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La composante émotionnelle de la douleur chez les animaux La do

Sommaire 2.1 UN INTERET SCIENTIFIQUE CROISSANT 72

2.4. Transposition aux animau

2.4.2. La composante émotionnelle de la douleur chez les animaux La do

émotion désagréable liée à une lésion tissulaire existante ou potentielle. Cette double expérience associée à la douleur est nécessaire à l’équilibre homéostatique et à la survie de

dividu. La douleur permet en effet à l’individu de percevoir un danger et de l’inciter à le fuir ou à l’éviter. Ainsi Fiorito (1986) énonce : « lorsqu’elle est abordée sur un mode opérationnel, la douleur chez un animal peut être considérée comme la réponse physiologique induite par toute stimulation qui serait perçue comme douloureuse par un humain et qui aurait pour conséquence de déclencher une réaction de protection destinée à éviter le stimulus nociceptif; c’est ainsi que la douleur peut être testée chez des animaux non humains ». En 2003, A.D. Craig a proposé de considérer la douleur comme une « émotion homéostatique », qui relève de la régulation des grandes fonctions comme la faim et la soif (Craig, 2003b). Les techniques d’imagerie fonctionnelle cérébrale chez l’homme et l’analyse de situations cliniques consécutives à des lésions cérébrales s’avèrent précieuses pour comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’intégration émotionnelle de l’expérience douloureuse. Elles révèlent des réseaux neuronaux qui ne sont pas seulement impliqués dans le traitement de stimuli nociceptifs mais plus généralement qui participent à la détection et à la réaction attentionnelle aux stimuli saillants négatifs. Chez l’homme, ces processus attentionnels sont à la base du vécu émotionnel (Danziger, 2006). Chez l’animal, plusieurs études montrent que la dimension émotionnelle de la douleur corporelle se définit par un substrat anatomique et fonctionnel commun à l’état affectif de détresse lié à la séparation. Le fait qu’une faible dose de morphine réduise nettement les vocalisations des nouveaux-nés séparés de leur mère suggère que la détresse de séparation et la douleur corporelle dépendent de mécanismes neurochimiques similaires (Panksepp, 2003). Selon cet auteur (Panksepp, 1998), le système d’attachement social des mammifères se serait ainsi greffé au cours de l’évolution sur le réseau neuronal de la douleur corporelle. En plus de contribuer à la survie de l’individu, l’expression de la douleur procurerait ainsi un autre avantage adaptatif : elle jouerait le rôle d’un signal social qui peut, dans certains contextes, et selon les relations interpersonnelles, motiver des comportements sociaux, favorisant ainsi la survie de l’espèce.

L’existence chez les animaux d’une composante émotionnelle de la douleur n’est cependant pas communément acceptée. Pour plusieurs auteurs, à l’instar de Bateson (1991), « les critères permettant de statuer sur le fait qu’un humain éprouve de la douleur

uvent être généralisés avec un degré certain de validité aux autres animaux ». Par contre, d’autres auteurs considèrent que l’existence d’états mentaux ne peut pas être démontrée chez les animaux car aucun lien ne peut être clairement établi entre leurs réponses et un éventuel état émotionnel (Volpato et al., 2007). Néanmoins, de plus en plus de travaux tendent à montrer que la composante émotionnelle n’est pas l’apanage de l’espèce humaine, notamment dans le cas de la perception d’une douleur corporelle. Le système cortico- limbique et son rôle dans la perception de la douleur et les réactions émotionnelles aux événements nociceptifs offrent de nombreux arguments anatomo-fonctionnels pour revendiquer l’existence d’expériences émotionnelles dans le cas de douleur corporelle chez les animaux infra-humains (Le Doux, 1995). En outre, le rapprochement avec la dimension sociale qui est à l’origine du succès de leur domestication (Boissy et al., 2001) et le lien étroit existant ainsi entre douleur et attachement social (Panksepp, 2003) renforcent l’intérêt de prendre en compte la dimension émotionnelle dans l’étude de la douleur chez les animaux

d’élevage. Il devient donc indispensable de mieux comprendre la nature même des émotions que l’animal peut ressentir.

