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cinq micro-lectures du manuscrit de Stockholm *

Dans le document Pour le vingtième anniversaire de L (Page 23-34)

à la mémoire de saint Jérôme

Je commencerai par une précision terminologique à l‟intention des lecteurs peu familiers avec les manuscrits de Georges Perec. On appelle

« manuscrit de Stockholm », parce qu‟il est déposé à la bibliothèque royale de cette ville, un manuscrit des chapitres autobiographiques de W ou le souvenir d'enfance. C‟est David Bellos qui en a retrouvé la trace et qui en a reconstitué l‟historique1.

0. Quelques unes des choses que je ne ferai pas et quelques autres que je m‟efforcerai de faire

Je n‟aborderai pas ici les problèmes de datation, voire les différends que ce manuscrit a suscités, en particulier entre David Bellos et Philippe Lejeune.

Je n‟interviendrai pas davantage dans l‟histoire générale de l‟écriture de W, telle que Philippe Lejeune l‟a décrite2, en me demandant ce que ce manuscrit confirme ou infirme de cette histoire.

Je ne parlerai pas de l‟ensemble du manuscrit parce que je n‟en ai, pour l‟instant, qu‟une connaissance limitée, n‟ayant eu entre les mains que sa photo- copie et encore pour une durée limitée.

Mon point de vue ne sera pas celui du généticien que je ne suis pas (« j‟y connais rien, moi... vous me direz que si je n‟y connais rien, je n‟ai qu‟à pas écrire... Possible, mais je suis bien sûr que vous n‟en savez pas plus que moi sur ces trucs-là. D‟ailleurs vous seriez bien incapables d‟écrire cette histoire à ma place3 ! ») mais celui du « suffisant lecteur » que je m‟efforce d‟être.

Mon objet sera, comme toujours, le repérage de certaines relations que la lecture permet d‟établir entre des fragments de discours et la mise en lumière des effets de sens que ces relations sont susceptibles de produire. Cependant j‟opérerai ici dans un espace particulier : non plus le seul texte définitif de

' Cet article reprend, parfois légèrement modifiée, une communication faite à l‟Ecole normale supérieure le 5 juin 1999, à la demi-journée d‟étude consacrée au manuscrit de Stockholm.

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W, comme je l‟avais fait par exemple pour étudier les sutures4, mais le rapport entre deux textes : celui du manuscrit et celui du texte définitif. Ma lecture sera, en quelque sorte, stéréoscopique.

Je ne suis pas Gaspard Winckler. Je n‟adopterai donc pas pour relater ces effets de sens « le ton froid et serein de l‟ethnologue ». J‟ai travaillé à la fois avec les outils partiels et partiaux que je me suis forgés au cours de mes lectures, outils que certains connaissent et parfois utilisent, et à partir des hypothèses qui sont les miennes, mais que d‟autres quelquefois parta- gent. Outils et hypothèses que je pourrais succinctement résumer ainsi : l‟écriture autobiographique de Perec dit ce qu‟elle dit grâce à des formes- sens qu‟on appellera comme l‟on voudra — autobiographèmes, æncrages, métonymes, ou n‟importe quoi d‟autre — qui constituent à travers l‟œuvre entier un système récurrent et cohérent : l‟autobiotexte5.

Les cinq micro-lectures que je propose visent donc à répondre à la ques- tion suivante : puisqu‟il existe des variantes entre le texte du manuscrit et celui du livre, leur étude, ou du moins l‟étude de certaines d‟entre elles est-elle sus- ceptible d‟éclairer la construction de l‟autobiotexte ? Bien entendu, cette ques- tion, purement rhétorique, est d‟une totale mauvaise foi, puisqu‟elle contient sa réponse, à moins de supposer que je me lance dans ce travail uniquement pour en démontrer l‟inefficacité. Si l‟on écarte cette hypothèse masochiste, mes cinq micro-lectures peuvent être considérées au mieux comme pascaliennes (« Tu ne me chercherais pas, si tu ne m‟avais trouvé. »), au pire comme paranoïaques (« Dans la paranoïa, le mécanisme de délire est essentiellement interprétatif.

