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À ce jour, tout le corpus d’entretiens nécessaire à l’établissement d’une première étude

de cas a été constitué concernant le camp d’Isla Dawson (Río Chico), XIIe

Région. Ce corpus compte une quinzaine d’entretiens, dont six ont été retenus pour bâtir ce mémoire.

D’emblée, le cas de Dawson présentait le profil le plus adapté à des essais de méthode, et à l’élaboration de mes premières hypothèses de recherche. Emblématique de la généalogie architecurale nazie, le camp s’en rapproche également en ce qu’il répond à une stratégie de répression psychologique et d’annihilation identitaire qui conjugue à l’éloignement géographique et politique la soumission à des conditions climatiques extrêmes. La population des détenus offre des possibilités comparatives intéressantes, selon qu’on considère les conditions de détention des prisonniers politiques locaux (de la région du Magellan) et celles des anciens membres du gouvernement Allende, déportés depuis la capitale peu après le coup d’État. La présence de ces derniers explique que le camp de Dawson ait fait l’objet d’une attention toute particulière de l’opinion internationale et des organismes humanitaires ; par conséquent, il existe plus de matière documentaire disponible à son sujet que sur la plupart des autres camps concernés par cette recherche.

Située dans la XIIe

Région du territoire chilien, dite région du Magellan et de l’Antarctique chilienne, l’île Dawson appartient à l’archipel de la Terre de Feu. D’une

superficie de 1290 kilomètres carrés et d’une altitude de 975 mètres48, elle se trouve séparée

de la Grande Île de la Terre de Feu par l’étroit canal San Gabriel, et d’une petite centaine de kilomètres de distance de la capitale de la région, Punta Arenas. Située à l’extrême sud du détroit de Magellan, elle est bordée par le détroit à l’ouest, par la cordillère fuégienne occidentale dite Darwin au sud, et par le canal Whiteside – débouchant sur le fjord

Almirantzago – à l’est. Dans cette zone de la XIIe région qui est une des plus australes

périphéries habitées de la planète, le climat est extrêmement rude, de type maritime subantarctique, et classifié comme une variante du climat de la toundra. La circulation

atmosphérique au sud du 40e

parallèle se caractérise par l’influence du front polaire austral, et de très forts vents d’Ouest arrivant sur les côtes magellaniques après un long trajet sur le Pacifique sud, fortement chargés en eau. À ces précipitations s’ajoutent, sur la façade pacifique du détroit, les rafales de williwaw, vent catabatique extrêmement imprévisible. La

48 UNEP, « Islands of Chile », n°333. Consultation en ligne : http://islands.unep.ch/IXE.htm#333, consulté pour la dernière fois le 23 janvier 2018.

Cordillère Darwin engendre un climat glaciaire de montagne pouvant démarrer entre 900 et

1400 mètres d’altitude seulement49. Ainsi le climat dominant dans la zone est-il tempéré, froid

et pluvieux, bénéficiant de précipitations au-dessus de la moyenne régionale de 3500 mm par an ; les journées dégagées sont rares. Par effet de la topographie du détroit, les conditions climatiques vont s’adoucissant d’ouest en est, vers un temps plus sec et des vents moins forts. Pour l’île Dawson en revanche, directement aux pieds de la Cordillère Darwin, les vents sont violents et constants, la neige et la pluie très fréquentes, et l’amplitude thermique au cours des saisons fort réduite.

Avant l’établissement de la dictature, l’île comptait déjà avec l’implantation de l’armée chilienne. Placée sous la juridiction de la Marine, elle comptait une base navale, un camp pour les militaires de l’Infanterie de Marine, ainsi que plusieurs habitations (Puerto Harris constituant ainsi une sorte de village), où vivaient civils et militaires, le plus souvent des familles de marins. Dès le 11 septembre, le camp de l’Infanterie de la Marine est reconverti afin d’y détenir les premiers prisonniers politiques du Magellan, arrêtés le jour- même ou dans les tous premiers temps, et dont le premier transfert s’effectue le soir du même

jour, pour un débarquement estimé à 00h00 le 12 septembre50. Ce camp de détention

répondant à l’acronyme COMPINGIM51 recevra ensuite les prisonniers politiques de l’ancien

