4.2 Estimation des taux de dispersion par sexe
4.2.1 Caract´ erisation des biais de dispersion
Motro (1991, 1994) a montr´e qu’une strat´egie de dispersion biais´ee en
fonction du sexe pouvait ˆetre ´evolutivement stable si le coˆut associ´e `a la d´
e-pression de consanguinit´e ´etait fort et le coˆut associ´e `a la dispersion ´etait
faible (voir ´egalementGandon 1999). D’autre part, si les coˆuts `a la
disper-sion sont identiques pour les individus des deux sexes, les taux de disperdisper-sion
´evolutivement stables d´ependent des conditions initiales. D`es que les
indivi-dus d’un sexe dispersent plus que les indiviindivi-dus de l’autre sexe, la s´election
favorise des taux de dispersion encore plus forts pour les individus de ce sexe.
Ce ph´enom`ene d’entraˆınement sugg`ere que des contraintes phylog´en´etiques
peuvent ˆetre d´eterminantes pour expliquer pourquoi chez certaines esp`eces
ce sont les mˆales qui dispersent, alors que chez d’autres esp`eces la situation
inverse est observ´ee (Perrin et Mazalov 1999). Mais l’´evitement de la
consanguinit´e n’est pas la seule force ´evolutive qui explique le maintien de
strat´egies de dispersion biais´ee (PerrinetGoudet2001;Perrinet
Maza-lov2000). En effet, si les coˆuts associ´es `a la dispersion ne sont pas identiques
entre individus de sexe oppos´e (par exemple, parce que les individus de sexe
oppos´e ne r´eagissent pas de la mˆeme mani`ere `a la comp´etition: voir
Green-wood1980) alors des strat´egies de dispersion biais´ee peuvent ´evoluer. C’est
ce que l’on observe chez les mammif`eres, o`u la comp´etition pour l’acc`es `a
la reproduction est per¸cue (avec l’´evitement de la consanguinit´e) comme un
facteur important expliquant l’´evolution de la dispersion biais´ee en faveur
des mˆales (Dobson 1982).
Or s’il existe de nombreuses esp`eces chez lesquelles on a observ´e un biais
de dispersion li´e au sexe, la mesure des taux de dispersion r´ealis´es chez les
individus mˆales et femelles n’est pas chose ais´ee. Les estimations directes des
taux de dispersion reposent sur des m´ethodes de capture-marquage-recapture
d’individus ou bien sur des m´ethodes de suivi d’individus sur lesquels ont ´et´e
install´ees des balises radio-´emettrices. Outre la mesure des taux de dispersion
moyens, ces m´ethodes permettent ´egalement l’estimation des distributions
des distances de dispersion. En revanche, ces m´ethodes ne permettent pas,
en g´en´eral, de caract´eriser la dispersion efficace, c’est-`a-dire le mouvement
d’individus qui arrivent `a se reproduire en dehors de leur lieu de naissance.
De plus, la dispersion `a longue distance est souvent sous-estim´ee, du fait des
contraintes li´ees `a la taille limit´ee des sites d’´etude (Koenig et al. 1996).
Mises en ´evidence indirectes de biais de dispersion
La litt´erature est riche d’exemples o`u les auteurs ont tent´e de d´etecter des
biais de dispersion li´es au sexe, `a partir de donn´ees de polymorphisme sur
des marqueurs g´en´etiques. L’id´ee de comparer la distribution de la variation
g´en´etique entre des marqueurs `a h´er´edit´e Mend´elienne et des marqueurs `a
h´er´edit´e maternelle stricte vient tout naturellement `a l’esprit, lorsqu’on
s’in-t´eresse aux biais de dispersion li´es au sexe.Lyrholm et al. (1999) ont ainsi
montr´e que l’observation de mouvements importants chez les cachalots mˆales
(Physeter macrocephalus) ainsi que l’apparente philopatrie des femelles se
traduisaient par une absence de diff´erenciation g´en´etique sur des marqueurs
microsatellites `a l’´echelle de l’ensemble des oc´eans du globe, tandis que la
dif-f´erenciation g´en´etique ´etait significative sur des marqueurs mitochondriaux,
`
a cette mˆeme ´echelle g´eographique (Lyrholm et Gyllensten 1998). Un
patron de diff´erenciation tout `a fait similaire a ´et´e ´egalement observ´e chez le
grand requin blancCarcharodon carcharias (Pardini et al. 2001).
