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Chaleur spécifique à haute température : modélisation des phonons 87

6.2 Spectre d’excitations étudié par chaleur spécifique

6.2.1 Chaleur spécifique à haute température : modélisation des phonons 87

Dans la pratique, il est difficile d’avoir une estimation rigoureuse de la chaleur spé-cifique due aux phonons. Dans certains cas le spectre de phonons peut être connu par diffusion de neutron ou calculs ab initio. Une autre solution consiste à utiliser des com-posés analogues non magnétiques. Notons que même cette solution n’est pas parfaite car le spectre des phonons dépend de la taille et de la masse des atomes ce qui nécessite une renormalisation à haute température par rapport à la chaleur spécifique du premier composé.

Malheureusement, dans le cas de DQVOF il n’existe pas de composé parent non magnétique. Il est donc nécessaire d’ajuster les courbes à haute température en supposant que seuls les phonons sont à prendre en compte, ce qui semble raisonnable dans la limite où T > θ. Pour cela, nous utilisons les modèles théoriques existant d’Einstein et de Debye [Ashcroft and Mermin, 1976; Kittel,1966] :

CE = 3N R TE T 2 eTE /T (eTE /T−1)2 (6.21) CD = 9N RTT D 3 RTD/T 0 x4ex (ex−1)2dx (6.22) où TE (TD) est la température de Einstein (Debye), N le nombre d’atomes dans une maille de composé et R la constante des gaz parfaits. Ces deux quantités représentent la chaleur spécifique molaire et sont exprimées en J.mol−1.K−1. Lorsque T → ∞ elles donnent toutes les deux C = 3N R qui représente la loi de Dulong et Petit.

Les phonons acoustiques pour lesquels la fréquence ω tend linéairement vers 0 pour les grandes longueurs d’ondes (q → 0) sont mieux modélisés par le modèle de Debye. Les phonons optiques pour lesquels ω a une valeur finie lorsque q → 0 sont mieux modélisés par le modèle d’Einstein. Ainsi, la chaleur spécifique due aux phonons dans un matériau polyatomique pourra être modélisée suivant :

Cphonons= NacCD+ NopCE (6.23)

où Nac et Nop sont le nombre de branches acoustiques et optiques. Il est théoriquement possible de connaître les valeurs de Nac = 3 et Nop= 3s − 3 où s est le nombre d’atomes dans la maille du composé. Ainsi, pour DQVOF qui possède 63 atomes dans sa maille nous devrions avoir Nac = 3 et Nop= 186.

Cependant, le spectre de phonons et les températures de Debye et de Einstein vont être différents pour chaque type d’atome, plus l’atome sera léger plus la température

caractéristique va être élevée. Nous allons donc utiliser l’équation 6.23 comme équation phénoménologique. Pour ne pas être gêné par la partie magnétique nous n’ajustons les courbes expérimentales que sur une gamme de température Tmin < T < Tmaxoù Tmin > θ. Le choix de Tmin est décidé par une itération prenant en compte l’entropie magnétique lorsque T → +∞ : Smag = Z +∞ 0 Cmag T dT = R X i Niln(2Si+ 1) (6.24)

où Si est le spin de chaque atome magnétique i et Ni leur nombre dans la maille. Dans le cas de DQVOF nous devons avoir Smag = R(6 ln(2) + ln(3)) compte tenu des 6 spins 1/2 et d’un spin 1 par maille cristalline. Ainsi en calculant l’entropie magnétique et en comparant sa valeur lorsque T → +∞ avec la valeur théorique attendue nous pouvons savoir si l’ajustement de la chaleur spécifique due aux phonons est cohérent et donc si la Tmin choisie est correcte.

