• Aucun résultat trouvé

Chapitre 4 : Micropolitiques andines

B) Bourdieu dans les Andes : apports et apories du concept d´habitus

Pour donner suite à l’analyse de l’entrevue précédente, et notamment pour mieux saisir ces dynamiques intersubjectives particulières aux mondes andins, j’aimerais revenir sur quelques concepts empruntés à Pierre Bourdieu. Celui-ci défend l’idée que la compréhension ne repose pas sur une « conscience connaissante », mais qu’elle émerge des expériences quotidiennes du corps. Pour le sociologue, le principe de l´action n´est donc pas cognitif, mais instinctif et pratique. C’est dire alors que le sujet, véritablement « noyé » dans l’espace social, ne peut réellement objectiver l’environnement qui l’habite. Et l´habitus est le liant fondamental entre l´individu et cet environnement, il crée une intériorisation du monde social31. Je propose de nuancer la théorie bourdieusienne en valorisant la distance objectivante que mes interlocuteurs sont, de diverses manières, parvenus à créer lors de mes enquêtes de terrain. En effet, ma critique part d´une observation qui m´a souvent troublé. Il s´agit de l’indécision des parents d´élèves lorsque je leur sollicitais un entretien. Cette indétermination était particulièrement déroutante, parce qu´elle ne renvoyait ni à l’accord ni au désaccord. Cette réaction, récurrente lorsque je voulais introduire le dialogue, mérite d’être analysée.

Une lecture (trop) assidue de Bourdieu fournit une explication possible : l’indécision de ces parents est instinctive, c’est un réflexe de l’habitus qui réagit pour éviter la confrontation et conserver ainsi sa « nature » intacte. C’est ainsi qu’est reproduite la logique des rapports sociaux, aussi inégaux soient-ils. Je crois que cette interprétation, qui repose sur l’idée que les dominés n’ont pas conscience de leur propre domination, occulte en fait une dynamique plus subtile. Car un refus de la part des comuneros rencontrés aurait été davantage favorable à la théorie bourdieusienne de la reproduction (comme réaction brute de l´habitus pour se protéger). Or ce qui domine, c’est plutôt une perplexité forte qui renvoie davantage à une dynamique de « mise à distance », à l´origine de variations et de « déviances illocalisables » pour parler comme Deleuze. Ainsi, trop limité par cette idée de « reproduction », on ne voit peut-être pas qu´il y a une tentative de dépasser des antagonismes bruts entre les

31 L´habitus ainsi incorporé permet à la fois l´anticipation de nos expériences sociale antérieures et l´affiliation à

habitus concurrents. Toutefois, ce dépassement n´est pas un donné ; c´est un processus contingent qui prend des formes variées selon le contexte de la discussion, les outils que l´on possède et ceux que l´on parvient à s´approprier.

Dans un premier temps, je propose de revenir sur le concept d´habitus et de souligner quelques difficultés théoriques qu’il pose. Dans un second temps, je traiterai du rôle de l’indétermination, lieu du « laboratoire de l’imaginaire » dont parle Paul Ricœur, et qui est étroitement liée à la possibilité de la décision. Enfin, je me pencherai sur les limites intrinsèques de l’approche bourdieusienne, plus précisément sur les conditions sociales qui ont éventuellement déterminé les prises de positions de l’auteur.

Reproduction et possibilité de la réflexivité Limites de l’habitus

Bourdieu avance que les schèmes de perception, d´appréciation et d´action subjectivement incorporés sont ajustés aux structures sociales objectives. C´est une telle synchronie qui fait que l´on se sent « chez soi dans le monde ». C´est ce qui fait aussi que nos actions sont conformes aux lois et nécessités sociales. C´est ce qui fait enfin que chacun « tient ses distances » avec les autres. On possède ainsi un sens de sa place et de son rôle. (Goffman parlait du sense of one’s place). Cette idée est au principe d´une théorie de la reproduction doxique de l´ordre social ; ainsi que la soumission, « fût-ce malgré soi et à son corps défendant », au jugement dominant (BOURDIEU, 2003 : 245). On peut légitimement avancer que pour Bourdieu, l´indécision à laquelle j´ai eu à faire face, ainsi que tous les signes physiques du malaise (détournement du regard, balbutiement, murmures,…), traduiraient une subordination à mon jugement et aux rapports de pouvoir que ma seule présence convoque : la figure de l´individu éduqué, sachant lire et écrire, parlant exclusivement les langues légitimes (l´espagnol, le français et l´anglais), maîtrisant la technologie (mon enregistreur), blanc, européen, etc.….

