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Caractérisation du système aquifère de la Djeffara

Dans le document RESOURCES in AFRICA (Page 123-128)

Ahmed Mamou et Mohamedou Ould Baba Sy

2. Caractérisation du système aquifère de la Djeffara

2.1 Caractérisation structurale

L’analyse de l’ensemble des informations géo-logiques de la Djeffara a été menée à l’aide d’une carte numérisée permettant d’harmoni-ser la nomenclature géologique de part et d’au-tre de la frontière et de metd’au-tre en évidence la continuité des couches (El Sunni and al., 2004 ; Mamou, 2005). Elle a été complétée par l’ana-lyse des données des sondages miniers, pétro-liers et hydrauliques en vue de mieux élucider la structure souterraine du système aquifère (Mamou, 1987). Ainsi les données de plus de 450 forages, ont été analysées pour en tirer des corrélations hydrogéologiques, des cartes du toit et du mur de chaque formation et un schéma structural d’ensemble, assez simplifié pour représenter les différentes couches du système aquifère. L’ensemble de cette ana lyse structurale a permis d’y définir trois aqui fères majeurs : a) L’aquifère supérieur (nappe phréa-tique), très bien développé dans le secteur de Tri poli et constant sur toute la région, ren-fermant des eaux de qualité médiocre dans les zones frontalières ; b) L’aquifère inférieur (nappe du Trias) contenu dans les couches tria-siques perméables, salées dans la région de

Tataouine et Médenine ; c) L’aquifère intermé-diaire (nappe côtière) qui regroupe un certain nombre de formations perméables autour des sables Miocènes, constants dans toute la région côtière et qui constituent la véritable clé de voûte de ce deuxième aquifère (Figure 1).

2.2 Caractérisation hydrogéologique

Le système aquifère de la Djeffara correspond à une cuvette synclinale dont la tectonique a largement contribué à l’établissement des liaisons entre ses différents niveaux aquifères.

Ce système aquifère connaît des zones de recharge sur les bordures continentale de la plaine (Kallel, 2004; Baruni and al., 2004), ainsi que des communications souterraines latérales avec les aquifères du bassin saharien. De même que son fonctionnement hydrodyna-mique se manifeste par plusieurs exutoires naturels constitués par des sources et des zones d’évaporations (sebkhas). Sa piézométrie largement commandée par son alimentation et sa configuration structurale, montre un écoule-ment souterrain vers la Méditerranée, avec très peu d’écoulement à travers la frontière entre les deux pays. Le suivi de sa piézométrie, de son exploitation et de la composition chimique de ses eaux sur plus de 50 ans, a permis de dis-poser d’une information exhaustive pour le calage du modèle hydrodynamique et la vérifi-cation de sa représentativité durant cette période (Besbes, et al., 2004). La modélisation hydrochimique a été entreprise en vue de bien quantifier les risques associés à cet aspect (Besbes et al., 2005).

Le système aquifère de la Djeffara contient une ressource en eau dont l’exploitation a connu une intense évolution au cours des trente der-nières années. La construction du Modèle

« Djeffara tuniso-libyenne » répond d’abord à un objectif d’ordre scientifique: proposer une vision homogène et coordonnée d’un même et unique système ; elle répond ensuite à des objectifs d’ordre pratique et opérationnel : défi-nir des politiques d’exploitation des ressources en eau ; en prédire les impacts sur le court et le long terme ; préciser et aider à gérer les risques et évaluer leurs conséquences.

En matière de risques, la Djeffara se distingue

Fig. 1. Djeffara tuniso-libyenne: distribution des trois systèmes aquifères

d’ores et déjà par un niveau d’alerte prononcé : en 40 ans, les prélèvements y sont passés de 200 Millions m3/an (en 1960) à près de 1 Mil-liard m3/an (en 2000). Il en est résulté d’impor-tants rabattements (parfois supérieurs à 50 m) dans les zones côtières où se trouve concentrée l’exploitation, et notamment dans la région de Tripoli où de dangereuses intrusions salines ont été constatées. Le modèle devait reconsti-tuer cette modification du régime des écoule-ments et de la salinité des eaux, et aider à rechercher les moyens de minimiser cette nui-sance.

