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Chapitre 2 : Théorie et méthode

A) Comprendre l’action sociopolitique

L’intérêt ici est de mieux saisir comment, au sein de la société péruvienne, les autochtones se rapportent à eux-mêmes, aux autres, à leurs représentations et à leurs conduites. Il sera d’abord utile de s’arrêter sur la notion d’identité; sur ses usages possibles dans les sciences humaines et dans les mouvements politiques contemporains. J’insisterai sur l’idée que l’identité (individuelle et collective) est le résultat d’un processus dynamique qui amène à dépasser sa réduction à une quelconque substance immuable. Je complèterai cette analyse avec la notion d’habitus de Pierre Bourdieu (le fait que la logique des rapports sociaux est incorporée dans la pratique des agents) afin de montrer que les autochtones peuvent anticiper l’éducation bilingue comme une politique qui contredit leurs espoirs d’ascension sociale. Ces espoirs sont liés à une compréhension de leur position – statutaire et économique – dans l’espace social (et cette compréhension est elle-même relative à la position sociale). Par conséquent, les prises de positions des autochtones échappent en partie aux défenseurs du multiculturalisme. Enfin, j’utiliserai le travail de Gilles Deleuze et Félix Guattari pour montrer comment des « énoncés marginaux » peuvent utiliser la norme identitaire majoritaire pour définir d’autres types de connexité, d’autres espaces de représentation. Ainsi, comme souligne Andrew Canessa (2006) à propos de la Bolivie, il y a une utilisation « stratégique » du langage des droits « indigènes », de la rhétorique de l’authenticité et de celle de l’écologie. De cette façon, certains groupes parviennent à obtenir une meilleure visibilité internationale et à attirer l’attention sur des problèmes qui intéressent moins (comme l’accès aux ressources, aux territoires et les inégalités socioéconomiques).

L’identité en question

Les sciences-sociales oscillent entre une compréhension de l’identité en termes d’essence et de construction. Le débat est important, car ce champ d’étude n’est pas neutre et son analyse et sa catégorisation de la vie sociale a des conséquences directes sur le réel. En effet, Pierre Bourdieu rappelle que l’entreprise scientifique est engagée dans une « lutte pour la représentation symbolique du réel » qui contribue à « produire à l’existence » ce qui est énoncé (BOURDIEU, 1980a : 66). Ainsi, elle a contribué à faire et défaire les groupes (BRUBAKER, 2001 : 83), à naturaliser la différence, et surtout, à offrir outils et arguments pour la mise en forme « doctrinaire et savante » du racisme (WIEVIORKA, 1991 : 26).

Essence et construction

La perspective essentialiste repose sur une compréhension réifiée des identités. Elle suppose l’existence concrète et observable d’identités immuables qui font l’essence des différents groupements socioculturels. Penser la société à partir de telles substances caractéristiques, c’est imaginer des groupes intrinsèquement homogènes et fondamentalement différents entre eux. Dans l’histoire intellectuelle du Pérou, ce type d’approche a parfois amené les chercheurs à réfléchir sur l’identité authentique de chaque groupe, et à différencier chacun d’entre eux selon leur degré de pureté. Michel Wieviorka souligne que cette perspective amène à toute une réflexion sur la question de la souillure de l’identité, liée irrémédiablement au contact de l’altérité : « l’Autre est directement ce qui menace, détruit ou empêche l’acteur de se créer lui-même ou de se réaliser en son être et en son historicité; il est ce qui impose ou introduit une autre identité, ce qui nie son être » (1991 : 193). D’où les craintes que de telles pratiques intellectuelles centrées sur les essences des identités ne débouchent sur des opinions politiques radicales et violentes.