Dès lors, les premières réactions sont toujours mécaniques, ce sont celles de l´habitus: « Par le « choix » systématique qu’il opère entre les lieux, les événements, les personnes susceptibles d’être fréquentées, l’habitus tend à se mettre à l’abri des crises et des mises en question critique, en s’assurant un milieu au sein duquel il est aussi préadapté que possible, c’est-à-dire un univers relativement constant de situations propres à renforcer ses dispositions en offrant le marché le plus favorable à ses produits » (BOURDIEU, 1980b : 102). Toutefois, la théorie bourdieusienne admet une certaine capacité à penser et à analyser ses propres pratiques. Bourdieu cherchait en effet à reconnaître une « pluralité des formes d’

« intelligence » » (2003 : 117). Il distingue ainsi trois formes possibles de pensée : 1) la connaissance pratique, qui est la « compréhension première du monde [...] liée à l’expérience de l’inclusion dans ce monde »; 2) la connaissance consciente; et 3) la connaissance savante (pensée scolastique et spéculative) (BOURDIEU, 2003 : 76-77). La « connaissance consciente » est un mode possible de réflexivité sur soi. C’est une forme de pensée consciente de ce qu´elle a de socialement déterminée. C´est, écrit-il, la disposition « à regarder sa propre expérience et sa propre pratique comme un objet de connaissance à propos duquel on peut penser et parler » (BOURDIEU, 1980b : 74).

Limites de la connaissance consciente

On peut se demander à présent quelles sont les conditions sociales qui convoquent cette forme de réflexivité chez l’ « automate » ?32 Ce que Bourdieu explique, c’est que cette pensée « consciente » naît d´un désajustement de l´habitus. Le « sens pratique » des agents n´étant apparemment pas infaillible, certaines variations sont en effet possibles: « l’habitus a ses ratés, ses moments critiques de déconcertement et de décalage : la relation d’adaptation immédiate est suspendue dans un instant d’hésitation où peut s’insinuer une forme de réflexion qui n’a rien à voir avec celle du penseur scolastique et qui [...] reste tournée vers la pratique et non vers celui qui l’accomplit » (BOURDIEU, 2003 : 233). Et Bourdieu d´ajouter que la « mise en défaut » du sens pratique reste toutefois très inégale. Ainsi, les plus privilégiés dans la société sont plus enclins à se fondre dans leur environnement: « Il est probable que ceux qui sont à leur place peuvent plus et plus complètement s’abandonner ou se fier à leurs dispositions (c’est l’aisance des gens bien nés) que ceux qui occupent des positions en porte-à-faux, tels les parvenus ou les déclassés » (BOURDIEU, 2003 : 234). Ce qui est frappant ici, c’est que visiblement, Bourdieu considère qu’une position sociale dominante n’est pas favorable à la réflexivité. Au contraire, c’est le dominé qui, en raison de sa déqualification sociale, bénéficie d’un regard sur soi privilégié.

En dépassant donc sa propre théorie de la reproduction, Bourdieu avance que c´est en s´exposant à des situations « peu adaptées » à ses dispositions que l´on « suspend le sens pratique » et que l´on acquiert une certaine réflexivité. Ainsi, ceux qui sont dépaysés socialement « ont plus de chance de porter à la conscience ce qui, pour d’autres, va de soi car ils sont contraints de se surveiller et de corriger consciemment les « premiers mouvements » d’un habitus générateur de conduites peu adaptées ou déplacées » (2003: 234). Premier point

notable : l’arrachement à l´automatisme échappe fondamentalement à la volonté des acteurs. Pour le sociologue en effet, la réflexivité est forcée par l’insertion de l´habitus dans un contexte dont il n’est pas le « produit » et auquel il n’est pas ajusté (c’est notamment le cas lors d’évolutions sociales profondes). Le regard réflexif n’émerge donc pas d´un quelconque projet. Deuxième point : la pensée de Bourdieu reste paradoxale quant aux possibilités de la réflexivité. Ainsi, à propos du déclassement social, la précarité semble encourager à la fois la reproduction sociale (car cela crée un fort sentiment d´impuissance face à « l´ordre des choses ») et le désajustement des déterminismes (qui est moteur d´une autre perspective sur le monde et qui ouvre la possibilité d´un autre « ordre des choses »). La question qui se pose à présent face à cette difficulté liée au concept d’habitus, c’est de savoir comment interpréter l´indécision des parents d´élèves face à la possibilité de l´entretien ?