La lame d’eau moyenne précipitée sur la région de 177 mm/an et le volume précipité sur le do-maine de la Djeffara s’établit à 8,5 x 109m3/an soit un flux équivalent à 270 m3/s. La recharge des aquifères des grands systèmes sahariens est un aspect qui nécessite l’approfondis -sement des observations in situ. Les approches utilisées à ce jour, dans le domaine saharien, traduisent l’empirisme du terrain et l’estima-tion par calcul (Babasy, 2005). En admettant des coefficients d’infiltration directe de 2 à 3%, l’apport par recharge directe aux affleure-ments perméables utiles serait de l’ordre de 200 Mm3/an. L’Infiltration des crues d’Oueds s’établirait à près de 90 Mm3/an, soit 50% des ruissellements totaux en première analyse.

Quant aux autres sources de recharge (retours d’eau d’irrigation et fuites des réseaux), elles ont été négligées dans la présente étude.

Par ailleurs, l’apport estimé du Continental Intercalaire Saharien représente le triple du débit initial des sources de la Djeffara et presque autant que l’exploitation totale actuelle de la nappe intermédiaire en Tunisie. C’est dire l’importance que revêt l’impact de sa connais-sance et de son évolution dans le temps sur celle de toute la nappe de la Djeffara. Concer-nant les apports de la Hamada El Hamra, il n’en existe pas d’estimation fondée sur des obser-vations.

Malgré les nombreuses inconnues qui subsis-tent encore sur la définition des trois systèmes aquifères de la Djeffara, et notamment sur leur structure, leurs conditions de gisement, leur contact et leurs échanges avec la mer, leur ali-mentation souterraine (par les zones saha-riennes) et de surface (infiltration des eaux de

pluie et des eaux de ruissellement), une repré-sentation acceptable de la configuration piézo-métrique initiale a été obtenue après calage:

dans toutes les zones où des données piézo-métriques initiales étaient disponibles et fiables, les écarts de calage ont été inférieurs à 10 m. Les zones pour lesquelles le calage sem-ble imparfait correspondent à des zones péri-phériques où la piézométrie est mal connue.

Par ailleurs, une restitution satisfaisante par le modèle de l’évolution des rabattements mesu-rés ainsi que de celle du débit des sources, per-met d’apprécier la qualité du calage du modèle en régime transitoire en référence à une période importante allant de 1950 à 2000, période au cours de laquelle le système Djef-fara a subi de profondes mutations en raison d’un accroissement considérable des débits prélevés.

2.3 Modélisation hydrodynamique et hydrochimique de la Djeffara

L’objectif de la modélisation des transferts de sel dans la Djeffara était de préciser le rôle et l’impact de chacune des sources de sels, actuelles ou potentielles, sur la répartition spa-tio-temporelle de la salinité des eaux sur le domaine d’étude, en fonction des apports, naturels ou induits, et du régime des prélève-ments opérés. La méthodologie se fonde sur les équations de transport convectif, diffusif et dispersif de solutés dans le système en terme de concentration globale de sels. L’outil numé-rique utilisé [MODFLOW-MT3D-PMWIN5], résout cette équation dans un système multi-couche.

Le modèle du système aquifère de la Djeffara calé en régime «Permanent » puis en « Transi-toire » (OSS, 2006) permet d’anticiper, de façon satisfaisante, le comportement des différentes nappes de la Djeffara en termes de rabatte-ments. Toutefois, on peut raisonnablement penser que la fiabilité du modèle pourra être sensiblement améliorée lorsqu’il sera possible d’entreprendre, sur l’ensemble du système aqui-fère, notamment en Libye mais également en Tunisie sur la nappe supérieure, une étude plus précise de la répartition des débits de prélèvements effectués et de leur évolution his-torique.

Il y a lieu de noter l’importance de l’infiltration, soit près de 330 Mm3/an, dans le bilan de la Djeffara et de pressentir désormais l’impor-tance que l’on doit accorder à l’étude de la recharge naturelle dans la région ainsi du reste qu’à l’estimation de l’ensemble des apports en provenance du Sahara, de l’ordre de 260 Mm3/an (en 1950, passant à 200 Mm3/an en l’an 2000), et qui sont tous appelés, aussi bien pour ce qui est de l’exutoire tunisien du CI que de l’exutoire libyen de la nappe du Trias, à évo-luer en défaveur de la Djeffara. Enfin, le poste

« entrée d’eau de mer » prend en 2000, une importance considérable dans la région de Tri-poli, de l’ordre de 34 Mm3/an, et représente un risque majeur, d’ores et déjà exprimé en termes de détérioration de la qualité de l’eau, et que le modèle de Transport de solutés avait précisé-ment pour objet de mieux évaluer, notamprécisé-ment en termes prospectifs de durabilité d’exploita-tion de la Ressource.