Contre cette approche essentialiste qui est jugée réductionniste et dangereuse, le constructivisme déconstruit le concept d’identité en décrivant la fluidité, la multiplicité et surtout le processus de construction sociohistorique des identités. En s’attachant en effet à montrer la fragmentation du « moi » dans le monde actuel, certains auteurs imaginent une identité constituée « de l’assemblage instable de tessons discursifs et « activé » de façon contingente dans des contextes différents » (BRUBAKER, 2001 : 73)17. L’objectif est de dépasser la rhétorique de la pureté qui guette les analyses essentialistes. Ce qui reste néanmoins paradoxal, c’est que si les auteurs constructivistes cherchent à fragmenter et à

17 Il y a ici une première allusion au récit, qui est un des fils conducteurs de ce travail. Nous verrons en effet que

déconstruire le concept d’identité – en lui récusant notamment l’idée d’une permanence dans le temps –, il ne cesse pour autant de l’utiliser dans leurs travaux. Ainsi, Rogers Brubaker reproche à certains auteurs de nous livrer un terme « si indéfiniment élastique qu’il en devient inapte à accomplir un travail analytique sérieux » (2001 : 73). Plus encore, l’ambiguïté conceptuelle de l’identité – qui, on l’a vu, va autant servir à traduire la multiplicité et la souplesse de la subjectivité, que sa profonde homogénéité – piège les analyses les plus constructivistes, qui ne peuvent évacuer certaines conceptions réifiantes que convoque parfois le concept, notamment au contact des discours politiques.

Polysémie du terme identité : entre catégorie de pratique et d’analyse

Rogers Brubaker note que l’utilisation du concept d’identité est problématique parce qu’il sert à la fois de catégorie de pratique et de catégorie d’analyse, l’un et l’autre niveau s’enrichissant réciproquement. En effet, au quotidien, les discours politiques nécessitent une conception relativement « dure » des affiliations et des identifications. Ils contribuent alors à véhiculer des conceptions très figées de l’identité. Or ce sont de telles représentations, qui ont été forgées à des fins politiques spécifiques (faire ou défaire les groupes, orienter leurs pratiques), que les intellectuels intègrent parfois dans leurs analyses, comme s’il s’agissait de données observables.

Cette confusion peut s’expliquer par le fait que les chercheurs sont parfois eux-mêmes des militants engagés dans des politiques identitaires (comme c’est souvent le cas au Pérou, tout spécialement sur la question de l’éducation bilingue). Dans une volonté d’orienter la pratique des acteurs, les travaux servent à « durcir » les identifications. Pour mobiliser un groupe, il sera en effet plus facile de justifier l’action collective en disant : « nous faisons ceci parce que nous sommes cela ». On retrouve alors l’idée d’une homogénéité essentielle voire naturelle du groupe, un fond commun qu’il s’agit de découvrir et à propos duquel on peut se tromper. Ici, on touche autant aux objectifs politiques des idéologues nationalistes que ceux des marxistes par exemple. C’est ce qui peut en partie expliquer pourquoi certains des intellectuels péruviens qui sont engagés en faveur des mouvements politiques autochtones peuvent développer des conceptions réifiantes des identités.

Instrumentalisation politique du concept d’identité

Sur la question de l’éducation bilingue et interculturelle en effet, les explications de Brubaker permettent de ressaisir le discours de certains intellectuels et membres des organismes non- gouvernementaux. Les appels à « reconstruire » une identité autochtone plus

authentique traduisent sans doute leur implication quotidienne dans les communautés autochtones. En glorifiant une essence pré-hispanique commune, ces appels visent à y créer une opinion politique homogène. Au détriment sans doute des dynamiques particulières des identités et de ce qui fonde la groupalité, comme le montre l’hétérogénéité des réactions qu’un enseignement du quechua à l’école provoque chez les parents d’élèves. À plus forte raison, ces discours politiques peuvent contribuer à nourrir une logique raciste.

Marisol De la Cadena a notamment souligné les travers de certains travaux qui se sont développés au Pérou, et qui évaluaient les écarts entre les cultures et les pratiques sociales. Selon l’auteure, ce fut une manière de faire ressurgir la rhétorique raciale, mais sous des termes moins « choquants » que la forme biologisante: « Peruvians (intellectuals and nonintellectuals) have tended to define race with allusions to culture, the soul, and the spirit, which where thought to be more important than sky color or any bodily attribute in determining the behavior of groups of people, that is, their race » (DE LA CADENA, 2000 : 2-3). Ayant évacué toutes références explicites aux notions de race et de déterminations biologiques, l’exclusion légitime s’est peu à peu basée sur des référents basés sur l’éducation et l’intelligence. Ainsi, l’auteure parle du racisme « silencieux » qui dominait en particulier dans le milieu intellectuel péruvien. Autant les marxistes et que les conservateurs ont convoqué « the « natural » powers of scientific knowledge to disqualify and subordinate legitimately the « cultural » or « race » underprivileged » (DE LA CADENA, 1998 : 159).