Reproduction vs imaginaire Lignes de fuites possibles

L´approche de Bourdieu, qui semble un peu paradoxale, qui oscille entre deux chemins (mécanismes inconscients et choix réflexifs), ne permet pas de bien appréhender l’indétermination manifestée par les parents d’élèves. Il est probable qu’avec ce dialogue que je propose d’introduire à travers l’entrevue, mes interlocuteurs anticipent un possible conflit entre des habitus inégaux et concurrents. Et pour éviter la déqualification, voire l’humiliation (Bourdieu parle de « mort sociale »), ils préfèrent esquiver notre rencontre. Cette dynamique est sans doute vraie, mais dans un premier temps seulement. Car préserver le statu quo ne reste sans doute qu´une possibilité pour eux. Limiter la réaction de ces parents d´élèves à un mécanisme (inconscient) de reproduction de leur univers social serait en effet très réducteur. D´une part, c´est faire une large place à l’aveuglement des dominés quant à leur propre domination. Sur ce point, comment défendre que la perception des inégalités soit d’abord « corporelle » et qu’à ce titre, les systèmes sociaux discriminatoires ne peuvent pas être objectivées par mes interlocuteurs ?33 La position de Bourdieu est ici discutable. D´autre part, c´est supposer que les parents d’élèves fuient instinctivement la possibilité de transformer l’ordre social inégal. Or j’aimerais ainsi insister sur le fait que l’anticipation permet finalement de formuler une sorte de « projet » transcendantal (terme honni par Bourdieu). Car en effet, le sujet qui anticipe ne fait pas que s’inscrire dans une histoire (personnelle et collective) déjà toute déterminée et entièrement normée. Au contraire, comme l’explique Lois

McNay : « the inculcation of norms is always partially transcended by the process of the living through of those norms » (2003 : 143).

Si Bourdieu évince une riche dynamique des subjectivités, c´est sans doute parce qu´à ses yeux, la critique individuelle n´a aucune efficacité politique. Il semble en effet qu´il y ait chez lui une profonde dévaluation de l´individu (surtout de sa capacité d´action) au profit de la force (politique) du groupe. Pour le sociologue, le passage « de la praxis au logos, du sens pratique au discours, de la vision pratique à la représentation, c’est-à-dire l’accès à l’ordre de l’opinion proprement politique » (2003: 267), n´est possible qu’au sein d’un groupe unifié, d’une « classe sociale réalisée » (1999). Cette question de l´efficacité politique est justifiée, et on peut se demander à quel point Cenon peut être considéré comme un « acteur politique légitime ». Mais quoiqu´il en soit, est-ce que cela évince pour autant les réactions, les projets et les agencements symboliques de Cenon ? Peut-être que ce père d´élève penche d´abord pour le rejet de l´entretien, par un réflexe dispositionnel. Mais peut-être aussi que ce rejet, brusque et inconscient, le bouscule. Le rejet prend alors un autre sens qui n´est pas celui de la reproduction. Il est possible que le parent cherche à se protéger et soit dans le même temps dans un plein processus d´auto-analyse (sans doute très désagréable considérant les traumatismes que cela peut faire surgir). En mettant en suspens le dialogue avec moi, il entame un dialogue possiblement très dur avec lui-même et avec l´histoire sociopolitique de sa communauté. Le sens que l´on donne à soi, à l´autre et à ce qui est anticipé devient alors très différent.