L‟interprétation morbide amène le malade à donner une signification allant dans le sens de son délire à des événements banals6. »), ces deux qualifications n‟étant d‟ailleurs pas forcément incompatibles. 1

1. De récriture à l‟inscription

Je réunis dans une même analyse deux séries de variantes qui me semblent avoir la mène portée (voir annexe 1).

La première de ces variantes concerne le chapitre U, c‟est-à-dire le premier chapitre de la partie autobiographique. Là où le manuscrit utilisait simplement le verbe décrire, le texte définitif a rajouté inscrire. Ce rajout manifeste l‟atten- tion accrue portée au signifiant graphique. La description est une activité d‟écri- ture orientée vers le rapport entre les signes et leurs référents. Sa fonction relève de l'effet de réel. L‟inscription s‟organise, différemment, selon deux pôles : d‟une part

l‟importance du support matériel concret comme lieu d‟une trace ; d‟autre part la volonté, par le choix de ce support concret, de conserver la trace d‟une information, de la transmettre. Sa fonction relève de la mémoire et de ses conditions de conserv ation. Cet aspect apparaît clairement dans la définition du Robert :

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1. Écrire, graver sur la pierre, le marbre, le métal (les signes linguis- tiques correspondant à une information à conserver).

2. Écrire qqch. (dans, sur un livre, une liste...) afin de conserver le souvenir ou de transmettre l‟information.

Dans la description, les signes et leur matérialité tendent à s‟effacer au profit du référent : toute description est guettée par l‟hypotypose7. Dans l‟inscription, la conservation matérielle des signes est primordiale : toute inscription relève peu ou prou du monumental.

La seconde série de variantes concerne le chapitre VIII et elle vise, comme la précédente, à souligner l‟importance de l‟inscription graphique dans l‟écri- ture. Les mots ne sont plus simplement écrits (au sens général, indifférencié), ils sont tracés : le message (ce « que je dis », ce « que j'écris ») ne se trouve pas dans des signes pris globalement, mais dans leur signifiant graphique : dans ce qui est tracé, dessiné, dans ce qui apparaît, c‟est-à-dire devient visible, distinct pour l‟œil (« L‟œil d‟abord... » : ainsi commencent Les Choses, et donc du même coup tout l‟œuvre de Perec).

Ce que dit W est donc inséparable de ce qu’Espèces d'espaces dit d‟em- blée de l‟écriture : que ce qui s‟y passe se passe dans la page, définie comme espace matériel permettant l‟apparition de traces tout aussi matérielles*. La leçon du livre, par rapport au manuscrit, est dans ce cas précis une leçon de matérialisme. I II

I Couple)

H

II s‟agit ici de la formule toujours citée, jamais commentée « l‟Histoire avec sa grande Hache » (p. 13). Pour une analyse plus détaillée et notamment pour les enjeux de ce calembour, je renvoie à ma communication de Copenha- gue9. Mais j‟avais fait cette communication sans connaître le manuscrit, où Pe- recaécrit :« l‟histoire avec un grand H », la formule finale n‟apparaissant que dans le livre (voir annexe 2).

J‟avais terminé mes remarques en évoquant les problèmes que ce calem- bour posait aux traducteurs et stigmatisé ceux qui avaient négligé le calembour, privilégiant la traduction métalinguistique (« l‟histoire avec un grand H ») et du même coup (de hache) supprimant toute référence à l‟isotopie de la cassure. Je leur avais reproché de traduire un texte que Perec n‟avait pas écrit.

J‟avais tort. Ils ont fait pire : ils ont traduit le texte que finalement Perec s‟est refusé à écrire. Ils sont revenus à un état du texte que Perec avait jugé défectueux. Mais en 1 ‟ occurrence, Perec correcteur corrigé, c‟ est beaucoup moins drôle que l‟arroseur arrosé.

Je remarquerai simplement que le texte du manuscrit relève d‟un lieu com- mun : l‟opposition entre la petite histoire (individuelle) et la grande (univer- selle) traîne partout. La preuve, on la trouve même chez Doubrovsky :

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« L‟Histoire, avec un grand H, domine et efface les petites histoires10 ».

Conclusion : les traducteurs qui annulent le calembour ramènent l‟écriture autobiographique de Perec à celle de Doubrovsky. Sans commentaire.