Le transport de sel a été représenté en régimes permanent et transitoire : a) La modélisation du régime permanent de transport s’effectue à la suite du régime hydrodynamique permanent et correspond à la même époque (T). Elle permet un premier calage des paramètres de transport:

dispersivités et porosités ; b) Le régime transi-toire de transport est calculé à partir de cette date T et concerne toute la période à simuler. Le régime hydrodynamique correspondant est celui obtenu par calage du modèle d’écoulement.

Les analyses d’eau disponibles dans la base de données « Djeffara » sont relatives aux élé-ments majeurs et au résidu sec ou à la conduc-tivité électrique. Dans cette étude seule la concentration globale est retenue, identifiée au résidu sec.

Le modèle hydrodynamique conditionne com-plètement les échanges d’eau de différentes salinités entre les trois couches aquifères ainsi qu’avec leur environnement. Ainsi, les apports du trias à la nappe miocène apparaissent déter-minants et doivent expliquer en grande partie les salinités élevées dans la région de Jerba-Zarzis et relativement faibles dans la partie libyenne. En Libye, c’est l’intrusion marine qui devrait pouvoir expliquer en totalité la salinisa-tion de la frange côtière de l’aquifère supérieur de la région de Tripoli.

Le calage en régime transitoire se fonde sur les états de référence datés 1972 et 2000 dans la zone de Tripoli, seul secteur où l’on ait observé des variations significatives dans la période his-torique.

2.4 Simulations prévisionnelles

Les simulations prévisionnelles à long terme avaient pour objectifs de prédire les impacts de l’exploitation actuelle et future des aquifères de la Djeffara, en termes de rabattements supplé-mentaires des niveaux et de modifications de la qualité des eaux qui pourraient en résulter. Ces simulations ont été réalisées sur la base des scénarios de développement prévus par cha-cun des pays (Besbes et al., 2006).

En Libye, la demande de l’irrigation est indexée sur la croissance démographique et inclut la fourniture par la Grande Rivière. Quant à la demande en eau potable, elle est directement proportionnelle à la croissance démogra-phique. Ces estimations, effectuées par la GWA, ont servi à définir les simulations libyennes.

En Tunisie, les simulations ont pour objectif d’étudier des hypothèses fortes d’exploitation de la nappe du Continental intercalaire saha-rien, situé en amont, particulièrement au niveau de l’exutoire tunisien du Chott Fedjej, ainsi que la réaction de la nappe phréatique à l’appel d’eau de mer. Une simulation combi-nant les hypothèses dans les deux pays, tente de tester la réponse des nappes de la Djeffara aux prélèvements maxima envisagés par cha-cun des deux pays.

4. Conclusions

et recommandations

Outre les résultats des différentes simulations prévisionnelles réalisées, qui vont sans doute pouvoir d’ores et déjà confirmer, ou infléchir, en tous cas guider, les programmes et les poli-tiques de l’eau élaborés dans la région, le modèle construit aura permis de mettre l’ac-cent sur les insuffisances et de mesurer le poids

des incertitudes qui pèsent désormais sur la connaissance des diverses composantes du système aquifère et sur son exploitation, que l’on peut rappeler, ou aborder, comme suit par grandes familles de paramètres :

a) la Recharge directe, ou part renouvelable des ressources

Elle se compose de deux éléments, tous deux n’ayant malheureusement pas fait d’observa-tions suivies et pertinentes :

• l’infiltration directe des précipitations, que nous avons, dû faute d’évaluations précises, considérer comme une fraction constante de la pluie, calée par essais successifs en régime permanent;

• la recharge par les crues d’oueds, typique-ment représentative des différences d’expé-riences, de références et de conception qui existent sur un certain nombre de questions importantes de part et d’autre de la fron-tière : référence en Tunisie aux expérimen-tations réalisées à Kairouan qui estiment à 30% la part des crues infiltrées, et référence à un certain nombre de travaux en Libye qui estiment cette part à 80%. La présente étude n’a pas pu trancher, et nous avons dû nous contenter d’un arbitrage médian avec un encore hypothétique 50%.