L’herméneutique critique

Comme le suggère Gérard Mauger à propos de la question de la perception des inégalités, l´idée d´une intériorisation inconsciente d´un système de hiérarchies sociales a ses limites, et tout questionnement (individuel ou collectif) relatif à ce système « ne peut pas faire l’économie d’un saut ontologique de la pensée pratique à la pensée « pensante » » (2009 :76). Ainsi, s’il faut bien admettre l’idée d´une lutte « innée » entre les différents habitus (afin de maintenir ou d´améliorer sa position), il ne faut pas en rester là. On peut penser à un deuxième processus qui s´enclenche, et qui dépasse de loin l´idée d´une reproduction brute des propriétés de ces habitus, et par là, de la structure sociale dans son ensemble. Cette confrontation entre des altérités, sans aucun doute « différentes », amorce un mouvement de dépassement des distances (du moins sur le plan symbolique).

Prudemment, on pourrait réfléchir alors au fait que ce que je propose aux parents d’élèves enclenche une dynamique intersubjective contribuant à redéfinir la logique

(supposément figée) des rapports que nous entretenons. Car entretenir une certaine indécision quant à ma requête est une façon de voir comment les choses sont, c´est-à-dire de prendre du recul. Et l’on n´est pas forcément dans la reproduction de la doxa sociale, car cette simple vue (ou perspective) peut changer la donne: « voir comment les choses sont, c’est [...] toujours voir comment elles pourraient ne pas être et finalement s’étonner qu’elles soient ce qu’elles sont » écrit Jacques Bouveresse (2000 : 147). Ainsi, l’entrevue avec Cenon montre un peu plus qu’un aveuglement face à l’inégalité de nos rapports : elle illustre une tentative de dépassement de ces rapports. On peut penser à nouveau à ce que disait Deleuze à propos de l´indétermination, qui relève d´un mouvement de mise à distance objectivante initiée par l’acteur. C´est ce qui permet de dédramatiser la domination et d´en déconstruire les fondements, les bases, la logique.

C´est là que le modèle théorique de l´identité narrative est enclenché, et que ce processus actif d’autoanalyse offre un « substrat imaginaire à l’action » décrit Lois McNay (2003 : 141). L’identité, comprise comme un résultat et non comme un donné immuable, est alors reformulée par le sujet. Ainsi, comme l’explique Sophie Jan Arrien : « la vie personnelle se vit, se constitue et se transforme au fil des narrations qu’elle produit et de celles qu’elle intègre continuellement » (2007 : 447). Pour revenir à mon questionnement initial concernant la perplexité affichée des parents d’élèves face à la possibilité de l’entretien, je crois que c’est le moment précis de ma requête, qui peut sonner comme un rappel à l´ordre des rapports de domination, qui initie cette dynamique d’interprétation de soi. C’est bien la possibilité de l’échange, constitutive d’une toile virtuelle des rapports de force, qui oblige à frayer une issue qui ne préexistait pas à la mise en tension de cette toile (SAUVAGNARGUES, 2011 : 155).

Conclusion : Bourdieu contre Bourdieu

Les paragraphes précédents montrent qu’en insistant à ce point sur la rigidité de l´habitus, Bourdieu occulte une dynamique intersubjective qui mérite pourtant d´être considérée dans l´analyse des entrevues. En outre, cela amène à une autre difficulté de son approche : malgré le fait qu´il souligne le caractère historiquement construit de nos déterminismes, je crois que Bourdieu n’évite pas totalement de tomber dans l´analyse réductrice et évaluative. Avec Bourdieu, on est certes « habité » et « traversé » par le monde, mais pas par n´importe quel monde. Il introduit des frontières difficilement franchissables entre « les » mondes distincts. Dire par exemple que nos dispositions cognitives sont le produit d´un « certain monde » (celui-là même qui a forgé notre habitus), c´est supposer que l´individu ne peut pas connaître dans un environnement « qui n´est pas le sien ». On se

rapproche alors du thème de l’immuabilité, de l’authenticité, et même de la peur de la souillure qui émerge des interactions sociales. Je n´irais pas jusqu´à taxer Bourdieu d´essentialiste, mais je crois que cette réduction guette ses analyses.

