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2.6 État de l’art de la modélisation en rivière

2.6.3 Complexité fonctionnelle biologique

Les processus de transformation physique, chimique et biologique impliquent des variations de concentration des constituants du milieu naturel. La complexité des modèles a été développée étape par étape de la façon suivante :

• le point de départ a été le modèle pionnier de Streeter et Phelps (Streeter & Phelps, 1925) qui décrit le déficit en oxygène dissous, à l’aval d’une source de matière organique, en fonction de la DBO5 ;

• ce premier type de modèle a, plus tard, été étendu en introduisant les variations des composés azotés par nitrification et dénitrification. QUAL 1 de l’Agence pour la Protection de l’Environnement américaine (EPA) est l’un de ces modèles, développé par Orlob (1982), ainsi que KALITO, modèle de l’Agence de l’Eau Seine Normandie (Lesouef & André, 1982) ;

• pour répondre à l’une des grandes problématiques des années 1970-1980, le cycle du phosphore et la production primaire ont été intégrés dans QUAL 1 pour donner naissance à une nouvelle génération de modèles du type QUAL 2 (Brown & Barnwell, 1987).

• le modèle RIVE du PIREN-Seine intègre des processus supplémentaires, comme la dégradation de la matière organique par différentes classes de bactéries, l’action des bactéries nitrifiantes, le grazing phytoplanctonique...

On peut définir aujourd’hui trois grandes catégories de modèles biologiques qui diffèrent dans la manière de prendre en compte les processus régissant la qualité d’un milieu naturel.

2.6.3.1 Modèles de type agrégés

Ce sont les modèles qui décrivent de manière agrégée les phénomènes de consommation d’oxygène dissous et de ré-aération des cours d’eau. La variable couramment mesurée et jugée représentative de l’ensemble des processus consommateur d’oxygène est la DBO5. Les deux variables du modèle sont alors la

demande biochimique en oxygène L et le déficit en oxygène dissous D.

D k L k t d D d 2 1 − = (2.7)

Les paramètres k1 et k2 sont les coefficients de désoxygénation et de ré-aération. Cette équation

différentielle admet une solution analytique :

( )

[

k t k t

]

k t

e

D

e

e

k

k

L

k

t

D

1 2 2 0 1 2 0 1 −

+

=

(2.8)

( )

t

D est le déficit en oxygène à l’instant t,

L

0 est la demande ultime en oxygène ,

D

0 est le déficit en oxygène à l’origine.

Le coefficient de désoxygénation traduit alors la cinétique d’un ensemble de réactions biochimiques. Ce paramètre n’a pas de signification simple du point de vue biologique. Il ne peut pas être déterminé expérimentalement. Le coefficient de réoxygénation traduit la dissolution dans l’eau de l’oxygène provenant de l’atmosphère. Ces paramètres sont ajustés afin que la solution de l’équation reproduise aussi fidèlement que possible la situation observée (Poulin et al., 1998). Bien souvent, le calage pour une situation donnée n’est pas valable dans un autre contexte.

KALITO,développé par l’Agence de Bassin Seine Normandie, fait partie de cette classe de modèles. Il a été conçu pour répondre à des objectifs de qualité définis sur la Seine entre Montereau et Poses. Les paramètres de qualité pris en compte sont l’oxygène dissous, la DBO5, l’ammonium et les nitrates. La

disparition de l’ammonium y a été introduite sous la forme d’une cinétique du premier ordre. Un tel modèle, pour simuler des concentrations en oxygène dissous conformes aux mesures, comporte, pour un même

débit, trois jeux de paramètres définies par zone (Billen et al., 1995b), entre Montereau et Poses (300 km de rivière).

Pour plus de précision concernant les équations de bilan de ce modèle, le lecteur pourra se reporter à Lesouef & André (1982). La capacité de prédiction de ces modèles ne semble pas acquise.

2.6.3.2 Modèles à niveaux trophiques condensés

Ce sont les modèles qui tentent de décrire le fonctionnement d’un écosystème en prenant en compte un grand nombre de processus biologiques représentatif du système étudié. Pour décrire le réseau trophique d’un écosystème lacustre ou fluvial, les variables du modèles pourront être agrégées pour correspondre chacune à un niveau trophique. Les compartiments phytoplanctoniques, zooplanctoniques constitueront les variables du modèle.

