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Chapitre 1 : Cadre de l’étude

6 Comportement des molécules d’intérêt dans l’environnement

Les médicaments et les filtres UV sont donc déversés continuellement dans l’environnement, principalement via les phases dissoute et particulaire des effluents de STEP. Le devenir de ces molécules après rejet est ici examiné.

6.1 Transport, adsorption et dégradation

6.1.1 Transport

Après rejet dans l’environnement et en l’absence de dégradation ou d’adsorption, les molécules d’intérêt dissoutes suivent le déplacement des masses d’eau et, selon le transport de celles-ci, sont susceptibles d’atteindre le milieu marin (Benotti et Brownawell, 2007 ; Vidal-Dorsch et al., 2012) ou les eaux souterraines (Vulliet et Cren-Olivé, 2011 ; Hass et al., 2012). Bayen et al. (2013) ont ainsi montré un lien entre hydrodynamisme et concentrations en médicaments (carbamazépine en particulier) dans l’environnement côtier de Singapour avec les concentrations les plus élevées aux points de prélèvement à temps de résidence élevé, indiquant une plus faible dilution. Banzhaf et al. (2013) ont observé un gradient décroissant de concentration de la rivière luxembourgeoise Mess vers la nappe souterraine pour la carbamazépine, le sulfaméthoxazole et la sulfaméthazine et proposent l’utilisation de ces molécules comme traceurs des échanges entre eau de surface et eau souterraine. Le filtre UV EHMC a été détecté (mais non quantifié) dans les sédiments de la Baie Allemande, prolongeant l’estuaire de la rivière Elbe (Schwarzbauer et al., 2000). Compte tenu de l’origine urbaine de cette molécule, les auteurs concluent à son transport des STEP aux sédiments estuariens et donc à sa relative stabilité.

6.1.2 Adsorption

L’affinité des analytes pour la phase solide (sédiment et particules en suspension) dépend des propriétés physico-chimiques de chaque analyte et de celles de la phase solide et est décrite par le coefficient de partage entre phase solide et phase dissoute (Kd). Ce coefficient peut être estimé grâce au coefficient de partage octanol-eau (Kow) dans le cas des molécules neutres, comme les HAP et les PCB. Les médicaments, en revanche, sont généralement présents sous formes ionisées dans le milieu et les interactions entre les molécules et la phase solide sont plus complexes que dans le cas de molécules neutres (Fatta-Kassinos et al., 2011). Ainsi, en raison des charges négatives généralement présentes à la surface de la matière organique du sol (Lapworth et al., 2012), les médicaments sous forme cationique, de pKa supérieur à 7, présentent une affinité supérieure avec le sédiment. De ce fait, Silva et al. (2011) observent une adsorption préférentielle sur les particules en suspension des molécules comportant des fonctions amine comme les β-bloquants, la proportion d’analyte porté par la phase particulaire atteignant 100 % pour 8 des 31 molécules à l’étude (famotidine, cimétidine, timolol, nadolol, salbutamol, glibenclamide, sulfaméthazine, chloramphénicol). Cette même étude a rapporté une contamination variable des sédiments le long de la rivière, les maximums de concentration étant atteints en aval des STEP et pour des sédiments riches en carbone organique. D’autre part, Baker et Kasprzyk-Hordern (2011a) ont mesuré des partages vers les particules en suspension allant de 15 à plus de 50 % pour sildénafil, amitriptyline et fluoxétine. En outre, les sédiments riches en carbone organique et en argile sont plus adsorbants (Lapworth et al., 2012). Lors d’expériences de dégradation, l’adsorption des molécules d’intérêt aux particules n’est pas nécessairement le phénomène de disparition de la phase dissoute majoritaire puisque les expériences d’incubation d’eaux côtières dopées conduites par Benotti et Brownawell (2009) sur une

Dans le cas des filtres UV, leur hydrophobie ainsi que l’absence de formes ionisées au pH des eaux naturelles suggèrent un partage non négligeable vers la phase particulaire, bien qu’aucune donnée concernant ce partage ne soit disponible dans la littérature. Kameda et al. (2011) ont détecté EHMC et octocrylène dans 15, respectivement 12 des 18 échantillons de sédiments de rivières japonaises, à des concentrations de l’ordre du nanogramme par gramme de sédiment (poids sec). Ces mêmes filtres UV ont également été détectés dans les sédiments de rivières allemandes, à des concentrations en EHMC allant de 14 à 34 ng.g-1 poids sec et en octocrylène de 61 à 93 ng.g-1 poids sec (Rodil et Moeder, 2008b).