On peut en outre accuser une tendance aux jugements de valeur dans les travaux du sociologue. Car les mondes qu’il observe ont beau être de pures « constructions », est-ce que cette idée de « construction » évite l’analyse évaluative ? Finalement, il dépossède tellement les agents de leur réflexivité critique que pour combler la « case vide » laissée par cette incapacité, il est poussé à juger à leur place34. Or, maintenir l’idée d’une réflexivité des agents est une nécessité méthodologique pour justement éviter la tendance à l’évaluation dans les analyses. Ce qui émergeait dans l´entrevue avec Cenon, c´est que c´est sur un « champ de bataille » que les agents apparaissent et jouent leur rôle35. Ils ne préexistent pas préalablement au dialogue conflictuel qui les amène à se positionner et à juger. Et si ce dialogue a certes un répertoire de base, un texte préétabli, c´est le théâtre d´une improvisation (on retrouve ici le thème de la « variation » de Deleuze). La force du regard de l´observateur extérieur, ce n´est pas tant parce que les dominés sont bienveillants envers un système qui leur semble « aller de soi, nécessaire, évident » comme le sous-entend Bourdieu (2003 : 250), mais parce que l´on n’est pas engagé (ou disons que l’on est neutre) dans le débat

Dans le chapitre qui suit, je m’intéresse justement aux formes d’engagements (et aux conséquences de ces engagements) qui émergent dans le champ de l’activisme politico éducatif. Il est indispensable de consacrer un dernier chapitre aux différents arguments construits et défendus par les acteurs de ce champ, dans la mesure où l’une des fonctions de cette catégorie d’acteur, c’est de travailler à partir des discours des parents d’élèves. À divers degrés en effet, ils utilisent et canalisent ces discours pour défendre leurs propres positions dans le débat sur une éducation dans les langues vernaculaires. En parallèle, je propose de revenir sur les rapports que les parents d’élèves entretiennent avec ces « professionnels du

34

La critique (féroce) que Bourdieu mène contre la raison scolastique et « spéculative » doit être en partie rapportée à son aversion personnelle contre des manières d´être, d´agir et de penser qui sont liées à une certaine « classe d´habitus ». Cela est très clairement exprimé dans son autobiographie intellectuelle, Esquisse pour une

auto-analyse (2004), où il témoigne de sa répulsion pour une élite intellectuelle qu´il a côtoyé durant ses études

et avec laquelle il était clairement en porte à faux. Je ne pense pas faire un mauvais procès à Bourdieu en utilisant des éléments biographiques pour critiquer son approche. En réalité, ce texte honnête offre des éléments de compréhension essentiels de l´œuvre. En utilisant Bourdieu contre Bourdieu, la petite histoire (biographique) se comprend à la lumière de la grande histoire (collective) : « c´est […] de l´histoire sociale des institutions d´enseignement (banale entre toutes […]) et de l´histoire (oubliée ou refoulée) de notre rapport singulier à ces institutions que nous pouvons attendre quelques vraies révélations sur les structures objectives et subjectives (classification, hiérarchies, problématiques, etc.) qui orientent toujours, malgré nous, notre pensée » écrit-il (2003: 23).

35 À ce sujet, voir Hubert Dreyfus et Paul Rabinow, Michel Foucault, un parcours philosophique : au-delà de

social ». Ce dernier chapitre renvoie plus spécifiquement à ma deuxième hypothèse de travail, qui questionnait les impacts des discours des militants pro- EIB sur les attitudes des parents d’élèves autochtones vis-à-vis de la réforme EIB. En substance, je me demande à quel point María Elena García avait raison de qualifier les argumentaires de ces militants d’argumentaires « essentialistes ».

Chapitre 5 : Activisme politico éducatif. Des militants entre

témoignages, pratiques et écrits

Dans ce chapitre, je m’intéresse aux discours produits par ceux qui militent activement en faveur de l’éducation bilingue et interculturelle. Je souhaite observer les contrastes entre les objectifs et intérêts des différents militants. Aussi, je cherche à comprendre à quels niveaux les parents d’élèves réagissent et s’approprient ces discours, discours plus ou moins « institutionnalisés » selon qu’ils sont produits dans les instances gouvernementales ou à l’échelle d’une petite radio de quartier. La difficulté et l’intérêt de l’analyse de cette forme de militantisme, c’est que, comme le notait Bret Gustafson, les personnes engagées forment une communauté très disparate, tant sur le plan social qu’idéologique (2009 :13). Bien souvent, l’engagement de ces militants a lieu dans le cadre de leur activité professionnelle : en tant que professeur, leader politique, actif d’une ONG, attaché ministériel (ce sont du moins les cas de