Le module biologique de QUAL 2 ainsi que celui de MIKE 11 font partie de cette classe de codes numériques. Les processus traités sont relativement similaires pour ces deux modèles avec, toutefois, des différences concernant la matière organique. Alors que QUAL 2 considère comme variable unique la Demande Biologique en Oxygène (DBO), MIKE 11 divise le compartiment organique en plusieurs fractions : dissoute, particulaire en suspension et particulaires dans le sédiment. Cela permet ainsi de distinguer, par l’intermédiaire de coefficients différents, la demande en oxygène provenant de la dégradation des différentes classes de matière organique (Rauch et al., submitted).

Cependant, ni QUAL 2, ni MIKE 11 ne représentent les diverses populations bactériennes responsables de la dégradation de la matière organique et de la nitrification. Or, les cinétiques de dégradation de la matière organique ou de transformation de l’azote sont fonction de ces biomasses. L’utilisation de ces modèles se limite donc normalement aux domaines dans lesquels la biomasse bactérienne peut être considérée comme constante.

Les tableaux 2.6 et 2.7 représentent les processus physiques et biochimiques implémentés respectivement dans QUAL 2 et MIKE 11.

Pour ces deux modèles, la dépendance de certains facteurs à la température de l’eau n’a pas été explicitée dans les tableaux mais existe dans le schéma conceptuel. Un module se basant sur les radiations atmosphériques et les flux de chaleur calcule la température moyenne de l’eau en se basant sur l’équation de la chaleur.

2.6.3.3 Modèles à niveaux trophiques subdivisés

Cette dernière classe de modèles, la plus complexe, se propose de décomposer les processus biologiques en un ensemble de processus élémentaires (Chahuneau et al., 1980). Les variables considérées sont différentes dans la mesure où l’on va chercher à représenter les constituants déterminants pour un processus (biomasses bactériennes hétérotrophes, matière organique fractionnée en différentes classes de biodégradabilité, etc…). La biomasse algale est décomposée en différentes espèces, diatomées, chlorophycées (Garnier et al., 1995), présentant chacune des physiologies différentes. Le comportement de la biomasse phytoplanctonique est considéré au travers de constituants cellulaires aux fonctionnalités particulières : macromolécules fonctionnelles et produits de réserves (Lancelot et al., 1986). Ce raffinement du modèle peut, dans certains cas être indispensable mais il nécessite alors des connaissances approfondies des processus modélisés, connaissances obtenues par l’expérience.

Le modèle RIVE, développé par les chercheurs de l’Université libre de Bruxelles et de l’UMR Sisyphe de PARIS VI (Billen et al., 1994 ; Garnier et al., 1995) fait partie de cette classe de modèle. Il est basé sur les concepts développés depuis une vingtaine d’années en écologie microbienne et formule mathématiquement la circulation de matière entre les différents compartiments des microorganismes. Les processus de synthèse de la matière organique et de la dégradation par les bactéries y sont finement représentés.

Le modèle des processus RIVE comprend un module décrivant l’activité du phytoplancton AQUAPHY (Lancelot et al., 1991) et un module de contrôle par le zooplancton, ZOLA. Le module HSB (Billen et Servais, 1989 ; Servais, 1989b) représente la dynamique de deux populations de bactéries hétérotrophes (autochtones et allochtones) et la dégradation de la matière organique caractérisée en fonction

de sa dégradabilité (très labile, moyennement labile et réfractaire). Les formes dissoute et particulaire sont également distinguées. Le modèle tient compte des échanges à l’interface eau-sédiment, de l’activité nitrifiante, de l’adsorption des phosphates et des échanges d’oxygène (modèle VENICE avec hypothèse stationnaire).

La conception modulaire a permis une interaction forte avec le travail expérimental et est ouvert à tout nouveau développement en matière d’analyse des processus. Le tableau 2.8 et la figure 2.4 résument l’ensemble des processus pris en compte dans le modèle. Pour plus de détails concernant les équations de bilan des différentes variables, le lecteur pourra se référer à Poulin et al. (1998).

