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La compétence personnelle active 71

113.Justifications. Un Etat peut avoir intérêt à poursuivre ses délinquants nationaux

lorsqu’ils commettent une infraction à l’étranger afin d’éviter qu’ils ne récidivent à l’intérieur du pays d’origine ; c’est prendre en compte la dangerosité de l’agent. Mais cela est peu convaincant car c’est une compétence subsidiaire conditionnée et ainsi la poursuite peut être facilement mise en échec. Par ailleurs, certains auteurs soutiennent que la compétence sur la nationalité du délinquant est présente pour le protéger contre un système pénal étranger qui pourrait ne pas satisfaire les garanties procédurales nationales ; cependant, de nouveau, il faut rappeler que c’est une compétence conditionnée facilement mise en échec et, par ailleurs, rien n’empêche que le suspect soit jugé par les autorités de l’Etat d’origine et par celles étrangères. Enfin, la plus convaincante, c’est qu’en droit pénal international il existe deux types de système de compétence : celui fondé sur la territorialité des lois et celui basé sur la nationalité. Les États adhérant à la territorialité ne s’intéressent strictement qu’aux affaires qui ont lieu sur l’assise géographique nationale mais ces Etats acceptent alors d’extrader leurs nationaux. Les systèmes basés en plus sur la nationalité, refusent traditionnellement d’extrader leurs nationaux mais en contrepartie acceptent de les juger par le biais de la compétence personnelle active. Cela répond à l’adage aut dedere, aut judicare. Nous verrons dans un premier temps la compétence personnelle active française (§1) avant d’aborder celle- ci du côté canadien (§2).

336 Beccaria, supra note 40 : « est-il utile que les nations se rendent réciproquement les criminels ? Assurément,

la persuasion de ne trouver aucun lieu sur la terre où le crime puisse demeurer impuni serait un moyen bien efficace de le prévenir. Mais je n’oserai décider cette question, jusqu’à ce que les lois, devenues plus conformes aux sentiments naturels de l’homme, les peines rendues plus douces, l’arbitraire des juges et de l’opinion comprimé rassurent l’innocence et garantissent la vertu des persécutions de l’envie : jusqu’à que la tyrannie, reléguée dans l’Orient, ait laissé l’Europe sous le doux empire de la raison, de cette raison éternelle qui unit d’un lien indissoluble les intérêts des souverains aux intérêts des peuples ».

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§1 – Compétence personnelle active française

114.Conditions de la compétence personnelle active en France. L’article 113-6 du Code

pénal énonce en premier lieu que le suspect doit avoir la nationalité française au jour de commission de l’infraction, mais il est admis par le texte qu’une telle compétence peut être de plus exercée si l’agent reçoit la nationalité postérieurement. Concernant les personnes morales, la nationalité s’appréciera en fonction du lieu du siège social de la société.

Ensuite, concernant l’infraction, il doit s’agir d’un crime selon la loi française mais sans réciprocité d’incrimination. Lombois justifie une telle approche car les crimes protègent les valeurs les plus importantes de la société, ainsi un Français devrait les respecter n’importe où. Cependant, la condition de réciprocité va à l’encontre du principe légaliste, essentiel en droit pénal, qui permet aux individus de se référer à la loi du lieu où il agit.

Pour les délits, le texte requiert une réciprocité d’incrimination, ce qui n’implique pas une identité de qualification. Il est simplement question de savoir si le comportement est punissable dans les deux États. Deux exceptions demeurent : la première concerne le « tourisme sexuel », dont une liste d’infractions est prévue à l’article 222-22 du Code pénal et où la France sera compétente sans réciprocité d’incrimination et sans contraintes procédurales. L’autre est présente à l’article 113-13 pour les « actes terroristes » commis à l’étranger ; la France souhaite lutter contre les individus qui partent s’entraîner au Jihad337 ou

réaliser des attentats. L’article dépasse la nationalité car il prend aussi en compte le lieu de résidence habituel du suspect.

115.Conditions communes. Par ailleurs, certaines conditions procédurales ont été posées

par le Code ou par la jurisprudence. Elles sont communes avec la compétence personnelle passive et seront donc étudiées dans la prochaine partie où la compétence est justifiée en raison de la nationalité de la victime. Il est néanmoins intéressant de soulever que par cette addition de conditions, la compétence personnelle devient subsidiaire par rapport à la compétence territoriale qui a la même portée générale sans pour autant être conditionnée procéduralement.

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§2 – Compétence personnelle active canadienne.