3. Construction d‟une texture

La variante que je vais examiner maintenant concerne le second souvenir d‟enfance raconté par Perec. Elle semble minuscule : elle porte sur un seul mot D‟une pièce avalée, Perec écrit d‟abord (manuscrit) qu‟on la retrouve le lende- main dans « mon pot », puis (livre) dans « mes selles » (voir annexe 3).

En ce qui me concerne, je ne commenterai pas le déplacement métonymi- que par lequel on passe du contenant au contenu. 11 se trouvera bien un psycha- nalyste pour le faire.

On peut songer à une correction stylistique : quelques lignes plus haut Perec, donnant une version différente de ce souvenir, écrit : « je suis sur le pot quand mon père rentre du travail ». Le mot selles supprimerait une répétition jugée maladroite.

Mais, quelles qu‟en soient les raisons, les conséquences du remplacement ne sont pas neutres.

D‟une part il s‟opère là un changement de focalisation. Avec « pot », mot du vocabulaire enfantin, la focalisation se fait sur l‟enfant Avec « selles », mot du vocabulaire médical, la focalisation se fait sur le narrateur adulte. Ainsi est maintenue, par rapport au souvenir dont il est donné ici plusieurs versions diffé- rentes, une distance critique qui se manifeste aussi ailleurs par le recours aux notes et aux parenthèses.

D‟autre part, et c‟est pour moi l‟essentiel, il faut suivre la leçon matéria- liste dont j‟ai parlé à propos de la première série de variantes. Il faut regarder la différence des signifiants.

Question : Qu‟est-ce que l‟on fait en traçant le mot « selles » et que l‟on ne fait pas en traçant le mot « pot » ?

Réponse : Un palindrome, c‟est-à-dire un mot dont les lettres peuvent se lire indifféremment de gauche à droite et de droite à gauche en conservant le même sens.

Question : Et alors ?

Réponse; Alors, si le dernier mot de ce second souvenir d‟enfance peut se litt de droite à gauche, il permet de rattacher formellement (et indépendamment de son contenu) ce second souvenir au premier, qui évoque un caractère (encore une histoire de lettre) hébraïque déchiffré dans des journaux yiddish, donc des journaux qui se lisent de droite à gauche.

Grâce à la variante, la judéité explicite du premier souvenir d‟enfance (« journaux yiddish », « lettre hébraïque ») se trouve reliée à la judéité im- plicite du second rendue manifeste par l‟examen attentif du signifiant gra-

phique : « c‟est cela seulement qui se trouve dans les mots que je trace... » Et c‟est cette relation que j‟appelle une texture, c‟est-à-dire quelque chose qui fait qu‟un écrit devient texte : il n‟y a plus ici simple succession de deux souvenirs, mais véritable tissage de l‟un avec l‟autre par une opération qui ne peut avoir lieu que sur la page.

4. Construction d‟une suturé

La séquence sur laquelle je vais maintenant m‟attarder comporte trois va- riantes (voir annexe 4) :

a) « 13 ans » devient « treize ans » ; b) «A 31 ans » devient « Il y a sept ans » ;

c) « je me souvins que » devient « je me souvins tout à coup que ».

Je n‟examinerai que les variantes a et b, qui me semblent liées entre elles.

Le manuscrit fait apparaître deux choses importantes :

— d‟une part un système de datation objective par rapport à un fait histo- riquement daté et repérable : la date de naissance du narrateur, dont le lecteur prendra connaissance un peu plus loin (« Je suis né le samedi sept mars 1936 ») ;

-^d‟autre part un effet de chiasme entre les chiffres 13 et 31, qu‟on peut rattacher à l‟æncrage des symétries bilatérales, dont on a déjà rencontré un exem- ple dans la variante précédente avec le mot palindrome « selles ».

Le texte définitif apporte sur ces deux points des modifications considérables.

La seconde datation est subjective : elle est établie par rapport au temps de l‟énonciation. L‟événement narré (le souvenir du titre) n‟est pas daté par rapport à un autre événement daté du récit, mais par rapport à un événement par définition extra-diégétique : l‟acte narratif producteur du récit dans lequel il figure. On retrouve donc ici l‟importance du je écrivant par rapport au je écrit. Le repère temporel n‟est plus l‟acte de naissance, mais l‟acte d‟écriture. Pour pouvoir dire «je suis né », il faut d‟abord pou- voir écrire «j‟écris », ce que souligne d‟ailleurs l‟analepse : si la séquence du souvenir à Venise, puis celle des circonstances de l‟écriture de W se trouvent au chapitre II, c‟est seulement au chapitre VI que sera indiquée la date de naissance du narrateur.

