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Caractérisation de l’Herbertsmithite : état fondamental et dévia-

1.2 Déstabilisation de l’état de Néel

2.1.2 Caractérisation de l’Herbertsmithite : état fondamental et dévia-

Un état fondamental liquide de spins

La première grandeur d’intérêt pour tout matériau magnétique est la susceptibilité magnétique χ. Cette mesure a d’abord été réalisée sur des poudres [Helton et al., 2007]. Un ajustement, utilisant les séries haute température pour des spins 1/2 sur le réseau kagomé [Elstner and Young, 1994], fournit une valeur de couplage J = −180(10) K. De plus, d’après la figure 2.3, il n’y a aucun signe de transition magnétique jusqu’à au moins 1.8 K. Ceci témoigne de la forte frustration des interactions dans ce composé. Des mesures plus fines de susceptibilité jusqu’à 100 mK n’ont aussi montré aucun signe de transition [Bert et al.,2007].

La technique la plus poussée pour sonder la présence de magnétisme statique dans les matériaux est la µSR. Les travaux effectués durant cette thèse se basant en partie sur cette technique, elle sera développée plus en détails dans la partie II. Les premières expériences de µSR sur l’Herbertsmithite ont été faites sur des poudres [Mendels et al.,

2007] (figure 2.4). D’après cette étude, il n’y a pas de gel de spins jusqu’à au moins 47 mK (∼ 2.10−4 J ) donnant ainsi la première évidence du caractère liquide de spins du composé.

Un spectre d’excitations sans gap

La diffusion de neutrons permet de sonder directement les excitations du matériau. Les premières expériences de diffusion de neutrons ont été effectuées sur des poudres [Helton et al., 2007; De Vries et al., 2009; Helton et al., 2010; Nilsen et al., 2013] et ont permis

Figure 2.3 – Gauche : inverse de la susceptibilité macroscopique de l’Herbertsmithite. La courbe rouge est un fit en Curie Weiss. Droite : chaleur spécifique sous champ nul. La courbe bleu est un fit linéaire effectué entre 106 et 400 mK. La courbe rouge est un fit donnant C ∝ Tα avec α = 2/3. Extrait de [Helton et al., 2007]

Figure 2.4 – µSR sur des poudres d’Herbertsmithite d’après [Mendels et al., 2007]. Gauche : dépolarisation des muons en fonction du temps sous différents champs lon-gitudinaux appliqués à 50 mK. Il y a une absence de gel magnétique et donc un état fondamental liquide de spins dans le composé. De plus la comparaison entre les échan-tillons protonés (H) et deutérés (D) sans champ appliqué montre que la dépolarisation des muons est principalement due aux couplages avec les spins nucléaires. Droite : évo-lution en température du taux de dépolarisation sur l’Herbertsmithite et un composé de la même famille. Le ralentissement des fluctuations est très certainement dû aux défauts magnétiques interplans [Kermarrec et al., 2011].

Figure 2.5 – Gauche : déplacement du centre des différentes raies (∼ χint) en fonction de

la température d’après [Olariu et al.,2008]. Deux raies différentes ont été sondées reflétant des substitutions Cu/Zn dans les plans Kagomé. Les points rouges correspondent au cas où un ion oxygène est relié à deux ions cuivre du plan kagomé. Les points bleus au cas où un ion oxygène est relié à un ion cuivre et un ion zinc des plans kagomé. Droite : mesure de l’inverse du temps de relaxation en fonction de la température suivant les différents sondes RMN utilisées d’après [Mendels and Bert,2011].

de souligner le caractère liquide de spins du fondamental de l’Herbertsmithite avec un continuum d’excitations non gappé (∆ < 10 K). La synthèse de monocristaux a permis de faire des analyses de neutrons plus poussées sur ce composé [Han et al., 2012]. Ces dernières ont aussi montré un continuum d’excitations pouvant être interprété comme un continuum de spinon pointant vers un état fondamental liquide de spins sans gap ou avec un gap inférieur à J/10.

