• Aucun résultat trouvé

PROPRIETES MENTALES ET VARIABLES LATENTES

2.1 Le problème de la mesure en psychologie

2.2.2 Catégorisation de la propriété mentale ?

Considérer la réalité comme une pratique oblige à discuter de la façon dont le cerveau objective/catégorise la réalité, c’est-à-dire comment nous donnons du sens au réel. Et c’est bien d’un point de vue réaliste-internaliste comme Putnam le pose que je me positionne et non sur une ontologie objective, comme je le comprends chez Searle, laissant considérer nos catégories comme potentiellement existantes indépendamment d’une pratique.

2.2.2.1 La catégorisation objective et subjective

En effet, la réalité apparait de prime abord comme une unité et le cerveau semble devoir découper cette unité en catégories pour pouvoir objectiver le monde, lui donner du sens. La catégorisation est un processus d’objectivation de la réalité qui semble ainsi incontournable pour l’homme, Falissard (2012) « Le processus de catégorisation semble inhérent au

fonctionnement du cerveau ». Comme le pose Pereira (2009) « Le découpage de la réalité est ambigu. Il semble à la fois relever du fait, donc de la réalité, et du langage, donc des valeurs culturelles » (p. 42). Ce processus de catégorisation, nécessaire pour penser le monde, est

146 donc un processus issus de la praxis de la personne, donc ni « vrai » ni « faux » mais relativement au processus d’apprentissage, au contexte/enjeux/matrice/arrière-plan (au sens de Hacking ou Searle donnés précédemment) que je résume par « pratique » ou « praxis » car « autant construits que découverts ». Putnam considère en effet « Les «objets » n’existent pas

indépendamment des cadres conceptuels. C’est nous qui découpons le monde en objets lorsque nous introduisons tel ou tel cadre descriptif [...] les objets sont autant construits que découverts, s’ils ne sont autant le fruit de notre intervention conceptuelle que le produit de la composante objective de l’expérience qui est indépendante de notre volonté, alors il est certain que les objets doivent se retrouver automatiquement sous certaines étiquettes, parce que ces étiquettes sont les outils que nous avons utilisés au départ pour construire une version du monde contenant ces objets ». (p. 64) et d’ajouter « C’est la pratique qui détermine l’interprétation [...] L’interprétation de la théorie psychologique et de sa terminologie est déterminée par notre pratique réelle [...] il est vain d’essayer de se représenter ce que sont réellement les faits perceptuels, indépendamment de la manière dont nous les conceptualisons [...] Les propriétés des choses interviennent effectivement dans des explications causales » (p. 79-80-81).

Discutant de catégories de propriétés mentales, je ne généralise pas la discussion et me centre sur ces propriétés mentales car comme Hacking (2008) le pose, pour les objets « naturels » (non inscrits dans des interactions sociales), la tension entre « ontologie objective » vs « ontologie subjective » est questionnable. Pour Quéré (2001) les pragmatistes

« n’envisageaient donc pas de solution de continuité entre les sciences naturelles et les sciences humaines » (p. 285). Les pragmatistes ne suppriment pas les différences

catégorielles, mais dans une démarche « empirique et "expérientielle" » pour les sciences sociales, donc en ruptures avec des « catégories naturelles ». Des catégories à « réadapter [...] en réajustant le cadre catégoriel » (Quéré, 2001). Ainsi les catégories pensées par l’homme pour les propriétés mentales sont des catégories nécessaires, nécessaires pour conceptualiser le monde, mais aussi nécessaires relativement à notre praxis. Le langage est « un instrument, étroitement associé à des actes, dans des circonstances qui appartiennent à

notre vie » (Cometti, 2010, p. 211). La catégorisation des propriétés mentales n’est pas une

catégorisation d’objets externes à l’homme, mais un processus de catégorisation objectivé par notre pratique ; et c’est là où je me situe en contradiction avec Searle et en accord avec Putnam et Hacking.