gouvernement Allende, déportés en avion de Santiago le 15 septembre 197352, et arrivant sur

l’île par bateau à 6 heures du matin, le dimanche 16 septembre. Le camp de Compingim restera en fonction jusqu’au 15 décembre 1973, date du transfert définitif de tous ses prisonniers au camp nouvellement construit de Río Chico. Selon les devis de l’entreprise de

construction Juan Pedro Martínez & Cie

en date du 29 octobre 197353, le projet de bâtir un

nouveau camp de plus grande envergure et mieux adapté aux besoins spécifiques de la concentration et la surveillance de centaines de prisonniers politiques voit donc le jour dans les quelques semaines qui suivent l’instauration de la dictature militaire. La construction du camp Río Chico est entreprise au mois de novembre 1973, et ses premiers occupants y seront

transférés le 15 décembre54, depuis l’ancien camp de Compingim. Puis, bien que les va-et-

vient de détenus au gré des processus d’interrogatoires et de Conseils de guerre soient

49 A. Xercavins, « Notas sobre el clima de Magallanes (Chile) », Revista de geografia, vol. 18, no 1, 1984, p. 95–110.

50 Comme nous l’apprit l’entretien avec Carlos Speak, dirigeant étudiant du MIR détenu à 17 ans, le même 11 septembre à 16h à Punta Arenas ; il arrivera à l’île avec le tout premier convoi.

51 Compañía de Ingenieros de la Infantería de Marina, Compagnie des ingénieurs de l’infanterie de Marine

52 S. Bitar, Dawson île 10: un camp de concentration sous Pinochet, S. Roumette (trad.), Paris, Éditions Tirésias-Michel Reynaud, 2017, pp.40-45.

53

Voir annexe n. (à compléter) pp.114-116.

54 E. Valencia, « Campos de concentración y centros de detenciones en Magallanes 1973 -1977 », op. cit.; S. Bitar, Dawson île 10, op. cit. p.151.

incessants, le transfert du « gros » des prisonniers est effectué depuis les divers centres de

détention et torture de Punta Arenas à partir du 21 décembre55.

Le camp de Río Chico fonctionnera durant une dizaine de mois. Un premier transfert, celui des anciens membres du gouvernement de l’Unité Populaire, est réalisé le 8 mai 1974, après quoi les autorités procèderont progressivement à vider le camp. L’évacuation des derniers détenus, en date du 26 septembre 1974, marque la fermeture du camp – et sans doute le début de l’entreprise de démolition.

À ce jour, l’île Dawson est encore sous contrôle de la Marine chilienne, sous

juridiction de la IIIe Zone Navale. À l’exception notable d’un voyage groupé, extrêmement

médiatisé, à l’occasion duquel les anciens prisonniers dawsoniens se sont vu autoriser l’accès aux lieux sous contrôle des marins, aucune visite n’est accordée aux civils, et il n’existe d’autre moyen que les ferries de l’armée pour se rendre à Dawson. Pour autant, le site du camp est depuis 2010 déclaré Monument National, et au titre de la Ley de Monumentos 17.288, article 38, doit être garanti de libre accès. À la démolition du camp – semble-t-il

extrêmement précipitée – après son évacuation s’ajoutent les refus répétés de la part de la IIIe

Zone Navale de permettre l’accès à l’île. Comme en font état les tentatives infructueuses menées au cours de mon enquête, ainsi que les batailles mémorielles engagées depuis plusieurs années par l’ex-ministre et ancien prisonnier Miguel Lawner (rejointe plus récemment par l’architecte Camila Mancilla) afin d’obtenir l’édification d’un mémorial sur les lieux, le camp d’Isla Dawson est un enjeu politique et mémoriel de premier plan.

L’étude de cas dawsonienne repose sur cinq retranscriptions d’entretiens, menés sur une population exclusivement masculine entre le 20 juin 2016 et le 28 janvier 2017 ; et sur un témoignage par courrier électronique, le 10 février 2017. Âgés de 61 à 86 ans au moment de l’entretien, les enquêtés représentent ainsi diverses classes d’âge de détenus – le plus jeune enquêté interviewé à Punta Arenas avait quatorze ans à son arrestation, le plus jeune parmi les entretiens sélectionnés du corpus en avait dix-sept.