L’identité comme « processus »

Le travail de Fredrik Barth (1995) est précieux, car il permet de comprendre qu’il n’y a pas de « groupes originels » qui seraient formés antérieurement à l’interaction sociale. Il introduit deux idées importantes. Premièrement, face à une organisation des rapports interethniques qui est menaçante pour la survie de leur groupe, les acteurs sociaux déploient des stratégies de protection. Ainsi, ils peuvent développer des formes de relations mieux adaptées à la menace (isolement, concurrence ou interdépendance avec les autres groupes). Ils peuvent également migrer vers d’autres groupes. Pour cela, l’individu doit faire l’inventaire « des identités et des ensembles de critères alternatifs » qui lui sont accessibles (BARTH, 1995 : 230). Barth prend ainsi en compte « les effets à la fois constructifs et désorganisateurs des actions individuelles, des flux constants d’interprétation et des interactions entre mémoire et évènement, savoirs reçus et potentialité créative » (BONTE & IZARD, 2010 : 771). Deuxièmement, l’auteur souligne l’importance des altérités : c’est toujours dans la relation avec d’autres que les groupes définissent les frontières de leur propre identité. Les contenus

de ces identités se transforment donc constamment, selon l’évolution des rapports interethniques. Dans cette perspective, les altérités servent de point de référence pour établir la « permanence dans le temps » de chaque groupe. Les différences des « autres » sont constitutives de nos propres appartenances, elles nous permettent d’identifier les limites des structures sociales auxquelles on se sent appartenir.

Je m’oriente peu à peu vers une compréhension de l’identité comme un objet qui se transforme au rythme des interprétations que le sujet a de lui-même et des représentations qui lui sont imposés, par les autres ou par les institutions. Toutefois, les arguments de Brubaker incitent à chercher une voie médiane entre l’idée d’une identité absolument homogène et celle d’une identité purement malléable. C’est l’approche développée par Paul Ricœur, qui comme Barth, insiste sur une inconditionnelle ouverture à l’altérité.

La dialectique idem/ipseité : Paul Ricoeur

Paul Ricœur comprend la notion d’altérité de façon large : il peut s’agir d’un interlocuteur, de discours, de représentations, etc.… Bref, l’altérité comme « environnement social ». Une rapide appréhension des concepts de Ricœur est nécessaire. L’auteur divise l’identité en deux pôles distincts : l’identité idem et l’identité ispeité. Le lien entre deux pôles est assuré par un principe de narration de soi.

L’identité idem

Le premier pôle permet de penser l’identité comme une chose qui dure invariablement. On touche ici à l’idée qu’une base stable, toujours la même, supporte l’identité. Cet invariant correspond, chez Ricœur, à notre caractère; c’est-à-dire l’ensemble de nos dispositions et habitudes que l’on a acquis, par notre histoire familiale et au cours de nos parcours de vie. Ce sont ces éléments qui se sont imprimés en nous (ou sédimentés) qui constituent le contenu de toute identité (c’est le « quoi » du « qui »). Notons que ce maintien de soi n’est pas neutre, et qu’il implique un besoin très personnel d’être identifiable par les autres, d’être « fidèle à soi- même ». Or l’assurance d’une telle constance à soi n’est possible que grâce à un tiers qui la valide, qui concrètement, nous reconnaît. Ainsi, Ricœur explique que toute la problématique de l’identité personnelle « va tourner autour de cette quête d’un invariant relationnel, lui donnant la signification forte de permanence dans le temps » (1990 : 140). Dans cette perspective, le fait qu’inévitablement ce caractère s’altère et évolue peut devenir problématique. D’où l’idée qu’il faille introduire un concept plus attentif « aux soubresauts de l’identité individuelle » écrit Jonathan Roberge, et qui permet de penser le sujet humain

« dans son ouverture et sa différence en se prémunissant, aussi et peut-être surtout, contre cette tentation de faire du soi une quelconque substance » (2008 : 264).

