproduire un processus de création impliquant un texte dramatique préexistant, un cycle de répétitions et l’aboutissement de celles-ci en une représentation devant un public. Pour correspondre au rituel théâtral « en liberté », une affiche est même confectionnée – alors que personne d’autre que les membres du groupe n’est à prévenir du spectacle, et que l’affiche est accroché sur l’intérieur de la porte. À l’instar des répétitions, la représentation est clandestine : aucune installation n’est possible à l’avance. La pièce a lieu

dans l’interstice laissé, cette fois, par « une SS que ses amours occupaient beaucoup »167 –

laxité de l’ordre de l’individu, mais signalant néanmoins plus largement la possibilité de telles laxités dans la structure concentrationnaire. Les internées occupent des fonctions similaires à celles de l’organigramme de création théâtrale en liberté : adaptation « d’après Molière, par Claudette », « costumes de Cécile », « mise en scène de Charlotte », « agencement scénique et

accessoires de Carmen »168 (répondant au titre d’« habilleuse »169) et même « souffleuse »170.

Les costumes sont confectionnés à partir de la transformation « des tricots », des « chemises de nuit », des « pyjamas » ; voire des « cages en tulle » utilisées aux travaux de leur station d’essai, et reconverties pour l’usage. Du maquillage est également arrangé, avec de

l’insecticide171. On se procure des ersatz d’accessoires, comme des « bâtons enrubannés de

tulle » qui font office de cannes. Le camp ne se définissant pas par une abondance de moyens, le principe de réalité s’impose – et ce, d’autant plus qu’entre le faste bourgeois que la pièce de Molière appelle à représenter et la pauvreté des lieux et des ressources de ce théâtre éphémère, le contraste est d’autant plus saisissant.

Claudette, l’auteur, est contente du résultat, mais ne se console pas que les hommes n’aient ni perruque ni chapeau, et que Bélise n’ait pas d’éventail. « Sous Louis XIV, voyons ! » Hélas, nos cheveux, rasés à l’arrivée, n’ont encore que quelques centimètres.172

Le théâtre de fortune est aménagé en boîte noire173 dans la baraque du réfectoire. Il est doté

d’une scène en estrade faite des tables de repas juxtaposées et « débarrassés de leurs pieds 167 Ibid., p. 90. 168 Id. 169 Ibid., p. 91. 170 Ibid., p. 92. 171 Id.. 172 Ibid., p. 91-92. 173

« Les couvertures, habilement manœuvrées par Carmen, qui a un marteau, des clous et de la ficelle, qu’elle avait longtemps convoités avant de réussir à les voler au SS jardinier, les couvertures forment un rideau qui n’est pas le moindre de nos succès. D’autres couvertures, clouées aux fenêtres, obscurcissent la salle. Seule est éclairée la scène où Carmen, électricien autant que machiniste, a installé une baladeuse en projecteur. », in Ibid., p. 92.

(sinon la scène eût été trop haute dans la baraque très basse de plafond) » ; d’un rideau et de coulisses bricolés avec des couvertures et quelques outils volés par Carmen au S.S. jardinier ; d’une baladeuse (elle aussi volée) servant de projecteur pour la scène. La reconstitution du lieu théâtral va de pair avec la transposition de ses rites : les trois coups, le lever de rideau, le silence du public.

Dans le récit de son expérience concentrationnaire, Frankl dédie trois pages à « L’art dans le camp », et fait lui aussi mention d’un spectacle. Tout comme pour le groupe de Delbo, le lieu théâtral n’est qu’éphémère :

On débarrassait temporairement un baraquement, on rassemblait ou on clouait ensemble quelques bancs, et on élaborait un programme. Le soir venu, ceux qui jouissaient d’une bonne situation - les kapos - et ceux qui n’avaient pas à faire de grandes marches en-dehors du camp se réunissaient là et riaient ou chahutaient un peu ; n’importe quoi qui leur fasse oublier.174

