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La compétence personnelle passive 77

124.Justifications. Par le biais de cette compétence, l’Etat qui adhère à un tel système

répressif cherche à protéger ses nationaux qui seraient victimes d’infractions n’importe où dans le monde. Une telle approche traduit la méfiance d’un Etat envers les systèmes pénaux étrangers qui ne seraient pas capables de protéger correctement les victimes ayant sa nationalité. De plus, cette compétence se concentre sur la victime, donc sur des intérêts privés ; le droit pénal est orienté traditionnellement sur le délinquant, cela fausse ainsi sa logique. Nous aborderons dans un premier temps de système français (§1) avant de nous tourner vers le titre de compétence canadien (§2).

§1 – Compétence personnelle passive française

125.Conditions de la compétence personnelle passive en France. Concernant la

nationalité de la victime, selon l’article 113-7 du Code pénale, celle-ci s’apprécie seulement au jour de commission de l’infraction. Quant à la nature des faits, le texte indique qu’il doit s’agir d’un crime ou d’un délit puni d’emprisonnement au regard de la loi française uniquement et sans réciprocité d’incrimination. Certains auteurs soulèvent une atteinte au principe de la légalité criminelle.

126.Conditions communes aux compétences personnelles actives et passives. La

première, inscrite à l’article 113-8 du Code pénal, concerne le déclenchement des poursuites. Pour des raisons diplomatiques, les autorités françaises ne peuvent pas se permettre de juger toutes les infractions commises par ou à l’encontre de l’un de ses nationaux. Ce serait une trop grande ingérence dans les systèmes étrangers. Le ministère public détient l’exclusivité dans le déclenchement des poursuites mais cette requête ne peut naître seulement qu’après une plainte de la victime ou de ses ayants-droits ou une dénonciation officielle des autorités de l’Etat où a eu lieu l’infraction. Une précision est à soulever à propos de la plainte : elle peut être déposée en France ou à l’étranger, et elle peut être contre « X » ; cela peut paraître paradoxale car la compétence repose sur la nationalité du délinquant mais la jurisprudence

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est compréhensive et demande simplement de décrire les circonstances qui pourraient rendre vraisemblable la nationalité. Rappelons que ces conditions procédurales disparaissent en cas de « tourisme sexuel » ou d’actes terroristes. Le ministère public détient un monopole sans en être entièrement le maître.

D’autre part, le texte de l’article 113-9 Code pénal s’intéresse au principe non bis in

idem en indiquant qu’ « aucune poursuite ne peut être exercée contre une personne justifiant

qu’elle a été jugée définitivement à l’étranger pour les mêmes faits et, en cas de condamnation, que la peine a été subie ou prescrite ». Plusieurs précisions : pour qu’une condamnation soit définitive il faut une décision sur le fond, c’est-à-dire une décision sur l’existence de l’infraction et sur l’existence d’une responsabilité pénale. Un classement sans suite ne satisfait pas de tels critères361 ; quant aux alternatives aux poursuites, seules celles

éteignant l’action publique sont considérées comme des jugements sur le fond ; enfin, pour les non-lieux, il y une dichotomie entre ceux fondés en fait (traduisant l’impossibilité de récolter les preuves suffisantes) et ceux fondés sur le droit (les faits ne correspondent à aucune responsabilité pénale mais simplement civile ou la prescription par exemple). Seuls les non-lieux fondés sur le droit ont une autorité de chose jugée. Par ailleurs, des auteurs précisent des critères cumulatifs de qualité concernant la reconnaissance de la décision étrangère : celle-ci doit être rendue par un juge compétent, que la procédure étrangère ait respecté les droits de la défense, et que le jugement soit régulier au sens de la loi étrangère. Ce dernier contrôle est traditionnellement rejeté en droit pénal international, d’où le fait qu’il n’y ait pas de procédure d’exequatur dans ce domaine. En outre, puisque la décision étrangère n’a normalement aucune autorité en France, le juge ne doit pas la soulever d’office et c’est à la partie qui la soulève d’en rapporter la preuve, et cela à tout stade du procès.