Notons toutefois que l’entropie que nous calculons ici est en fait la différence d’entro-pie entre la valeur à la plus faible température sondée (350 mK) et la valeur à la plus haute température sondée (250 K). Il est possible que cette valeur ne vaille pas exac-tement R(6 ln(2) + ln(3)). En effet, si les ions V3+ sont complètement paramagnétiques leur valeur d’entropie magnétique sans champ appliqué sera la même pour toutes les températures sondées, nous aurons donc une valeur d’entropie maximale valant 6R ln(2). On verra cependant dans la suite qu’il existe une levée de dégénérescence résiduelle de 0.6 K pour les V3+ qui se traduit par une faible contribution à l’entropie magnétique. La correction qui pourrait être apportée à Smag semble donc mineure. De plus, dans le cas d’un état fondamental liquide de spins sans gap, les excitations magnétiques d’énergie E/kB < 350 mK ne sont pas prises en compte dans le calcul de la différence d’entropie, la valeur de cette dernière sera donc aussi abaissée. Cependant, la température la plus basse sondée (350 mK) est faible devant la valeur des interactions dans les plans kagomé (∼ 0.006 Jkago), cette correction sera donc faible. À partir des études des séries haute température [Misguich and Sindzingre, 2007] nous l’avons estimée entre 0 et 5 % de la valeur totale.

La figure 6.3 résume les différentes étapes permettant de connaître la chaleur spécifique due aux phonons :

i ajustement des phonons en prenant Tmin > θ arbitrairement. ii soustraction de Cphonons à Ctotal pour avoir Cmag.

iii calcul de SmagExp et comparaison avec la valeur attendue SmagTh . iv si SmagExp 6= SmagTh retour sur i avec un nouveau Tmin.

Les paramètres pour le meilleur ajustement trouvé sont TD = 214 K, TE = 492 K, Nac = 18.32 et Nop = 26.49 et l’ajustement a été fait sur la plage 100 K< T <250 K. Nous remarquons de plus qu’en dessous de 5 K la chaleur spécifique due aux phonons est négligeable et qu’au dessus de 40 K, seule cette dernière contribue au spectre d’excitations de DQVOF.

Figure 6.3 – Chaleur spécifique de DQVOF divisée par la température en fonction de la température. Les symboles noirs représentent la chaleur spécifique totale, la courbe rouge est l’ajustement de la chaleur spécifique due aux phonons et les symboles bleus représentent la chaleur spécifique magnétique. Insert : entropie magnétique en fonction de la température. Le fait de trouver Smag = R(6 ln(2) + ln(3)) à haute température confirme la cohérence de l’ajustement.

6.2.2 Spectre d’excitations magnétiques : chaleur spécifique à

basse température

Une fois les phonons soustraits, la chaleur spécifique restante provient uniquement du magnétisme des plans kagomé et du magnétisme des ions V3+ interplans quasi parama-gnétiques.

La chaleur spécifique de DQVOF présente un pic à basse température évoluant en fonction du champ appliqué (figure 6.4). Il semble naturel d’attribuer ce pic aux ions vanadium interplans quasi paramagnétiques dont la contribution est une anomalie de Schottky de spin 1 : CV3+ = f kBNA ES=1 T 2 4 + eES=1/T + e−ES=1/T [1 + eES=1/T + e−ES=1/T]2 (6.25) où f représente la fraction de spin 1 participant à cette chaleur spécifique et ES=1(H) = gintµBH/kB est l’énergie magnétique par spins 1 exprimée en K. La figure 6.4 présente aussi une remontée de chaleur spécifique à plus basse température pour des champs supérieurs à 5 T. Nous avons attribué ce pic à une anomalie de Schottky provenant des spins nucléaires 1/2 des ions fluor et des protons présents dans le matériau. Nous avons ajusté cette contribution sans paramètres libres.

Dans une première approche nous considérons que la chaleur spécifique due aux plans kagomé est indépendante du champ appliqué. Pour pouvoir séparer les différentes contri-butions nous avons soustrait la courbe obtenue sans champ magnétique aux courbes obtenues sous champ magnétique afin de n’ajuster que les contributions dépendantes du champ, les anomalies de Schottky. Nous avons supposé que même sans champ magné-tique, les ions V3+ contribuent à la chaleur spécifique, nous avons donc utilisé comme

Figure 6.4 – Chaleur spécifique magnétique totale divisée par la température en fonction de la température sous différents champs appliqués.