Les activités en question se déroulent également le soir, entre une journée de travail et la

suivante175. Elles diffèrent cependant très nettement de celles relatées par Delbo. Tout

d’abord, ces activités se reproduisent à plusieurs occasions : elles relèvent d’une forme de

récurrence, voire même d’habitude176. À ce titre, elles semblent donc se développer dans une

disposition non pas de clandestinité, mais de relative institutionnalisation – puisqu’elles sont connues et appréciées au moins par les kapos. L’autorisation de ces spectacles et leur apparente régularité semblent directement liées à la fonction qui leur est attachée : si le groupe de Delbo crée en vue d’aboutir à un objet esthétiquement et historiquement informé, la fonction principale des activités artistiques que décrit Frankl est le divertissement. C’est la raison même qui semble motiver l’autorisation répétée de tels événements ; tandis que le projet de Delbo (au demeurant, professionnelle de théâtre et mûe par une passion d’artiste) s’apparente fortement à la reconstitution du travail théâtral dans toutes ses étapes « classiques », en vue d’aboutir à la mise en scène finale d’une œuvre d’art « de référence » pour elles – et à leur seule destination. Ainsi, les économies même de la réalisation de ces spectacles diffèrent : l’un repose sur un cycle de répétitions menant à une unique représentation finale, l’autre est « une forme de spectacle de cabaret » qui, selon les mots de

Frankl, « s’improvisait »177.

174 V. E. Frankl, El hombre en busca de sentido, op. cit., p. 49. 175

« Les réunions étaient d’une telle efficacité que certains prisonniers assistaient aux représentations malgré leur épuisement total, quitte à manquer pour cela leur gamelle du jour. » in Id.

176 Id. 177 Id.

Les témoignages complémentaires de Frankl et Delbo nous permettent d’appréhender le théâtre des camps selon une variété de dispositions d’exceptions, qui induisent dès lors une variété de pratiques et de fonctions du théâtre dans l’univers concentrationnaire. Selon le degré d’autorisation ou de clandestinité qui préside à la conduite du travail artistique, les conditions d’exécution de celui-ci (répétitions, « installation technique ») diffèrent. Le statut de la représentation change lui aussi notablement selon ces paramètres : représentation unique, ou dispositions relativement instituée ? Théâtre pour soi et contre l’adversité, ou spectacle au statut de publicité ambivalent ?

La grande diversité des expériences théâtrales concentrationnaires au Chili permet d’approfondir l’analyse des rapports qu’entretiennent la structuration du camp et les dispositions (individuelles ou structurelles) d’exception avec les pratiques de la création théâtrale et les fonctions qui lui sont attachées. De nombreux·ses détenu·e·s entreprennent

dans les camps des activités artistiques dont i·e·ls n’étaient pas familier·e·s auparavant178 ;

celles que conduisent les artistes incarcéré·e·s prolongent « de vieilles querelles à propos d’un « art bien fait » [...] dans la ferveur d’un théâtre engagé [...] ou dans l’enchantement d’un

théâtre plus ludique »179. De fait – nous y reviendrons dans le dernier mouvement de ce

mémoire – le théâtre concentrationnaire doit se penser dans une historicité du champ artistique chilien. La persistance d’une fonction pédagogique et critique de l’art populaire, et d’une conception collective de la création se révèle dans les initiatives de « théâtre-écoles »,

comme les troupe-écoles de Marietta Castro à Tres Álamos et Cuatro Álamos180, ou encore

celles développées par son frère Oscar dans les mêmes camps, puis à Ritoque et Puchuncaví. Les recherches et les formes de travail théâtral innovées par les troupes du théâtre universitaire se prolongent avec de véritables « troupes » concentrationnaires, établissant pour elles-même une dénomination analogue à celle d’une compagnie universitaire en liberté – et se ressaisissant des mêmes « mots-clés » : ainsi, par exemple, le T.E.T.A., « Théâtre

Expérimental de Tres Álamos »181. Certains artistes, enfin, rejouent dans les camps des

œuvres de leur propre répertoire (comme Oscar Castro, qui recréera des spectacles de

l’Aleph182) ou d’un répertoire international de dramaturgies inscrites dans une culture

178 On mentionnera pour approfondissement l’existence, en plus des activités poétiques, musicales, théâtrales et picturales, de revues, de journaux muraux, et de conférences et autres activités d’enseignement.

179

L. Pradenas, Le théâtre au Chili, op. cit., p. 311. 180

Ibid., p. 312.

181 A. Ramírez Pérez, El Teatro Chileno en los Campos de Concentración, op. cit., p. 87. 182 L. Pradenas, Le théâtre au Chili, op. cit., pp.311-313.

politique d’art social et critique (dont les pièces de Brecht sont l’exemple le plus

emblématique183).