L’identité-ipséité et la narration

Ainsi, le deuxième pôle de l’identité proposé par Ricœur renvoie à l’aspect dynamique de la subjectivité, liée à son inconditionnelle ouverture au monde. Au contraire d’une répétition bornée et intérieure d’un contenu immuable, l’identité-ipséité est dans une tension permanente vers l’autre, ce qui implique un redéploiement constant du caractère. Désormais, pour trouver la cohérence et l’unité du soi, Ricœur oblige à ce type de détour par l’altérité : le sujet est dans le monde et est constitué par lui. Et si l’étrangeté du monde est finalement constitutive de l’identité, alors l’« attestation de soi » n’est pas immédiate, et il faut parvenir à se « reconnaître » dans l’altérité.

Pour comprendre comment, dans cette perspective d’éclatement de la subjectivité, l’individu peut malgré tout « se maintenir », l’identité-ipséité est indissociable d’une pratique de la narration sans laquelle elle ne peut fonctionner. Le récit de soi va devenir une manière d’appréhender notre rapport au monde. Se raconter, narrer sa propre expérience, c’est reconstruire peu à peu une unité (et qui par conséquent est toujours à reprendre) en s’appropriant et en assumant l’étrangeté qui nous constitue. Il s’agit encore une fois de reconnaître sa propre « marque » dans ce moi multiple et changeant. D’où l’idée que le récit de vie offre au sujet un potentiel de transformation dans le temps, tout en conservant une certaine unité.

Pour terminer, disons que l’activité narrative du sujet atténue la contradiction entre les deux ressorts constitutifs de la subjectivité que sont : 1) la quête d’un invariant et 2) le désir de transformation. Toutefois, il faut comprendre les conditions et les limites de cette « recréation » active de l’identité. Si Ricœur introduit à la capacité d’action de l’acteur (pour ne pas dire à sa liberté), on peut désormais contrebalancer ces réflexions par une analyse des relations de pouvoir qui restreignent ce même agent et contraignent ses actions. C’est à ce moment-là que les analyses de Pierre Bourdieu sont forts utiles.

L’instinct pratique : Pierre Bourdieu

Bourdieu radicalise la présence d’une altérité à soi et introduit aux limites que cette présence nous impose. Il explicite ainsi les conditions sociales de l’agir identitaire auxquelles Ricœur amenait nécessairement. Son concept d’habitus, comme outil de la connaissance et de

la maîtrise pratique de notre environnement social, est au fondement des possibilités d’action des individus.

L’habitus : une connaissance par corps

Pour Bourdieu, le corps est à la base de la perception et de l’activité des acteurs. Il est au fondement de la situation dans l’ordre social et dans le temps. Il est au principe même de l’individuation et de l’émergence du sujet. Réceptif, le corps est aussi susceptible « d’être conditionné par le monde et par là, façonné dans les conditions matérielles et culturelles d’existence dans lesquelles il est placé dès l’origine » (BOURDIEU, 2003 : 194). Si la logique des rapports sociaux, leur régularité, est donc « anatomiquement » incorporée, on peut considérer que le corps est le « réceptacle » de divisions et connivences sociales. Ce qui fait dire au sociologue que nous avons une compréhension pratique et organique du monde : le corps est incliné à anticiper les constances du monde social « dans des conduites qui engagent une connaissance par corps assurant une compréhension pratique du monde tout à fait différente de l’acte intentionnel de déchiffrement conscient que l’on met d’ordinaire sur l’idée de compréhension » (BOURDIEU, 2003 : 198).

C’est donc directement par le corps des individus que se déploie l’habitus, principe organisateur de l’action dont les propriétés dépendent de la « position » spécifique du sujet dans l’espace social. En tant que schèmes de perception et d’appréhension, l’habitus est à la base des aptitudes cognitives de l’individu et de sa capacité à se représenter symboliquement la réalité sociale18. En tant que schèmes d’action, l’habitus va permettre d’élaborer les initiatives individuelles. Plus précisément, « l’activité structurante » des acteurs va résulter de la concordance entre des structures sociales et leurs structures mentales, c’est-à-dire leurs habitus historiquement incorporés. (BOURDIEU, 1979 : 544-545). Ce que cherche à récuser Bourdieu, c’est un constructivisme idéaliste centré sur l’idée d’un sujet transcendant toute contrainte structurelle, et déterminant rationnellement ses propres stratégies d’action. La simple présence du corps dans le monde et les transformations « organiques » que ce même monde lui impose rend une telle autodétermination totalement irréaliste.