équation :

∆C(H) = CV3+(H) + Cfluor, proton(H) − CV3+(0) (6.26) Nous avons ajusté les courbes sous différents champs en partageant f et ES=1(0), en fixant le champ appliqué H et en laissant libre ES=1(H).

Nous remarquons sur la figure 6.5 que les ajustements permettent de bien rendre compte des courbes expérimentales. De plus, ES=1 est relativement bien décrite par une évolution linéaire par rapport au champ appliqué comme attendue pour l’effet Zeeman, il est alors possible de déduire gintde l’ajustement linéaire. Nous obtenons pour les différents paramètres : f = 0.5(1), gint = 2.0(1) et une énergie magnétique lorsque le champ est nul valant ES=1(0 T) = 0.6(1) K. Les valeurs de f et de gint sont cohérentes avec celles trouvées pour les ajustements de la susceptibilité et de l’aimantation à basse température, en particulier nous retrouvons que la fraction de spins 1 quasi-libre est la moitié du nombre de V3+ dans DQVOF.

Si l’on soustrait les anomalies de Schottky calculées précédemment aux courbes de chaleur spécifique magnétique, nous obtenons les courbes représentant uniquement la chaleur spécifique des plans kagomé (figure 6.6). Notons que nous obtenons une unique courbe quel que soit le champ appliqué, nos ajustements rendent donc bien compte de la chaleur spécifique dépendante de H. Ainsi, la chaleur spécifique des plans kagomé semble être peu dépendante du champ appliqué comme nous l’avions supposé précédemment et présente un maximum pour T ∼ 20 K ∼ 0.3 Jkago. Des études par séries haute tempéra-ture sur le système kagomé ont montré qu’un pic de chaleur spécifique est attendu pour T . 0.1 J pour des modèles d’état fondamental avec ou sans gap dans le spectre d’exci-tations [Misguich and Bernu, 2005]. La différence entre la valeur expérimentale trouvée pour DQVOF et la valeur théorique attendue peut venir de la trimérisation du composé. De plus, un pic que nous ne retrouvons pas expérimentalement est aussi théoriquement attendu vers T = J . Il est possible que nous ayons soustrait une contribution de phonons trop importante qui cacherait ce pic de chaleur spécifique.

Figure 6.5 – Gauche : C(H)/T − C(0)/T en fonction de la température pour les différents champs appliqués. Les courbes sont les ajustements des données (voir texte). Droite : évolution de ES=1 en fonction du champ appliqué et ajustement linéaire.

Figure 6.6 – Gauche : chaleur spécifique des plans kagomé en fonction de la température sur une plage allant de 0 K à 10 K pour différents champs appliqués et ajustement linéaire. Droite : chaleur spécifique des plans kagomé sur une plage de température plus grande.

Si l’on ajuste les courbes à basse température nous pouvons voir que la chaleur spé-cifique a un comportement linéaire caractéristique de la présence de nombreuses excita-tions fermioniques de basses énergies (Ckago = γTα) avec γ = 1500(50) mJ.mol−1.K−2 et 1 ≤ α ≤ 1.2. Un comportement similaire à été trouvé dans l’Herbertsmithite avec α ∼ 1.3 [De Vries et al., 2008]. Notons que ce comportement à basse température n’est pas attendu dans le modèle de Dirac, liquide de spins sans gap, où la chaleur spécifique se comporte en T2 [Hermele et al., 2008] et se rapproche plus d’un modèle liquide de Fermi standard pour un métal.

Indépendamment du modèle, aucun signe de transition n’est visible sur les courbes de la figure 6.5. Ce comportement montre que DQVOF semble stabiliser un état liquide de spins sans gap ou avec un gap inférieur à 350 mK (∼ Jkago/150) malgré le fait que la trimérisation du réseau et que la faible valeur supposée de l’interaction DM suggèrent un état SRRVB gappé.