L’existence de groupes de théâtre qui puissent se désigner comme « troupes » témoigne de la relative institutionnalisation de certaines activités de création dramatique. L’exemple le plus développé au Chili est celui des « vendredis culturels » de Puchuncaví : dans ce camp, les actions de dialogue entreprises par les prisonniers politiques avec l’administration militaire ont peu à peu abouti à l’octroi d’espaces d’expression de plus en plus conséquents, jusqu’à l’instauration en 1976 d’une journée hebdomadaire dédiée aux pratiques culturelles. Du matin au soir, le camp s’affaire à la préparation du spectacle : les préparatifs techniques et scénographiques commencent très tôt et durent toute la journée ; les représentations ont lieu le soir, entre 19h et 21h. Une configuration similaire se présente, ce même jour vendredi, dans les camps de Ritoque et Tres Álamos. Un autre exemple peut être trouvé, selon une autre temporalité, dans le camp de Pisagua. Un élan du détenu Jorge

Navarrette le conduit un soir à animer, après la fermeture des cellules184, une fiction

« radiophonique » audible par tous les individus présents dans l’enceinte du camp, et dont il

proclame à partir de cet instant la transmission quotidienne. Ce programme participatif185,

fondé sur la récitation de poèmes, de blagues ou de chansons est un exemple unique parmi les activités culturelles concentrationnaires du pays : celui d’un « théâtre radiophonique » dont la transmission quotidienne s’intègre au « programme du jour ».

La mise à jour de dispositions d’exceptions récurrentes impose de prendre en compte l’influence de nombreux critères. La périodisation est par exemple une donnée importante : c’est dans les premiers mois de la dictature militaire que la répression est la plus brutale et

meurtrière186. Devant l’inquiétude croissante de l’opinion internationale et les actions de

contrôle entreprises par les organismes humanitaires, le système accuse des inflexions, et de très nombreux centres de détention et de torture cessent leur activité dans la première moitié de l’année 1974. Dans ceux qui restent en fonctionnement, on constate généralement à partir de cette période un plus grand nombre de dispositions d’exception, signes d’un relatif assouplissement du système. Pour autant, d’autres camps comme celui de Pisagua sont

183 Des pièces de Brecht semblent avoir été montées dans de nombreux camps, et par des groupes très différents : Castro en monte des extraits dans plusieurs camps ; Frida Klimpel et un groupe de détenues montent Maître Puntila à Tres Álamos ; et dans le même camp, le groupe masculin du T.E.T.A. remonte Le procès de Lucullus et Grand-peur et misère du IIIe Reich. In A. Ramírez Pérez, El Teatro Chileno en los Campos de Concentración, op. cit., pp.87-90.

184 Le camp de Pisagua dans un bâtiment réaffecté à la fonction concentrationnaire. Les détenus sont confinés dans des cellules (environ trente personnes pour une surface de dix mètres sur quatre) donnant toutes sur une même cour intérieure ; les prisonniers et les militaires à tous les étages peuvent ainsi être mis en communication par le médium « radiophonique » auquel recourt Navarrette.

185 « Bientôt, cet exercice nocturne d’expression et de communication de « Lalo Cabrera » commença à gagner en puissance, à se mettre en place, à faire partie intégrante de la réalité cruelle et absurde qui avait cours [...] À partir de la claustration nocturne, les nouveaux habitants de Pisagua changeaient de rôle. Les détenus comme les gardes se prêtaient au jeu, les premiers comme protagonistes, les seconds comme public auditeur » A. Ramírez Pérez, El Teatro Chileno en los Campos de Concentración, op. cit., p.120.

tristement célèbres pour la violence inouïe de la répression qui y a cours ; et pourtant, des activités artistiques s’y développent, certaines même avec régularité (dans le cas des Nuits

Fantastiques), en « poussant » pour ainsi dire sur mesure dans les interstices propres à cette

institution.

Le théâtre concentrationnaire chilien a donné lieu à des formes et des pratiques théâtrales extrêmement diverses. Il est néanmoins important de distinguer les activités imputables à l’initiative de professionnel·le·s du théâtre de celles entreprises par des « artistes improvisé·e·s », n’ayant que peu voire pas d’expérience théâtrale antérieure à la concentration. Pour le premier cas de figure, l’exemple le plus documenté est celui d’Oscar Castro, connu pour avoir entrepris ou participé à des activités théâtrales dans presque tous les camps de son parcours concentrationnaire (c’est-à-dire à Tres Álamos, Cuatro Álamos, Chacabuco, Ritoque et Puchuncaví). Afin d’aborder ces activités, il faut avant tout prendre en compte les travaux antérieurs de Castro. Le rapport de Delbo à Jouvet est un opérateur de compréhension essentiel pour envisager de quelle « manière de faire du théâtre » procèdent