En faisant disparaître le « 31 », ce nouveau mode de datation a comme autre conséquence de détruire le chiasme numérique 13 / 31, déjà mis à mal par le choix d‟une graphie en lettres pour le premier nombre. D‟un point de vue axiologique (par exemple dans la perspective d‟un « RAPT », pratique familière aux lecteurs de Formules"), on pourrait y voir une détérioration, puisque avec le chiasme disparaît un æncrage important. En réalité, cette perte est com- pensée, — rémunérée si l‟on préfère un terme mallarméen — par la cons- truction d‟un autre type de relation : une suture.

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Je rappelle que, s‟agissant de Wou le souvenir d'enfance, je nomme suture la présence de lexies identiques ou similaires dans deux chapitres contigus5 * * * * * * 12 * (donc appartenant l‟un à la fiction, l‟autre à l‟autobiographie, compte tenu de la structure du livre11). En écrivant « Il y a sept ans », Perec reprend presque mot pour mot une lexie du chapitre précédent, ap- partenant à la fiction : « Il y a ... ans », la similitude entre les deux lexies étant encore accrue par l‟identité de la localisation : « à Venise » (voir an- nexe 4). Il modifie donc son texte autobiographique définitif en fonction du texte fictionnel (qui, je le rappelle, date de 1970 et a déjà paru en feuilleton dans La Quinzaine littéraire). Contrairement à ce qu‟affirme un peu vite David Bellos14, le manuscrit permet de repérer le travail de suture, à condi- tion de ne pas le considérer seul mais dans son rapport au texte définitif.

Cette variante montre Perec mettant en place une de ces « fragile[s]

intersection[s] » dont il parle dans le prière d‟insérer de son livre. Ce faisant, en préférant à un effet de symétrie locale facilement repérable (13/31) une figure plus discrète15 exigeant le rapprochement d‟éléments disjoints, il demande à son lecteur un effort de mémoire : comme saint Jérôme représenté dans son ca- binet de travail par Antonello de Messine16, ce lecteur doit revenir en arrière dans le livre qu‟il est en train de lire, il doit se reporter à ce qu‟il adéjà lu, il doit lire à rebours. Cette lecture « à vice-versa » (l‟expression se trouve dans le grand palindrome) nous ramène du coup vers l‟æncrage des symétries bilatérales dont la disparition dans le texte définitif n‟ était finalement que superficielle. De visi- ble, l‟æncrage est devenu « scriptible » : c‟est au lecteur qu‟il appartient de le construire en suivant, une fois de plus, « les chemins qui lui ont été ménagés dans l‟œuvre17 ».

5. L‟augmentation

Un de mes exemples favoris pour attester l‟existence d‟un æncrage arithmétique du 11 est la liste des « énoncés impliquant à plus ou moins juste titre une latéralité et/ou une dichotomie », liste qui comporte précisé-

ment 11 items et se termine par un « etc. » signifiant que l‟énumération s‟achève volontairement à 11, un peu comme la clausule de « Quelques

unes des choses qu‟il faudrait tout de même que je fasse avant de mourir » précisait : « Je m‟arrête volontairement à trente-sept" », ce qui, soit dit en passant, aurait pu aussi servir de justification au nombre de chapitres de W.

Or le manuscrit apporte la preuve que cette liste n‟a pas été écrite d‟em- blée, mais progressivement augmentée, par repentirs successifs, pour atteindre

ses 11 éléments. D‟abord, Perec énumère six couples, suivi d‟un « etc. ».