116.Rejet du système de la nationalité. Comme nous l’avions exposé lors des

développements précédents, le Canada, qui tire sa tradition juridique de la common law, refuse toute compétence en raison de la nationalité. Les tribunaux pénaux canadiens devraient se désintéresser du principe des infractions commises par ses nationaux lorsqu’ils sont à l’étranger. Pour autant, le législateur fédéral est venu inscrire dans le Code criminel des dispositions où un individu sera responsable personnellement des infractions commises à l’étranger pour la raison qu’il détient la citoyenneté canadienne ou tout simplement puisqu’il y détient la résidence habituelle ou permanente. Nous voyons transparaître la volonté des autorités canadiennes de s’engager à lutter contre la criminalité internationale et de se conformer aux engagements internationaux. Cependant, nous le remarquerons, la compétence personnelle n’est pas textuellement reconnue. En effet, la loi indique chaque fois que l’acte est « réputée avoir été commis au Canada », c’est-à-dire que l’individu canadien est considéré comme avoir agi sur territoire canadien en n’importe quel lieu. C’est une compétence personnelle déguisée par une expansion fictive du principe de la territorialité.

117.Eaux étrangères et internationales. Une référence à cette logique personnelle active

est présente à l’alinéa 477.1e) dans les cas d’infractions à une loi fédérale réalisées « à l’extérieur du territoire de tout Etat », c’est-à-dire dans les eaux internationales, par un citoyen canadien. Une autre assimilation est prévue aux paragraphes 7(2.1) et 7(2.2) du Code

criminel visant des infractions contenues à l’article 78.1 réalisées, à l’étranger, à bord ou à

l’encontre des plates-formes attachées au plateau continental ou des navires situés dans les eaux territoriales étrangères par un Canadien ou un apatride résidant habituellement au Canada. Ces mêmes qualités d’individus se verront attribuer le même traitement pour ces mêmes infractions visées et, cette fois ci, commises à l’encontre ou à bord d’une plate-forme non attachée au plateau continental ou d’un navire situé dans les eaux internationales si le suspect est trouvé dans un Etat tiers à l’affaire mais partie à la Convention pour la répression

d’actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime338 ou au Protocole sur la

338 Convention de Rome du 10 mars 1988 sur la répression d’actes illicites contre la sécurité de la navigation

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répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental339.

118.Terrorisme et autres infractions graves. Une infraction commise par un ressortissant

canadien contre une personne jouissant d’une protection internationale340, ou par torture341

sera réputée avoir été commise au Canada.

Pour répondre aux exigences du la Convention pour la protection des biens culturels

en cas de conflit armé342, le législateur fédéral a édicté qu’est réputée avoir été commise au

Canada une infraction contre un bien culturel commise à l’étranger par un Canadien ou, cette fois-ci, par résident habituel apatride ou un résident permanent343. Le résident habituel

apatride est aussi pris en compte en cas de prise d’otages à l’étranger344, de financement du

terrorisme345, d’infraction contre du personnel des Nations Unies346 ou celles réalisées avec

des engins explosifs et meurtriers347.

Le Canada veut aussi montrer son plein engagement dans la lutte internationale contre le terrorisme. Un Canadien qui réaliserait des actes de terrorisme nucléaire à l’étranger serait réputé les avoirs commis au Canada348. Si un citoyen canadien, un résident permanent ou un

apatride résident habituel commet une infraction de terrorisme à l’étranger, les faits seront réputés avoir été commis au Canada349. De même pour le citoyen canadien qui réaliserait un

acte criminel en même temps qu’une activité terroriste350.

339 Protocole de Rome du 10 mars 1988 sur la répression d’actes illicites contre la sécurité des plates-formes

fixes situées sur le plateau continental.

340 Code criminel, supra note 38 art. 7(3)c] visant les infractions prévues aux articles 235, 236, 266, 267, 268,

269, 269.1, 271, 272, 273, 279, 279.1, 280 à 283, 424 et 431.

341 Ibid art. 7(3.7)c] visant les infractions prévues à l’article 269.1.

342 Convention de La Haye du 19 mai 1954 sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé. 343 Code criminel, supra note 38 art. 7(2.01) et 7(2.02) visant les infractions prévues aux articles 322, 341, 344,

380, 430, 434 C. cr. .

344 Ibid art. 7(3.1)c] visant les infractions prévues à l’article 279.1. 345 Ibid art. 7(3.73)c] visant les infraction prévues à l’article 83.02.

346 Ibid art. 7(3.71)c] visant les infractions prévues aux articles 235, 236, 266, 267, 268, 269, 269.1, 271, 272,

273, 279, 279.1, 424.1 ou 431.1.

347 Ibid art. 7(3.72)c] visant les infractions prévues à l’articles 431.2. 348 Ibid Art. 7(2.21)c] visant les infractions prévues aux articles 82.3 à 82.6. 349 Ibid art. 7(3.74).

