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LES FRONTIERES MENTALES D’UN ESPACE DUAL

A) Le Cerro del Judío, une zone enclavée ?

1) Présentation du terrain d’étude et de l’échantillon de population interrogée.

Pour analyser les pratiques, perceptions et représentations de l’espace urbain dans des milieux populaires des périphéries de l’agglomération, on se propose de s’appuyer sur une enquête réalisée en 2000 et 2001 dans la zone du Cerro del Judío 175. Enquête qui a pu être menée à bien grâce à la collaboration active de deux habitants des colonies El Tanque et La Malinche. En complément on s’appuiera aussi sur les observations faites et les témoignages recueillis dans les milieux populaires tout au long de nos multiples séjours dans cette zone du Sud-Ouest de Mexico, et notamment lors d’une longue période de résidence en 2001 dans la colonie populaire de San Jerónimo Aculco176.

Le Cerro del Judío, qui surplombe le quartier résidentiel aisé de San Jerónimo Lidíce, est une zone assez représentative de nombre d’implantations populaires des périphéries de Mexico. Les colonies El Tanque, Torres de Potrero, La Malinche ou Las Cruces sont des zones assez récemment urbanisées. La grande majorité des constructions datent des années 1970 et 1980, période où, comme on a pu le voir dans la première partie, la croissance absolue a été la plus importante et où l’agglomération a réellement pris des proportions démesurées. L’absence d’espace disponible due au relief accidenté de la zone conjuguée à la pression démographique, a provoqué un phénomène de densification de l’habitat au cours des années 1990. Car malgré le ralentissement des flux migratoires et la baisse de la natalité chez les néo-urbains de la deuxième génération, cette zone a quand même vu sa population continuer à augmenter durant la dernière période. Même si l’habitat reste très horizontal, il s’agit donc, à la différence des quartiers aisés voisins, de zones très denses, avec très peu d’espaces verts et de végétation (carte 33). Aujourd’hui, plusieurs dizaines de milliers de personnes s’entassent sur quelques kilomètres carrés dans la zone du Cerro del Judío. Le nombre moyen d’habitants par logement n’est pas beaucoup plus élevé que celui que l’on trouve dans les zones aisées (entre 3,8 et 4,6 en 2000), mais les maisons sont bien plus petites : dans la colonie Las Cruces le nombre moyen d’habitants

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Les principaux résultats de cette enquête ont déjà fait l’objet d’une première analyse dans le n°39 des Cahiers des Amériques Latines [Guerrien, 2002].

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Voir Annexe C.I.

par pièce est de 1,94, alors qu’il n’est que de 0,68 dans la colonie San Jerónimo Lidíce, où par ailleurs les pièces sont généralement bien plus spacieuses, comme on a pu le voir dans la seconde partie177. Il en résulte souvent que si ces zones offrent un paysage urbain assez triste, où le gris domine, la surpopulation fait qu’il y règne une certaine animation. Celle-ci compense la pauvreté de l’architecture et l’absence de préoccupations esthétiques dans l’aménagement en donnant vie aux quartiers. Par ailleurs le site d’implantation de ces colonies populaires, sur les hauteurs de la ville, leur offre, lorsque le nuage de pollution n’est pas trop épais, une vue imprenable sur l’agglomération.

Photographie 21 : Le manque d’espace produit un phénomène de densification et de verticalisation de l’habitat dans les zones populaires périphériques mexicaines.