La chaleur spécifique est une sonde directe du spectre d’excitations total. Des ana-lyses fines prenant en compte le comportement sous champ magnétique de la chaleur spécifique à basse température [De Vries et al.,2008] ont montré que la courbe de chaleur spécifique kagomé peut être ajustée en loi de puissance avec α = 1.2, pointant vers un état fondamental liquide de spins sans gap.

La RMN est une technique permettant de sonder le magnétisme des matériaux de manière locale. Les travaux effectués durant cette thèse se basant en partie sur cette technique, elle sera développée plus en détails dans la partie II. Il s’agit d’une technique puissante permettant de sonder directement le magnétisme des plans kagomé par un choix judicieux du noyau sonde. Par RMN de l’17O [Olariu et al., 2008], l’analyse du déplacement du centre des raies (shift) en température a montré que la susceptibilité locale des plans kagomé possède un maximum large de susceptibilité entre 150 K et 50 K ainsi qu’une susceptibilité finie à basse température pointant vers un état liquide de spins sans gap (figure 2.5). De plus, toutes les mesures sur des poudres montrent un comportement du T1 en loi de puissance en fonction de la température, 1/T1 ∝ Tα (figure 2.5) caractéristique d’un comportement liquide de spins sans gap [Imai et al.,2008;Olariu et al., 2008].

La spectroscopie Raman sonde les excitations de basse énergie électroniques et ma-gnétiques. Elle est donc sensible aussi bien aux excitations singulets qu’aux excitations triplets. De plus, cette sonde semble être particulièrement apte à déterminer si un com-posé kagomé possède un état fondamental liquide de spins ou VBC [Cépas et al.,2008b].

En effet, un système dont le réseau est basé sur des triangles ne brisant aucune symé-trie, donc liquide de spins, va avoir des spectres Raman indépendant de la polarisation des photons incidents. Au contraire, si ce même système brise une symétrie, le spectre Raman va dépendre de la polarisation des photons. Une étude faite sur un monocris-tal [Wulferding et al., 2012] a montré que le spectre ne dépend pas de la polarisation et que la dépendance de l’intensité de diffusion quasiélastique dépend de la température en loi de puissance, I(ω → 0, T )∝ T3/2. Les auteurs de cette étude concluent en disant que l’Herbertsmithite est certainement un liquide de spins non gappé.

La conductivité optique permet de sonder directement les excitations des composés en étudiant leur réponse à un pulse laser. Une étude expérimentale [Pilon et al., 2013] appuyée par des analyses poussées [Potter et al., 2013], montre une conductivité optique aux basses fréquences se comportant en loi de puissance par rapport à la fréquence du pulse, σ∝ ω1.4pointant vers un état fondamental liquide de spins sans gap de Dirac U(1). Cette conclusion est toujours controversée, car il semble très difficile de faire la différence entre cet état et l’état Z2 possédant un petit gap.

Ainsi, toutes les expériences montrent que l’Herbertsmithite possède un état fonda-mental liquide de spins sans gap.

Déviations au modèle Heisenberg de spins 1/2

Cependant, l’état liquide de spins sans gap n’est pas forcément inhérent au réseau kagomé. En effet l’Herbertsmithite présente plusieurs déviations au modèle de Heisenberg spins 1/2 qui ont été caractérisées par différentes expériences.

Des expériences de RPE, technique permettant de sonder les différents environnements électroniques des matériaux et ainsi de connaitre certaines valeurs physiques (anisotro-pies magnétiques ...), sur une poudre d’Herbertsmithite [Zorko et al., 2008] ont mis en évidence des interactions Dzyaloshinskii Moriya (DM). De plus, des calculs par diagonalisation exacte prenant en compte l’interaction DM ont montré l’existence d’une valeur critique pour l’interaction DM, Dcrit= 0.1 J , correspondant à une transition quan-tique entre un état liquide de spins et un état ordonné de Néel sur le réseau kagomé de spins 1/2 [Cépas et al., 2008a]. Les expériences de RPE ont permis de déterminer la va-leur de cette interaction dans l’Herbertsmithite, Dz ≈ 0.08 J, il semblerait donc que ce composé soit proche d’un point critique quantique.

