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Comparaison entre la vision canadienne et états-unienne du développement de la pêche

Chapitre 4 : L'Arctique, un environnement marin spécifique

B. Comparaison entre la vision canadienne et états-unienne du développement de la pêche

Dans les deux cas, la pêche commerciale n'est pas autorisée, pour l'instant, dans les zones économiques exclusives respectives. Dans le cas canadien, aucune licence de pêche n’est attribuée tant qu’un plan de gestion des pêches n’est pas mis en place, dans le respect de l’Accord des Revendications Territoriales de l’Inuvialuit alors que dans le cas états-unien, le moratoire est maintenu dix ans dans le but d’apporter les connaissances scientifiques nécessaires pour entamer une exploitation commerciale de poissons.

Pour Ottawa105, le moratoire des États-Unis dans leur ZEE sert juste à protéger les intérêts

nationaux et éviter que les pêcheurs étrangers puissent exploiter ces ressources avant ceux

103Micheline Leduc, directrice du Programme de Port pour Petit Bateau du MPO, entretien téléphonique, le

29/06/2012

104 Sarah Arnold et Lee Laurie, réponse au questionnaire, le 26/07/2012, Gouvernement du Nunavut 105

nationaux106 à travers une approche très populaire auprès de l'opinion publique et des Organisations Non Gouvernementales. En effet, en cas de début de pêche commerciale dans l'Océan Arctique, la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer accorde, à l'État côtier, possède une importante souveraineté au sein de leur ZEE. Il peut déterminer les espèces susceptibles d'être pêchées et la limite des totaux autorisés de capture (article 62.4.b107). Néanmoins, il a l'obligation de partager

l'excédent des quotas après avoir déterminé sa propre capacité d'exploitation de pêche (article 62.2108). Ainsi, en cas de pêche dans la mer de Beaufort, les États-Unis seraient obligés de

partager leurs ressources avec les autres États, et si la capacité d'exploitation est faible, alors, une grande partie des ressources seraient accordées à l'extérieur des États-Unis d'Amérique.

Plutôt que cette approche que le Canada juge peu pratique en raison de la difficulté de trouver les connaissances scientifiques nécessaires pour lever ce moratoire, le Canada a préféré mettre en place un protocole d'accord avec les Inuvialuit. Et selon Amanda Joynt109, la principale différence entre le

protocole d’accord canadien et le moratoire états-unien consiste en le fait que le protocole d’accord canadien interdit toute exploitation commerciale en attendant de créer un cadre global de développement durable de la pêche dans la région de la convention définitive des Inuvialuit en partenariat avec le Conseil de gestion des Inuvialuit alors que le moratoire interdit la pêche commerciale de certaines espèces dans la zone économique exclusive états-unienne, sans prendre en compte les eaux territoriales. Le Canada n’a pas la même vision de développement que les États- Unis et n'a pas l'intention d'interdire la pêche commerciale110 comme l'a fait son voisin. Le protocole

d'accord a été signé pour protéger les intérêts des Inuvialuit en attendant de rédiger un plan de gestion dans la région maritime des Inuvialuit qui ne devrait pas l’interdire comme indiqué lors de l'entretien collectif à Ottawa, et par Vic Gillman : « Not likely to be any commercial fishery unless the community wants it and owns it »111. Ainsi, le gouvernement canadien et les Inuvialuit ont créé

des groupes de travail avec les Inuit dans le but de mettre en place un cadre de gestion dans la mer de Beaufort.

106 Entretien collectif à Ottawa avec le MPO, le 06/04/2012

107 « Ces lois et règlements (fixés par l'État côtier) doivent être compatibles avec la Convention et peuvent

porter notamment sur les questions suivantes : b. indication des espèces dont la pêche est autorisée et fixation de quotas », traduction libre

108 « L'État côtier détermine sa capacité d'exploitation des ressources biologiques de la ZEE. Si cette capacité

d'exploitation est inférieure à l'ensemble du volume admissible des captures (...) il autorise d'autres États, à exploiter le reliquat du volume admissible », traduction libre

109 Ministère du MPO, entretien téléphonique, le 10/12/2012 110 Entretien à Ottawa avec le MPO, le 06/04/2012

111 « Il est peu probable qu'il y ait une pêche commerciale tant que les communautés (d'Inuvialuit) ne le

Au contraire, les États-Unis d'Amérique, eux, n'ont pas pris en compte les intérêts des Autochtones d’Alaska, la principale différence vient que le moratoire américain est une décision unilatérale de Washington alors que le protocole d'accord canadien provient d'une négociation entre le gouvernement canadien et les Inuvialuit.

Le développement durable se base sur trois aspects du développement : social, économique et environnemental. Le moratoire américain n'a pas pris en compte le développement économique. Bien que ce moratoire soit une idée de l'industrie états-unienne112, le moratoire pur et simple interdit

de manière formelle le développement économique. En revanche, la Convention définitive des Inuvialuit et le protocole d’entente assurent aux Inuvialuit de la région de garder un œil sur la gestion et l'exploitation des ressources marines biologiques.

Le développement social est aussi un aspect qui a été peu mis en valeur par le moratoire états-unien étant donné que les Autochtones alaskiens, comme nous l'avons dit plus haut, n'ont pas été consultés pendant la mise en place de ce moratoire. Seul l'aspect environnemental a été pris en compte, ce qui ne permet pas de dire que le moratoire est un exemple de développement durable. Là encore, ce sont deux visions très différentes de la protection et l'exploitation des écosystèmes marins.

L'idée états-unienne est de conserver ce moratoire tant qu'une Organisation Régionale de Pêche ne couvre pas l'Océan Arctique113. À ce moment-là, alors, les parties membres de cette organisation

régionale pourront maintenir ou non ce moratoire en fonction des données scientifiques disponibles114.

Mais à l’heure actuelle, nous avons très peu d’informations sur les stocks qui existent dans la mer de Beaufort, la capacité de celles-ci à supporter une exploitation de façon durable, ainsi que leur localisation. Il reste beaucoup de connaissances scientifiques à acquérir pour mettre en place la pêche commerciale dans la mer de Beaufort.

Il reste à savoir à quel point les États veulent mettre en place une Organisation Régionale de Gestion de la Pêche.

112 Entretien à Ottawa avec le MPO, le 06/04/2012

113 Ministère des Pêches états-uniennes, courriel du 20/12/2012 114