CHAPITRE 2 : LE COUT DU PROTECTIONNISME EN POLYNÉSIE FRANÇAISE
2. Les particularités de la gouvernance dans les petites économies insulaires : explications
3.1. Les cartes culturelles : lien entre le clientélisme et le partage
Après avoir analysé les questions de l’enquête, nous avons constaté que la langue parlée à la maison était un bon indicateur des différences culturelles, de plus assez bien corrélé avec les opinions sur le protectionnisme, la concurrence le clientélisme et la corruption.
En Polynésie, le fait de parler le Tahitien à la maison concerne les familles qui vivent dans le milieu polynésien traditionnel (notamment en dehors de la zone urbaine autour de Papeete), alors que les « Demis » (les Polynésiens anciennement
Graphique 3.4 : Équilibre politique avec accoutumance et sur-rémunérations dans la fonction publique
A B C M1 M2 Mo
π
o(t)π
1(t)π
t
0
t
ot
1t
295 métissés et culturellement « occidentalisés ») parlent en grand majorité français à la maison.
De même, le fait de parler chinois à la maison concerne les chinois les plus traditionnalistes, en particulier les plus âgés.
La langue parlée à la maison est donc l’indication d’une spécificité culturelle bien marquée, aussi bien chez les Polynésiens que chez les Chinois.
Aussi, nous avons pu réaliser des cartes culturelles qui montrent certaines différences selon les groupes d’individus vivant en Polynésie française
C’est ce que nous avons réalisé pour la Polynésie à partir de l’enquête de décembre 2014.
3.2 Opinions sur le partage, le clientélisme et l’égalité des chances
Pour réaliser ce graphique, nous nous basons sur les données de l’enquête réalisée en décembre 2014 sur un échantillon de 400 individus habitants en Polynésie
française.
Nous avons pu « segmenter » les individus selon leur ethnie notamment, et ce au travers (notamment) de deux questions :
« De quelle communauté vous sentez vous le plus proche ? » : -Polynésienne
-Demie -Chinoise -Européenne
96 « Quelle langue parlez-vous à la maison ? »
-tahitien -français -chinois -autre
Le P correspond à la réponse « polynésienne » à la première question. Le M correspond à la réponse « demie » (pour mixed)
Le C correspond à la réponse « chinoise » Le E correspond à la réponse « européenne »
Le 1 correspond à la réponse « tahitien » concernant la langue parlée Le 2 correspond à la réponse « français »
Le 3 correspond à la réponse « chinois »
Un groupe C.3, par exemple, correspond donc à des personnes se déclarant proche de la communauté chinoise et parlant chinois à la maison. Le point sur le graphique correspond à la valeur moyenne obtenue pour ces individus pour les deux variables en coordonnées verticale et horizontale.
Enfin, les individus sont également répertoriés selon leur niveau d’éducation et leur
97 L’axe des ordonnées mesure la tolérance au clientélisme (mesurée par plusieurs questions reprises dans le World Value Survey, cf. annexe), dont notamment la question suivante :
« Pensez-vous qu’un homme politique doit plutôt :
A. Penser d’abord à travailler pour l’intérêt général sans distinction entre les
électeurs. Ou bien :
B. Penser d’abord à rendre service à ceux de son parti qui ont voté pour lui ou qui
l’ont aidé à se faire élire. »
L’axe des abscisses mesure la valeur « partage » : la question posée était la suivante :
« Pour pouvoir faire face en cas de coup dur pensez-vous plutôt que:
A. Il faut s’entraider, partager avec ceux de la famille qui sont dans le besoin.
Ou bien que :
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Graphique 3.5: Clientélisme et partage suivant l’éthnie
Polynésiens (P), Demis (D) et Chinois (C) ont des valeurs très différentes qui les situent dans des régions différentes du graphique. Les polynésiens sont plus « partageurs » mais aussi plus tolérants envers le clientélisme que les Demis. Les Chinois sont moins partageurs que les autres groupes, quel que soit leur niveau d’éducation et leur CSP. Par exemple, les chinois à haut revenu sont moins partageurs que les européens ou polynésiens à haut revenu, etc.