Puis il barre « etc. » et ajoute trois nouveaux couples. Ces deux gestes se succèdent dans la continuité de l‟écriture : même encre, même graphie. Le troisième est postérieur : c‟est, sur la page de gauche et d‟une écriture nettement différente, l'ajout de deux couples, qui, dans la version défïni-

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tive, occuperont respectivement les deuxième et quatrième place19. On a donc ici la trace d‟un réglage numérique par augmentation qui me semble être l‟équivalent (inversé dans son fonctionnement, mais identique dans sa fonction) du réglage numérique par suppression mis en œuvre dans la fa- brication d‟une boule de neige dont la version primitive dactylographiée culminait avec un mot de 14 lettres alors que la version définitive publiée choisissait comme centre un mot de seulement 11 lettres20. Dans les deux cas, il s‟agit de remplacer un réglage arithmétique arbitraire par un réglage arithmétique biographiquement motivé : bref faire d‟une contrainte un æncrage. Et s‟agissant de W ou le souvenir d’enfance, je reste persuadé, comme je l‟ai déjà rappelé ailleurs21, que c‟est une démarche de ce type qui amène Perec à renoncer à la construction primitivement prévue pour son récit (3 parties de 19 chapitres) et à choisir la forme que nous lui connais- sons, où les 11 chapitres de la première partie connotent la mort des pa- rents, les 26 chapitres de la seconde partie l'écriture par allusion aux 26 lettres de l‟alphabet et les 37 chapitres du livre la survie du sujet Perec par chiffrage d‟une partie de sa date de naissance (un 7/3). Triple motivation que le texte, de surcroît, inscrit noir sur blanc : « l'écriture est le souvenir de leur mort et l‟affirmation de ma vie22. »

5. Bilan provisoire

David Bellos a insisté sur la grande proximité entre le manuscrit de Stockholm et le texte définitif de la partie autobiographique de W ou le souvenir d'enfance22. C‟est globalement et surtout quantitativement vrai.

Mais l‟intérêt des variantes ne relève pas d‟une simple analyse quantitative.

La modification d‟un seul mot est parfois lourde de conséquence, comme j‟espère l‟avoir montré avec le passage de « pot » à « selles ». C‟est d‟ailleurs, entres autres raisons, pour rappeler l‟importance d‟une approche qualita- tive que je me suis attardé ici sur des variantes plutôt minuscules.

L‟étude du manuscrit me semble indubitablement confirmer ma théorie des æncrages, pourvu qu‟on ne se méprenne par sur ses enjeux : il ne s‟agit évidemment pas de rechercher dans les avant-textes les preuves d‟une hypothé- tique intentionnalité concernant la signification que ces formes-sens pouvaient avoir aux yeux de Perec. Le manuscrit montre les traces matérielles d‟un travail d‟écriture qui a le plus souvent pour effet d‟accroître la présence et le rôle de plusieurs de ces formes (ainsi, dans certaines des variantes que j‟ai retenues, le 11 et les symétries bilatérales). Cela ne présuppose en rien chez le scripteur une conscience plus claire de leurs effets de sens et en particulier de leur rela- tion à l‟autobiographie. En comparant le texte définitif et le manuscrit de W, je constate qu‟il y a des modifications successives du nombre des items dans une énumération et que ces modifications cessent lorsque ce nombre atteint 11. Rien ne m‟autorise à tenir pour assuré que ce nombre soit cons-

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ciemment retenu par Perec ni qu‟il le retienne parce qu‟il veut ainsi désigner implicitement la mort de sa mère. Je peux tout au plus affirmer que, compte tenu de ce que l‟on peut repérer dans l‟œuvre entier s‟agissant du nombre 11, ces deux hypothèses ne sont pas entièrement invraisemblables.

On me permettra de citer, pour être clair sur ce point, cet extrait d‟un entretien inédit de Perec avec Bernard Pous, qui me concerne directement :

B.P. — Dans vos livres interviennent souvent la coupure, les blessures, celles du livre, des personnages. [...]

GP. — Vous connaissez Bernard Magné, qui est prof à Toulouse ? [Ré- ponse négative.] Il fait un cours sur La Vie mode d’emploi cette année. Il a remarqué un truc tout à fait extraordinaire, c‟est que la figure centrale de La Vie mode d emploi, c‟est [Perec cherche dans un exemplaire de W\ cette lettre hé- braïque dont je dis que je me souviens et qui serait mon premier souvenir : c‟est un carré avec une brisure [...]

B.P. —Celacorrespond à une vision pessimiste ? GP. — Non, non, c‟est quelque chose qu‟on me dit24.

J‟avoue qu‟il ne m‟est pas tout à fait indifférent de voir que, d‟un même

J‟avoue qu‟il ne m‟est pas tout à fait indifférent de voir que, d‟un même

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