mesur´e la diff´erenciation g´en´etique sur des marqueurs mitochondriaux parmi
les adultes reproducteurs captur´es dans plusieurs sites o`u les individus
s’ac-couplent, de part et d’autre de la grande barri`ere de corail. Leurs r´esultats
montrent une diff´erenciation g´en´etique ´elev´ee entre les diff´erents sites ainsi
qu’un patron de diff´erenciation identique chez les mˆales et les femelles.
Fitz-Simmons et al. (1997a) interpr`etent leurs r´esultats comme la cons´equence
d’un comportement de philopatrie au site de reproduction identique chez
les mˆales et les femelles. En revanche, la comparaison de la variation g´en´
e-tique mesur´ee sur des marqueurs nucl´eaires (microsatellites et copies uniques
d’ADN anonyme) et mitochondriaux, parmi des individus captur´es dans les
cr`eches (o`u les jeunes sont ´elev´es) a montr´e une diff´erenciation g´en´etique
plus faible sur les marqueurs nucl´eaires que sur les marqueurs
mitochon-driaux (FitzSimmons et al. 1997b). Les flux de g`enes nucl´eaires sont donc
suffisamment importants pour que la diff´erenciation g´en´etique nucl´eaire soit
faible, en comparaison avec la diff´erenciation sur les marqueurs
mitochon-driaux. Ceci peut, de prime abord, sembler contradictoire avec les r´esultats
deFitzSimmons et al. (1997a) qui ont montr´e que les mˆales reproducteurs
´etaient tout aussi philopatriques `a leur lieu de naissance que les femelles.
L’explication de ce paradoxe apparent est la suivante. Malgr´e l’existence de
sites sp´ecifiques pour la reproduction, les individus de diff´erents groupes
s’ac-couplent au cours de leurs d´eplacements entre leur lieu de naissance et le site
o`u ils se reproduisent. Quel que soit le comportement de philopatrie des
individus des deux sexes, ceci implique un certain brassage des g`enes
nu-cl´eaires (qui sont transmis par les voies mˆales et femelles). En revanche, la
philopatrie des femelles `a leur lieu de naissance limite les flux de g`enes
mi-tochondriaux (qui, contrairement aux g`enes nucl´eaires, ne sont transmis que
par la voie femelle). Les r´esultats de FitzSimmonset al. (1997b) impliquent
que les flux de g`enes nucl´eaires sont suffisamment importants pour que la
diff´erenciation des g`enes nucl´eaires soit faible au regard de la diff´erenciation
des g`enes mitochondriaux. Dans cet exemple, les flux de g`enes asym´etriques
entre le compartiment nucl´eaire et le compartiment mitochondrial ne sont
pas la cons´equence directe d’une diff´erence du comportement de dispersion
des mˆales et des femelles (FitzSimmonset al. 1997b).
Toutefois, d’autres diff´erences entre les compartiments nucl´eaires et
mi-tochondriaux peuvent ´egalement ˆetre la source de discordances. D’une part,
les mitochondries ont des g´enomes qui ne recombinent pas, ou tr`es peu. Par
cons´equent, la distribution de la variation mesur´ee sur des marqueurs
mito-chondriaux peut ˆetre tr`es fortement influenc´ee par des effets s´electifs agissant
sur le reste de la mol´ecule (voir le§ 3.3.2). D’autre part, du fait de sa
trans-mission uniparentale, la taille efficace du g´enome mitochondrial est plus faible
que la taille efficace du g´enome nucl´eaire.