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La même force de lutte concerne les infractions relatives à la traite humaine351 et les

infractions d’ordre sexuel sur des enfants352 commises à l’étranger par des Canadiens ou des

résidents permanents. Ce second groupe d’infractions nécessite cependant le consentement du procureur général pour engager les poursuites353.

119.Fonctionnaires canadiens. Les autorités pénales canadiennes ont une compétence sur

les fonctionnaires canadiens lorsqu’ils exercent à l’étranger s’ils commettent une infraction punissable par acte d’accusation. Cependant il faut une réciprocité d’incrimination dans l’Etat où ont eu lieu les faits354.

120.Bigamie. Le paragraphe 290(1) du Code criminel proscrit la bigamie, c’est-à-dire un

second mariage sans avoir dissolu le premier. L’alinéa b) précise que lorsqu’un citoyen canadien résidant habituellement au Canada part à l’étranger avec l’intention de réaliser ou de participer à un acte de bigamie, les tribunaux pénaux canadiens seront compétents pour le juger355. Cette compétence est très conditionnée. En effet, en sus de la qualité de citoyen, le

Canada veut que cet individu ait aussi sa résidence habituelle au Canada ; ainsi, un Canadien établi depuis plusieurs années à l’étranger ne sera pas visé. De plus, l’intention sera extrêmement difficile à prouver.

121.Crime internationaux. En dehors du Code criminel, des cas de compétence personnelle

active sont présents dans des lois individuelles. C’est le cas des auteurs canadiens de crimes de génocide, de guerre et contre l’humanité356 ; de même si l’auteur est un ressortissant d’un

Etat ennemi du Canada dans un conflit armé357. Dans ces cas, ce sera la juridiction de

351 Ibid art. 7(4.11) visant les infractions prévues aux articles 279.01, 279.011, 279.02 ou 279.03.

352 Ibid art. 7(4.1) visant les infractions prévues aux articles 151, 152, 153, 155 ou 159, aux paragraphes 160(2)

ou (3), aux articles 163.1, 170, 171, 171.1, 172.1, 172.2 ou 173 ou au paragraphe 286.1(2); V. aussi : R c

Klassen, 2008 240 CCC (3d) 328 (CSC-B) au para 113 : reconnaissance de la constitutionnalité de l’article

7(4.1) du Code criminel par rapport au « lien réel et suffisant » avec le pays et les droits garanties à l’article 7 de la Charte.

353 Code criminel, supra note 38 art. 7(4.3). 354 Ibid art. 7(4).

355 V. aussi : Surprenant, supra note 176, no 90.

356 Article 8a] (i] Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, LC 2000, ch24. 357 Article 8a] (ii] Ibid.

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n’importe quelle circonscription canadienne qui sera compétente comme si l’infraction y avait été commise358.

122.Station spatiale internationale. Tel qu’annoncé précédemment, les rédacteurs de

l’Accord sur la station spatiale internationale civile359 ont préféré mettre en prépondérance

le système de la nationalité. Les autorités ont décidé d’encadrer les missions spatiales, ou plus particulièrement les astronautes qui sont mandatés pour de telles missions. En effet, si un membre d’équipage canadien y commet un fait punissable par acte d’accusation, l’infraction est réputée avoir été commise au Canada360. D’ailleurs cette compétence est

prioritaire par rapport aux autres compétences détenues par le pays d’origine de la victime ou celui ayant produit l’élément de vol où a eu lieu l’infraction. Même s’ils échappent aux lois de l’attraction terrestre, les spationautes restent soumis à celles des hommes.

123.Conclusion section I. Les législations canadienne et française ont montré leur volonté

de lutter contre les crimes commis par leurs nationaux à l’étranger en dépassant la compétence territoriale et en mettant en place un système de compétence personnelle. Cependant la France en fait une compétence générale car elle n’est conditionnée principalement que par la nationalité de l’auteur de l’infraction tandis que le Canada en fait une compétence spéciale car le titre de compétence ne sera mis en œuvre que dans les cas d’infractions précises d’une certaine gravité. Le régime canadien suit souvent les engagements gouvernementaux dans des conventions internationales pour le choix des infractions relevant de ce chef de compétence. Il s’agit maintenant de s’orienter sur la victime de l’infraction.

358 Paragraphe 9(1) Ibid.

359 Accord entre le Gouvernement du Canada, les gouvernements d’Etats membres de l’Agence spatiale

européenne, le Gouvernement du Japon, le Gouvernement de la Fédération de Russie et le Gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur la coopération relative à la station spatiale internationale civile, fait à Washington le 29 janvier 1998, supra note 242.

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