18 Bourdieu insiste à plusieurs reprises sur la « force performative » des représentations mentales que l’on se fait

du monde social; ou comment en « énonçant l’être », le locuteur « produit un changement dans l’être » (1982 : 137). En découle une lutte pour la représentation symbolique du réel qui vise à transformer le réel (une lutte dans laquelle la science, dans son entreprise de catégorisation du réel, est éminemment impliquée).

Familiarité et désaccord

Les habitus, parce qu’ils sont solidaires du corps social, parce qu’ils leur sont spontanément accordés, permettent d’anticiper les régularités du monde. D’où l’idée que nous posséderions un « sens pratique » (inconscient) qui découlerait d’une « relation immédiate d’engagement, de tension et d’attention » avec son environnement social (BOURDIEU, 2003 : 206). Dans l’action, l’individu a le sentiment d’être « à sa place » dans l’espace social, car il a fait coïncider son habitus avec le champ19 dont il est le produit. C’est cette concordance entre une position et des dispositions qui crée la sympathie (ou l’identification) avec l’environnement habité. C’est ce qui fait que l’individu perçoit cet environnement « comme doté de sens et d’intérêt », qu’il n’y a pas d’accros entre ses attentes et ses conditions objectives d’existence (BOURDIEU, 2003 : 103-105). L’actualisation de l’habitus dans des conditions concrètes d’existence, dans des actes du quotidien, crée donc un sentiment de familiarité avec son environnement.

En outre, l’habitus est « au principe de stratégies de reproduction qui tendent à maintenir les écarts, les distances, les relations d’ordre, concourant ainsi en pratique (et non de façon consciente et délibérée) à reproduire tout le système des différences constitutives de l’ordre social » (BOURDIEU, 1989 : 9). La reproduction est en effet centrale dans le travail de Bourdieu. Ainsi, par une sorte de rapport « doxique » au monde social, on perpétue sans effort – et même sans conscience – la structure de la société. Toutefois, il existe des décalages entre les structures incorporées (sous forme d’habitus) et des structures économiques, sociales ou culturelles nouvelles (ou importées, c’est le cas dans une société postcoloniale comme le Pérou). Au contact de conditions d’actualisations différentes de celles dont elles sont le produit, les dispositions changent (et leur logique initiale devient en outre plus visible). S’il n’y a pas d’adaptation, c’est l’individu lui-même qui est rendu « obsolète » par de nouvelles règles du jeu dans lesquelles certains sont plus avantagés. Les uns « peuvent plus et plus complètement s’abandonner et se fier à leurs dispositions que ceux qui occupent des positions en porte-à-faux, tels les parvenus ou les déclassés » (BOURDIEU, 2003 : 234).

On peut convoquer à nouveau Barth, qui explique que lorsque les interactions entre minorité et majorité (ou entre les parias et les légitimes) « se situent entièrement dans le cadre

19 Un « champ » social est une structure de relations objectives entre des positions sociales inégales et

excluantes. Ces rapports sont déterminés par les lois spécifiques du champ concerné (Bourdieu parle de « règles du jeu »). Ces lois régissent la redistribution des différents capitaux (social, culturel, économique, symbolique) entre les différentes positions, et déterminent quels sont les capitaux « dominants » dans ce champ. Habitus et

champ entretiennent des relations de conditionnement; car le champ structure l’habitus et en retour l’habitus

contribue à transformer le champ (BOURDIEU, 1992 : 73-80). Les champs sont donc régis par des logiques distinctes et potentiellement changeantes.

des statuts et des institutions du groupe dominant majoritaire; dans ce cadre l’identité de membre d’une minorité ne peut pas servir de fondement à l’action, alors qu’elle peut, à des degrés divers, engendrer une incapacité à assumer les statuts clé dans cette société » (BARTH, 1995 : 239, je souligne). Il semble qu’ici il y ait deux choix possibles : l’assimilation20 ou l’affirmation de son « obsolescence » en vue de transformer sa