La prise en compte de la classe d’âge à laquelle appartient le groupe dont font partie ces témoins est primordiale. Un certain nombre de paramètres relatifs à cette question orientent en effet le cours de la recherche : le décès de témoins potentiels déjà survenu au moment de l’enquête ; la mauvaise santé physique ou mentale de certains, excluant la possibilité d’un entretien ; enfin, les problématiques de remémoration relatives à l’âge

(défaillances de mémoire, ou trop nombreuses opérations successives de reconstruction mémorielle désormais figées à l’état de certitudes). Un certain nombre de facteurs fonde ensuite la subdivision de ce groupe en divers sous-groupes, dont chacun est déterminant pour la compréhension des comportements de chaque individu, et régulateur des rapports interpersonnels. À chacun de ces groupes sociaux correspond surtout une mémoire collective qui lui est propre, à la structuration singulière.

Un certain nombre d’autres données est à prendre en compte pour l’analyse dans le profil des enquêtés et les conditions de l’entretien. Dans un souci de synthèse, je rends compte des données en question dans la présentation sommaire des six témoins essentiels à cette étude de cas, ci-dessous. Ce descriptif a pour vocation de résumer les caractéristiques principales de la situation d’entretien d’une part (dont on pourra déduire les rapports de pouvoir symbolique à l’œuvre dans la situation de témoignage, ainsi que les significations dont les témoins investissent cet « effort de cohérence » et de publicisation), et les éléments méritant d’être pris en compte à l’analyse, généralement dans une perspective comparative entre les enquêtés – âge d’arrestation et âge au moment de l’entretien, matricule concentrationnaire substitué à son identité nominale, parcours concentrationnaire, socialisation militante, socialisation professionnelle avant et après le camp, et statut au sein du groupe mémoriel.

• Armando ‘Piquete’ – Remo 21

Notre entretien dura près de trois heures, et se déroula à l’initiative de l’enquêté dans son salon à son domicile de Quilpué, le 20 juin 2016, assez tardivement dans la soirée. Il avait alors 80 ans.

Armando est un prisonnier magellanique, alors militant du Parti Communiste, directeur du tourisme à la Région, acteur et directeur du théâtre de l’Université Technique du Magellan. Détenu le 12 septembre 1973 à 37 ans, il est condamné à une peine de dix ans de détention en Conseil de guerre. Il sera prisonnier à Dawson du mois de mars au mois de septembre 1974, puis restera en détention jusqu’à son exil en 1976.

Il est un militant actif dans la communauté mémorielle dawsonienne. Contemporainement, il est aussi engagé en politique à l’échelle locale – et était récemment candidat à la mairie de Quilpué.

• Manuel ‘Tacanaca’ – Charlie 57

Notre entretien dura près de deux heures, et se déroula à l’initiative de l’enquêté dans son salon à son domicile de Santiago, le 22 janvier 2017 dans l’après-midi. Il était alors âgé de 68 ans.

Manuel est un prisonnier magellanique, alors Secrétaire des Jeunesses Communistes

de la XIIe

Région. Détenu à 24 ans, il sera prisonnier à Dawson de décembre 1973 à l’automne 1974. Sa détention se poursuivra jusqu’en 1978 ; s’ensuivra l’exil ; puis, après son retour en 1985, il sera de nouveau détenu de 1987 à 1989.

Il est un membre actif de la communauté mémorielle dawsonienne, à travers ses nombreuses fonctions politiques ultérieures : il fut élu représentant des Nouveaux Étudiants pour le Festival Mondial de la Jeunesse ; puis occupa d’importantes fonctions auprès Parti Communiste Chilien, siège de Santiago. Contemporainement, il est engagé en politique, membre de la Commission Politique du P.C.Ch. de Santiago. Il est ex-candidat à la mairie de Santiago, a occupé diverses fonctions aux organismes d’État ; et il est depuis peu le premier représentant du P.C.Ch. à endosser la présidence du Conseil Régional de la métropole de Santiago.

• Alejandro – Remo 10

Notre entretien dura environ une heure et quart, et se déroula à l’initiative de l’enquêté dans l’appartement de location de l’enquêteur à Punta Arenas, le 28 janvier 2017 avant midi. Il était alors âgé de 61 ans.