Un des premiers exemples d’utilisation exclusive de marqueurs
autoso-maux que j’ai pu relever dans la litt´erature concerne l’´etude de Kawata
(1985), qui a tent´e (avec un succ`es relatif) de mettre en ´evidence un biais de
dispersion en faveur des mˆales chez le campagnol `a dos roux Clethrionomys
rufocanus bedfordiae. Plus r´ecemment,Favreet al.(1997) ont montr´e que le
biais de dispersion en faveur des femelles chez la musaraigne musette
Croci-dura russula pouvait ˆetre d´etect´e par une approche reposant sur l’utilisation
d’indices d’assignation, d´evelopp´es `a l’origine par Paetkau et al. (1995).
En utilisant des marqueurs microsatellites tr`es variables, Favreet al.(1997)
ont montr´e que la distribution des probabilit´es d’assignation de chaque
indi-vidu `a la population dans laquelle il a ´et´e ´echantillonn´e
14avait une moyenne
plus faible ainsi qu’une variance plus grande chez les femelles que chez les
mˆales. Favre et al.(1997) interpr`etent cette plus faible probabilit´e de
trou-ver des femelles n´ees dans le lieu de leur capture comme la cons´equence de
mouvements plus importants chez les femelles que chez les mˆales. La mˆeme
approche a ´et´e conduite avec succ`es par MossmanetWaser(1999) chez la
souris `a pattes blanches Peromyscus leucopus o`u la dispersion, cette fois-ci,
est plus importante chez les mˆales.
14Contrairement `a Paetkauet al.(1995),Favreet al.(1997) ne cherchent pas `a
assi-gner chaque individu `a une population, mais s’int´eressent `a la distribution des probabilit´es
que chaque individu d’une population donn´ee appartienne `a la population dans laquelle il
Diff´erenciation g´en´etique nucl´eaire sp´ecifique au sexe
A plusieurs reprises, des ´etudes ont ´egalement tent´e de caract´eriser des
biais de flux de g`enes entre individus de sexes oppos´es grˆace auxF-statistiques
(voir le§2.1.3) (McCracken1984;MossmanetWaser1999;Rassmann
et al.1997). ChezC. russula, par exemple,Ballouxet al.(1998) ont montr´e
que la corr´elation des fr´equences all´eliques `a l’int´erieur des groupes sociaux,
relativement aux fr´equences all´eliques `a l’int´erieur des sous-populations (voir
Chesser 1991b) ´etait plus forte (et significative) chez les mˆales que chez les
femelles (chez qui la corr´elation n’´etait d’ailleurs pas significativement diff´
e-rente de z´ero). Tr`es peu de ces ´etudes, `a l’exception notable de Rassmann
et al. (1997), pr´ecisent pour autant que de telles diff´erences ne sont pas n´
e-cessairement attendues. Rassmann et al. (1997) soulignent en effet que si
la distribution de la variation g´en´etique varie entre mˆales et femelles, cette
diff´erence ne devrait plus ˆetre observ´ee apr`es une g´en´eration.
Une lecture attentive des mod`eles d´evelopp´es par Chesser (1991a,b)
et par Wang (1997a) montre d’ailleurs que seules des variations de succ`es
reproducteur entre les individus de sexe oppos´e peuvent contribuer `a des
diff´erences de structuration g´en´etique entre mˆales et femelles. En revanche,
le mod`ele que j’ai pr´esent´e dans le§2.2.1 souligne que des diff´erences peuvent
ˆetre observ´ees, `a la condition que les individus soient ´echantillonn´es de part et
d’autre de l’intervalle de temps qui s´epare la dispersion des individus juv´eniles
et la reproduction des individus adultes.
Dans le document
Génétique des populations subdivisées : théorie et applications
(Page 122-126)