99
-Graphique 3.6: Égalité et partage suivant l’ethnie
Les individus les plus partageurs sont ceux qui pensent que la réussite est avant tout une question de chances et de relations plutôt qu’une question de mérite, sauf pour les Demis et les Polynésiens, où il n’y a pas de lien apparent entre les deux
variables.
Dans tous les groupes, les individus mieux situés dans la hiérarchie sociale et des revenus accordent plus d’importance au travail qu’à la chance ou aux relations
dans l’explication de la réussite sociale.
La réponse mesurée sur l’ordonnée du graphique correspond au pourcentage de chaque groupe qui répond A à la question :
100 V100. Pensez-vous plutôt que :
A. A long terme, travailler dur permet d’avoir une meilleure vie
Ou que :
B. Travailler dur ne garantit pas la réussite matérielle, c’est plus une question de chance et de relations.
3.3 Opinions sur le protectionnisme suivant l’ethnie et la langue maternelle
En utilisant les données de l’enquête réalisée en décembre 2014 par l’UPF, on voit
que les personnes parlant Tahitien à la maison sont plus nombreuses à estimer qu’il faut protéger l’industrie domestique en instaurant des taxes sur les importations plutôt que d’ouvrir l’économie à la concurrence internationale pour faire baisser les prix (tableau 3.1).
La question posée était la suivante : Pensez-vous plutôt que :
A. Il faut protéger les produits locaux de la concurrence des importations
(produits qui viennent de l’étranger) par des taxes à l’importation ou des interdictions d’importation pour créer des emplois locaux.
B. Il faut plutôt supprimer les taxes et autres obstacles à l’importation pour
introduire plus de concurrence et faire baisser les prix.
Tableau 3.1 : Pourcentage d’opinions favorables au protectionnisme
selon la langue parlée à la maison
Éthnie declarée Langue
parlée Polynésiens Demis Chinois Européens Total
Tahitien 62,2% ns ns ns 61,9%
Français 48,2% 48,8% 53,1% 42,6% 48,1%
Chinois ns ns 41,9% ns 41,0%
Autre ns ns ns ns
101
Pour mesurer l’impact de la variable « parle tahitien» sur la tolérance au
protectionnisme toutes choses égales par ailleurs, il faut tenir compte des autres variables qui peuvent influencer ce choix, notamment le sexe, l’âge, le niveau
d’éducation, le revenu, et le lieu de naissance. A cette fin, il est procédé à une
régression logistique expliquant la réponse positive ou négative à la question sur le protectionnisme, où on inclut les variables explicatives précédentes, en plus de la langue parlée à la maison. Dans cette régression, la variable protectionnisme prend la valeur 1 pour les personnes qui ont répondu A (en faveur du protectionnisme) ; 0 pour les personnes qui ont répondu B.
Les personnes parlant français à la maison sont la catégorie de référence, les variables muettes « Tahitien » et « Chinois » prennent la valeur 1 si la personne parle cette langue, 0 autrement. Le coefficient de la variable muette indique donc
par son signe et son degré de signification (colonne Probabilité) l’influence de la
culture sur la réponse à la question, toutes choses égales par ailleurs. La variable « né en PF » est égale à 1 si la personne est née en Polynésie française, 0
autrement.
Tableau 3.2 : Régression logistique expliquant la réponse à la question sur le protectionnisme.
(régression logistique)
Variable Coefficient Ecart type z-Statistic Prob.
C -3.31 17.41 -0.19 0.8492 SEXE 0.16 0.20 0.80 0.4210 AGE 0.00 0.01 0.16 0.8711 REVENU -0.04 0.06 -0.79 0.4246 EDUCATION 0.08 0.06 1.26 0.2070 NE EN PF -0.16 0.26 -0.60 0.5508 PARLE CHINOIS -0.23 0.35 -0.64 0.5244 PARLE TAHITIEN 0.59 0.27 2.13 0.0333