Nous cherchons à regrouper dans une même catégorie des manifestations pratiques similaires. « Nous sommes prêts à considérer que quelque chose appartient à une espèce [...] si cette

147

chose possède la même nature essentielle, ou plus vaguement si elle est suffisamment "semblable" aux cas paradigmatiques [...] ce qui constitue une similitude suffisante est déterminée à la fois par l’espèce naturelle et le contexte » (Putnam, 1984, p. 119).

2.2.2.2 Une démarche pragmatique

Une telle position pragmatique, liant la théorie et la pratique comme un seul et même processus, est orthogonale avec l’approche empirique-réaliste sur les catégories utilisées pour définir les propriétés mentales ; et c’est la raison de ma discussion contradictoire entre Searle et Putnam. L’objectivation d’une propriété mentale est une pratique sociale, liées à des manifestations considérées comme relevant d’une seule et même catégorie. C’est la pratique sociale qui nous pousse à modifier nos catégories. Il n’y a pas en miroir de nos représentations une réalité fixe que nous chercherions à caractériser, mais c’est la pratique des propriétés mentales qui donnent leur réalité « pour nous ».

Concrètement, comme je l’ai déjà dit, il n’y a pas en amont une réalité biologique fixe d’une propriété mentale qui permettrait de caractériser une propriété mentale comme une structure neurologique particulière, identique pour toutes les personnes ayant cette même propriété mentale. Cela ne veut pas dire que certaines structurations neurologiques ne puissent pas déterminer certaines propriétés mentales, mais d’une façon globale on ne peut caractériser une propriété mentale par un fait biologique précis. Je le répète, cela ne renvoie pas à une position relativiste ou constructiviste radical car il y a une objectivité matérielle de la propriété mentale. Il y a bien une structuration neuronale, mais en mouvement car à comprendre dans l’interaction du sujet avec son environnement. Ce mouvement n’interdit pas une forme de stabilité, mais cette stabilité de manifestations n’équivaut pas forcément à une structuration statique de l’être biologique (une même propriété mentale est multiréalisable). La catégorisation n’est qu’un processus d’objectivation de cette réalité… mais catégorisation d’une « réalité pour nous » (au sens social du terme), d’une réalité qui ne peut être appréhendée que par ses manifestations. On ne peut pas considérer une catégorie de propriété mentale comme une réalité figée et externe à notre vie sociale, ni comme une simple construction indépendante de la réalité. Il faut renégocier en permanence les catégories posées des propriétés mentales, non que les anciennes catégories soient « vraies » ou « fausses » de façon a-historique, mais parce que ce sont toujours des catégories liées à une pratique et susceptibles d’évoluer, donc objectivées au moment de la catégorisation. Mais ce processus de renégociation de l’objectivation de la réalité n’est pas à considérer comme une

148 « construction » de la réalité sans soubassements objectifs. Je renvoie aux exemples développés par (Hacking, 2008, Chapter 4) sur « le faible d’esprit », « l’autisme infantile », « la schizophrénie », « l’anorexie », et les renégociations de ces pathologies dans l’histoire, la tension entre « biologie » et « construction sociale », pour illustrer la « tension entre le réel et

le construit » en psychologie.

Il n’y a donc jamais de catégories figées avec les propriétés mentales, donc pas de propriétés mentales qui soient ad vitam aeternam « vraies ». C’est une des sources d’erreur primordiale à mes yeux, issue d’une épistémologie empirique-réaliste, que de considérer avoir construit une formalisation « fiable » ou « pérenne » d’une propriété mentale par variables latentes (un test qui serait valide une fois pour toute pour mesurer une propriété mentale). Cette formalisation ne peut se faire que construite dans l’interaction pratique de son usage. Cela ne veut pas dire repartir de zéro à chaque fois, mais cela veut dire ne pas considérer que la catégorisation et formalisation anciennes puissent être utilisées sans regard critique. « Le

monde empirique [...] dépend de nos critères d’acceptabilité rationnelle. Nos critères d’acceptabilité rationnelle nous aident à construire un tableau théorique du "monde empirique" et, à mesure que se développe ce tableau, il nous conduit à réviser nos critères d’acceptabilité rationnelle, et ainsi de suite à l’infini » (Putnam, 1984, p. 152).