6.1.3 Biodégradation

La biodégradation concerne les phénomènes de dégradation par les micro-organismes. L’essentiel des études de dégradation microbienne des molécules d’intérêt est consacrée au traitement biologique en STEP (Chong, 2009 ; Almeida et al., 2013 ; Pomiès et al., 2013). Bradley et al. (2007) ont mis en évidence la dégradation de la caféine, de la cotinine et de la nicotine opérée par les microorganismes portés par le sédiments, invalidant l’utilisation de ces molécules comme traceurs conservatifs de rejets de STEP. Les expériences d’incubation conduites par Benotti et Brownawell (2009) ont montré une différence de cinétique de biodégradation entre les molécules d’intérêt : le temps de demi-vie du paracétamol est inférieur à 1 j contre plus de 100 j pour la carbamazépine, la biodégradabilité étant corrélée à la dégradabilité en STEP. En outre, des cinétiques plus rapides ont été mesurées dans les eaux les plus côtières, également les plus eutrophisées. Yamamoto et al. (2009) observent également des différences de cinétique de dégradation selon la provenance de l’eau du milieu incubé et mesurent, sur 120 h d’incubation, plus de 80 % de la concentration initiale pour 7 des 8 médicaments, le paracétamol atteignant 50 %. Les cinétiques de biodégradation sont globalement plus lentes que celles observées pour de plus petites molécules comme le glucose et les acides aminés (Benotti et Brownawell, 2009) ou le dodécylbenzènesulfonate de sodium, témoin biodégradable dans l’étude de Yamamoto et al. (2009). La biodégradation est généralement plus rapide dans des conditions oxiques qu’anoxiques (Lapworth et al., 2012 ; Lahti et Oikari, 2011). Dans le cas des filtres UV, Y.-S. Liu et al. (2013) ont montré que les 4 filtres UV à l’étude (oxybenzone, 4-MBC, EHMC, octocrylène) étaient biodégradables au contact de sédiments, oxybenzone et EHMC ayant des temps de demi-vie courts, de 1 à 8 j selon les conditions contre 10 à 85 j pour 4-MBC et octocrylène. En outre, les auteurs ont montré que des conditions anaérobiques ralentissaient la cinétique de dégradation.

Il est important de noter que la dégradation des pharmaceutiques dans l’environnement est différente de celle observée lors de leur métabolisation humaine : carbamazépine et diazépam sont rapidement métabolisés dans le corps humain mais sont stables dans le milieu aquatique (Pal et al., 2010).

6.1.4 Dégradation abiotique

composé et de l’efficacité des photons à induire une transformation chimique, caractérisées respectivement par le coefficient d’absorption molaire aux longueurs d’onde du rayonnement solaire (> 300 nm) et par le rendement quantique de phototransformation. La photolyse peut également intervenir par voie indirecte, par l’intermédiaire de radicaux réactifs formés par irradiation des ions nitrate ou de la matière organique dissoute (Packer et al., 2003). L’étude de la photodégradation de quatre benzodiazépines par Calisto et al. (2011) a montré une dégradation rapide de lorazépam, avec des temps de demi-vie inférieurs à un jour d’été ensoleillé et une relative stabilité d’oxazépam, diazépam et alprazolam, aux temps de demi-vie de 4, 7 et 228 j, respectivement. Les anti-inflammatoires non stéroïdiens naproxène et diclofénac sont également photodégradables, avec des demi-vies inférieures à l’heure tandis qu’ibuprofène est photostable en raison de sa faible absorbance aux longueurs d’onde du spectre solaire (Packer et al., 2003). Dans le cas des fibrates, gemfibrozil et bézafibrate sont photostables, l’acide fénofibrique étant complètement dégradé en 100 h d’irradiation (Cermola et al., 2005).

Les filtres UV, conçus pour absorber les longueurs d’onde supérieures à 300 nm, ne sont pas tous photostables puisque Rodil et al. (2009) ont montré que les molécules EHMC et ODPABA présentaient des demi-vies de 20 et 21 h sous irradiation solaire simulée, l’octocrylène, l’oxybenzone et le 4-MBC étant stables lors des 72 h d’expérience. Les auteurs ont également mis en évidence une modification des rapports entre isomères Z et E des molécules 4-MBC et EHMC après irradiation or, d’un point de vue écotoxicologique, deux stéréoisomères peuvent avoir des toxicités différentes et Buser et al. (2005) ont montré une concentration sélective des isomères du 4-MBC dans des tissus de poisson. L’irradiation solaire peut donc être responsable de la formation de produits phototransformés, en particulier des photoisomères, potentiellement plus toxiques que les composés parents.

6.2 Impact sur le biote

La contamination des eaux de surface par les médicaments et les filtres UV étant quasi-généralisée, les interactions entre le biote et ces micropolluants sont ici présentées.