Enfin, concernant la peine, afin d’éviter qu’un individu puisse se soustraire à une condamnation française en invoquant une condamnation étrangère dont il a déjà esquivé la peine en fuyant, il faut qu’elle soit purgée ou prescrite pour être reconnue. Cependant une telle approche résulte d’une incompréhension des techniques juridiques. En effet, la décision étrangère justifie le principe non bis in idem pour la seule raison qu’il revêt l’autorité de chose jugée. Le jugement détient une telle qualité en soi, c’est-à-dire indépendamment de son exécution. La loi fait actuellement dépendre l’autorité de la décision de son exécution qui est

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postérieure et indépendante du fait du juge qui l’a rendue. Par ailleurs, la peine indiquée dans le texte concerne la peine principale (prison, amende, privation de droits) et omet les considérations vis-à-vis des peines complémentaires et accessoires. Sur son exécution, elle doit l’avoir été entièrement mais la France prend en compte la partie déjà purgée si la sanction est en cours d’exécution ; de même les autorités françaises acceptent les lois d’amnisties étrangères dans ce système de compétences.

§2 – Compétence personnelle passive canadienne

127.Paradoxes. Nous avons déjà amplement exposé le décalage entre la reconnaissance de

la compétence personnelle active par la loi canadienne et la logique territorialiste en tradition de common law. En outre, pour quasiment les mêmes infractions que dans les cas d’auteurs reliés réellement et suffisamment au Canada, les juridictions pénales vont s’intéresser aux victimes de ces faits ; cela fausse cette fois-ci la logique du droit pénal concentrée sur le criminel. Une infraction sera réputée commise au Canada si la victime est canadienne, c’est- à-dire que la citoyenneté fait disparaître les distances.

128.Eaux étrangères et internationales. Une assimilation est prévue aux paragraphes 7(2.1)

et 7(2.2) du Code criminel visant des infractions contenues à l’article 78.1 réalisées contre un Canadien à bord ou à l’encontre des plates-formes attachées au plateau continental ou des navires situés dans les eaux territoriales étrangères. De même362 pour les victimes de ces

mêmes infractions visées et, cette fois-ci, commises à l’encontre ou à bord d’une plate-forme non attachée au plateau continental ou d’un navire situé dans les eaux internationales si le suspect est trouvé dans un Etat tiers à l’affaire mais partie à la Convention pour la répression

d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime363 ou au Protocole sur la

répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental364.

362 Code criminel, supra note 38 art. 7(2.2).

363 Convention de Rome du 10 mars 1988 sur la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation

maritime, supra note 338.

364 Protocole de Rome du 10 mars 1988 sur la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes

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129.Terrorisme et autres infractions graves. La loi suit le même régime pour les

infractions commises contre une personne jouissant d’une protection internationale canadienne ou contre sa famille365 ou contre un membre des Nation-Unies de citoyenneté

canadienne366, ou par des prises d’otages367, de la torture368, des engins explosifs et

meurtriers369 contre des Canadiens.

Dans le volet de la lutte internationale contre le terrorisme, le Canada doit aussi s’occuper des victimes qui sont de ses ressortissants. Si un citoyen canadien est victime d’un crime terroriste à l’étranger, les faits seront réputés avoir été commis au Canada370. En outre,

l’acte de financement du terrorisme en vue de commettre au Canada ou contre un citoyen canadien un acte terroriste est réputé avoir été commis au Canada371.

Enfin, hors du Code pénal, des cas de compétence personnelle passive sont présents dans des lois individuelles. C’est le cas des victimes canadiennes des crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité372 ; la victime peut aussi être un ressortissant d’un Etat allié au Canada dans

un conflit armé373. Dans ces cas, ce sera la juridiction de n’importe quelle circonscription

canadienne qui sera compétente comme si l’infraction y avait été commise374.