Composant 1 2 3 4 5 6 7 8 9 Cinétique des processus Processus DO DBO BAM N-ORG NH4 NO2 NO3 P-

ORG P-DIS

[

−3 −1

]

T L M 1 Ré-aération 1 k2(DOsatDO) 2 Biodégradation -1 -1 k DBO 1

3 Sédimentation BOD -1 k DBO

3 4 Demande de DO par le sédiment -1 k /4 d 5 Photosynthèse 3a 1 -0.07 FNH4 -0.07 (1- FNH4) -0.01

(

L N P

)

f BAM , , max μ 6 Respiration −a4 -1 0.07 0.01 ρBAM

7 Sédimentation algale -1 ( /d )BAM 1

σ

8 Hydrolyse de N -1 1 β 3NORG

9 Nitrification étape 1 -3.43 -1 1 β1NH4f

(

nitr

)

10 Nitrification étape 2 -1.14 -1 1 β2NO2f

(

nitr

)

11 Sédimentation de N -1 σ4 NH4 12 Relargage de N par sédiment 1 (σ3/d) 13 Hydrolyse de P -1 1 PORG 4 β 14 Sédimentation de P -1 PORG 5 σ 15 Relargage de P par sédiment 1 (σ2/d)

Tableau 2.6. Notation matricielle des processus biochimiques et physiques dans le modèle de qualité d’eau QUAL 2. Tiré de Rauch et al. (submitted).

Avec : DO = oxygène dissous ; DOsat = oxygène dissous à saturation ; DBO = demande biologique en oxygène pour le matériel organique ; BAM = biomasse algale ; N-ORG = azote organique ; NH4 = ammonium ; NO2 = nitrite ; NO3 = nitrate ; P-ORG = phosphore organique ; P-DIS = phosphore dissous ; k2 = coefficient de ré-aération ; k1 =

coefficient de désoxygénation ; k3 = taux de sédimentation de BOD ; k4 = taux de prélèvement de l’oxygène par le

sédiment ; d = profondeur moyenne ; μmax = taux de croissance maximum des algues ; ρ = taux de respiration algale ; σ1 = vitesse de chute des algues ; σ2 = taux de production benthique pour P ; σ3 = taux de production benthique pour N ; σ4 = taux de sédimentation de N ; σ5 = taux de sédimentation de P ; β1 = taux d’oxydation de NH4 ; β2 = taux d’oxydation des nitrites ; β3 = taux d’hydrolyse de N-ORG ; β4 = taux d’hydrolyse de P-ORG ; a3 = coefficient stœchiométrique O/BAM ; f (L,N,P) = fonction de limitation de la croissance algale ; f (nitr) = fonction de limitation de la nitrification ; FNH4 = facteur de préférence pour NH4.

Variables 1 2 3 4 5 6 Cinétique des processus Processus DO DBOd DBOs DBOb NH3 NO3

[

−3 −1

]

T L M

1 Ré-aération 1 k2(DOsatDO)

2a Dégradation de BODd -1 -1 Kd3.DBOb 2b Dégradation de BODs -1 -1 Ks3.DBOs 2c Dégradation de BODb -1 -1 Kb3.DBOb

3 Sédimentation de BOD -1 1 (K5.DBOs)/d 4 Resuspension de BOD 1 -1 (S1.DBOb)/d 5 Demande de DO par le sédiment -1 B1

6 Nitrification -Y1 -1 1 K4.NH3e4 7 Dénitrification -1 K6.NO3e6 8 Photosynthèse 1 -0.066 ⎟ ⎠ ⎞ ⎜ ⎝ ⎛ ⎟ ⎠ ⎞ ⎜ ⎝ ⎛ Π τα 2 cos max P 9 respiration -1 0.066 R

Tableau 2.7. Processus biochimiques et physiques implémentés dans le modèle de qualité d’eau MIKE 11. Il existe des compartiments additionnels pour le phosphore, l’eutrophisation, les métaux lourds et le sédiment.

Tiré de Rauch et al. (submitted).