6.2.1 Bioaccumulation

On observe une bioaccumulation lorsque la quantité absorbée d’un composé par les organismes est supérieure à celle excrétée ou dégradée. L’absorption peut avoir lieu directement au travers de la barrière cutanée ou via les zones d’échanges que sont les branchies et la paroi digestive. Brooks et al. (2005) ont ainsi mis en évidence la bioaccumulation de la fluoxétine et de la sertraline dans les muscles, le foie et le cerveau chez trois espèces de poisson de rivière à des concentrations variant de 0,1 à 10 ng.g-1 (poids total). Le diazépam a également été détecté dans le foie d’une espèce de poisson plat vivant à proximité de rejets de STEP à une concentration moyenne de 56 ng.g-1 (poids total), les 3 autres analytes carbamazépine, oxybenzone et simvastatine n’y ayant pas été détectés (Maruya et al., 2012). Les filtres UV oxybenzone, 4-MBC et EHMC ont été détectés dans des gardons de lacs suisses à des concentrations de 112, 80 et 64 ng.g-1 de lipides, respectivement (Balmer et al., 2005). L’octocrylène a également été mesuré dans les foies de dauphins prélevés le long des côtes

côtes françaises (Bachelot et al., 2012). La corrélation entre log D et facteur de bioaccumulation a été mise en évidence par Jeon et al. (2013) sur un jeu de 4 médicaments et de 2 biocides. Les analytes les plus hydrophobes, comme les filtres UV et les médicaments ritonavir, clopidogrel et nelfinavir sont donc susceptibles d’être accumulés dans les organismes aquatiques.

Parmi les médicaments, Klosterhaus et al. (2013) détecte uniquement la carbamazépine dans des moules prélevées en baie de San Francisco, à des concentrations maximales de 5 ng.g-1 (poids total), alors que de nombreuses autres molécules sont détectées dans les eaux (aténolol, caféine, gemfibrozil, sulfaméthoxazole, méprobamate, valsartan), suggérant la faible bioaccumulation des médicaments étudiés.

6.2.2 Toxicité et écotoxicité

Des effets toxiques peuvent survenir sans bioaccumulation et l’enjeu associé aux médicaments concerne leur toxicité chronique, consécutive à des expositions à de faibles concentrations à long-terme. Les seuils de toxicité aigüe, caractérisés par la LC50 (concentration létale pour 50 % des individus), sont élevés, supérieurs au milligramme par litre (Fent et al., 2006), concentrations très largement supérieures à celles rencontrées dans le milieu. Les LC50 des médicaments recensés dans l’étude de Fernández et al. (2010) pour des cladocères (zooplancton) varient de 0,5 à près de 200 mg.L-1, fluoxétine et propranolol présentant les seuils les plus bas (respectivement 0,5 et 0,8 mg.L-1).

Des effets peuvent également être observés à des concentrations sensiblement plus faibles, comme l’indique la Figure 6, extraite de l’article de synthèse de Boxall et al. (2012). L’éthinylestradiol induit des effets biochimiques, cellulaires et comportementaux à des concentrations comprises entre 1 et 100 ng.L-1, diclofénac, fluoxétine, kétoconazole et oxytétracycline provoquent des réponses biochimiques à des concentrations comprises entre 0,1 et 10 µg.L-1.

Figure 6. Concentrations efficaces médianes (EC50) de 9 médicaments en fonction des tests standardisés de toxicité aigüe (standard acute) et de toxicité chronique sur les critères de la reproduction et du développement (standard chronic) et

Schwaiger et al. (2004) ont observé des lésions rénales sur des truites arc-en-ciel exposées à 5 µg.L-1 de diclofénac. Par ailleurs, l’exposition de l’invertébré benthique Gammarus Pulex à de faibles concentrations en ibuprofène et fluoxétine (10-100 ng.L-1) a entrainé une diminution significative de son activité (De Lange et al., 2006). Brodin et al. (2013) ont montré que le comportement de la perche européenne, exposée à des concentrations en oxazépam caractéristiques d’effluent de STEP de 1,8 µg.L-1, était altéré, avec une augmentation de sa fréquence d’alimentation et de son activité ainsi qu’une diminution de son comportement social. Concernant les effets sur les algues marines, Rodil et al. (2009) ont montré que l’oxybenzone, l’EHMC et l’ODPABA inhibaient significativement le développement de l’espèce Scenedesmus vacuolatus à des concentrations de quelques centaines de nanogramme par litre. Les filtres-UV provoquent également le blanchissement des coraux en favorisant les infections virales (Danovaro et al., 2008). D’autre part, le filtre UV 4-MBC agit comme perturbateur endocrinien après son injection chez le rat (Tinwell et al., 2002).

Enfin, on note que la plupart des études de toxicité in-vitro reposent sur les effets d’une unique molécule alors qu’in-situ, les organismes sont exposés à une multitude de contaminants, incluant les molécules mères et de nombreux métabolites. Il est donc fortement probable que ces molécules montrent des effets synergiques, même à des concentrations inférieures aux seuils de toxicité des molécules individuelles (Huerta et al., 2012).