S’il est habituel d’obtenir des rapports verbaux chez l’homme traduisant les émotions ressenties, les animaux sont démunis de langage verbal. Seules les modifications co

eux appréhender les conséquences affectives des événements no

mportementales et physiologiques permettent d’inférer l’état émotionnel. Ces modifications ne permettent néanmoins pas de conclure sur la nature même des émotions que ressentent les animaux (Dantzer, 2002b; Désiré et al., 2002). Afin de faciliter l’étude objective des émotions chez les animaux, un cadre conceptuel a été élaboré à partir des théories de l’évaluation développées chez l’homme en psychologie cognitive. Selon ces théories, l’émotion ressentie par l’individu est déterminée par la manière dont il évalue la situation, et cette évaluation est basée sur un nombre limité de caractéristiques visant à apprécier à la fois les caractéristiques de la situation au regard du bien-être de l’individu et les moyens dont ce dernier dispose pour contrôler la situation (Scherer, 1999). Une approche expérimentale a été réalisée chez les ovins (Boissy et al., 2007b). Elle consiste : i) à identifier les caractéristiques élémentaires d’évaluation accessibles aux agneaux, et ii) à explorer leur répertoire émotionnel à partir de certaines combinaisons entre ces caractéristiques. La première étape montre sans ambiguïté que les moutons évaluent bien leur environnement selon son caractère soudain, familier et prévisible (Greiveldinger et al., 2007). Par exemple, la présentation soudaine d’un objet déclenche un sursaut associé à une tachycardie, et l’introduction d’un objet non-familier se traduit par une orientation de la tête et des oreilles de l’animal vers cet objet, et également par une augmentation de la variabilité de la fréquence cardiaque (Désiré et al., 2004). En plus des caractéristiques intrinsèques de l’environnement, les moutons sont également capables d’apprécier l’écart de correspondance entre leurs propres attentes et l’événement déclenchant : un contraste négatif entre la situation et les attentes de l’agneau se traduit par un ralentissement des déplacements et une bradycardie. En outre, l’absence ou la perte d’un contrôle préalablement acquis pour obtenir une récompense entraîne des réponses émotionnelles (Greiveldinger et al., 2009). L’amorce de la seconde étape de cette approche montre que la combinaison entre soudaineté et absence de familiarité a un effet synergique sur les réponses émotionnelles des moutons : la tachycardie liée à la soudaineté est accentuée si l’objet est inconnu ; de même, la posture d’orientation vers l’objet inconnu persiste plus longtemps lorsqu’il est apparu soudainement (Désiré et al., 2006). Ainsi, les caractéristiques élémentaires, auxquelles l’homme se réfère pour évaluer son environnement, sont également pertinentes chez les animaux d’élevage comme le mouton. Ce dernier évalue chaque événement auquel il est confronté, en fonction de son caractère soudain, connu et prévisible, de son adéquation à ses propres attentes, de la possibilité qu’il a de le contrôler ou tout du moins d’agir sur, et voire même du contexte social dans lequel l’événement déclenchant apparaît. Sur la base des travaux conduits chez l’homme (Scherer, 1999), l’exploration des combinaisons entre ces caractéristiques suggère que les moutons sont en mesure de ressentir des émotions tant négatives (peur, colère…) que positives (plaisir).

L’analyse des relations entre émotions et capacités cognitives ouvre de nouvelles perspectives pour mi

ciceptifs auxquels l’animal est confronté, notamment l’animal en élevage ; certains corrélats neurobiologiques des manifestations émotionnelles ont été identifiés chez l’humain (Akitsuki & Decety, 2009; Decety & Michalska, 2009 ). Grâce à ce nouveau cadre conceptuel issu de la psychologie cognitive et basé sur les capacités cognitives et sociales des animaux, il est désormais permis d’envisager d’accéder de manière objective aux liens entre expériences émotionnelles et douleur, dans le but ultime d’améliorer la qualité de vie des animaux en élevage et en expérimentation. De par sa composante affective, la douleur devrait être facilement modulable par les émotions, comme c’est le cas chez l’homme. L’influence des émotions sur la douleur pourra être explorée chez l’animal en tenant compte du contexte psychosocial dans lequel l’événement nociceptif intervient. Des vaches exposées momentanément à la séparation d’avec leurs congénères, et par conséquent exprimant des réactions de détresse réagissent moins à une stimulation thermique par laser

que des vaches maintenues dans leur groupe (Rushen et al., 1999). Outre les émotions négatives (Forkman et al., 2007), les travaux récents conduits sur les moutons suggèrent que les animaux sont en mesure de ressentir également des émotions positives (Boissy et al., 2007a). L’induction d’émotions positives en élevage pourrait donc contribuer à améliorer la qualité de vie des animaux, notamment en réduisant la perception de la douleur, comme cela est montré chez l’homme exposé à des contextes agréables. De plus, au-delà des émotions, par définition éphémères, il sera également important de s’interroger sur les conséquences d’un état affectif persistant, appelé communément humeur ou état émotionnel d’arrière plan (Boissy et al., 2007b), consécutif à l’accumulation d’expériences émotionnelles, sur la perception douloureuse d’un événement nociceptif. Des travaux menés chez l’homme, sur la base du repérage des zones cérébrales activées dans des affects douloureux, montrent clairement qu’il existe, outre les réactions affectives immédiates liées à la douleur, une dimension plus persistante de souffrance liée à la signification de l’expérience douloureuse, appelée affect de second ordre (Price, 2000).

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