Alejandro est un prisonnier magellanique, alors dirigeant étudiant des Jeunesses Socialistes. Détenu le 26 octobre 1973 à 17 ans, il sera prisonnier à Dawson de janvier 1974 jusqu’au dernier transfert, le 26 septembre 1973.

Il est un membre discret de la communauté mémorielle dawsonienne. Il est contemporainement engagé en politique en qualité de Secrétaire Régional Ministériel des Sports dans la région du Magellan.

• Manuel Luis – baraquement Charlie

Notre entretien dura environ deux heures et demie, et se déroula à l’initiative de l’enquêté dans son bureau à son domicile de Punta Arenas, le 26 janvier 2017 en fin de journée. Il avait alors 68 ans.

Manuel Luis est un prisonnier magellanique, alors dirigeant régional de la Gauche Chrétienne. Détenu le 12 septembre 1973 à 24 ans, il sera prisonnier à Dawson du 21 décembre 1973 au mois de juin 1974 ; puis restera en détention jusqu’en novembre 1978. Intellectuel, diplômé de la Sorbonne et de l’Université Catholique de Lyon lors de son exil en France, il est universitaire, sociologue et politiste ; grand lecteur, il nous reçoit au milieu d’ouvrages artistiques et théoriques en toutes langues.

Manuel Luis est un militant actif dans la communauté mémorielle dawsonienne. Contemporainement, il travaille au Siège Régional du ministère des Finances, à Punta Arenas.

• Miguel – baraquement Isla

Notre entretien dura environ deux heures, et se déroula à l’initiative de l’enquêté dans son bureau à son cabinet d’architecture de Santiago, le 19 janvier 2017 dans l’après-midi. Il était alors âgé de 89 ans.

Miguel est un des « hiérarques », membre du gouvernement de l’U.P. en qualité de directeur de la Corporation d’Amélioration Urbaine (C.O.R.M.U.) et architecte. Détenu le 11 septembre 1973 à 45 ans, il restera à Dawson du 16 septembre 1973 (Compingim) au 8 mai 1974. Miguel est un militant actif et très médiatisé dans la communauté mémorielle dawsonienne, et plus largement nationale. Il est à l’origine, depuis la fin de la dictature, de la conception et de la réalisation de nombreux édifices mémoriels, l’auteur de livres de témoignage à grand tirage, et a été interviewé à de nombreuses occasions dans la perspective d’une large diffusion. Il assure aujourd’hui encore son activité d’architecte (quoiqu’à l’orée, à

l’en croire, de la retraite), et conduit divers projets principalement d’ordre commémoratif, culturel et historique.

• Mario

Notre entretien s’est déroulé par courrier électronique, et le document sélectionné ici est en date 10 février 2017. Il avait alors 85 ans.

Mario est un prisonnier magellanique, détenu le 11 septembre 1973 à 41 ans. Il sera prisonnier à Dawson du 11 septembre 1973 (Compingim) au mois de novembre ; puis y sera renvoyé après sa condamnation à 5 ans de prison en Conseil de guerre, du mois de mai à la fin du mois de juillet 1974. Il restera par la suite détenu jusqu’à son exil en 1976.

En présentant ainsi les enquêtés dont les témoignages ont permis de construire ce mémoire, j’entends fournir les informations propices à dresser en préambule un portrait de leurs « identités politiques » singulières. Sous ce terme homogénéisant, j’entends regrouper les processus et les pratiques d’appartenance (et de multi-appartenances) militante des individus, les processus d’identification aux modèles de représentations produit par la culture (l’utopie) militante, et le processus de catégorisation en prisonnier au titre politique par les

autorités concentrationnaires56. Cette « identité politique », seul dénominateur commun à

toutes et tous les détenu·e·s des camps de concentration de la dictature militaire, est à mon sens un opérateur essentiel dans la compréhension des dynamiques individuelles et des relations dans le groupe de théâtre et dans le groupe social concentrationnaire au sens large. Elle permet aussi de prendre en vue les socialisations internes au groupe, y compris les socialisations conflictuelles – ces querelles de chapelles entre divers groupes de militantisme et leurs pensées propres qui émaillent les entretiens, sous-tendent les logiques de témoignage

et influencent très fortement la gestion de l’indicible57 propre à ce groupe d’enquêtés. La

complexité de ces logiques mémorielles et de la mise en réseau des processus de remémoration au sein du groupe social aboutit en une pluralité des points de vue sur l’événement historique. En découle une diversité de positionnements politiques ; et la remémoration des activités artistiques n’échappe pas à cette logique. La pluralité des points de