130.Station spatiale internationale. Tel qu’annoncé précédemment, les rédacteurs de

l’Accord sur la station spatiale internationale civile375 ont préféré mettre comme principe le

système de la nationalité dont l’article 22, transposé à l’article 7(2.31)b) du Code criminel, dispose que si un membre d’équipage étranger commet un fait punissable par acte

365 Code criminel, supra note 38 art. 7(3)d]i) et ii] visant les infractions prévues aux articles 235, 236, 266, 267,

268, 269, 269.1, 271, 272, 273, 279, 279.1, 280 à 283, 424 et 431.

366 Ibid art. 7(3.71)e] visant les infractions prévues aux articles 235, 236, 266, 267, 268, 269, 269.1, 271, 272,

273, 279, 279.1, 424.1 ou 431.1.

367 Ibid art. 7(3.1)e] visant les infractions prévues à l’article 279.1. 368 Ibid art. 7(3.7)d] visant les infractions prévues à l’article 269.1. 369 Ibid art. 7(3.72)e] visant les infractions prévues à l’articles 431.2. 370 Ibid art. 7(3.75)a].

371 Ibid Ibid art. 7(3.73)g] visant les infraction prévues à l’article 83.02a) b].

372 Article 8a](iii] Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, supra note 356. 373 Art. 8a] (iv] Ibid.

374 Paragraphe 9(1) Ibid.

375 Accord entre le Gouvernement du Canada, les gouvernements d’Etats membres de l’Agence spatiale

européenne, le Gouvernement du Japon, le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur la coopération relative à la station spatiale internationale civile, fait à Washington le 29 janvier 1998, supra note 242.

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d’accusation qui porte atteinte à la vie ou à la sécurité d’un autre membre canadien, l’infraction est réputée avoir été commise au Canada376. Cependant ce n’est qu’une

compétence subsidiaire par rapport à l’active, c’est-à-dire que la compétence personnelle passive pourra être effective seulement si les pays d’origine des auteurs refusent d’engager des poursuites.

131.Conclusion section II. Il appert que la France a la volonté de protéger au maximum ses

nationaux lorsqu’ils se retrouvent à l’extérieur des frontières nationales. En effet, des barrières procédurales comme la réciprocité d’incrimination qui est présente pour la compétence active disparaissent pour la compétence passive. Le champ d’application est donc d’autant plus élargi. Quant au Canada, il garde la même logique par une compétence personnelle spéciale limitée à certaines infractions souvent en rapport avec les engagements internationaux. Cependant, la victime protégée par le Canada doit avoir la nationalité canadienne ; être simplement résident permanent ou habituel ne donne pas compétence aux autorités canadiennes à l’inverse de la compétence personnelle active.

132.Conclusion Chapitre 1. Le système de la personnalité, bien qu’il entraîne une

immixtion de l’Etat dans un territoire étranger, permet de lutter contre les impunités. Il est logique qu’une Etat encadre ses nationaux n’importe où dans le monde, surtout depuis l’évolution sans cesse croissante des mouvements de population. Cependant cela doit se faire par une articulation entre les différents Etats pour éviter les atteintes aux droits fondamentaux comme celui de ne pas être jugé deux fois pour les mêmes faits.

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Chapitre 2. L’appréhension des territoires pénaux externes pour

des raisons d’intérêts nationaux et humanitaires

133. Introduction. Certains intérêts peuvent pousser les Etats à développer des compétences

extraterritoriales afin de protéger des conceptions axiologiques. Nous avions abordé ce sujet par la compétence personnelle où l’Etat encadre et protège ses citoyens n’importe où. En sus, et toujours en immixtion dans des faits réalisés à l’étranger, un pays peut chercher à protéger ses intérêts propres reliés à sa souveraineté, il s’agit de la compétence réelle (Section I). Par ailleurs, faisant partie de la communauté internationale, un Etat peut participer à la protection des intérêts communs à l’humanité entière, cela correspond à la compétence universelle