L’habitat est presque totalement consolidé, puisque dans les AGEB de la zone les maisons avec murs en matériaux légers, naturels et précaires représentaient seulement entre 0,89 et 6,95 % de l’ensemble des logements en 2000 (à la différence de zones hyperpériphériques comme celle du

Cresencio Juárez Chavira où ceux-ci représentaient encore 41,75 % du total des habitations à

cette date). Mais les logements restent souvent très rudimentaires, plus encore que ceux du profil-type établi dans la première partie. Selon les AGEB, entre 13 et 26 % des habitations de la

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Tous les chiffres avancés ici et par la suite ont été calculés à partir des résultats du recensement 2000 de l’INEGI.

zone avaient encore en 2000 des toits en matériaux légers. De 14,5 à 18 % d’entre eux n’avaient pas de sanitaire exclusif, de 9,2 à 32,2 % n’avaient pas de cuisine exclusive, et de 25,3 à 55,2 % n’avaient pas d’eau courante. Par contre, pratiquement tous les logements avaient accès à l’électricité (entre 99,5 et 100 %) et disposaient d’au moins un téléviseur (entre 93 et 96,5 %).

Carte 33 : Les différentiels de densité d’habitat et du réseau de voirie entre la zone du Cerro del Judío et celle de San Jerónimo Lidíce.

En ce qui concerne les indicateurs socio-démographiques et culturels, on est en présence d’AGEB aux caractéristiques assez représentatives de ce qui a cours dans la grande majorité des zones populaires du DF, le profil global de la population et du logement se rapprochant de celui établi dans la première partie. Sur les 12 AGEB de la délégation Magdalena Contreras178 et les 4 AGEB de la délégation Alvaro Obregón179 qui correspondent à cette zone du Cerro del Judío et de Las Curvas, on a relativement peu de variations. La comparaison de ces chiffres avec ceux analysés dans la première partie permet de constater que l’on est en présence d’une population se

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AGEBs n° 009-0, 013-7, 020-7, 021-1, 022-6, 023-0, 024-5, 038-7, 051-2, 052-7, 053-1 et 054-6.

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AGEBs n° 136-4, 171-6, 204-2 et 205-7.

situant plutôt dans une petite moyenne basse de ce que l’on trouve sur l’ensemble du DF. Elle est représentative de ce que l’on trouve à peu près partout dans les périphéries populaires (tableau 11). On peut ainsi constater que les seuls écarts significatifs avec la moyenne du DF sont ceux concernant la proportion de hauts et de bas revenus, puisque l’on a dans cette zone moitié moins d’actifs gagnant plus de 5 salaires minimaux et moitié plus d’actifs en gagnant moins de 2 que sur la moyenne du DF, et celui concernant la proportion de foyers suréquipés, puisqu’il y en a près de moitié moins en proportion dans cette zone que dans l’ensemble du DF. Pour ce qui concerne les indicateurs démographiques, de santé ou d’éducation, on se situe donc dans une légère moyenne basse.

Carte 34 : Situation spatiale et sociale des AGEB de la zone du Cerro del Judío dans la mosaïque du Sud-Ouest de Mexico.

Tableau 11 : Caractéristiques comparées de la population du Cerro del Judío et de l’ensemble du DF. proportion de moins de 15 ans proportion d’ayant-droit santé proportion de plus de 5 ans déjà résidents en 1995 nombre moyen d’années d’étude proportion d’actifs gagnant plus de 5 salaires minimaux proportion d’actifs gagnant moins de 2 salaires minimaux proportion de logements équipés de tous les biens Zone Cerro

del Judio/ Las Curvas 28.6 % 49.1 % 91.2 % 8.4 8.9 % 58.8 % 7.8 % Variation par rapport à la moyenne de l’ensemble du D. F. + 9.6 % - 4.2 % - 3.5 % - 12.7 % - 49.9 % + 48.5 % - 46.3 %

C’est de cette zone qu’est issue l’essentiel de la population interrogée lors de l’enquête. Près de 80 % des 78 personnes interrogées dans la zone entre Août 2000 et Mars 2001 y résidaient, les autres étant des habitants des délégations voisines de Tlalpan, Coyoacán, Cuajimalpa. Une seule des personnes interrogées ne venait pas de la zone Sud-Ouest de l’agglomération et résidait dans la délégation Iztacalco.