56 M. Avanza et G. Laferté, « Dépasser la « construction des identités » ? », op. cit.

vue des témoins quant aux pratiques théâtrales à Dawson recoupe presque immanquablement des oppositions de fonds – politiques et esthétiques – entre les détenus.

La caractérisation par leur âge présente un double intérêt : d’abord pour ce que l’âge implique pour l’enquête dans son actualité (décès de témoins potentiels, altération de la mémoire, sédimentation de reconstructions mémorielles répétées) ; mais aussi pour le rôle qu’a pu jouer ce facteur sur les différences d’expérience de la détention. L’âge définissait des tâches et des positions variées au sein de l’univers concentrationnaire, et constituait ainsi des groupes sociaux distincts ; il peut également être entendu comme un opérateur majeur dans la compréhension des répercussions psychologiques vécues par certains individus au cours de leur expérience concentrationnaire.

Cette rapide caractérisation des enquêtés peut également permettre d’envisager les localisations géographiques de ceux-ci, et les luttes symboliques à l’œuvre dans le choix des lieux d’entretien, qui sont autant d’indices des poursuites de carrière : tel individu s’est-il professionalisé dans le « civil », ou bien dans les organismes d’État régionaux ou nationaux ? Souhaite-t-il que je me le figure dans le cadre de sa fonction, ou dans un espace spécifiquement choisi de son intimité ? Ces éléments s’avèrent être des indicateurs des rapports de pouvoir à l’œuvre contemporainent au sein du groupe mémoriel. Ils dessinent les

contours d’une « concurrence des victimes »58 et d’une lutte sociale et symbolique menée sur

le front des témoignages. C’est dans cette conjoncture que s’insère mon enquête, et le choix de non-anonymisation appliqué jusqu’ici s’inscrit dans une volonté claire, quoique polémique auprès de la communauté des chercheur·se·s, surtout chilien·ne·s : celle de faire des enjeux mémoriels à l’œuvre pour les témoins dans la participation à cette recherche des révélateurs de socialisations conflictuelles, aujuourd’hui comme durant la concentration.

En tant qu’enquêteur, un certain nombre de paramètres relatifs à ma caractérisation influent sur le cours de l’enquête et ses résultats. Qui suis-je ? De quelles informations suis-je le porteur ? Ma nationalité s’est avérée jouer un rôle particulièrement important au contact des témoins et autres soutiens à l’enquête. Bien moins par ma langue source que par ma culture d’origine, la valorisation symbolique de mon appartenance nationale conduit dans presque tous les cercles sociaux au Chili à être rapidement associé aux idées des droits de l’Homme et de la devise « Liberté, Égalité, Fraternité ». Ces présupposés extrêmement répandus teintent la relation qu’entretiennent avec moi les enquêtés ; certain·e·s renvoient même à ces formules en ces termes exacts au cours de nos échanges, hors et sur écoute. Le travail de prise de contact

avec journalistes, chercheur·se·s et témoins confirme également que mon « étiquette de provenance » entre toujours en ligne de compte, et s’avère un facteur facilitateur de premier ordre. À cela s’ajoute le capital symbolique attaché à la fonction de chercheur, éveillant plus souvent l’aspiration à une reconnaissance et une médiatisation académique que la méfiance habituellement portée à l’encontre de la figure de l’enquêteur·ice. Français, chercheur : le dernier paramètre déterminant de mon profil, et s’ajoutant aux effets prédisposants déjà énoncés, était mon âge. Mes vingt-et-un ans contrebalançaient en quelque sorte la plus-value académique ; quoique certains témoins, comme Marco ou Manuel Luis, aient plutôt choisi de voir dans mon jeune âge une forme de précocité, accentuant encore par-là la valorisation de mon statut et de mon activité. Les témoins au centre de mon enquête étant âgés de 61 à 89