Avec : DBOd = DBO dissous ; DBOs = DBO en suspension ; DBOb = DBO sédimentée ; Kd3 = taux constant de dégradation de la DBOd ; Ks3 = taux constant de dégradation de la DBOs ; Kb3 = taux constant de dégradation de la DBOb ; K5 = vitesse de sédimentation de la DBOs ; d = hauteur d’eau moyenne ; S1 = taux de resuspension pour la DBOb (zéro si la vitesse de l’écoulement ou la concentration en DBOb est en dessous d’une valeur critique) ; B1 = valeur constante de la demande en DO par le sédiment ; Y1 = rendement pour la consommation d’oxygène par nitrification ; K4 = taux constant de nitrification ; e4 = coefficient caractérisant la dépendance de la dénitrification à la concentration en NH3 (0.5 ou 1) ; K6 = taux constant de dénitrification ; e6 = coefficient caractérisant la dépendance de la dénitrification à la concentration en NO3 ; Pmax = production maximale à midi ; τ = temps actuel relatif avec origine à 12h00 ; α = longueur relative de la journée ; R = taux de respiration phytoplanctonique.

Variables d’état du modèle Processus d’échanges OXI Oxygène dissous

DIA Diatomées

GRA chlorophycées S petits métabolites carbonés R macromolécules de réserve GRA et DIA ne réfèrent qu’aux ZOO Zooplancton

H1D Matière organique dissoute rapidement hydrolysable H2D Matière organique dissoute lentement hydrolysable H3D Matière organique dissoute réfractaire

H1P Matière organique particulaire rapidement hydrolysable H2P Matière organique particulaire lentement hydrolysable H3P Matière organique particulaire réfractaire

DS Substrats organiques directement assimilables Bp Bactéries hétérotrophes autochtones Bg Bactéries hétérotrophes allochtones NH4 Ammonium

NO3 Nitrate NI Bactéries nitrifiantes SIO Silice dissoute DSI Silice détritique particulaire PO4 Ortho-phosphate

AP Phosphates adsorbés

SM Matières en suspension minérales

assimilation photosynthétique de carbone respiration algale

synthèse et catabolisme des réserves algales

croissance algale (synthèse de molécules fonctionnelles excrétion algale

lyse algale

grazing zooplanctonique

croissance et respiration zooplanctonique excrétion zooplanctonique

mortalité zooplanctonique

hydrolyse de la matière organique polymère croissance et respiration bactériennes

excrétion bactérienne d’azote et de phosphore inorganique mortalité bactérienne

sédimentation de la matière particulaire minérale sédimentation de la matière particulaire organique

minéralisation benthique et recyclage de la matière organique nitrification dans la colonne d’eau

adsorption-désorption de phosphates sur les matières en suspension

Tableau 2.8. Variables d’état et processus d’échange du modèle RIVE. Tiré de Garnier et Billen (1998).

Le modèle RIVE est actuellement le modèle utilisé dans le programme de recherche du PIREN-Seine. Il est couplé aux différents codes de calcul qui décrivent l’écoulement, qu’ils soient hydrologiques, basés sur la notion d’ordre de Strahler (HYDROSTRAHLER) ou hydrodynamique (ProSe 1D). Le choix du modèle d’écoulement dépend de l’étude que l’on souhaite réaliser. Pour modéliser l’ensemble d’un bassin versant, on utilisera le modèle pluie-débit simple, HYDROSTRAHLER, qui a pour objectif de simuler les évolutions hydrologiques saisonnières au pas de temps décadaire. Ses variables d’état (débit, temps de résidence de l’eau, profondeur, pénétration lumineuse) constitueront alors les contraintes physiques pour les variables biologiques de RIVE. Par contre, si l’on cherche à modéliser des tronçons de rivière et leurs affluents, l’impact d’un rejet urbain de temps de pluie ou encore des situations de bas débit, les contraintes hydrodynamiques (vitesse de l’eau, hauteur d’eau) seront calculées précisément par le modèle ProSe qui résout les équations de Barré de Saint-Venant monodimensionnelles.

L’idée de base qui sous-tend la démarche de modélisation développée dans le programme PIREN- Seine est l’unicité des cinétiques de processus élémentaires à travers toute la diversité des systèmes aquatiques qui se succèdent dans le continuum fluvial. Les différences de fonctionnement qui caractérisent ces divers systèmes sont dues à la diversité des contraintes physiques (hydrologiques, morphologiques…) auxquels ils sont soumis, plutôt qu’à des différences dans la nature même des processus microscopiques impliqués dans ce fonctionnement (Poulin et al., 1998).