L’échantillon a été choisi de manière semi-aléatoire, puisque les gens étaient certes interrogés au hasard, dans la rue, chez eux, chez un ami ou ailleurs, mais nombre d’entre eux n’ont pas accepté ou pas pu répondre, souvent tout simplement parce qu’ils n’avaient pas le temps. Toutefois, la bonne volonté générale des habitants, et leur relative absence de méfiance du fait que l’on soit représenté par des jeunes de la zone et que - paradoxalement - l’on soit étranger et représente une institution de recherche extra-nationale, est à souligner. L’extrême gentillesse de l’écrasante majorité des personnes interrogées est à saluer : elles ont généralement pris au sérieux les questions posées et ont pris soin de répondre à l’ensemble d’entre elles. Une majorité a même accepté de se prêter au jeu du dessin de la carte mentale, en y consacrant plus ou moins de temps certes, mais en faisant quand même l’effort de le faire. Par ailleurs on ne semble pas avoir été confronté à des réponses farfelues ou relevant de l’affabulation comme cela peut être le cas parfois dans ce type d’enquêtes [Beaud, Weber, 1997]. Il faut dire que tout dans la méthode avait été fait pour prévenir ce risque, en s’appuyant sur des gens qui connaissent bien la zone et y connaissent du monde, mais aussi en accordant un soin particulier à la formulation même du questionnement180.

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Voir Annexe Enquête II.a. et II.b.

Pour ce qui concerne l’échantillonnage, sans appliquer une méthode stricte de quotas, on a veillé à ce qu’il y ait une certaine correspondance entre le profil global de l’échantillon en terme d’âge et de sexe et celui de la population de l’ensemble de la zone. Il se compose ainsi de 40 hommes et 38 femmes, la moyenne d’âge est de 30 ans, la médiane de la distribution est de 27 ans et la classe quinquennale modale est 25-30 ans (Graphique 8.1.). La comparaison entre la pyramide des âges de l’échantillon et celle des classes quinquennale équivalentes181 sur l’ensemble du DF montre une certaine similitude. Cependant, on peut quand même constater que les jeunes sont plutôt sur-représentés dans notre échantillon et les plus anciens sous-représentés, ceci en raison essentiellement de la plus grande accessibilité des premiers par rapport aux seconds.

La jeunesse de la population de l’échantillon comme de celle de l’ensemble du District Fédéral explique que près des trois quarts des personnes interrogées soient nées dans la capitale (Graphique 8.7.), de la même manière qu’elle explique que l’on ait un chiffre comparable sur l’ensemble du DF (73,09 % dans l’échantillon, 76,45 % dans l’ensemble du D.F. en 2000 précisément). Il s’agit d’une population née pendant ou à la fin de l’explosion urbaine des années 1960-1980, et qui, comme nous le verrons dans la quatrième partie, est appelée à stabiliser démographiquement Mexico pour la première fois depuis 50 ans. Les quelques personnes interrogées qui ne sont pas chilangas de naissance sont généralement les plus âgées, et viennent des Etats voisins de la région centre et du Sud du Mexique. Car cet échantillon rappelle que c’est bien la génération précédente qui est celle des grandes migrations vers la capitale, puisque près des deux tiers des parents des personnes interrogées (64,09 %) sont nées en dehors du District Fédéral (Graphique 8.8.). Les campagnes des Etats de Puebla, Tlaxcala, Veracruz ou Michoacán sont les principales régions d’origine de ces migrants, à l’instar de ceux de l’ensemble du District Fédéral, comme on a pu le voir sur la

carte 1.

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On n’a pas interrogé d’enfants de moins de 15 ans dans cette enquête, le plus jeune dans l’échantillon étant âgé de 17 ans.

Graphique 8 : ECJ-MG 2001 : Les caractéristiques socio-démographiques de l’échantillon182.

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Voir annexe C.II.c. pour le détail chiffré des résultats sous forme de tableaux.