b) la relation avec les grands aquifères sahariens Outre ces apports de surface, trois grandes sources d’apports souterrains, en provenance du Sahara, conditionnent par ailleurs l’hydro-dynamique et l’hydrochimie des nappes de la Djeffara: l’apport du Continental Intercalaire par l’exutoire tunisien, l’apport du Trias (salé) du bassin du grand erg oriental, l’apport du Trias (à eau douce) du bassin de la Hamada el Hamra. Ces apports souterrains représentent près de la moitié des apports totaux au système (près de 50% en Tunisie, 40% en Libye) et pour-tant leur connaissance est encore très embryonnaire.

d) l’extension sous marine et les conditions limites en mer

Si les relations avec le domaine marin ont pu être approchées en Libye avec une certaine

fidélité, précisément (et malheureusement) parce que l’invasion marine y constitue d’ores et déjà un fait d’observation, il n’en est encore rien en Tunisie où (il faut s’en réjouir) l’intrusion marine n’est pas encore à l’ordre du jour, ce qui rend là notre modèle et ses prédictions certes encore très hypothétiques : l’extension en mer de la nappe miocène et la condition limite sous marine sont ici quasiment arbitraires ce qui devrait tempérer l’optimisme des résultats et limiter la portée des résultats de simulations prévisionnelles sur le long terme.

e) les paramètres du modèle hydrodynamique Nous avons construit le modèle d’un système à la structure extrêmement complexe, avec un nombre dérisoire de mesures in situ des pa ramètres hydrodynamiques : assez peu de valeurs de transmissivités, pratiquement pas de mesures de coefficients d’emmagasinement en nappe libre (l’un des paramètres les plus déterminants du modèle), aucune valeur des perméabilités verticales. C’est dire l’effort de mesure et d’expérimentation qui devra être consenti dorénavant pour une plus grande fia-bilité du modèle.

f) les paramètres du modèle de transport Le modèle construit, qui donne une vision d’en-semble des transferts de sels dans le système, est certainement perfectible. Il constitue néan-moins un outil de gestion et de tests de scéna-rii d’exploitation valable. Il pourra également constituer un point de départ pour des études plus ciblées où l’acquisition de l’information, essentiellement sur la géométrie des réservoirs et sur leurs paramètres physiques devrait concentrer l’essentiel des moyens à déployer.

g) l’estimation des prélèvements souterrains En l’absence d’inventaires des débits extraits périodiquement contrôlés par des mesures sur les ouvrages d’exploitation, notamment en Libye où l’on observe les plus fortes concen-trations de forages (5 000 forages est une estimation souvent évoquée), une méthode d’évaluation des pompages fondée sur l’obser-vation des rabattements (pour laquelle la GWA a mis en place un réseau remarquable), a été développée pour la présente étude. Ce type de validations croisées (débits→rabattements

pour l’estimation des prélèvements, puis rabat-tement→débits pour le calage du modèle) n’est évidemment pas sans risques : toute spécula-tion n’est valable que par la confrontaspécula-tion avec la vérité-terrain. Autrement dit, les inventaires classiques avec estimation sur le terrain des débits extraits demeurent incontournables et la Djeffara ne peut échapper à cette règle.

Périodiquement depuis 1970, des modèles ma -thématiques hydrogéologiques intéressant la Djeffara tunisienne ou libyenne, ont confronté les besoins toujours plus exigeants des utilisa-teurs et les estimations toujours plus alarmistes fournies par les hydrogéologues. A chaque fois, un compromis a été trouvé, accordant aux uti-lisateurs des quantités supplémentaires en contre partie de niveaux qui s’approfondissent et d’une intrusion marine qui progresse (en Libye) ou qui menace (en Tunisie), et laissant aux générations futures d’hydrogéologues le soin d’apporter des précisions sur l’alimen -tation des nappes et sur les apports souterrains au système : exutoire tunisien, Hamada el Hamra. Le modèle réalisé ici n’échappe pas à la règle, mais il aboutit cependant à une prise de conscience généralisée de l’insuffisance struc-turelle des ressources conventionnelles en face des besoins croissants et de la nécessité d’en-visager dès maintenant, la mise en œuvre de solutions alternatives pour satisfaire les besoins en eau. Par ailleurs et en terme de connaissance du système aquifère, le présent modèle « bénéficie » en quelque sorte d’un état d’exploitation du système qui se situe à un niveau exceptionnellement avancé et de don-nées d’observations en grand nombre, autant en termes quantitatifs de la ressource qu’en termes de qualité des eaux. Ces éléments ont concouru à l’élaboration d’un outil de simula-tion de la ressource, en quantité et en qualité, certes encore perfectible, mais relativement précis, représentatif, et à jour des connais-sances actuelles.

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