Pour un état liquide de spins, nous nous attendons à ce que la susceptibilité possède un maximum, caractéristique d’un renforcement des corrélations, ce qui a d’ailleurs été observé par RMN de l’17O sur l’Herbertsmithite. Cependant, la susceptibilité macrosco-pique mesurée au Squid augmente progressivement jusqu’à 100 mK [Bert et al.,2007]. Ce comportement a été attribué à des substitutions d’environ 20 % des Zn2+ interplans par des Cu2+ magnétiques au comportement quasi paramagnétiques. L’interaction an-tiferromagnétique entre ces ions interplans et les ions des plans kagomé, ou entre les ions interplans eux même, a été estimée à −1 K donnant une interaction interplan faible par rapport à celle existant dans les plans kagomé Jint ∼ 0.005 J. Les différentes études de neutrons et les études de chaleur spécifique mettent aussi en évidence entre 15 et 20 % de substitutions Zn2+ interplans par des Cu2+. De plus, des mesures de diffusion X anomale, utilisée pour évaluer la teneur en zinc ou cuivre sur les différents sites cristallographique, sur un monocristal [Freedman et al.,2010] ont aussi quantifié ces substitutions à 15(2) %.

Figure 2.6 – Gauche : dépolarisation des muons sans champ appliqué à basse tempéra-ture en fonction de la teneur Zn/Cu dans les composés Cu4−xZnx(OH)6Cl2. La présence d’oscillations ainsi que la dépolarisation rapide aux temps courts pour les fortes teneurs en Cu2+ sont caractéristiques de champs gelés dans le matériau. Extrait de [Mendels et al.,2007]. Droite : fraction de l’échantillon gelée en fonction de la teneur en Zinc. Pou une teneur supérieure à 2/3, tout l’échantillon est dans un état liquide de spins. Extrait de [Kermarrec, 2012].

Enfin, des mesures de µSR sans champ appliqué à basse température ont été effectuées sur des composés Cu4−xZnx(OH)6Cl2 présentant différents dopages (0.15 ≤ x ≤ 1). Ces mesures ont révélé la présence d’une fraction gelée à faible dopage (x < 2/3) (figure 2.6), supportant l’idée d’un couplage Cu-Cu faible selon l’axe z.

Les analyses ICP sur tous les composés étudiés ont montré un rapport Zn/Cu proche de 1/3. Il semble donc que les substitutions des Zn2+ interplans par des Cu2+ soient accompagnées par des substitutions des Cu2+ des plans kagomé par des Zn2+. Ces der-nières ont été révélées par des expériences de RMN d’17O sur des poudres où deux sites d’oxygènes ont pu être résolus. L’analyse des différentes intensités de ces sites a mis en évidence une substitution de 6(2) % des Cu2+ des plans kagomé par des Zn2+ compatible avec la substitution de 15−20 % des Zn2+ interplans par des Cu2+. Cependant les analyses des expériences de diffusion X anomale montrent que la valeur maximale de substitution dans les plans kagomé est de 1(3) % et concluent à l’absence de substitution. Cette expérience, étant en contradiction avec les analyses ICP pour le même échantillon, reste pour l’instant controversée.

En conclusion, l’Herbertsmithite a été étudiée par différentes méthodes qui ont toutes montré que ce composé a un état fondamental liquide de spins sans gap. Néanmoins ces études ont aussi révélé l’existence de déviations à l’hamiltonien de Heisenberg de spins 1/2 dont l’ordre de grandeur typique est 0.005-0.1 J pouvant être à l’origine de caractère non gappé de l’état fondamental.