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Le souvenir de la répression compte énormément dans la socialisation politique de Mikel. Son enfance a été marquée par la présence de la garde civile et les abus du franquisme : « La première fois que j’ai vu la répression

dans mon village, j’avais 7 ans ou 8 ans. C’était l’époque de Franco et il y avait une fête folklorique basque avec des danseurs. Il y a eu un mouvement spontané et les flics sont venus. Il y a eu de la répression. Moi, j’ai regardé cela avec des yeux d’enfants. Je voyais la réaction de mon père. Il y avait une sorte d’excitation.

[Plus tard], c’était l’époque du procès de Burgos… J’ai

vu les manifestants dans mon village avec beaucoup de répression ». Par la suite, à l’issu de son service militaire,

un de ses amis proches est tué par la garde civile. Il appartenait à l’ETA. « La nuit, il raccompagne sa copine

à la maison et lorsqu’il rentre chez lui, on l’enlève et son corps est retrouvé avec cinq balles. […] J’ai réalisé que cette action avait eu lieu dans mon village. Ça pouvait m’arriver ».

La répression prendra aussi la forme de la discrimination ressentie lorsqu’il est envoyé au service militaire dans une

caserne très dure, « presque une caserne pénitentiaire » qui selon lui était réservée aux « politiques » comme les Basques. « Notre boulot consistait à faire les poubelles,

et ça a duré 18 mois ». Mais c’est bien sûr la torture

qui marque Mikel, qui la constate dans son entourage proche : « On a vu comment des copains sont sortis

après avoir été torturés. Dans mon village en 1994, mis à part l’arrestation des jeunes dont je vous ai parlé avant, il y a des personnes plus âgées que nous qui ont été arrêtées. […] Il y a des gens qui en sont ressortis très mal. Ils boîtaient. […] Cela crée la rage mais en même temps on est convaincu d’être dans le bon chemin ».

Mikel reviendra sur ce sentiment de haine très fort qui peut servir de moteur à l’action militante : « Il y a peut-

être de la haine. Quand vous voyez que la caserne était à 500 mètres du village et qu’ils ne sortaient que pour réprimer. Bien sûr il y avait de la haine ». Mikel raconte

qu’il a ainsi été victime d’un simulacre d’exécution par la garde civile à l’âge de 17 ans, dans la cour d’une caserne. Enfin, une fois en France au début des années 1980, Mikel vit très mal la répression du GAL : « Ça crée

beaucoup de tensions ». Il reconnaît que son entrée en

clandestinité en France alors qu’il était « réfugié » tient à la menace que fait peser le GAL sur sa vie : « À cause

des GAL, toute la structure est restée clandestine et la façon de vivre change. […] Pendant 15 ans j’ai été en cavale ». Le stress créé par la clandestinité et la menace

constante sur sa propre vie ainsi que sur la responsabilité que l’on porte dans le fait de commettre des attentats est grand et douloureux : « Il y a une responsabilité

et cela génère une paranoïa, un stress. […] C’est une sorte d’emprisonnement personnel ». D’ailleurs Mikel

reconnaît avoir été soulagé d’être arrêté par la police française et ainsi libéré de ce stress : « Quand je suis

tombé, on m’a dit : “Putain tu es tombé”. Il y a de la honte mais pour moi ça a été une sorte de libération ».

On observe chez Mikel une véritable adulation pour l’ETA perçu comme « des Zorro qui donnaient une réponse à

la répression qu’il y avait à l’époque ». Il soulignera

à plusieurs reprises cette mythification de l’ETA qu’il assume : « Bien sûr c’était un mythe. […] Lorsque vous

vivez dans un village où il y a une répression constante,

[…] si quelqu’un se rebelle, [on l’applaudit] ». Pedro fait lui aussi écho au mythe du gudari : « Pour moi, le gudari,

c’est un mythe, il n’a ni nom ni prénom. C’est un mythe. C’est une référence qui peut rendre meilleur militant. […] Pour moi ce sont des martyrs. Moi, je les vois comme cela. Pour moi, les gudaris de l’ETA c’est un mythe que

l’on ne peut pas toucher ». Aitzol est plus mesuré dans

son rapport au mythe de l’ETA : « Le mot fascination me

gêne. Il y a du respect, beaucoup de respect ».

Aitzol, de façon identique, se déclare profondément choqué par la mort d’un de ses camarades dans un échange de coups avec la Garde civile : « Il y a des trucs

comme cela [la mort d’un militant des CAA] qui m’ont beaucoup marqué. […] Après on a eu connaissance de tortures. À l’époque c’était systématique quand on était arrêté ». Lui-même se souvient avoir été frappé durement

dans la caserne de la GC alors qu’il avait été arrêté avec ses amis à la sortie de l’école suite à un enlèvement signé ETA. La torture joue aussi un rôle de révélateur et de culpabilisation pour Aitzol : « La torture, c’est quelque

chose que l’on craint, et l’on sait que cela va arriver. Quelque part on assume, même avec des états d’âme. Par exemple j’ai pu échapper à la torture mais le fait que d’autres que je connaissais ont été torturés, cela m’a posé des problèmes. Je me demandais pourquoi moi j’avais réussi à y échapper et pourquoi pas d’autres ».

Pour Pedro, la torture et la répression vont être vécues comme centrales et expliquer l’engagement : « Je n’ai pas

été arrêté mais ils chargeaient, ils frappaient. C’était très quotidien. […] Chaque jour il y avait des attaques de la police. […] La répression c’est comme un couteau avec deux crans. D’un côté quelques personnes vont avancer et de l’autre quelques personnes vont reculer. […] Ils torturaient tout le monde. Quand tu vois ça tu te dis c’est plus possible ! ». Mais pour Pedro, l’expérimentation

de la torture et de la répression est surtout la preuve d’un engagement total admirable qui force à s’engager ; c’est pour lui un moteur dominant des raisons de son engagement : « La répression, c’est important pour

comprendre notre engagement […] Je suis arrivé en prison en Espagne en 2005. […] Jusque-là j’étais très rationnel, très politisé, mais à partir de là j’ai connu un militant qui avait passé 40 ans en prison. Je me suis dit que ce n’était pas possible qu’un ami à moi passe 40 ans en prison. Je crois que c’est ce genre de chose qui fait que les gens vont vers un engagement plus total. […] Je suis socialiste mais pour arriver à cela je ne suis pas prêt à aller jusqu’au bout. Les choses qui me font aller jusqu’au bout ce sont les choses sentimentales, les choses qui se répètent comme la répression et la torture ».

Pedro reconnaît le rôle des émotions dans son engagement et celui des membres de l’ETA : « Lorsque

militants et quelques-uns disaient qu’ils avaient un peu lutté pour la haine117. D’autres militants disaient qu’ils

avaient lutté pour l’amour. Si j’avais passé 40 ans en prison ce n’est pas pour la haine. Si je passe 40 ans de prison, c’est pour l’amour : l’amour de mes proches, l’amour de mon pays, l’amour d’une société plus juste. La haine et l’amour ce n’est pas très différent ». Pour Pedro,

la militance dans l’ETA est une forme d’obligation morale et de voie naturelle, et il lui semble très difficile de quitter la lutte armée, car cela signifie abandonner le référentiel ETA : « Nous sommes nés avec ETA. Dans notre tête il

y a la culture de la lutte, de la lutte armée. Après on a toujours fait les choses de la même façon. Et maintenant il faut tout changer. C’est un changement de toute une philosophie ».

Les Basques d’Iparretarrak :